lundi 17 mai 2021

Réforme de la loi 101 : « demi-mesures juridico-bureaucratiques », une guerre de retard et encore plus d'anglais intensif...


Extraits d’un texte de Frédéric Lacroix, suivi de la réaction du journaliste Pierre Allard ancien éditorialiste du Droit (Gatineau) qui connaît bien la situation des Franco-Ontariens, excellents bilingues (le Graal de M. Legault apparemment) qui s’assimilent très vite à l’anglais. En italique nos remarques.

Simon Jolin-Barrette a enfin déposé sa réforme de la loi 101. En même temps, le Premier ministre du Québec, M. François Legault, a publié un court message sur Facebook. Dans ce texte, il affirme deux choses : « Qu’il y avait urgence d’agir » et que « Il va y avoir des personnes qui vont dire que le projet de loi ne va pas assez loin. Il va y en avoir d’autres qui vont dire qu’il va trop loin. Ça va démontrer que notre position est raisonnable. »

[…]

M. Legault a d’ailleurs rempilé un peu plus tard en conférence de presse en affirmant que la position du Parti québécois d’appliquer la loi 101 au cégep était « extrémiste ». Il est consternant de voir le Premier ministre adopter, en pleine Assemblée nationale et le jour même du dépôt d’une réforme de la Charte de la langue française, le langage historique des opposants à la Charte qui qualifiaient, eux aussi en 1977, les clauses scolaires de la loi 101 de mesure « extrémiste ». Je l’avoue : avec cette sortie, ce mot, mon Premier ministre m’a fait honte. On se croyait revenu, l’espace d’un instant, à l’ère Couillard et aux « braises de l’intolérance ».

La CAQ, le PLQ et le PLC, même combat ?

Et manque de pot pour le calcul politique de M. Legault : autant le Parti libéral du Québec que le Parti libéral du Canada ont bien accueilli le projet de loi 96 (PL 96). La cheffe du Parti libéral, Mme Anglade, s’est même plu à donner le baiser de Judas au projet en soulignant que les propositions du PLQ visant les cégeps étaient plus « costaudes » que celles mises de l’avant par la CAQ. En effet, la CAQ propose un contingentement des places en cégep anglais qui n’équivaut même pas au gel proposé par le PLQ (la CAQ permet une croissance des effectifs des cégeps anglais).

Mais le PLQ proposait aussi de « bonifier » l’offre de cours en français dans les cégeps anglais, de prioriser les « ayants droit » pour ce qui est de l’accès aux cégeps anglais, des mesures qui ne sont pas dans le PL 96. Il semble que la CAQ ait réussi à coaliser les fédéralistes en faveur du PL 96, ce qui est probablement la dernière chose que souhaitait M. Legault.

[…]
 
[Angle juridique et non démographique ni culturel]

Simon Jolin-Barrette est un avocat. Dans le PL 96, toute la question linguistique est envisagée d’un point de vue strictement juridique. Le ministre est à mon avis tombé dans le piège à ours dressé par Pierre Elliott Trudeau en 1969. Dans sa Loi sur les langues officielles, Trudeau séparait la langue de la culture et concevait toute la question de la langue sous l’angle juridique. Il allait effectuer ce travail avec sa Charte des droits de 1982. Cette façon de voir les choses a marqué profondément les esprits. Au Canada, la judiciarisation du politique dévore tout sur son passage, incluant la langue. Avant, pour parler de langue, on questionnait des artistes. Aujourd’hui, on interroge des avocats.

[…]

Il faut noter que les démographes sont beaucoup moins « érotisés » que les juristes par le PL 96. Celui-ci ne contient en effet aucune mesure permettant d’affecter les déterminants majeurs du recul du français. Il n’arrêtera pas la minorisation en cours des francophones au Québec. Car toutes les mesures structurantes ont été soigneusement écartées du PL 96 pour éviter de provoquer de la « chicane ». Par exemple, le 

  • contingentement des cégeps ne règle aucunement la question de la dynamique linguistique au collégial, 
  • l’article sur les municipalités bilingues assure leur permanence, 
  • aucune mesure ne cible l’immigration, 
  • l’affichage va rester bilingue, etc.

Le PL 96 ne contient aucune mesure susceptible de frapper l’imagination, aucune mesure qui constitue un signal fort selon lequel le français revient au centre du jeu. Une collection de demi-mesures, peu importe leur nombre, ne constitue pas un « plan costaud ».

La langue, ce n’est pas d’abord et avant tout un objet juridique. C’est un objet culturel, social. Cela, le projet de loi l’ignore totalement.

Le bilinguisme soustractif et une guerre de retard

Il était d’ailleurs dramatique d’entendre M. Legault, en conférence de presse lors du dépôt du projet de loi, promettre qu’il allait « intensifier » l’anglais intensif au primaire. [Encore !!!!! C’est un jeu à somme nulle : plus d’anglais, c’est moins d’autres matières en français, c’est inacceptable.] Voilà une mesure, introduite par Jean Charest en 2011, qui est déjà en train d’acculturer à grande vitesse les jeunes francophones. Comme le soulignait pudiquement une série d’articles récents dans le Devoir, une partie de la jeune génération est en train de sombrer dans le bilinguisme soustractif, où la langue qui est en train d’être soustraite est le français. De ce point de vue, le Québec français ressemble de plus en plus à l’Ontario français. Valoriser encore plus l’anglais dans les écoles primaires va mener carrément à l’anglicisation à grande échelle des jeunes. Cela a d’ailleurs débuté à Montréal.

Le PL 96 ignore aussi cela. Le projet de loi de M. Legault aurait été bon en 1999. Là, il arrive trop tard. La CAQ prépare en 39 la guerre de 14-18.

Un des leviers essentiels pour rehausser le statut du français, qu’ignore le PL 96, c’est de le valoriser dans les écoles. C’est notre langue, notre histoire et notre culture qui doivent être mieux et plus valorisées dans nos écoles. Il s’agit même d’une urgence nationale. On pourrait presque dire : valorisons le français dans les écoles et Netflix se chargera de l’anglais.

Résumons : pour le français, le PL 96 se contente d’une vaste collection de demi-mesures juridico-bureaucratiques. Mais, pour l’anglais, M. Legault a déjà en tête d’en mettre encore plus à l’école. Pour l’anglais, il veut agir sur le terrain culturel et éducatif, ce qu’il refuse de faire pour le français. Il est facile de savoir qui sortira gagnant de cette partie de souque à la corde [lutte à la corde].

Le recul du français au Québec va s’accélérer.

Nous reproduisons ci-dessous un extrait de la réaction pertinente de M.  Pierre Allard, journaliste, ex-éditorialiste au quotidien Le Droit, Grand prix de journalisme Olivar-Asselin 2014 et Prix Omer-Héroux en 2021. Il rappelle le fait que personne ne semble avoir relevé un commentaire pourtant essentiel de François Legault pendant la conférence de presse qui a suivi, jeudi matin, la présentation du projet de loi de Simon Jolin-Barrette à l’Assemblée nationale.

Il était interrogé par l’éditorialiste Robert Dutrisac, de journal Le Devoir. Celui-ci évoquait la situation des élèves francophones hors Montréal qui pourraient choisir d’aller à un cégep anglais pour acquérir une meilleure connaissance de l’anglais.

Voici ce que le Premier ministre a répondu :

On a un défi au primaire et au secondaire de mieux enseigner l’anglais. Il y a une méthode qui a fait ses preuves, c’est l’anglais intensif en 5e ou 6e année. Je sais que ça s’implante de plus en plus dans les écoles. Je pense qu’on est rendu à 20 ou 25 % (des écoles françaises). Il faut continuer à travailler à l’amélioration de l’enseignement de l’anglais au primaire et au secondaire. Je pense que c’est important.

J’étais abasourdi. J’ai dû le réécouter pour m’assurer d’avoir bien entendu. La solution pour réduire l’intérêt que portent nos élèves de langue française aux cégeps anglais, c’est de commencer à les angliciser dès le primaire ? Un moyen de franciser le Québec serait une immersion totale en anglais pendant quatre ou cinq mois, à un âge où l’apprentissage du français est incomplet et fragile chez nos élèves, surtout dans le contexte nord-américain ?

Plus de la moitié des jeunes Québécois francophones sont déjà bilingues. Enfin, aux fins des recensements, on les juge capables de se débrouiller en français et en anglais. Mais quelle est la qualité du français parlé et écrit ? Le plus souvent faible, avec un vocabulaire pauvre et des tas d’anglicismes ou de mots anglais. Près de la moitié des nôtres sont analphabètes fonctionnels. Et on veut mettre l’accent sur l’anglais dans nos écoles primaires et secondaires ?

C’est un suicide culturel assisté, financé par l’État. Heureusement, seulement le quart de nos écoles ont mis en place l’anglais intensif depuis son lancement par l’ignoble Jean Charest en février 2011 (voir mon éditorial dans Le Droit du 25 février 2011 intitulé Fossoyeurs du français). Mais c’est déjà trop. Et voilà que François Legault veut étendre ce funeste programme qui dit, clairement, à nos élèves, que l’anglais est assez important pour interrompre l’enseignement en français pendant une demi-année scolaire !

Le message, c’est qu’ils auront besoin de l’anglais au Québec dans leur vie quotidienne, au travail, dans leurs loisirs, dans le commerce. Et moi qui croyait qu’on voulait ériger un Québec où la langue commune serait le français, où l’on parlerait et écrirait un français de qualité qui servirait à la maison, dans la rue, à l’école, et qui serait essentiel au travail.

N’allez pas croire que je ne suis pas conscient de l’importance de l’anglais sur le continent nord-américain. Je suis né et j’ai grandi en Ontario. Et ce que j’ai appris, c’est que le jour où une collectivité canadienne-française est entièrement bilingue, les générations suivantes sont de plus en plus anglaises et évoluent vers l’unilinguisme anglais. Voilà ce qui arrivera au Québec dans quelques générations si on ne crée pas un milieu qui impose le respect de la langue française.

Ce n’est pas vrai que tous les Québécois doivent apprendre l’anglais et devenir bilingues. L’ensemble de la population — la majorité du moins — doit pouvoir vivre en français seulement. Et la qualité de cette langue doit s’améliorer. Si cela paraît irréalisable, alors aussi bien arrêter tout de suite de prolonger l’agonie. Si, cependant, l’objectif semble atteignable, alors il faudra un projet de loi autrement plus « costaud » que celui qui nous est présenté.

 


On remarquera que ni Frédéric Lacroix ni Pierre Allard  ne parle de démographie ci-dessus : 

  • rien sur une diminution de l’immigration non francophone de naissance et assimilable, 
  • rien sur une hausse de la fécondité des Canadiens français (qui était légèrement sous la fécondité moyenne du Québec, voir graphique ci-dessus, détails ici) et 
  • donc des mesures qui aideraient la classe moyenne à avoir les enfants qu’ils désirent (les familles veulent un peu plus d’enfants qu’elles n’en auront en moyenne, le coût des enfants est un obstacle), 
  • des mesures qui valoriseraient la famille et les enfants dans la société, 
  • des études peut-être plus courtes mais tout aussi utiles, aussi bonnes, voire meilleures, etc.
 
Voir aussi
 
  
 
 
 
 

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