lundi 8 février 2021

Nouvel accroc à l'histoire des Vikings : actrice noire incarnera un chef viking dans feuilleton Netflix

Netflix a annoncé une série dérivée de son feuilleton à succès Vikings. Elle s’appellera Vikings : Valhalla. Cette nouvelle saga, qui se situe 100 ans après la fin de la série originelle, porte à l’écran les aventures des plus célèbres Norrois qui ont marqué l’histoire. Elle racontera les histoires de certains des hommes du Nord les plus connus de l’histoire : Leif Erikson, Freydís Eiríksdóttir, Harald Hardrada et le roi normand Guillaume le Conquérant (un descendant viking).

Netflix a annoncé que Caroline Henderson rejoindra la distribution de Vikings : Valhalla dans le rôle du Jarl Haakon. Le jarl (prononcer « yarl ») est en norrois l’équivalent de comte (apparenté à l’anglais « earl »). Caroline Henderson est une chanteuse de pop et de jazz dano-suédoise. Elle vit à Stockholm. Elle n’a pas le type scandinave…

Caroline Henderson
 
Netflix décrit son personnage comme une « grande guerrière », chef de Kattegat, la ville où se déroule la série originale.

Haakon est une païenne, mais elle a réussi à maintenir Kattegat comme un lieu accueillant des confessions multiples. Kattegat paradis multiculturel ?

Un bref synopsis de Haakon, fourni par Netflix, révèle qu’elle deviendra une puissante mentor pour Freydis Eiriksdottir. Fredyis est une femme nordique légendaire, qui serait la fille de l’explorateur nordique Erik le Rouge. Erik le rouge a établi la première colonie viking au Groenland. Fredvis est également la sœur de Leif Erikson qui aurait été le premier Européen à mettre le pied en Amérique du Nord continentale.

Freydis dans Vikings : Valhalla est décrite comme « farouchement païenne, fougueuse et entêtée ». Les amateurs de la série devront attendre la diffusion du feuilleton sur Netflix pour en savoir plus sur Jarl Haakon et Freydis.

Il existe bien un Jarl Haakon. Il était très différent.

L’illustrateur Christian Krohg en a dessiné un portait, repris ci-dessous.
 
 
Notons que jarl (comte) est un titre masculin. De même en anglais, le titre « earl » de même origine n’a pas de forme féminine saxonne, mais un titre d’origine française : « countess ». 

Jarl Haakon, le jarl de Lade (Hlaðir) Haakon Sigurdsson, surnommé le Puissant, naquit vers 937 à Lade et mourut en 995 à Romol, aujourd’hui Melhus en Norvège. Il exerça le pouvoir dans ce pays avec le titre de jarl jusqu’en 995.

Des femmes comme chefs de guerre ?

Dans la série Vikings, après sa séparation d’avec Ragnar, Lagertha devient « comte » de Hedeby en son nom propre avec le titre de jarl Ingstad. C’est bien évidemment anhistorique. Pour le portrait de Lagertha, une figure légendaire, lire la notice Wikipédia.

Les femmes pouvaient devenir des dirigeants politiques dans la Scandinavie de l’ère viking, comme c’est le cas de Gunnhild, la mère des rois, qui commandait à ses fils royaux. Les femmes pouvaient également diriger des voyages d’exploration et fonder des établissements tels que Aude la Très-Sage, la fondatrice d’une colonie scandinave en Islande.

Cependant, en ce qui concerne le commandement militaire, nous n’avons que des légendes, pour la plupart antérieures à l’ère viking, qui nous parlent d’une poignée de guerrières et de femmes chefs militaires. Il n’y a aucune preuve, comme des squelettes féminins montrant des traces de blessures à l’épée, pour établir que les femmes occupaient une place militaire ou martiale importante, voire significative, dans la Scandinavie norroise. Lagertha, par exemple, nous est connue par Saxo Grammaticus grâce à sa Geste des Danois. Mais, selon Judith Jesch, la riche variété des contes des neuf premiers livres de la Geste de Saxo, qui comprennent l’histoire de Lagertha, est « généralement considérée comme largement fictive ». En dépeignant les nombreuses femmes guerrières dans ces contes, Saxo s’est notamment appuyé sur la légende des Amazones de l’Antiquité classique.

À quel point la série Vikings est-elle historique ?

Voici quelques erreurs, imprécisions ou parti-pris idéologiques peu fondés historiquement :

  • La série s’ouvre en postulant que les Scandinaves ignoraient à l’époque qu’il y avait des terres à l’ouest, au-delà de la mer du Nord : la Grande-Bretagne. C’est faux. Les Norrois étaient commerçants et avaient des relations dans toute la mer du Nord et la Baltique. 
  • Le feuilleton présente les Anglo-Saxons surpris de l’arrivée des Vikings qui parlent une langue impénétrable. En réalité, les Anglo-Saxons connaissaient la Scandinavie, car ils étaient eux-mêmes originaires du nord de l’Allemagne (Saxons) ou du sud de la Scandinavie (Jutes et Angles). En d’autres termes, Ragnar n’a pas découvert l’Angleterre. Les deux peuples parlaient donc des langues germaniques proches, relativement compréhensibles entre elles.
  • La représentation de la société viking sous le comte/jarl Haraldson n’est pas exacte. Haraldson est décrit comme un dirigeant absolu qui garde le meilleur butin pour lui-même et qui décide seul des lieux que ses guerriers pillent. Or la société nordique était très égalitaire.
  • Ragnar et ses fils sont des personnages semi-légendaires.
  • Rollo n’était pas (même dans la légende) le frère de Ragnar.
  • Ragnar n’a pas été le premier à attaquer l’Ouest.
  • Les drakkars n’ont pas été inventés à l’époque des premiers raids en Angleterre, mais bien plus tôt.
  • Les Anglo-Saxons n’utilisaient probablement ni arcs longs ni cavalerie cuirassée, certainement pas en nombre. En général, la représentation des armes, des armures et des batailles est inexacte.
  • Les soldats et les pilleurs nordiques ne comprenaient pas de femmes, ou alors uniquement à titre exceptionnel.

    Les chroniqueurs chrétiens d’Europe avaient peu de sympathie pour ces pilleurs païens scandinaves. Pourquoi aucun ne mentionne-t-il la présence de guerrières parmi les pilleurs qui attaquèrent l’Angleterre anglo-saxonne, l’Irlande et l’Empire franc? S’il y avait des femmes guerrières, il semblerait naturel que les observateurs chrétiens la remarquent comme des exemples de la barbarie, de l’étrangeté ou de la perversité païenne.

    Adam de Brême (né bien avant 1050) se rendit à Uppsala, c’est le seul observateur lettré du monde chrétien à se rendre dans cette région alors païenne. Adam de Brême ne fit aucune mention à des guerrières. Pourquoi ? L’explication la plus simple est qu’il n’en a vu aucune.

    De récentes analyses d’ADN effectuées sur les restes humains dans une tombe de l’âge viking contenant une tombe typiquement masculine démontreraient que l’occupante de cette tombe était une femme. Cet exemple unique a été saisi par les producteurs de la série comme preuve à postériori de l’exactitude historique de leur divertissement féministe-ment correct. Cette étude a été publiée en septembre 2017. La série Vikings a été lancée en 2013.

    L’ennui c’est que cette théorie a été battue en brèche par une universitaire spécialiste de la culture viking, Judith Jesch, citée par les auteurs mêmes de cette « découverte »… Rappelons d’abord que la tombe en question (Bj 581) a été découverte au XIXe siècle.

    La professeur Judith Jesch rejette les conclusions selon lesquelles le squelette de la tombe Bj 581 était celui d’une femme en raison du fait que, d’une part, depuis 1889, d’autres os provenant des tombes environnantes ont pu être mélangés aux ossements du site. Dans les termes de la professeur Jesch : « les tombes ont été principalement excavées au XIXe siècle et il y a eu une certaine confusion quant à l’origine des différents sacs d’ossements. Assez extraordinairement, cela n’est même pas mentionné dans l’article actuel. » En outre, aucune blessure pathologique ou traumatique n’a été constatée sur le squelette. Une excellente guerrière ou pas du tout une guerrière... Les découvreurs de la « femme guerrière » ne précisent pas non plus s’il y avait des indications sur les os des types d’activités auxquelles on pourrait s’attendre de la part d’une guerrière, car une activité physique intense pourrait avoir laissé des traces, en particulier si cette guerrière était assez bonne pour éviter toute blessure grave.

    Judith Jesch critique ensuite les inférences établies sur base de la présence de pièces de jeu faisant de ces conclusions des spéculations prématurées et, enfin, parce que les chercheurs n’ont pas considéré les autres motifs qui pourraient expliquer la présence d'os féminins dans la tombe d’un guerrier.

    La professeur Jesch conclut que « la fascination pour les femmes guerrières, tant dans la culture populaire que dans le discours universitaire, est fortement, probablement trop fortement, influencée par les désirs des XXe et XXIe siècles. » [Cette même fascination très contemporaine et anhistorique pour les femmes fortes qui rivalisent au combat avec les hommes (et dans les affaires) se retrouve dans la série anglo-canadienne Frontières sur la Compagnie d’Hudson]
  • Les sociétés saxonne et nordique étaient dominées par les hommes. Les femmes n’occupaient habituellement pas de postes de commandement. Il n’était pas plus d’usage pour elles — même en tant qu’épouses de chefs — de s’adresser à des guerriers avec le ton autoritaire et fier qu’elles adoptent dans la série. Pas plus qu'avec de simples hommes libres. Elles n’auraient adopté ce ton qu’avec des esclaves et des serfs.
  • Il n’existe aucune attestation historique d’orgies sexuelles. Si un chef pouvait amener une esclave dans sa couche, l’inverse ne s’appliquait pas aux femmes — on s’attendait à ce qu’elles préservent l’honneur de leur mari et qu’elles soient publiquement fidèles. Les Lois de l’oie grise montrent clairement que connaître ses parents était d’une importance capitale. Avant qu’un mariage ne soit légal, les deux parties devraient réciter leur ascendance sur 5 générations devant des témoins pour s’assurer qu’elles n’étaient pas des cousins trop proches. Cela ne reflète pas une société de mariages « libres » où l’on ne saurait pas trop qui était son père… La Saga des Sturlunga nous fournit des images de femmes échangées par les hommes comme des gages. Comme l’écrit Lévi-Strauss, le code des Lois de l’oie grise souligne le statut quasi commercial ou presque de cheptel des femmes.
  • Certains des engins flottants que les Vikings construisent pour attaquer Paris sont de la pure fantaisie.
  • L’architecture parisienne est gigantesque par rapport aux normes médiévales, plus proche de la fantaisie et complètement inexacte pour l’époque.
  • Les Francs et les Saxons de l’époque ne portaient pas d’uniformes.
  • On voit des montagnes partout en Scandinavie. Des montagnes apparaissent dans l’épisode qui se déroule à Uppsala alors que la région est plate…
  • Kattegat (Cattégat) est un détroit pas une ville. C’est un nom hollandais (le trou du chat, la chatière) qui désigne l’étroitesse du détroit. Ce nom exotique est aussi anachronique, car postérieur à l’ère viking.
  • Les Vikings du feuilleton s’amusent à trucider des moines désarmés, des chrétiens dans leur église, mais épargnent des musulmans en pleine prière. C’est ainsi que Floki massacre allègrement des chrétiens, viole des religieuses et utilise même des évêques pour s’entraîner au tir. Mais le même Floki préférerait mourir plutôt que de voir les musulmans blessés. On ne comprend pas très bien pourquoi si ce n’est qu’il est plus prudent aujourd’hui de ne pas paraître islamophobe. Notons que les raids contre les musulmans, en Espagne par exemple, furent très rares comparés aux raids en Europe occidentale. Les auteurs de la série n’ont pourtant pas hésité à les représenter.

Sources : Express, Variety, Wikipédia, carnet de Judith Jesch

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