lundi 25 novembre 2019

Bras de fer sur les commissions scolaires et la centralisation des pouvoirs

Une partie de bras de fer oppose les partis de l’opposition et le gouvernement Legault, qui souhaite adopter le projet de loi 40 sur l’abolition des commissions scolaires avant la pause du temps des Fêtes. Le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEÉS), Jean-François Roberge, a toujours espoir de faire adopter le projet de loi 40 d’ici la fin de l’année « si les partis de l’opposition collaborent », a indiqué son cabinet au Devoir.

Ceux-ci répliquent qu’il est impossible d’entériner aussi rapidement ce projet hors de l’ordinaire, envers lequel ils ont d’importantes réserves, qui viendrait bouleverser l’équilibre des forces dans la gouvernance scolaire. La réforme du réseau de la santé par le ministre Gaétan Barrette, qui avait mené à l’abolition des régies régionales de la santé, avait nécessité près de cinq mois de travaux parlementaires avant son adoption, indique-t-on à Québec. Le projet de loi 40 est aussi important, mais les auditions en commission parlementaire n’ont commencé que le 4 novembre dernier. Il est hors de question que les partis « bâclent leur travail », souligne la députée libérale Marwah Rizqy. « Une réforme de cette ampleur ne peut fonctionner avec une approche bulldozer. Le ministre doit avoir l’appui des gens qui l’appliqueront sur le terrain », ajoute sa collègue péquiste Véronique Hivon. La députée solidaire Christine Labrie a aussi invité le ministre à tenir compte des critiques envers le projet de loi, mercredi à l’Assemblée nationale.

Avant même le début de l’étude détaillée du projet de loi en commission parlementaire, de nouvelles voix s’élèvent pour critiquer cette réforme phare du gouvernement Legault. « On espère que le ministre Roberge va retravailler son projet de loi, qui cache des modifications beaucoup plus importantes qu’un simple changement de nom des commissions scolaires », dit Ève-Lyne Couturier, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), marqué à gauche.

Dans une fiche technique qui sera rendue publique jeudi, l’IRIS fait valoir que le projet de loi centraliserait des pouvoirs entre les mains des bureaucrates et du ministre de l’Éducation sans renforcer la capacité d’agir des parents contrairement à ce que prétend le gouvernement.

 Le ministre Roberge cherche aussi à réduire au silence un palier intermédiaire de gouvernance — les commissaires (trop mal) élus — qui ne se gêne pas pour critiquer les décisions du gouvernement.

L’IRIS partage le constat émis la semaine dernière par Yvan Allaire et Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernance : le conseil d’administration des futurs centres de services scolaires n’aurait que le pouvoir d’approuver les décisions proposées par des bureaucrates. Des comités formés d’« experts » (directions d’école ou gestionnaires scolaires) proposeront la répartition des ressources entre les établissements, les orientations pédagogiques et la priorisation des budgets. Les parents auront beau détenir 8 des 16 sièges sur le conseil d’administration des centres de services (qui remplaceront les commissions scolaires), ils n’auront pas de réels pouvoirs, estime l’IRIS. Surtout qu’ils devront siéger bénévolement à la fois sur le conseil des centres de services et sur un conseil d’établissement. « Ça représente beaucoup d’heures de bénévolat pour des parents de jeunes enfants qui ont déjà des horaires bien remplis », dit Ève-Lyne Couturier.

Concurrence et choix (limité)

L’IRIS estime aussi que le projet de loi « accentuera la mise en concurrence des écoles » — ce qui est pourtant en soi une très bonne chose —, car il simplifiera l’inscription d’élèves sur un autre territoire que celui de leur centre de services scolaires. « Les parents pourront magasiner leur école sur l’ensemble du territoire du Québec, dit la chercheuse. On transforme les écoles en petites PME qui devront avoir un département de marketing pour aller chercher davantage de clientèle. Les écoles sont financées en fonction du nombre d’élèves. Si moins de parents choisissent leur école de quartier, elle aura moins de ressources. On ne voit pas trop le problème, si ce n’est que les écoles n’auront toujours pas plus de liberté pédagogique, de recrutement ou de publicité...

 Résultat : on peut prévoir que les écoles à projet particulier qui sélectionnent leurs élèves (arts-études, sports-études, programme international) se multiplieront encore, ce qui nuira à la mixité scolaire. On ne comprend pas très bien ce que mixité scolaire signifie ici : parle-t-on de mixité sociale, ethnique ? Mais les bons élèves des quartiers aux mauvaises écoles pourront, au contraire, s’inscrire plus facilement à l’école de leur choix sur l’ensemble du territoire !

Les élèves les plus vulnérables sont tirés vers le haut par les élèves les plus forts, tandis que ceux-ci ne souffrent pas de la présence d’élèves en difficulté, prétend l’IRIS. Pour que cela soit vrai et que tout le monde suive, il faut que le programme soit nivelé par le bas, les bons élèves ne sont pas pénalisés parce que le programme est sous-dimensionné pour eux : ils n’apprennent pas grand-chose.

Mais comme les écoles ordinaires n’accueillent que des élèves ordinaires, les élèves les plus faibles sont susceptibles de rester faibles. C’est déjà le cas dans les quartiers desservis par de mauvaises écoles, mais les élèves en sont captifs.

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