Le 23 avril 2023 marque le 80e anniversaire du massacre de Yanova Dolina, organisé par les nationalistes ukrainiens de Bandera pendant les massacres des Polonais de Volhynie. Les historiens estiment qu’à cette occasion jusqu’à 100 000 civils polonais ont été tués.
Yanova Dolina (photo ci-dessous) était une cité ouvrière modèle construite dans les années 1930 par les Polonais près d’une carrière de basalte.
Rue de Yanova Dolina (la vallée de Jean) |
Contexte historique, l’entre-deux-guerres
Entre 1921 et 1938, des milliers de colons polonais et d’anciens combattants ont été encouragés à s’installer dans les campagnes de Volhynie et de Galicie. Ils s’adjoignaient ainsi aux importantes populations urbaines existantes de Polonais, Juifs, Allemandes et Arméniens de ces deux régions et dont la présence sur ces terres remonterait au XIVe siècle. Ces nouveaux établissements ont été construits dans des zones dépourvues d’infrastructures. Malgré de grandes difficultés, le nombre de migrants polonais atteignit 17 700 en Volhynie dans 3 500 nouvelles établissements en 1939. Selon le recensement polonais de 1931, en Galicie orientale, la langue ukrainienne était parlée par 52 % des habitants, le polonais par 40 % et le yidiche par 7 % alors qu’en Volhynie, la langue ukrainienne était parlée par 68 % des habitants, le polonais par 17 %, le yidiche par 10 %, l’allemand par 2 %, le tchèque par 2 % et le russe par 1 %. La présence supplémentaire des colons nouvellement arrivés a renforcé le sentiment anti-polonais parmi les Ukrainiens locaux.
La Pologne de 1918 à 1945. La Volhynie et la Galicie, lieux de massacres, sont encadrées en blanc. Ces deux régions, notamment, seront annexées par l’URSS après la 2e Guerre mondiale. |
Les politiques strictes mises en œuvre par la deuxième République polonaise furent souvent une réponse à la violence de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (tendance Bandera, l’OUN-B), mais elles contribuèrent à une nouvelle détérioration des relations entre les deux groupes ethniques. Entre 1934 et 1938, une série d’attaques violentes et parfois mortelles contre des Ukrainiens sont menées dans d’autres régions de Pologne. L’OUN-B (B pour Bandera) rassemble un assortiment d’organisations extrémistes de droite et antisémites en Ukraine. Ses membres sont appelés les Banderites du nom de leur chef, Stepan Bandera.
Dans la voïvodie de Volhynie, de nouvelles politiques furent mises en œuvre, entraînant l’effacement de la langue, de la culture et de la religion orthodoxe ukrainiennes. L’antagonisme entre Polonais et Ukrainiens s’intensifia. Bien qu’environ 68 % de la population de la voïvodie parlât l’ukrainien comme première langue (voir graphique ci-dessous), pratiquement tous les postes gouvernementaux et administratifs, y compris la police, furent attribués à des Polonais.
Jeffrey Burds, de la Northeastern University, estime que la montée en puissance de l’épuration ethnique des Polonais, qui a éclaté pendant la Seconde Guerre mondiale en Galicie et en Volhynie, trouve son origine dans cette période.
La population ukrainienne est indignée par la politique du gouvernement polonais. Un rapport polonais sur l’humeur populaire en Volhynie fait état d’un commentaire d’un jeune Ukrainien datant d’octobre 1938 : « Nous décorerons nos piliers avec vous et nos arbres avec vos femmes ».
Seconde Guerre Mondiale
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’OUN comptait 20 000 membres actifs et plusieurs fois plus de sympathisants.
Les décisions conduisant au massacre des Polonais en Volhynie et leur mise en œuvre peuvent être principalement attribuées à la faction extrémiste Bandera de l’OUN (OUN-B), et non à d’autres groupes politiques ou militaires ukrainiens. L’OUN-B professait une idéologie comprenant les idées suivantes :- nationalisme intégral, avec un État national pur et une langue comme objectifs souhaités ;
- glorification de la violence et de la lutte armée nation contre nation ;
- et totalitarisme dans lequel la nation doit être dirigée par une seule personne et un seul parti politique.
Alors que la faction modérée Melnyk de l’OUN admire certains aspects du fascisme de Mussolini, la faction Bandera de l’OUN, plus extrémiste, admire certains aspects du nazisme.
Après l’attaque d’Hitler contre l’Union soviétique, le gouvernement polonais en exil et l’OUN-B ukrainienne ont envisagé la possibilité qu’en cas de guerre d’usure mutuelle entre l’Allemagne et l’Union soviétique, la région devienne le théâtre d’un conflit entre Polonais et Ukrainiens. Le gouvernement polonais en exil, qui souhaitait que la région revienne à la Pologne, prévoit une prise de contrôle armée rapide du territoire, dans le cadre de son plan global pour un futur soulèvement anti-allemand. Ce point de vue est renforcé par la collaboration antérieure de l’OUN avec les nazis. En 1943, aucune entente entre l’Armée intérieure polonaise et l’OUN n’est donc possible.
Bande-annonce du film polonais de 2016, Volhynie. Il évoque les massacres de Volhynie. Le film est interdit en Ukraine.
En Galicie orientale, l’antagonisme entre Polonais et Ukrainiens s’intensifie sous l’occupation allemande : ayant perçu la collaboration des Ukrainiens avec le gouvernement soviétique en 1939-1941, puis avec les Allemands, les Polonais locaux pensent généralement que les Ukrainiens doivent être expulsés des territoires. En juillet 1942, un mémorandum de l’état-major de l’Armée intérieure à Lvov (Lemberg, Lviv, Lwów, Léopol) recommande qu’entre 1 et 1,5 million d’Ukrainiens soit déporté de Galicie et de Volhynie vers l’Union soviétique et que le reste soit dispersé en Pologne. Les suggestions d’une autonomie ukrainienne limitée, comme discuté par l’Armée intérieure à Varsovie et le gouvernement polonais en exil à Londres, ne trouvent pas de soutien parmi les Polonais locaux. Au début de l’année 1943, la résistance polonaise en vient à envisager la possibilité d’un rapprochement avec les Ukrainiens, qui s’avère infructueux, car aucune des deux parties n’est prête à sacrifier ses prétentions sur Lvov.
Même avant la guerre, l’OUN adhérait aux concepts du nationalisme intégral sous sa forme totalitaire, selon lesquels l’existence d’un État ukrainien nécessitait l’homogénéité ethnique et l’ennemi polonais ne pouvait être vaincu que par l’élimination des Polonais des territoires ukrainiens. Dans l’optique de l’OUN-B, les Juifs ont déjà été anéantis, les Russes et les Allemands ne sont que temporairement en Ukraine, mais les Polonais doivent être chassés par la force. L’OUN-B en vient à penser qu’elle doit agir rapidement tant que les Allemands contrôlent encore la région afin de devancer les futurs efforts polonais pour rétablir les frontières de la Pologne d’avant-guerre. En conséquence, les commandants locaux de l’OUN-B en Volhynie et en Galicie, voire la direction de l’OUN-B elle-même, décident qu’un nettoyage ethnique des Polonais de la région par la terreur et le meurtre est nécessaire.
En février 1943, l’OUN lança une politique d’assassinat de civils polonais afin de résoudre la question polonaise en Ukraine. Au printemps 1943, les partisans de l’OUN-B se nommèrent l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA selon les initiales en ukrainien, la branche armée de l’OUN-B) et à utiliser l’ancien nom de l’Armée révolutionnaire populaire ukrainienne, un autre groupe ukrainien qui opérait dans la région en 1942. En mars 1943, environ 5 000 policiers ukrainiens dirent défection avec leurs armes et rejoignent l’UPA. Bien entraîné et bien armé, le groupe contribue à la domination de l’UPA sur les autres groupes ukrainiens actifs en Volhynie. Bientôt, les forces nouvellement créées de l’OUN-B parvinrent à détruire ou à absorber d’autres groupes ukrainiens en Volhynie, dont quatre unités de l’OUN-M (M comme Melnyk) et l’Armée révolutionnaire populaire ukrainienne. Selon Timothy Snyder, les partisans de la faction banderiste tuèrent au passage des dizaines de milliers d’Ukrainiens pour liens supposés avec Melnyk ou Bulba-Borovets. L’OUN-B prit des mesures pour liquider les « éléments étrangers ». Elle publia des affiches et des tracts incitant les Ukrainiens à assassiner des Polonais. Sa domination assurée au printemps 1943, l’UPA ayant repris aux Allemands le contrôle de la campagne volhynienne, l’UPA commence des opérations à grande échelle contre la population polonaise.
C’est ainsi que, dans la nuit du 22 au 23 avril, des groupes ukrainiens commandés par Ivan Lytwynchuk (alias Dubovy) attaquèrent le village de Yanova Dolina, tuant 600 personnes et brûlant tout le village ; les quelques survivants seraient pour la plupart des personnes qui ont trouvé refuge dans des familles ukrainiennes amies. Nous détaillerons ce massacre ci-dessous.
Localisation de Yanova Dolina (Janowa en polonais) dans la Pologne de l’époque (en jaune) |
Dans un autre massacre, selon les rapports de l’UPA, les colonies polonaises de Kuty, dans la région de Szumski, et de Nowa Nowica, dans la région de Webski, auraient été liquidées pour avoir coopéré avec la Gestapo et les autres autorités allemandes. Selon des sources polonaises, l’unité d’autodéfense de Kuty a réussi à repousser un assaut de l’UPA, mais au moins 53 Polonais ont été assassinés. Les autres habitants décidèrent d’abandonner le village et furent escortés par les Allemands qui arrivèrent à Kuty, alertés par la lueur des tirs et le bruit de fusillades. Maksym Skorupskyi, l’un des commandants de l’UPA, écrit dans son journal : « En commençant notre action à Kuty, nous avons fait un grand pas en avant : À partir de notre action à Kuty, jour après jour après le coucher du soleil, le ciel était baigné par la lueur de la conflagration. Les villages polonais brûlaient. »
Fondation Yanova Dolina
Premières années
Le village fut construit de la fin des années 1920 au début des années 1930, alors que la Pologne avait recouvré son indépendance après un siècle de partitions impériales. La région fut cédée à la Pologne lors de la paix de Riga, avec un pourcentage important de population d’origine ukrainienne. La ville a été créée à côté de la nouvelle carrière de granulats pour la construction. La production de basalte dans la carrière a commencé en 1929, lorsque la liaison ferroviaire de 18 km entre Yanova Dolina et Kostopol fut achevée. À la fin des années 1930, la carrière employait quelque 3 000 travailleurs (dont 97 % de Polonais). Des maisons furent construites pour eux et leurs familles dans de cité-jardin.
La cité-jardin de Yanova Dolina |
La plupart des ouvriers vivaient dans les maisons fraîchement construites ; certains font la navette depuis les villages voisins.
Le village était très moderne pour l’époque : les maisons avaient l’électricité et la plomberie. Les maisons se trouvaient dans une belle forêt de pins. Les rues ne portaient pas de nom ; elles étaient marquées par des lettres — A, B, C, D... G (Glowna — principale), jusqu’à la dernière, Z, située le plus près de la rivière Horyn. Le long de ces voies se trouvaient des maisons, chacune conçue pour 4 familles. Comme les habitants de Janowa Dolina s’en souviendront plus tard, le village était rempli de fleurs, de plantes et d’arbres et les voisins rivalisaient entre eux, essayant d’avoir le plus beau jardin de fleurs. Le village était séparé de la carrière voisine par une bande de forêt dense.
Au centre du village se trouvait un énorme bâtiment en forme de U, appelé BLOK. À l’intérieur se trouvaient plusieurs institutions : un cinéma, un hôtel, une cafétéria, des magasins. À côté du bâtiment se trouvait un terrain de sport, avec un stade de football. La carrière avait son propre cercle sportif appelé Strzelec Janowa Dolina, qui comprenait plusieurs sections — football, boxe, lutte, natation. Une église catholique était prévue, mais elle n’a jamais été construite. Au lieu de cela, les fidèles utilisaient une grande grange. Janowa Dolina comptait également un poste de police polonais, une école, un jardin d’enfants et un centre de santé.
La Seconde Guerre mondiale au village
En septembre 1939, les troupes soviétiques, suite au pacte Molotov-Ribbentrop, attaquèrent la partie orientale de la Pologne, qui n’était pas gardée par l’armée polonaise, car au même moment, les Polonais combattaient les Allemands à l’ouest. La Pologne orientale fut rapidement occupée, ainsi que Yanova Dolina, comme toute la voïvodie de Volhynie laquelle devint une partie de la République socialiste soviétique d’Ukraine. Le régime soviétique s’accompagne de déportations massives vers la Sibérie et d’autres régions du pays ; entre septembre 1939 et juin 1941, Yanova Dolina perd des centaines d’habitants.
Destruction du village
En juin 1941, l’Allemagne nazie attaque l’Union soviétique. Yanova Dolina est rattachée au Reichskommissariat d’Ukraine. La Volhynie étant la zone d’activité de divers groupes nationalistes ukrainiens dont l’objectif était de nettoyer la terre des Polonais et des Juifs, la destinée de la colonie était inéluctable.
Monument à la mémoire des citoyens polonais de Janowa Dolina Wolyn assassinés par l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) les 22 et 23 avril 1943. |
Dans la nuit du 22 au 23 avril 1943 (Vendredi saint), les Ukrainiens de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, ainsi que les paysans locaux, ont attaqué Janowa Dolina. Quelque 600 personnes, dont des enfants et des personnes âgées, ont été sauvagement assassinées. La plupart des maisons furent réduites en cendres et le village déserté.
Les agresseurs, commandés par Ivan Lytwynchuk (alias Dubowy), auraient fait preuve d’une rare cruauté. Les Polonais, mal préparés et pris par surprise, sont tués à la hache, brûlés vifs ou empalés (y compris des enfants). Les meurtriers n’épargnèrent personne, quels que soient l’âge et le sexe. Après la première vague de meurtres, les nationalistes ukrainiens commencèrent à fouiller l’hôpital. Le docteur Aleksander Bakinowski et son assistant Jan Borysowicz sont tués à l’arme blanche sur la place devant l’hôpital. Dans plusieurs cas, des Ukrainiens ont été assassinés pour avoir tenté de cacher leurs voisins polonais. Petro Mirchuk, historien ukrainien, dénombre plusieurs centaines de Polonais massacrés et seulement huit membres de l’UPA tués.
Aujourd’hui
Le nom actuel du village est Bazal'tove. À l’endroit où se trouvaient autrefois les bâtiments se trouve un monument, érigé par les survivants polonais. Son inauguration (18 avril 1998) a été gâchée par une manifestation de nationalistes ukrainiens et, par la suite, l’inscription originale a été modifiée. La date du « 23 avril 1943 » a été supprimée et l’inscription ne dit plus que « En mémoire des Polonais de Yanova Dolina », sans donner d’autres informations sur leur sort.
Monument à la mémoire de l’UPA. |
Aujourd’hui, le village abrite un monument à la mémoire de l’action infâme de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA). L’inscription en ukrainien indique que les 21 et 22 avril 1943, « la base des occupants polonais-allemands de Volhyn » a été liquidée en ce lieu.
Célébration du commandant de l’UPA
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