samedi 31 décembre 2016

Le sens du passé contre l'illusion adolescente d'un recommencement absolu

‎« Le sens du passé n'est pas seulement ce qui nous donne le pouvoir de méditer sur les ruines des civilisations disparues ou de se lamenter sur la folie éternelle des hommes. Il est aussi - et peut-être même avant tout - ce qui permet à chacun (individu ou peuple) de s'inscrire dans une continuité historique et dans une sommes de filiations et de fidélités et d'échapper ainsi à l'illusion adolescente d'un recommencement absolu. »

Jean-Claude Michéa, 
Le complexe d'Orphée. « La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès »

Et en prime :

« C'est évidement pour cette école du grand nombre que l'ignorance devra être enseignée de toutes les façons concevables. Or c'est là une activité qui ne va pas de soi, et pour laquelle les enseignants traditionnels ont jusqu'ici, malgré certains progrès, été assez mal formés. L'enseignement de l'ignorance impliquera donc qu'on rééduque ces derniers, c'est-à-dire qu'on les oblige à « travailler autrement :», sous le despotisme éclairé d'une armée puissante et bien organisée d'« experts en sciences de l'éducation ». La tâche fondamentale de ces experts sera, bien entendu, de définir et d'imposer les conditions pédagogiques et matérielles de ce que Debord appellait la « dissolution de la logique » : il s'agit, notons-le d'une véritable révolution culturelle car, comme le précise Debord, jusqu'à une période récente, « presque tout le monde pensait avec un minimum de logique, à l'éclatante exception des crétins et des militants ». En ce sens, on pourrait dire que la réforme scolaire idéale, du point de vue capitaliste, est donc celle qui réussirait le plus vite possible à transformer chaque lycéen et chaque étudiant en un crétin militant. »

Jean-Claude Michéa,
L’Enseignement de l’ignorance, 1999.

Sur Michéa et son Complexe d'Orphée :

Michéa est surtout connu pour sa critique du libéralisme, ce qui lui a valu de passer pour un gauchiste auprès de certains lecteurs. Dans ce livre il critique plus spécifiquement la gauche, ce qui peut être déconcertant. Uniquement quand on oublie le lien généalogique entre le libéralisme et la gauche.

Orphée, le prince des poètes, nous précise la mythologie grecque, eut le privilège de rechercher son amour dans l'Hadès, à la seule condition qu'au moment de sortir, il ne devait se retourner. Contrevenant à l'instruction des dieux, Orphée vit disparaître à tout jamais celle qu'il chérissait. Deux fondements mentaux président l'univers de la gauche libérale : le sens de l'histoire qui par nécessité va de la droite à la gauche en passant par le centre, et l'impérieux besoin de "vivre avec son temps". La conjonction des deux se traduit non seulement par un rejet du passé, mais par la haine de celui-ci. Il devient vital pour l'homme de gauche d'échapper à un passé psychologiquement insupportable. Affirmer par exemple que du passé, des valeurs peuvent être retrouvées, affirmées, revient à être un réactionnaire.

Semblable donc au pauvre Orphée, le nouvel Adam libéral est condamné à gravir le sentier escarpé du « Progrès » sans jamais pouvoir s'autoriser le moindre regard en arrière. Voudrait-il enfreindre ce tabou — « c'était mieux avant » — qu'il se verrait automatiquement relégué au rang de Beauf, d'extrémiste, de réactionnaire, tant les valeurs des gens ordinaires sont condamnées à n'être plus que l'expression d'un impardonnable « populisme ». C'est que la « Gauche » et la « Droite » ont rallié le mythe originel de la pensée capitaliste : cette anthropologie noire qui fait de l'homme un égoïste par nature. La première tient tout jugement moral pour une discrimination potentielle, la seconde pour l'expression d'une préférence strictement privée. Fort de cette impossible limite, le capitalisme prospère, faisant spectacle des critiques censées le remettre en cause. Comment s'est opérée cette, double césure morale et politique ? Comment la gauche a-t-elle abandonné l'ambition d'une société décente qui était celle des premiers socialistes ? En un mot, comment le loup libéral est-il entré dans la bergerie socialiste ? Voici quelques-unes des questions qu'explore Jean-Claude Michéa dans cet essai nourri d'histoire, d'anthropologie et de philosophie.

Jean-Claude Michéa est l'auteur de nombreux ouvrages, tous publiés aux éditions Climats, parmi lesquels : L'Enseignement de l'ignorance (1999), Impasse Adam Smith (2002, Champs-Flammarion, 2006), L'Empire du moindre mal (2007) et Orwell, anarchiste tory (4e édition, 2008). La Double Pensée, recueil inédit d'interventions, a paru en 2008 dans la collection Champs-Flammarion.

Jean-Claude Michéa
chez Climats
publié à Paris
le 5 octobre 2011
357 pages
ISBN-13: 978-2081260474







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