mardi 14 mars 2023

Extraits du nouveau livre d'Éric Zemmour : « Je n'ai pas dit mon dernier mot »

Les raisons d’une candidature

Les vacances ne sont pas terminées. C’est du moins ce que je crois encore. Je n’ai pas compris que je ne suis plus maître de mon calendrier ni de mon destin. Je suis désormais sous l’œil de l’opinion publique. J’ai accepté l’invitation d’un certain Rafik Smati, chef d’entreprise sympathique qui a participé à la campagne de François Fillon et que j’ai rencontré quelques mois plus tôt.

Nos ancêtres vivaient dans les mêmes contrées, au sud de la Méditerranée, et il m’explique que nous avons la même conception de l’assimilation à la française : ce sera l’objet de notre première conversation, chaleureuse et enthousiaste. Il est plus libéral, mais partage le diagnostic inquiet que je porte sur la France, tant et si bien qu’il souhaite me rejoindre et attend le bon moment. Nos équipes se rencontreront et feront un bout de chemin ensemble. Nombreux sont ceux de ses soutiens qui poursuivront l’aventure avec nous.

En cette fin du mois d’août, Rafik réunit les amis de son cercle de réflexion, Objectif France, à Aix-en-Provence. À peine suis-je arrivé que les médias commentent déjà ma tenue à l’antenne :
je porte un pantalon beige et une chemise blanche, teint hâlé et lunettes noires sur le nez. Les vacances ne sont pas tout à fait terminées… Je débats avec mon hôte, nous parlons de la France. Sur scène, il me qualifie de « décliniste » ; je lui réponds que 62 % des Français pensent que la France est en déclin — et quel amoureux de son pays peut dire le contraire ? Son public, emballé, m’applaudit.

À la fin de notre échange, les journalistes se pressent pour m’interroger. Devant les micros tendus, en réponse à l’une des questions que l’on me pose sur le Rassemblement national et le risque de division des voix, je lâche négligemment : « Il faut arrêter de mentir. Marine Le Pen ne gagnera pas la prochaine présidentielle. Elle ne peut pas gagner. Tout le monde le sait, y compris au Rassemblement national. »

C’est l’un des charmes de la société médiatico-politique qu’une vérité évidente, mais que personne ne dit, peut faire l’effet d’un orage dans un ciel serein. C’est la sempiternelle histoire du roi persuadé par des tailleurs charlatans d’être vêtu d’un costume chatoyant, qui en convainc toute la Cour extasiée, avant qu’un enfant innocent ne rompe l’illusion collective en s’écriant : « Le roi est nu ! »

Cette phrase, lâchée à la fin d’un été paisible, fait l’effet d’une bombe. Les chaînes d’info la diffusent en boucle. Une multitude de militants et de cadres locaux du RN rejoignent les rangs de la jeune association naissante Les Amis d’Éric Zemmour, comme s’ils avaient enfin entendu le verdict qu’ils s’interdisaient de poser. Cette vérité vient ajouter un argument au caractère logique, inéluctable, irrécusable de ma candidature.

On me demande souvent quel fut l’événement qui a entraîné ma décision de me présenter. Mes interlocuteurs ne me croient pas quand je leur réponds qu’il n’y en a pas. Je dis pourtant la vérité. Il n’y eut pas d’événement fondateur. Ou plutôt il y en eut une multitude. Petit à petit, la décision s’est imposée. Je me suis progressivement mis dans l’impossibilité de reculer. L’apostrophe sur le ton de l’évidence de mon fils : « Papa, le constat, tu l’as fait, il faut maintenant passer à l’action » ; le travail inlassable de Sarah ; la foule des soutiens qui affluait ; le nombre de plus en plus important de Français qui espéraient en moi ; la décision du CSA qui m’expulsait de la télévision ; les craintes du Figaro qui me forçait à quitter le journal ; Albin Michel qui refusait de me publier… On me jetait dans le vide mais on me reprochait de sauter. C’était maintenant trop tard : je ne me voyais plus commenter, de ma chaire télévisuelle, les péripéties d’une pièce que je jugeais d’avance médiocre, et dont je connaissais la fin.

L’attelage avec Laurent Wauquiez
Laurent Wauquiez est un curieux mélange de brutalité et de cautèle, de précipitation et de précaution, d’audace et de pusillanimité. Toujours pressé, toujours impatient, l’œil rivé sur sa montre, il va droit au but et sans préambule : « Si tu y vas, tu auras besoin d’un type comme moi. Si j’y vais, j’aurai besoin d’un type comme toi. »

J’approuve chaleureusement son analyse. J’ai la sincérité et l’authenticité que les électeurs ne lui reconnaissent pas ; il a l’expérience politique et la compétence gestionnaire que je ne prétends pas posséder. Je lui prédis : « Si je me présente, à nous deux, on peut tout emporter, comme Giscard-Chirac en 1974. » Il a beau se dire très intéressé par l’attelage, je devine dans son regard qu’il ne peut s’empêcher de me voir comme un rival.

Mais Wauquiez n’est pas le seul à lorgner cette hypothèse. Bruno Retailleau m’invite à petit-déjeuner au Sénat ; Éric Ciotti me convie à la questure de l’Assemblée nationale ; Nadine Morano et François-Xavier Bellamy au café ; Julien Aubert à dîner chez notre ami commun Bernard Carayon. Si les idées nous rapprochent, les intérêts nous éloignent. Chacun d’entre eux observe ma possible candidature avec sympathie ; aucun ne promet de se rallier à moi mais tous veulent laisser la porte ouverte.

Le débat avec Jean-Luc Mélenchon

« C’est toi ?

— Qui ça, toi ?

— Attends, parle pas ici !

— Appelle-moi à cet autre numéro sur Telegram. »

Jean-Luc Mélenchon est prudent. Plus encore : il est méfiant, suspicieux. Les jeunes diraient qu’il est parano. Je ne peux m’empêcher de songer à Staline qui, disait-on, changeait d’appartement chaque soir.

Il a reconnu ma voix, comme j’ai reconnu la sienne, mais il préfère prendre des précautions. Puis, au fil des appels qui se multiplient, il se livrera davantage. J’ai souhaité le contacter en ce mois de septembre radieux pour lui faire une proposition qu’il ne pourra pas refuser. Il veut devenir le patron des gauches ? Cela tombe bien, je veux faire l’union des électeurs de droite. Je pressens qu’un débat l’un contre l’autre peut nous permettre de rameuter nos camps respectifs et de montrer à la France que le clivage droite-gauche est plus que jamais actuel. Je n’ai pas besoin de lui expliquer l’intérêt de ce débat longtemps : il comprend (il sait déjà) et accepte rapidement.

Je connais Jean-Luc Mélenchon depuis des années ; il était alors membre du Parti socialiste et moi, journaliste. Nos origines communes de l’autre côté de la Méditerranée et un même goût pour l’histoire nous ont rapprochés. Je crois pouvoir dire que nous étions ce qu’on appelle « de bons copains » : il était là lorsque j’ai fêté mes 50 ans, et nous nous tenions dans une estime réciproque qui lui fit dire un jour à la télévision : « Je connais très bien Éric Zemmour, ce n’est pas un raciste, c’est un brillant intellectuel. »

Nous avions déjà confronté nos deux visions du monde et de la France, des années plus tôt, en décembre 2014, sur RTL. Il m’avait avoué sans ambages : « Tu es devenu l’intellectuel organique de la droite. Tout le monde à droite s’aligne sur toi. En m’opposant à toi, je prends la tête de toute la gauche qui s’oppose à la droite. » Il n’a pas changé d’avis. Tout le reste de la gauche adopte l’attitude inverse, celle du déni et de la délégitimation. Pour eux, la question de l’identité française ne se pose pas, et parler avec moi, c’est accepter que cette question soit posée. Finalement, le reste de la gauche continuera à faire de la morale, quand Mélenchon fera de la politique.

La gauche disparue de Michel Onfray

Notre diagnostic est le même : la civilisation judéo-chrétienne et gréco-romaine, qui a porté l’Europe et la France sur les fonts baptismaux il y a plus de mille ans, est en pleine décadence et se trouve menacée par le dynamisme belliqueux de la civilisation islamique sur son sol. J’avoue qu’au regard de cet accord fondamental, j’ai longtemps cru que Michel me rejoindrait et que nous mènerions ce combat ensemble. Je l’ai cru aussi parce qu’il encouragea ma candidature avec chaleur tout au long de l’année 2021 et disait qu’il me rallierait en cours de route. Devant notre pays qui s’effondre, je ne pouvais pas imaginer qu’on pût s’attarder sur des différences de degré en oubliant l’immense accord de nature qui nous rapprochait.

(…) Je dois avouer que je me suis souvent demandé si les raisons avancées par mon comparse normand pour refuser de me soutenir n’étaient pas que pure rhétorique. Certains me susurraient que l’enfant des champs ne tolérait pas de voir celui des villes aller plus loin que lui. Il a d’ailleurs annoncé récemment qu’il présenterait une liste aux prochaines européennes de 2024. Comme un tardif remords. Mais je n’aime pas ces interprétations psychologisantes, surtout quand je respecte l’intelligence et apprécie l’ami.

Michel est plutôt victime du syndrome habituel des intellectuels français : il est obsédé par « le bras gauche », parce qu’il n’accepte pas de ne plus être de gauche. Il lui est difficile de se battre aux côtés de la droite, même quand il partage tout avec elle, car il refuse d’accepter l’idée que « sa » gauche n’existe plus, ou qu’elle est marginalisée. Il lui est douloureux d’admettre que la gauche aujourd’hui a remisé les vieilles lunes du patriotisme, de l’élitisme scolaire et de la défense des travailleurs dans les poubelles de l’histoire. Il lui est douloureux d’admettre qu’au regard des clivages actuels il est aujourd’hui de droite, encensé par Le Figaro et vilipendé par Le Monde.

La trahison de Robert Ménard

C’est systématique, presque un réflexe conditionné. Chaque fois qu’on me communique une déclaration de Robert Ménard à mon propos, j’entends aussitôt la voix rocailleuse et goguenarde de Charles Pasqua qui me souffle de l’au-delà : « Avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis ! » Cette phrase me revient comme un leitmotiv. Aussi souvent que Ménard intervient sur une chaîne d’info et ouvre son propos par un sadique : « Éric, je le dis parce que c’est un ami… », j’entends le rire sarcastique de Pasqua. (…) Robert Ménard a joué dans cette campagne un rôle bien supérieur à son véritable poids politique ; il a donné une crédibilité à toutes les accusations, même les plus outrancières, lancées à mon encontre. Sa position de prétendu ami fut idéale pour me décrédibiliser et donner corps aux arguments de mes ennemis. Il était de mon camp, proche de mes idées ; ses critiques n’en avaient que plus de poids : « Si même Ménard le dit… » (…)

Ménard est un oxymore sur pattes. C’est un bon client des médias, puisqu’il accomplit lui-même le chemin que ceux-ci veulent lui faire parcourir. (…) Il fut la révélation de l’alliance entre Marine Le Pen et le « système médiatique » pour me montrer du doigt. J’étais le problème : ma personnalité, mon caractère, ma brutalité, ma prétendue misogynie, ma supposée insensibilité, etc., et non les idées que je défendais que partagent tant de Français. Enfin, en comparant sans cesse ma candidature à celle de la présidente du RN, il a donné aux médias l’occasion qu’ils attendaient de m’enfermer dans une primaire « d’extrême droite » d’où je souhaitais à toute force m’extirper.

Robert Ménard incarna ainsi la figure pure et parfaite du traître, celle qu’on trouve tout au long de l’histoire de France, du connétable de Bourbon à Talleyrand en passant par l’évêque Cauchon. (…) Il fut le Judas de Béziers, sans qu’on évalue précisément les trente deniers qu’il escomptait : la réélection de son épouse à son siège de députée grâce au soutien du Rassemblement national ? Ou, au vu de ses propos dithyrambiques à l’égard d’Emmanuel Macron, son rêve de devenir ministre ? On apprenait pendant la campagne que lors d’une visite à Béziers, en novembre 2021, le président Macron promit 200 millions d’euros d’aide de l’État et 500 emplois pour Genvia, une entreprise spécialisée dans la production d’hydrogène décarboné. Il y a eu beaucoup d’inflation depuis l’époque des trente deniers…

Les retournements de veste de Robert m’ont donné le tournis. Il n’a pas eu le reniement honteux ni la trahison sournoise ; son méfait, il l’a proclamé avant même qu’on ne le lui reproche ; il a l’apostasie tonitruante.

Le coup d’État de Laurent Fabius

« N’est pas le général de Gaulle qui veut. » Je lis l’interview accordée par Laurent Fabius au Parisien et je n’en reviens pas. En pleine campagne, le président du Conseil constitutionnel est sorti de la réserve qui doit être la sienne. Et de quelle manière ! Laurent Fabius prévient sans ambages : contrairement à ce qu’avait osé le général de Gaulle avec ses référendums, le président élu en 2022 ne fera pas tout ce qu’il voudra, le peuple ne sera pas souverain, le Conseil constitutionnel veillera au grain. (…) Selon le président du Conseil constitutionnel, « l’une des caractéristiques des démocraties avancées comme la nôtre, c’est que la loi, qu’elle soit votée par le Parlement ou le fruit d’un référendum, ne peut pas faire n’importe quoi (c’est moi qui souligne) et qu’elle doit être conforme à la Constitution et aux grands principes. C’est le rôle du Conseil constitutionnel mis en place par la Ve République de veiller et de contrôler cette conformité. »

Il faut décortiquer avec soin le propos de Laurent Fabius pour comprendre ce qu’il contient de scandaleux. Le président du Conseil constitutionnel nous dit que le peuple souverain, qui exprimerait sa voix par référendum, pourrait faire « n’importe quoi » ; c’est donc à lui, et aux huit autres juges non élus, de déterminer si, oui ou non, le peuple a fait n’importe quoi. Comprenez bien : 99,99 % des Français pourraient voter pour une réforme que Laurent Fabius continuerait de se réserver le droit de censurer leur volonté. Et il ose utiliser le mot « démocratie » pour défendre une telle aberration. (…) Ce 25 janvier, Laurent Fabius n’avait pas parlé au hasard. En fermant cette ultime issue démocratique qu’est le référendum, Laurent Fabius interdisait d’avance à notre pays d’échapper au Grand Remplacement, qui l’étreint chaque année davantage, et pour cela, il changeait subrepticement la nature de nos institutions. Il disait en quelques mots que l’élection présidentielle ne servait à rien, et que la campagne qui la précédait était vaine. Ils appellent cela « l’État de droit », j’appelle cela un coup d’État.

Aucun point commun avec Marine Le Pen

Longtemps, j’ai trouvé Marine Le Pen sympathique. Son sourire engageant, ses manières rustiques de garçon manqué qui contrastaient avec sa douce blondeur ; son coup de fourchette vigoureux et son goût jamais démenti pour les apéros copieusement célébrés ; sa voix rauque de fumeuse qui entonnait sans se faire prier les chansons de Dalida… Tout dessinait pour moi le portrait de la « bonne copine » enjouée et chaleureuse. Les catholiques rigoristes au sein du Front national l’avaient affublée du surnom de « night-clubeuse », en souvenir de sa jeunesse, elle qui fréquentait davantage les boîtes de nuit que les bibliothèques. (…) Lorsque j’étais journaliste, je pouvais avoir avec son père de longues conversations sur l’histoire de France, de Gaulle, la guerre d’Algérie, ou encore la gloire de l’Empereur et les fautes de nos rois. Avec lui, la discussion roulait sur les grandes batailles que nous refaisions ou sur les livres que nous avions aimés tous deux. Avec Marine, nous étions comme deux ensembles mathématiques sans intersection. (…)

Marine Le Pen a tant subi la marginalisation, la caricature, la vie de paria, le rejet dès l’enfance, autant de choses que je n’ai pas connues, que pour se faire adouber, elle est prête à tout. À tous les reniements, toutes les apostasies. (…) Cela explique aussi que Marine Le Pen ait mis tant d’énergie à reproduire contre moi ce qu’elle avait elle-même subi toute sa vie. Elle s’est opposée à moi comme le système s’était opposé à elle. Elle m’a dénoncé à la vindicte médiatique comme elle a été jetée en pâture depuis son adolescence. (…) Elle ne se soucie pas des idées ; à ses yeux, tous ceux qui aiment leur maniement ne sont que des idéologues. Elle habille des oripeaux du pragmatisme son mépris des concepts et de la culture. La gauche la laisse faire, la laisse venir, trop heureuse de ce renfort de choix. Elle vante même son habileté et ses louanges. Marine Le Pen ne s’aperçoit pas qu’elle paie cher des alliés infidèles et éphémères (ils se retournèrent contre elle dès que je ne fus plus là) et légitime ainsi le combat de nos adversaires communs.

Je n'ai pas dit mon dernier mot
par Éric Zemmour
paru le 16 mars 2023
chez‎ Rubempré,
à Paris,
352 pp.,
ISBN-10 ‏ : ‎ 2957930528
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2957930524


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