Au Québec, les universités anglophones bénéficient d’un net avantage (d’un facteur quatre en proportion au poids démographique) pour ce qui est des fonds d’immobilisation investis par le gouvernement du Québec. Sur l’île de Montréal, un étudiant « pondéré » qui étudie en anglais bénéficie de 56 % de plus de fonds d’immobilisation qu’un étudiant qui étudie en français.
Un tel écart laisse songeur : pour reprendre une terminologie à la mode, serions-nous en présence d’une discrimination « systémique » envers les universités de langue française au Québec ? Les juristes qui traitent de discrimination concluent à l’existence d’une telle chose dès lors que des effets indirects, même involontaires, entraînent une différence de traitement constante et incapacitante sur la base d’une distinction comme la langue. Ce qui semble bien être le cas ici.
Cette iniquité de répartition des fonds s’ajoute aux iniquités d’attribution des fonds de recherche qui favorisent aussi les universités anglophones ainsi qu’à la politique de déréglementation des droits de scolarité pour les étudiants internationaux, qui bénéficie presque exclusivement aux universités anglaises. Celles-ci récoltaient 65 % des fonds versés par les étudiants internationaux en 2018-2019, soit 68,6 millions pour Concordia et 89 millions pour McGill comparativement à seulement 13 millions pour l’UdeM.
McGill, l’aristocrate de notre réseau universitaire, récolte la somme la plus importante en investissements d’immobilisation de tout le réseau, et ce, depuis au moins vingt ans (les données antérieures n’étant pas accessibles). McGill récolte 68,6 % plus d’argent par EETP pondéré que sa plus proche concurrente l’UdeM.
Immobilisations par EETP pondéré en milliers de dollars (k$) pour 2019-2020 selon l’institution pour l’île de Montréal. |
Voilà le contexte dans lequel il faut analyser le don que le gouvernement du Québec s’apprête à faire de l’ancien hôpital Royal Victoria à McGill, un projet gargantuesque qui augmentera de façon très importante la surface et les EETP reconnus à McGill (ce qui augmentera ensuite de façon permanente les investissements en immobilisation pour McGill, la propulsant encore plus haut dans le classement). Le gouvernement du Québec s’apprête à consolider la position dominante de l’université la plus riche au Québec.
Rappelons que McGill dispose annuellement de revenus de quelque 1,44 milliard de dollars (dont 236 millions provenant d’Ottawa et 365 millions provenant de droits de scolarité), possède 1,7 milliard de dollars dans sa fondation, et des biens évalués à 4,9 milliards de dollars. Alors que l’Université du Québec dépend à 90 % des fonds versés par le gouvernement et les étudiants du Québec, moins de la moitié du budget de McGill est dépendant de ces deux sources de revenus. McGill est un véritable empire financier.
McGill est également un important propriétaire foncier ; elle dispose de 730 000 mètres carrés d’espaces dont 613 000 mètres carrés reconnus par le MÉES. Même si McGill n’accueille pas le plus important effectif étudiant, elle est l’université possédant le plus vaste campus au Québec. Notons que l’UdeM a 598 000 mètres carrés d’espace reconnu et 122 263 EETP pondérés (4,9 m²/EETP) tandis que McGill a 87 809 EETP pondérés et 613 000 mètres carrés (7 m²/EETP). Que ce soit sous l’angle de l’argent investi par EETP ou sous celui de la surface par EETP, on peut constater que McGill surclasse toutes les autres. Mais cela ne suffit pas encore. Le plan de développement immobilier de McGill, le « Master Plan » qui prévoit les développements immobiliers futurs, est un document comptant… 182 pages ! On notera qu’à la page 95 de ce document, l’ancien hôpital Royal Victoria apparaît d’ores et déjà comme un des campus de McGill (le « Upper Campus East ») alors même que le transfert de cette institution publique à McGill n’est pas encore réalisé.
Immobilisations par EETP pondéré en milliers de dollars (k$) pour 2019-2020 selon la langue d’enseignement pour l’île de Montréal. |
Malgré l’existence de méthodes objectives de normalisation de l’attribution des subventions d’immobilisation par Québec, il semble que la politique de financement des universités actuelle favorise de façon importante les universités anglophones en général et McGill en particulier dans l’attribution de subventions d’immobilisations au Québec.
Il faut noter dans le « Document d’information sur le financement universitaire » produit par l’Université du Québec, il est indiqué que « le fondement de la grille [de pondération des EETP] est partiellement arbitraire étant donné les choix effectués pour la construire ». On ne saurait mieux dire. La grille de pondération semble avoir été construite en intégrant comme base, sans chercher à le corriger, le surfinancement historique de l’université McGill, chose déjà relevée par l’historien Michel Brunet en 1963. Surfinancement qui se perpétue aujourd’hui.
Dans le cas de Concordia et de McGill, ces universités jouissent d’une situation géographique avantageuse, car elles desservent une clientèle urbaine, peu dispersée sur le territoire. Elles sont à même de concentrer leur développement au centre-ville de Montréal où elles possèdent des actifs immobiliers de grande valeur. En surfinançant leur enveloppe d’immobilisations, Québec amplifie leur avantage urbain.
L’étudiant est au cœur de la mission éducative des universités et devrait aussi être au cœur de la politique de financement. Cette politique de financement devrait viser à assurer, autant que faire se peut, des conditions d’études comparables partout sur le territoire québécois afin de donner à chaque étudiant une véritable égalité des chances. Il semble que la complexité et l’opacité de la formule de financement des universités aient fait perdre de vue cet objectif fondamental au MÉES (et aussi au gouvernement du Québec).
Les étudiants qui choisissent de s’inscrire dans une université anglaise au Québec sont favorisés ; ils disposent de plus de fonds d’immobilisation que les autres étudiants. L’on savait déjà que cela était le cas pour le financement provenant du gouvernement fédéral, qui favorise de façon odieuse les universités anglophones. Il est assez surprenant, par contre, que cela soit également le fait du gouvernement du Québec.
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