mercredi 21 septembre 2016

Les juges-prêtres

Extrait du dernier livre d’Éric Zemmour, Un Quinquennat pour rien :

Depuis l’arrêt GISTI [du Conseil d’État], en 1978, empêchant le Premier ministre, Raymond Barre, d’interdire le regroupement familial des immigrés, au nom du « droit à la vie familiale normale », jusqu’au rapport Tuot de 2013, brocardant avec un mépris gourmé notre chère et vieille assimilation au profit d’une « inclusion » multiculturaliste, le Conseil d’État a été aux premières loges de la trahison des élites françaises.

Les droits de l’homme sont la nouvelle religion de ces grands juristes qui se sont arrogé, selon la belle expression du professeur de droit Georges Lavau, une « fonction de type prophétique ». Les juges-prêtres forgent des principes généraux du droit, tirés d’une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que ses auteurs n’avaient jamais eu l’intention d’introduire dans le droit positif. Pendant cent cinquante ans, l’intention des auteurs de la Déclaration des droits de l’homme fut respectée. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, et le grand traumatisme nazi, que les rédacteurs de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 eurent l’ambition de pénétrer de force ou de gré dans le droit positif des États.

Les droits de l’homme relevaient du droit naturel, qui avait pour fonction traditionnelle de protéger les individus contre un pouvoir trop fort, voire tyrannique. Nos modernes droits de l’homme ont dévié de cette route traditionnelle en faisant du principe de « non-discrimination » la doxa de nos juges-prêtres. Or, la légitimité de la nation réside dans la différence entre nationaux et étrangers. La non-discrimination entre Français et étrangers est la négation de la nation. S’il ne reste de différence entre Français et étrangers que le seul droit de vote — que certains exigent même d’accorder aux étrangers ! —, il n’y a plus de nation française.

p. 40

Cet extrait du livre de Zemmour n’est pas sans rappeler le diagnostic non seulement de Georges Lavaux, mais également du professeur Jacques Krynen.



En effet, l’éminent professeur de droit Jacques Krynen dans le second volume de la remarquable étude qu’il consacre à la magistrature française avait déjà souligné que le juge parvient à « se substituer en quelque sorte au législateur » en interprétant très librement les lois, voire en les ignorant superbement quand elles sont gênantes pour lui ! Cet aveu d’un premier président de la Cour de cassation est emblématique de la désinvolture extrême des juges envers la loi.

Par le moyen des principes généraux du droit, qu’ils prétendent au besoin découvrir « dans le ciel des valeurs essentielles dont nos sociétés seraient porteuses », les hauts magistrats se sont, comme l’observait voici déjà un demi-siècle Georges Lavau, arrogé « une fonction de type prophétique ». Si bien que, pour caractériser la magistrature d’aujourd’hui, Jacques Krynen n’hésite pas à parler d’une « nouvelle prêtrise judiciaire », qui renoue paradoxalement avec celle d’avant la Révolution.

« Incarner l’ancre et la boussole de l’État »

En effet, dans un premier volume, il avait montré comment les grands juges de l’ancien Régime avaient construit une idéologie selon laquelle ils auraient reçu leur mission de Dieu, dont ils se disaient les vicaires. Autoproclamés « prêtres de la justice », les hauts magistrats s’en autorisaient pour manifester la plus grande indépendance envers la loi, n’hésitant pas à l’ignorer ou à la contredire, se posant en créateurs suprêmes du droit et multipliant les épreuves de force avec le pouvoir politique. Or, étrangement, ces mêmes attitudes se retrouvent chez les juges d’aujourd’hui. Bien que la « magistrature professionnelle contemporaine » ne soit plus composée de grands notables seigneurs de fiefs comme celle des parlements de l’époque de Louis XV et de Louis XVI, mais de « fonctionnaires comme les autres », elle « ressemble à s’y méprendre à la magistrature ancienne ».

Pourtant, entre-temps, la Révolution avait voulu détruire le pouvoir des juges et les enfermer dans un rôle de simples exécutants de la loi, expression de la volonté générale. La loi étant par définition parfaite et claire, la mission du juge se bornait à son application purement mécanique, sans la moindre latitude d’interprétation ni de création de règles de droit supplétives. Ce que résumait la fameuse formule de Duport : « Le jugement est la conclusion d’un syllogisme dont la majeure est le fait et la mineure est la loi. »

Cette « expérience révolutionnaire de rabaissement maximal de l’office du juge » n’a cependant constitué qu’une « brève parenthèse ». Les grands magistrats du XIXe siècle ont en effet « conçu la fonction juridictionnelle dans le droit-fil des grands juges et des grands jurisconsultes du passé », le juge devant continuer à « incarner l’ancre et la boussole de l’État ». Siégeant d’ailleurs « sous le crucifix », cette magistrature a continué à voir dans le juge « un prêtre de la justice et du droit ». Depuis 1905, le crucifix a quitté les salles d’audience, mais la « prêtrise judiciaire » est restée. Et elle est même plus présente que jamais. Aussi bien les valeurs de la modernité démocratique, sur lesquelles le juge-prêtre — aussi bien judiciaire qu’administratif et constitutionnel — fonde son « pouvoir législatif immanent », ne sont-elles bien souvent, comme l’observe Luc Ferry, que « du christianisme laïcisé et rationalisé » . Le crucifix n’est pas si loin que cela dans l’actuel antagonisme entre la magistrature et le pouvoir, qui pourrait être lu comme un avatar des rapports conflictuels entre le temporel et le spirituel, lequel prendrait ici la figure d’une quasi-divinisation du droit produit par le juge-pontife.


L’État de justice (France, XIIIᵉ-XXᵉ siècle), II :
L’emprise contemporaine des juges
par Jacques Krynen
paru aux éditions Gallimard
Collection : Bibliothèque des histoires
à Paris
publié le 16 février 2012
448 pages
ISBN-13 : 978-2070124985

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Notons que la juge Deschamps a tout le long de l’audience dans la cause de Drummondville en Cour suprême marqué son peu de respect pour les arguments des parents québécois. Pour elle, « dès qu’il y a comparaison, il y a un peu de relativisme », d’où ses haussements d’épaules et son sourire narquois en salle d’audience. À notre avis, l’opinion de Deschamps était faite avant l’audience, elle n’a fait qu’enrober son haussement d’épaules en langage juridique par ses clercs et auxiliaires juridiques en reprenant largement les arguments du gouvernement québécois et en passant sous silence ceux de la partie adverse. Les journalistes étant des travailleurs surmenés ne rapportent que les arguments qu’elle a retenus et ne retournent pas au dossier pour voir ceux de la partie adverse. Dans la saga judiciaire du cours ECR (6 procès), aucun journaliste n'a couvert les débats en y assistant patiemment dans la salle (quelques journalistes se trouvaient dans les couloirs et quelques-uns furent brièvement convoqués comme témoins).

La juge Deschamps a démissionné de la Cour suprême du Canada peu de temps (le 7 août 2012) après sa décision dans l’affaire de Drummondville rendue le 17 février 2012, à l’âge de 59 ans. Les juges de la Cour suprême peuvent siéger jusqu’à l’âge de 75 ans.

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