lundi 24 avril 2023

Les sociétés multireligieuses ethniques et culturelles sont toutes vouées à se déchirer

Extraits d’un entretien de Pierre Brochand, ex-patron du renseignement français, paru dans le Journal du dimanche de Paris.

La nation est un cercle de confiance que l’immigration sape…

Cet ex-ambassadeur de France, ex-patron de la DGSE (nommé par Jacques Chirac en 2002), explique : « En raison de mon expérience acquise à l’étranger. » La connaissance de l’autre l’a passionné.

« J’ai fait mon service militaire au Cameroun. À la sortie de l’ENA [il est également diplômé de HEC], je suis parti au Sud-Vietnam pour l’application des accords de Paris. J’étais conseiller d’ambassade à Saïgon au moment de la chute de la ville et témoin des conséquences terribles du retrait américain. Ensuite, je suis allé à Bangkok alors que le Cambodge tombait aux mains des Khmers rouges. J’y ai mesuré le degré de violence totalitaire, la plus grande horreur depuis la Seconde Guerre mondiale. Ils copiaient la Révolution culturelle chinoise en pire. J’ai été consul général à San Francisco, où j’ai vu naître la Silicon Valley. Je suis revenu au Quai d’Orsay, à Paris, au moment où les Soviétiques occupaient l’Afghanistan. Puis j’ai été pendant quatre ans le représentant permanent adjoint de la France à l’ONU. Le meilleur endroit pour se rendre compte combien l’Occident est minoritaire et combien les autres nous regardent avec autant d’envie que de ressentiment. »

Il poursuit…

Tout juste après la chute du Mur, il est nommé ambassadeur en Hongrie. Il a connu Viktor Orbán jeune. « Il était le grand libéral, il a beaucoup évolué depuis. »

Toujours au cœur des remous de la vie internationale, il devient ambassadeur en Israël entre 1991 et 1993. « Un poste assez peu recherché au Quai d’Orsay, c’était au moment des accords d’Oslo. Je rencontrais souvent Yitzhak Rabin. » Il a été assassiné par un Juif extrémiste religieux opposé aux accords.

Catherine Nay l’interroge :

— Quelles leçons tirez-vous de ce parcours si varié ?

« Que la xénophobie est le sentiment le plus répandu au monde. Que le premier réflexe c’est d’être méfiant, voire hostile, à l’égard de l’étranger, que les sociétés multireligieuses ethniques et culturelles sont toutes vouées à se déchirer. C’est un monde dur, où personne ne fait de cadeau à personne. J’ai pensé que ces leçons de l’extérieur seraient pertinentes pour nous. Avec l’immigration, le dehors est devenu notre dedans. »

— Qu’entendez-vous par là ?

« La nation est un cercle de confiance que l’immigration sape. La clé de voûte de la confiance sociale est l’État providence, lequel est incompatible avec une libre circulation des personnes. »

Ce qu’ont réalisé les sociaux-démocrates danois avec l’assentiment de leur population. Une expérience qu’une grande partie de l’Europe observe aujourd’hui avec curiosité et intérêt.

« Cela m’a convaincu que si nous ne prenons pas en main nos intérêts vitaux, personne ne le fera à notre place. C’est pour cette raison que j’ai accepté de parler devant les sénateurs. »

— Vos propos bruts de décoffrage ont troublé et même secoué les sénateurs. Que leur avez-vous dit ?

« Je leur ai bien précisé que mon sujet n’était pas l’immigration en général et surtout qu’il fallait arrêter de dire que la France est depuis toujours un pays d’immigration. C’est faux. Cela a commencé en 1850. Il y a eu trois vagues. La première a duré un siècle avec la venue de migrants d’origine euro-chrétienne, discrète, laborieuse, reconnaissante, régulée par l’économie et qui cherchaient à s’assimiler. Le modèle indépassable de fusion réussie.

La deuxième a commencé dans les années 1970 et n’a fait que s’amplifier. C’est un peuplement qui n’est calibré ni par l’emploi ni par le politique. Juste par des droits individuels soumis au seul juge national ou supranational. Un flux en roue libre qui nous submerge. L’écart culturel qui nous sépare des arrivants n’a aucun équivalent dans notre histoire. Tous viennent du tiers-monde, de sociétés défaillantes où règnent l’incivisme, la violence et la corruption. La majorité est de religion musulmane. Cela ressuscite une discorde religieuse dont on pensait être débarrassés depuis 1905.

La troisième vague a été déclenchée par les “printemps arabes”. Il y a aujourd’hui en France 25 fois plus de musulmans que dans les années 1960. L’islam est une civilisation totale, fière, guerrière, offensive, militante qui a très mal vécu d’être humiliée par l’Occident depuis deux siècles. La globalisation lui a offert une chance, le volcan s’est réveillé. »

— À quel signe voyez-vous son éruption ?

« Cela s’appelle le djihadisme, le salafisme, l’islamisme, la réislamisation culturelle. Vous voyez bien que si l’antagonisme colonial ne s’est pas estompé soixante ans après, c’est que nous avons été assez stupides pour imaginer qu’en reconstituant sous le même toit métropolitain le face-à-face de gens qui venaient de divorcer on parviendrait à les rabibocher. Erreur fatale. Certaines mémoires ne sont pas conciliables. D’où ce fait vu nulle part ailleurs : nous avons une immigration à tendance victimaire, revendicative, portée autant au ressentiment qu’à l’ingratitude et qui se présente en créancière d’un passé qui ne passe pas.

Souvenez-vous de ce coup de tonnerre fondateur : le match de foot France-Algérie en 2001, avec l’émergence surréaliste de Français antifrançais qui sifflaient La Marseillaise. Pour moi, un choc. »

— Où allons-nous ? Tout ce que vous dites est assez effrayant. Mais que faire ?

« Mitterrand parlait de “seuil de tolérance” ; Macron, lui, a introduit le mot “diaspora”. Pour moi, le grand préalable est de reprendre le contrôle de nos instruments juridiques. Nous sommes ligotés par ce que l’on appelle à tort l’État de droit et ses principes généraux, qui ne sont au service que des droits individuels mis en œuvre par nos cinq cours suprêmes : la Cour de Luxembourg, la Cour de Strasbourg, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, et la Cour de cassation, qui condamnent, de fait, la puissance publique à l’impuissance.

Il faut revenir à une législation nationale du droit d’asile. De Gaulle et Pompidou n’avaient pas ratifié la Convention européenne des droits de l’homme, Giscard l’a fait. C’est lui qui a voulu le regroupement familial en 1976. C’est Chirac qui a signé le décret. Apanage du Premier ministre.

Voyant le chômage augmenter, Raymond Barre l’avait suspendu, mais l’association Gisti avait saisi le Conseil d’État, qui a annulé son décret au motif qu’un homme a le droit de mener une vie familiale normale. Ce qui allait ouvrir les vannes d’une immigration de peuplement. L’immigration non pilotée est désormais soumise aux juges.

Pour moi, c’est l’État qui doit fixer les clôtures, dire qui peut entrer. Le juge l’en empêche. Et en conséquence, il est réduit au rôle d’agence de distribution de droits et de prestations. La France est le pays le plus généreux en Europe.

La dette devient la variable d’ajustement. Vous l’avez remarqué : en matière d’immigration, le principe de précaution n’existe pas. »

Il ne nous reste plus qu’à conclure, mais on est un peu assommée et désemparée par son constat.

« Les politiques sont mal vus parce qu’ils ont construit eux-mêmes, faute de courage, leur propre illégitimité. Ils font campagne avec des promesses comme si l’État était toujours puissant. Une fois qu’ils sont élus, les Français s’aperçoivent que les résultats ne sont pas à la hauteur de leurs promesses. C’est ce décalage qui est à la source de leur impopularité et de la colère des Français. »

Évidemment, à l’écouter, on l’imagine proche du Rassemblement national ou de Reconquête.

« Je ne veux pas que l’on me classe politiquement. Je n’ai jamais appartenu à un parti, je n’ai jamais été rattaché à une personne. J’ai toujours refusé de faire partie d’un cabinet. Lorsque j’ai quitté la DGSE, j’ai décliné les propositions du privé. À mon époque, on était formaté pour servir l’État, c’était mon ambition. L’ENA, c’était prestigieux ; j’ai choisi le Quai d’Orsay, qui, hélas, n’est plus ce qu’il fut. »

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