dimanche 30 octobre 2016

La défense par Georges Leroux du programme ECR : relativiste, jacobine et utopique

Selon Guy Béliveau professeur et docteur de philosophie qui enseignait au Cégep de Trois-Rivières jusqu'à 2014, l'argumentaire de Georges Leroux dans son ouvrage apologétique sur le programme d'éthique et de culture religion « se heurte à trois objections dirimantes : son concept d’une éducation laïque entraîne le relativisme, sa philosophie politique verse dans le jacobinisme, et sa vision des fins de l’éducation relève de l’utopie. »

Voir son carnet.

(L'accès y étant intermittent, nous nous permettons de reproduire ce texte ci-dessous. Les intertitres sont de nous.)

Depuis la fondation de la Nouvelle-France, ab urbe condita, les parents avaient le droit de faire éduquer leurs enfants dans la foi catholique. Depuis le mois de septembre 2008, ils ont perdu ce droit. L’État a décidé péremptoirement que tous les élèves du primaire et du secondaire, sans exception, devaient obligatoirement suivre un nouveau programme intitulé Éthique et culture religieuse. « L’honnête homme », qui n’a pas suivi de près les débats qui ont roulé sur la question de l’enseignement confessionnel à l’école, reste perplexe et se demande pour quelles raisons l’État prive les parents d’un droit acquis ancestral, voire d’un droit naturel. Heureusement pour lui, M. Georges Leroux, professeur à l’UQAM, présente dans son ouvrage Éthique, culture religieuse, dialogue (Montréal, Fides, 2007), une « défense et illustration » de ce programme. Malheureusement, l’argumentaire de l’auteur se heurte à trois objections dirimantes : son concept d’une éducation laïque entraîne le relativisme, sa philosophie politique verse dans le jacobinisme, et sa vision des fins de l’éducation relève de l’utopie.

Laïcité à l'école et relativisme

Pour saisir la teneur de ce programme, son import réel, il faut d’abord comprendre ce qu’entend l’auteur par laïcité à l’école. Le concept signifie la déconfessionnalisation et implique le « respect réciproque des valeurs et des croyances », respect qui « ne va pas sans la connaissance de l’autre et sans valoriser la différence » (p. 12). Mais, pour peu qu’on y réfléchisse, on verra aussitôt que cette définition irénique de la laïcité entraîne un relativisme radical. Quand M. Leroux écrit : « il existe, comme un milieu complexe de pensées et de croyances, des opinions de toute nature sur le monde et l’existence humaine » (p. 94, c’est moi qui souligne), il affirme très clairement une thèse fondamentale très contestable : les pensées rationnelles en éthique et les croyances religieuses forment un ensemble d’opinions. Or, si les diverses religions ne contiennent que des opinions inaptes à la vérité et à l’universalité, alors, effectivement, dans le royaume de la doxa tous les sujets sont égaux, chacun méritant le respect et la reconnaissance passionnée de sa différence. Et quand on lit : « laïcité signifie non pas un refus du religieux ou de convictions, mais accueil de la différence dans un monde de respect et de droits » (p. 14), le droit auquel il se réfère, peut-être à son insu, c’est celui que proclame obsessivement la doxa ambiante : chacun a droit à son opinion. Qu’il est difficile d’enseigner la philosophie à des élèves qui adhérent si fermement à ce principe. L’auteur fait allusion à l’objection du relativisme (pp. 55, 88, 104 et seq.), mais il ne semble pas en comprendre le sens véritable.

Il ne s'agit pas d'empêcher de connaître les autres religions pour les opposants

Contrairement à ce qu’il laisse entendre, il ne s’agit pas d’empêcher les élèves de connaître d’autres religions, mais de s’opposer, en ce qui concerne les catholiques, à la réduction de leur foi à une doxa. Réclamer le maintien du droit à un enseignement confessionnel ne relève pas non plus d’un communautarisme qui pourrait entraîner « une forme d’ignorance d’autrui » (p. 107) Il y va en fait de la liberté de choisir. Les parents, qui s’opposent à ce programme, ont donc raison de voir dans ce relativisme une religion d’État.

Dogme : plus une société serait moderne, plus elle se séculariserait

Une autre thèse de l’auteur qui mérite une vigoureuse réfutation : plus une société serait moderne, plus elle se séculariserait. Le procès de la modernité se caractériserait par une sortie hors de la religion ; c’est la délibération citoyenne, et non pas les appels à la tradition, qui incarnerait l’instance suprême de l’autorité et du pouvoir de légitimation. Cette équation entre modernité et laïcisation se vérifie peut-être en Europe ; mais qui sait si la révolution contre-culturelle des quarante dernières années n’est pas qu’une simple parenthèse dans l’histoire destinée à se refermer bientôt ? Quoi qu’il en soit, les États-Unis représentent une réfutation péremptoire de cette thèse : depuis 1945 au moins, cette société définit ce qu’est la modernité tout en étant la plus religieuse en Occident. [Elle est aussi plus religieuse aujourd'hui qu'aux temps de la Guerre d'indépendance des États-Unis!] L’influence de la religion sur la vie politique est si grande qu’il suffit de suivre un peu l’actuelle campagne présidentielle pour s’en convaincre.


M. Leroux aveugle aux faits qui contredisent ses convictions

Mais M. Leroux ne voit pas que les faits contredisent ses convictions ; il s’écrie : « Comment aurait-on pu maintenir encore longtemps des privilèges confessionnels alors que toute la société est engagée dans un pluralisme croissant qui va de pair avec sa modernisation politique ? » (p. 36)


Abolir le droit ancestral à l'éducation confessionnelle par principe d'égalité !?

En clair, le droit acquis ancestral à l’éducation confessionnelle est un privilège qu’il faut abolir au nom de l’égalité. On croit rêver en voyant un jacobinisme professé si ingénument. Et dans la logique de cette philosophie politique, l’État doit poursuivre les finalités de ce programme malgré les protestations des parents récalcitrants, fussent-ils majoritaires, car ce projet radical résulte du « principe fondamental de l’égalité ». (p. 37) M. Leroux combat d’ailleurs tous les privilèges, en particulier ceux sur lesquels reposent l’humanisme classique, réservé selon lui à une élite (voir pp. 63, 81 et 83). D’où provient ce jacobinisme ? Sans doute, d’une adhésion à la philosophie des Lumières. Les enjeux moraux de la société actuelle ressortissent au « travail de la raison, travail d’abord mis en œuvre dans le débat public » (p. 47). La société forme ainsi un groupe de discussion sans contraintes où s’échangent de manière réflexive des raisons.


Limiter avec rigueur les domaines où l'Église et les philosophes peuvent exercer leurs désaccords

L’auteur reconnaît aux individus le droit de se référer plutôt à une autorité transcendante, mais il ajoute : « elle [la société] doit par conséquent délimiter avec rigueur et justice les domaines où cette autorité peut s’exercer sans entrer en conflit avec le bien commun établi publiquement » (p. 48). Dans cette conception, l’Église aura-t-elle encore le droit de dénoncer publiquement des lois qu’elle estime injustes ? Un philosophe pourra-t-il exprimer dans la discussion qu’à son avis telle ou telle loi positive déroge au droit naturel ? Ces questions se posent en toute légitimité quand on lit ceci : « Le progrès des lois peut [...] entrer en conflit avec les convictions morales et religieuses de groupes sociaux particuliers » (p. 49) Privilèges, raison, progrès, égalité : voilà des mots d’ordre que s’échangeaient les révolutionnaires du XVIIIe siècle et qui sont repris tels quels au XXIe siècle.

Droit à l'utopie : élèves du primaire discourant sur les principes du savoir moral et l'autonomie !?

Quand on regarde ce que l’auteur entend par éthique et par culture religieuse, on comprend que sa philosophie politique le conduit droit à l’utopie. L’éthique, « c’est un discours normatif qui s’élabore en se fondant sur le travail de la raison » (p. 51) ; elle est « une réflexion sur les principes, sur l’effort d’une rationalité pratique engagée dans la justification des décisions » (p. 51). L’élève du primaire et du secondaire aura donc pour tâche d’examiner de manière critique les principes qui gouvernent le savoir moral ! Encore une fois, on croit rêver : cette conception, tributaire des Lumières, est une pure utopie qui confortera l’un des traits les plus délétères de la mentalité actuelle : un individualisme effréné conjugué avec la revendication d’une autonomie absolue. Quel type d’éducation morale est le mieux adapté aux enfants : celui qui vise à en faire de petits philosophes des Lumières discourant sur les fondements des diverses normes morales ou celui qui, par l’imitation de personnages illustres, cherche à faire acquérir aux élèves, les vertus, les traits de caractère favorisant le développement de tout leur potentiel ? Les enseignants dans les collèges savent que la plupart de leurs élèves, même après trois cours de philosophie, demeurent incapables de prendre du recul par rapport au relativisme ambiant. Comment penser que des enfants se montreront plus rationnels que de jeunes adultes ?

Petits kantiens promus également en petits comparatistes des religions.

En ce qui concerne la culture religieuse, les affirmations de l’auteur étonnent beaucoup : « Derrière la riche appellation de “culture” se tient en effet la totalité du phénomène religieux, dans tous ses aspects historiques, esthétiques et spirituels. » (p. 55) Or, le programme a pour fin de transmettre une connaissance de cette culture. En quoi consiste-t-elle au juste ? « elle consiste à pouvoir articuler les liens entre diverses expressions du religieux et de la culture, en vue de saisir le système dans lequel tous ces éléments prennent sens » (p. 90). Encore et encore, on croit rêver. Nos petits kantiens en éthique deviendront aussi de petits structuralistes en étude comparative des religions. Montrez aux enfants que toutes les croyances, toutes les fêtes, toutes les cérémonies, toutes les interdictions entrent dans des rapports analogiques, bref que tous ces faits sociaux se correspondent, et ils auront compris qu’en matière de religion, tout est relatif ; ils auront enfin « saisi le système » !!! Peut-on aller plus loin dans l’utopie ?

Le principe structurant est d'ordre politique

Selon l’auteur, le principe structurant de ce programme est d’ordre politique : sa fin se définit par « l’apprentissage dialogué de la vie juste dans une société pluraliste » (p. 85). Les élèves sont donc conviés à exercer leur raison pratique sur « une diversité de conceptions du bien et du sacré » (p. 85), et cet exercice prendra la forme de « l’expérience de la discussion, du dialogue producteur de respect et de reconnaissance » (p. 86). Qui osera s’ériger contre la vertu ? Le respect, le pluralisme, le dialogue, ne sont-ce pas là des choses fort estimables ? Pourtant, derrière ces beaux mots, se cache la réalité effective du relativisme, du jacobinisme et de l’utopie. La conclusion de « la discussion de tous avec tous » aboutira toujours à la rengaine : chacun a droit à son opinion. On ne peut croire que ce relativisme servira de remède à « la guerre de tous contre tous » telle qu’on la voit se profiler sur le fond des luttes culturelles et identitaires.

Hier après-midi, dans les rues de Montréal, plus d’un millier de parents catholiques ont participé à une manifestation contre la perte d’un droit naturel.

L’État reste froid comme du marbre.

Aucun commentaire: