dimanche 10 septembre 2017

PQ — Couper les vivres aux écoles privées, réduire l'accès aux cégeps anglophones

Le Parti québécois fait du ménage dans son programme politique. Il en revoit des pans importants. S’il prend le pouvoir, il coupera graduellement les vivres aux écoles privées.

Écoles privées

Il diminuerait « de façon significative et graduelle le financement public des écoles privées ». Il investirait « les sommes récupérées dans le système public d’éducation ». C’est ce qu’ont décidé une majorité des 1500 délégués participant au 17e congrès du Parti québécois, à Montréal. La proposition a été portée par l’ex-députée Monique Richard, qui a aussi été présidente de la Centrale des syndicats du Québec de 1999 à 2003.

Ce carnet s’oppose à cette mesure qui est contradictoire avec un plus grand choix pédagogique. Pour ce carnet, il faut faire l’inverse : ouvrir l’enseignement à la concurrence et fournir les moyens à tous les parents (pas uniquement les plus nantis) de placer leurs enfants dans la meilleure école pour leurs enfants. Nous ne sommes pas sûrs que cette mesure d’inspiration étatiste rendra le PQ plus populaire, mais peut-être s’agit-il encore une fois de faire plaisir à une clientèle tentée par le parti d’extrême gauche Québec solidaire (QS) plutôt que celle, plus nombreuse, tentée par la Coalition Avenir-Québec (CAQ) ?

Les cégeps

Au troisième et dernier jour du congrès, le Parti québécois a officiellement retiré ce matin de son programme le projet d’appliquer la loi 101 au réseau collégial. Un « compromis » a été adopté en lieu et place, un compromis qui n’interdit pas formellement l’accès des francophones et des allophones aux cégeps anglophones, mais qui le restreint.

Plutôt que de fermer la porte des cinq cégeps de langue anglaise aux francophones et aux allophones, les délégués péquistes ont « accepté » d’offrir aux cégépiens francophones qui démontrent déjà une bonne maîtrise du français la possibilité « de suivre au cégep un parcours en anglais enrichi qui pourra comporter une session dans un cégep anglophone ». Parallèlement, un gouvernement du PQ inciterait « fortement les étudiants des cégeps anglophones à suivre un parcours de français enrichi comportant une session entière dans un cégep francophone ».

Par contre, les mêmes militants ont exigé qu’un éventuel gouvernement péquiste s’assure « que le financement des cégeps anglophones réponde en priorité aux besoins de la communauté historique anglophone et, par conséquent, qu’il soit graduellement aligné sur le poids démographique proportionnel de cette communauté ».

Les délégués ont aussi décidé d’« instaurer pour les personnes qui n’ont pas droit à l’école anglaise et qui n’ont pas reçu leur instruction primaire et secondaire en français, par exemple parce qu’elles sont au Québec depuis peu, l’obligation de fréquenter un cégep francophone » et d’« étendre à l’éducation des adultes et aux écoles de formation professionnelle les dispositions de loi 101 ».

De bonnes raisons à franciser les cégeps (la fin du secondaire en France)

Tout ceci pourrait s’avérer compliqué à mettre en œuvre, mais nous ne sommes pas opposés à la francisation croissante des cégeps et même des universités au Québec, pour autant que la diversité pédagogique, philosophique et de programme des établissements d’enseignement croisse. Cette diversité peut comprendre bien sûr un renforcement de l’enseignement des langues autres que le français. (Il n’est d’ailleurs pas évident que l’enseignement de l’anglais au Québec soit si déficient chez les jeunes francophones déjà fortement bilingues.) On peut avoir un réseau de cégeps (ce ne sont que les deux dernières années du lycée en France, du Gymnasium en Allemagne, la fin du secondaire donc en Europe) entièrement en français, soumis à la loi 101 et pourtant plus divers au niveau des programmes, du recrutement, des méthodes. Langue et diversité scolaire sont deux notions orthogonales  : il y a une grande diversité scolaire aux États-Unis, uniquement en anglais.


Rappelons que dès que le libre choix linguistique devient possible, c’est par milliers que les francophones filent vers les cégeps anglophones, et ce nombre n’a jamais cessé de croître.

Le nombre d’anglophones qui choisissent un cégep francophone est, lui, ridiculement faible. Cela trahit un manque d’utilité perçue du français par rapport à l’anglais. Aucun parti politique ne semble vouloir renforcer l’utilité du français au Québec, notamment, en francisant davantage les relations des Québécois avec l’État québécois dont la seule langue officielle devrait être l’anglais.

Il y a de bons arguments pour étendre la loi 101 au cégep, même si la mesure est peu prisée dans les médias. Il est établi depuis longtemps que la langue des études supérieures — collégiales et universitaires — influence fortement la principale langue parlée ensuite au travail. L’objection de la limitation de la liberté individuelle oublie que l’enseignement collégial est financé à 100 % par le gouvernement du Québec. Cette limitation de la liberté des adultes (des parents) est acceptée pour l’école primaire et secondaire. Il n’est pas vrai non plus que l’avenir du français est seulement la responsabilité individuelle de chaque francophone, bien que celle-ci soit réelle. Si la responsabilité n’était qu’individuelle, pourquoi avoir jadis adopté la loi 101 ?

Joseph Facal s’interroge : « N’y a-t-il pas déjà assez d’anglais dans l’écosystème des jeunes Québécois francophones d’aujourd’hui ? En passant, ne serait-il pas aussi temps de se pencher sur ces jeunes anglophones ou allophones nés ici, parfaitement incapables de tenir une conversation de base en français, langue qu’ils méprisent souvent ouvertement ? Dans le cas des jeunes issus de l’immigration, je soupçonne que la culture d’origine y est pour beaucoup dans leur anglicisation future ou non. S’ils sont, disons, d’origine latino-américaine, leur francisation est assurée. Si leurs parents viennent de l’Inde ou du Pakistan, leur anglicisation est pratiquement préprogrammée pour des raisons historiques. Le Québec francophone s’aiderait s’il ciblait mieux son immigration. »

Mythe du manque de bilinguisme des francophones québécois

Depuis quelques années on assiste à une véritable obsession d’étudier en anglais au cégep et à l’université découle de deux choses : le mythe, tenace, des francophones prétendument unilingues et que, hors l’anglais, point de salut, même pour des emplois sans contact avec une clientèle hors Québec. Nous avons ainsi connu à Montréal des manutentionnaires sans aucun contact avec des clients étrangers à qui on demandait d’être bilingues pour pouvoir parler aux anglophones unilingues de l’entreprise.

L’enseignement de l’anglais dans les écoles françaises serait déficient, pour apprendre l’anglais, les francophones n’auraient donc d’autres choix que d’étudier en anglais dans un cégep ou une université anglophone. Mais est-ce vrai ?

Aujourd’hui, c’est au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick que 86 % de la population bilingue du pays réside. Le taux élevé de bilinguisme chez les francophones minoritaires (et majoritaires au Québec) y est évidemment pour beaucoup. Tout comme celui des Anglo-Québécois — leur taux de bilinguisme était de 67,8 % en 2011 —, ce qui veut dire quand même dire que même fortement minoritaires au Québec et même 35 ans après l’adoption de la Loi 101, près d’un Anglo-Québécois sur trois ne peut toujours pas soutenir une conversation en français. Ceci s’explique en partie par le bilinguisme de facto du Québec : tous les services essentiels gouvernementaux sont disponibles en anglais (écoles, tribunaux, police et l’administration, le fameux « for English press 9 ») alors que le français serait la seule langue officielle du Québec.

Pour comparaison, rappelons que le taux de bilinguisme chez les francophones hors Québec est de 87 %, alors que

– pendant que le français recule de manière générale dans la grande région de Montréal et sur l’Île, le bilinguisme chez les jeunes Anglo-Québécois demeure élevé, mais a toutefois diminué de 3 points depuis 2001 ;

– la connaissance de l’anglais chez les francophones, quant à elle, continue de progresser. Leur taux global de bilinguisme, toutes régions et toutes tranches d’âge confondues, frôlant les 40 % ;

– chez les immigrants, ils sont même 51 % à dire connaître le français et l’anglais.


Comme le rappelle le mathématicien Charles Castonguay :

« (...) parmi les 20-29 ans au Québec en 2011, 78 % des anglophones se déclaraient bilingues, comparé à 57 % des francophones. Dans la région de Montréal, l’écart se rétrécit encore plus, à 80 et 70 % respectivement. Dans l’île, c’est 78 et 79 %.

Ces jeunes francophones montréalais seraient donc rendus un tantinet plus bilingues que les anglophones — dont on chante sur tous les toits le degré de bilinguisme ! Ils n’ont pourtant reçu ni l’anglais dès la première année ni l’anglais exclusif. L’enseignement normal de l’anglais paraît avoir fonctionné assez bien merci. »

Et ceci alors qu’il serait normal que les francophones dans un Québec vraiment francophone soient moins bilingues que les anglophones, largement minoritaires, vivant au Québec.

En entrevue, M Castonguay rappelle également ceci :

« En 2001, le taux de bilinguisme chez les jeunes adultes anglophones âgés de 20-29 ans au Québec était de 81 %. Autrement dit, dans ce groupe d’âge aussi, on constate un recul de 3 points de pourcentage dans le bilinguisme des jeunes adultes anglo-québécois entre 2001 et 2011. Bref, le recul du bilinguisme que l’on constate chez les jeunes anglophones dans le reste du Canada se retrouve aussi au Québec. À un moindre degré, bien évidemment, mais compte tenu du statut — du moins théorique — du français au Québec, ce recul n’en est pas moins remarquable ».

Bref, lorsqu’on vous entendrez dire qu’au Québec, on « prive » les francophones d’« apprendre » l’anglais vous saurez qu’il s’agit en grande partie d’un mythe. Et si on parlait enfin d’augmenter la qualité et l’utilité du français au Québec.



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