Extrait d’un article d’Eugénie Bastié publié cette semaine dans Le Figaro :
Depuis l’affaire Dreyfus, la gauche s’est toujours conçue comme le parti des intellectuels. Celui de l’intelligentsia guidant le peuple vers les Lumières de la Raison. Avec Mai 68, la domination était devenue sans partage. Intellectuel de gauche était un pléonasme : au Flore, c’était une évidence. Les nouveaux philosophes et Sartre étaient reçus par Giscard à l’Élysée. Foucault manifestait avec les sans-papiers, et Bourdieu avec les cheminots de Lyon. Ô tempora, ô mores… Pour un Raphaël Glucksmann qui alterne sur son compte Twitter indignation et compassion 2.0, ce sont les « réacs » qui monopolisent aujourd’hui les unes des hebdos !
[Note du carnet : Il omet de dire que c’est souvent pour les abreuver de critiques acerbes. Comme le signale Mathieu Bock-Côté par ailleurs : « le multiculturalisme contrôle encore le récit public, même si sa puissance d’intimidation auprès du commun des mortels est bien moins grande qu’il y a vingt ans. J’ajoute que les multiculturalistes, devant la contestation de leur modèle de société, ont tendance, comme on dit, à se «radicaliser». Ils diabolisent comme jamais leurs adversaires. » Nous ajouterions que ce n’est pas que le multiculturalisme qui domine encore le récit public par ses relais médiatiques, scolaires et universitaires, mais toute la panoplie des idées dites « progressistes », même si en France peu d’intellectuels de talent défendent encore ces attaques « boboïstes » contre la famille, contre la culture, l’identité, la majorité, contre la nation, les frontières, contre les limites en général y compris dans l’identité sexuelle et contre un conservatisme prudent.]
En librairies, les conservateurs triomphent. Critique de l’Europe, nécessité de frontières, retour de l’identité, exigence de sécurité, rejet de l’immigration massive : les thèmes à l’opposé de la gauche progressiste dictent l’agenda médiatique. On ne veut plus changer la vie, mais sauver ce qui peut encore l’être. Il est désormais plus tendance d’avoir raison avec Alain Finkielkraut que tort avec Jean-Michel Aphatie [un journaliste militant de gauche tendance bobo, flagorneur avec les puissants de gauche et narquois avec ceux qui ne le sont pas].
Labellisés « réacs »
« Les idées, les slogans, les partis que nous avons portés, lancés, soutenus, sont devenus inaudibles. Nous — qui croyons encore au projet européen, au cosmopolitisme républicain, à la société ouverte — sommes ébranlés », admet Raphaël Glucksmann dans un papier amer intitulé « La gauche sociale-libérale est morte ». Voilà l’inédit : cette défaite de la pensée est reconnue. [...]
« Cette crise de la pensée de gauche révèle un élément constitutif : face à un réel qui lui donne tort, la gauche refuse d’entrer en crise avec une obstination doctrinaire qui dépasse l’entendement », constate le politologue Dominique Reynié. Un refus de l’aggiornamento dont Alain Badiou est l’illustration la plus éclatante. Philosophe maoïste régnant en maître à l’université, Badiou continue à minimiser les crimes commis par le communisme. « La gauche n’a pas poussé jusqu’au bout la critique du socialisme, comme l’a été celle du fascisme, c’est là la clé de l’impuissance actuelle de ses intellectuels », analyse l’essayiste Jacques Julliard. Un refus de mise à jour du logiciel qu’on retrouve aussi dans une complaisance obstinée envers l’islamisme, en dépit de la réalité. Aux États-Unis, on dit qu’un néoconservateur est un démocrate giflé par le réel. Ce réel tragique, l’historien de gauche Pierre Nora y a fait référence lors de son discours de réception d’Alain Finkielkraut à l’Académie française, confessant : « Peut-être les événements de cette dernière année sont-ils en train de me donner tort. »
« La gauche n’a pas livré bataille. Elle a abandonné en rase campagne toutes les idées sur lesquelles reposait son alliance avec le peuple : laïcité, école républicaine, sécurité, nation », poursuit Jacques Julliard. Tel Flaubert qui au siècle dernier s’émouvait des Bohémiens (« Je suis pour toutes les minorités », écrivait-il à George Sand) et souhaitait l’écrasement de la Commune (« Que le peuple est stupide », écrivait-il à Louis Ménard), une partie de l’intelligentsia de gauche s’est détournée du peuple pour vouer un culte aux minorités. Les musulmans, les migrants, les Roms et les transsexuels sont devenus les nouveaux damnés de la terre. Et elle préfère le bidonville de Calais aux hauts-fourneaux désaffectés de Florange [en Lorraine dont la sidérurgie s’est effondrée].
Coincée entre paléomarxisme et boboïsme flaubertien, la gauche peine à se réinventer. Faute d’ouvrir des pistes, elle fait des listes. Faute d’idées, elle « fait barrage » à celles de droite. C’est la « gauche castor » selon les mots du politologue Laurent Bouvet ou encore la « gauche réflexe, cette grenouille disséquée dont l’appareil nerveux fonctionne encore, mais dont le cerveau est mort ». Ceux qui à gauche osent s’emparer de certains débats dits « populistes » se voient immédiatement labélisés « réacs » : Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Jacques Sapir, Jean-Pierre Le Goff, Jacques Julliard, Christophe Guilly n’ont plus le droit de se dire « de gauche ». Le républicain Régis Debray ou l’anti-euro Emmanuel Todd sont de plus en plus suspects. Quant à Jean-Claude Michéa, on le lit plus dans les cercles de droite que chez les militants du MJS [jeunes socialistes].
Signe des temps, Jean-Christophe Cambadélis [ancien militant d’extrême gauche, aujourd’hui président du Parti socialiste français] n’a vendu que 326 exemplaires de son dernier livre. Faut-il pour autant proclamer la mort clinique du « gauchisme culturel » ? Il lui reste quelques bastions. « Dans l’université et en particulier dans les sciences sociales, la domination de la gauche s’affermit », assure Dominique Reynié. Ce que Pierre Nora décrit comme « une radicalisation à gauche de “la basse intelligentsia” ». Claquemurée sur elle-même, cette gauche universitaire ne veut plus exister médiatiquement. Depuis Bourdieu qui refusait de se rendre à la télévision en présence d’un contradicteur, nombre de ses épigones répugnent à entrer dans l’arène pour affronter les monstres qu’ils prétendent dénoncer. C’est l’écrivain Édouard Louis qui refuse avec son ami philosophe Geoffroy de Lagasnerie de participer aux Rendez-vous de l’histoire de Blois au motif que l’universitaire Marcel Gauchet, « ce militant de la réaction », y est invité. Méprisant les plateaux télé, ces intellectuels se réfugient dans la citadelle des sciences sociales. « Pour une certaine gauche universitaire, intervenir dans le débat public de façon généraliste, c’est se commettre », estime Laurent Bouvet. « Ce gauchisme de la chaire a perdu contact avec la société », assure Jacques Julliard. « Il ne lui reste plus que le paradigme de la déconstruction par lequel elle entend déconstruire ces catégories du réel qui lui donnent tort », dit Dominique Reynié.
« Double humiliation »
L’espace d’un moment, cette gauche radicale a voulu croire qu’elle serait sauvée par la politique. En 2010, le succès de librairie de Stéphane Hessel, [avec le minuscule opuscule] Indignez-vous !, qui s’appuyait sur un renouveau de l’idée « sartrienne » d’engagement révolutionnaire, s’écoulait à 2 millions d’exemplaires [le faible prix de cette plaquette et le peu de pages à lire expliquent en partie ce succès à notre avis, les médias firent également un battage important au tour de ce personnage et de son petit livre]. L’émergence de Syriza en Grèce, de Podemos en Espagne, de Bernie Sanders aux États-Unis, de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou l’actuelle campagne de la « France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon témoignent de cette métamorphose de la gauche post-marxiste. Dans À demain Gramsci, le politologue Gaël Brustier théorisait les enjeux de ce nouveau « populisme de gauche », inspiré des travaux d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, qui voudraient propager en Occident les révolutions d’Amérique latine. Prônant un « néo-gramscisme », il ambitionne de reconstruire une « Weltanschauung alternative à la superstructure “nationale-populiste” qui est en train de devenir dominante partout en Occident ». Las !, Chavez et Castro sont morts [et il n’est pas évident qu’ils ne s’appuyaient pas sur un certain populisme nationaliste, pardon anti-impérialiste], Tsipras a baissé les bras, Podemos est sur le déclin, Nuit debout s’est recouchée pendant les vacances et la « radicalité » est retournée à son aporie.
Comme le temps passe… En 1985, après le tournant de la rigueur, le « concert des potes » de SOS Racisme rassemblait un million de personnes place de la Concorde autour de la « France multiculturelle ». Chanteurs et intellectuels de gauche communiaient dans la lutte contre le Front national et le rejet du « libéralisme sauvage ». Trente ans plus tard, la jeunesse vote Marine Le Pen, défile contre le mariage homo ou rêve de vivre entre Londres, Chang-haï et San Francisco…
Impuissante à conjurer l’hégémonie de la mondialisation néolibérale, la gauche s’est retrouvée prise au dépourvu par le retour du religieux et de l’identitaire. Là est sans doute la clé du désamour qu’elle inspire. « C’est une crise de l’imagination de l’avenir », expliquait Marcel Gauchet dans l’émission « Répliques ». « L’une des caractéristiques de la gauche, c’est la maîtrise du devenir, or nous vivons sous le signe d’une histoire subie », ajoutait l’auteur du Désenchantement du monde, concluant : « La gauche se montre incapable de penser une société différente. » Comme le dit Jean Birnbaum : « La gauche se vivait comme le parti de l’égalité, or elle voit “son” peuple saisi par un vigoureux désir anti-égalitaire. La gauche se vivait comme le parti de l’universel, or elle constate la puissance d’attraction de l’internationalisme djihadiste. C’est une double humiliation. » Elle n’a même plus de Sartre pour lui dire qu’elle est « ce grand cadavre à la renverse où les vers se sont mis ». Ni de BHL pour s’en faire l’écho. Reste un acronyme d’agence bancaire : la Belle Alliance populaire. [Note du carnet : ou de terrible défaite française, la Bataille de Belle-Alliance étant le nom que les Allemands donnaient à ce que les Anglophones appelèrent la Bataille de Waterloo et qui fut d’abord connu sous le nom de bataille de Mont-Saint-Jean en France.]
Depuis l’affaire Dreyfus, la gauche s’est toujours conçue comme le parti des intellectuels. Celui de l’intelligentsia guidant le peuple vers les Lumières de la Raison. Avec Mai 68, la domination était devenue sans partage. Intellectuel de gauche était un pléonasme : au Flore, c’était une évidence. Les nouveaux philosophes et Sartre étaient reçus par Giscard à l’Élysée. Foucault manifestait avec les sans-papiers, et Bourdieu avec les cheminots de Lyon. Ô tempora, ô mores… Pour un Raphaël Glucksmann qui alterne sur son compte Twitter indignation et compassion 2.0, ce sont les « réacs » qui monopolisent aujourd’hui les unes des hebdos !
[Note du carnet : Il omet de dire que c’est souvent pour les abreuver de critiques acerbes. Comme le signale Mathieu Bock-Côté par ailleurs : « le multiculturalisme contrôle encore le récit public, même si sa puissance d’intimidation auprès du commun des mortels est bien moins grande qu’il y a vingt ans. J’ajoute que les multiculturalistes, devant la contestation de leur modèle de société, ont tendance, comme on dit, à se «radicaliser». Ils diabolisent comme jamais leurs adversaires. » Nous ajouterions que ce n’est pas que le multiculturalisme qui domine encore le récit public par ses relais médiatiques, scolaires et universitaires, mais toute la panoplie des idées dites « progressistes », même si en France peu d’intellectuels de talent défendent encore ces attaques « boboïstes » contre la famille, contre la culture, l’identité, la majorité, contre la nation, les frontières, contre les limites en général y compris dans l’identité sexuelle et contre un conservatisme prudent.]
En librairies, les conservateurs triomphent. Critique de l’Europe, nécessité de frontières, retour de l’identité, exigence de sécurité, rejet de l’immigration massive : les thèmes à l’opposé de la gauche progressiste dictent l’agenda médiatique. On ne veut plus changer la vie, mais sauver ce qui peut encore l’être. Il est désormais plus tendance d’avoir raison avec Alain Finkielkraut que tort avec Jean-Michel Aphatie [un journaliste militant de gauche tendance bobo, flagorneur avec les puissants de gauche et narquois avec ceux qui ne le sont pas].
Labellisés « réacs »
« Les idées, les slogans, les partis que nous avons portés, lancés, soutenus, sont devenus inaudibles. Nous — qui croyons encore au projet européen, au cosmopolitisme républicain, à la société ouverte — sommes ébranlés », admet Raphaël Glucksmann dans un papier amer intitulé « La gauche sociale-libérale est morte ». Voilà l’inédit : cette défaite de la pensée est reconnue. [...]
« Cette crise de la pensée de gauche révèle un élément constitutif : face à un réel qui lui donne tort, la gauche refuse d’entrer en crise avec une obstination doctrinaire qui dépasse l’entendement », constate le politologue Dominique Reynié. Un refus de l’aggiornamento dont Alain Badiou est l’illustration la plus éclatante. Philosophe maoïste régnant en maître à l’université, Badiou continue à minimiser les crimes commis par le communisme. « La gauche n’a pas poussé jusqu’au bout la critique du socialisme, comme l’a été celle du fascisme, c’est là la clé de l’impuissance actuelle de ses intellectuels », analyse l’essayiste Jacques Julliard. Un refus de mise à jour du logiciel qu’on retrouve aussi dans une complaisance obstinée envers l’islamisme, en dépit de la réalité. Aux États-Unis, on dit qu’un néoconservateur est un démocrate giflé par le réel. Ce réel tragique, l’historien de gauche Pierre Nora y a fait référence lors de son discours de réception d’Alain Finkielkraut à l’Académie française, confessant : « Peut-être les événements de cette dernière année sont-ils en train de me donner tort. »
« La gauche n’a pas livré bataille. Elle a abandonné en rase campagne toutes les idées sur lesquelles reposait son alliance avec le peuple : laïcité, école républicaine, sécurité, nation », poursuit Jacques Julliard. Tel Flaubert qui au siècle dernier s’émouvait des Bohémiens (« Je suis pour toutes les minorités », écrivait-il à George Sand) et souhaitait l’écrasement de la Commune (« Que le peuple est stupide », écrivait-il à Louis Ménard), une partie de l’intelligentsia de gauche s’est détournée du peuple pour vouer un culte aux minorités. Les musulmans, les migrants, les Roms et les transsexuels sont devenus les nouveaux damnés de la terre. Et elle préfère le bidonville de Calais aux hauts-fourneaux désaffectés de Florange [en Lorraine dont la sidérurgie s’est effondrée].
Coincée entre paléomarxisme et boboïsme flaubertien, la gauche peine à se réinventer. Faute d’ouvrir des pistes, elle fait des listes. Faute d’idées, elle « fait barrage » à celles de droite. C’est la « gauche castor » selon les mots du politologue Laurent Bouvet ou encore la « gauche réflexe, cette grenouille disséquée dont l’appareil nerveux fonctionne encore, mais dont le cerveau est mort ». Ceux qui à gauche osent s’emparer de certains débats dits « populistes » se voient immédiatement labélisés « réacs » : Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Jacques Sapir, Jean-Pierre Le Goff, Jacques Julliard, Christophe Guilly n’ont plus le droit de se dire « de gauche ». Le républicain Régis Debray ou l’anti-euro Emmanuel Todd sont de plus en plus suspects. Quant à Jean-Claude Michéa, on le lit plus dans les cercles de droite que chez les militants du MJS [jeunes socialistes].
Signe des temps, Jean-Christophe Cambadélis [ancien militant d’extrême gauche, aujourd’hui président du Parti socialiste français] n’a vendu que 326 exemplaires de son dernier livre. Faut-il pour autant proclamer la mort clinique du « gauchisme culturel » ? Il lui reste quelques bastions. « Dans l’université et en particulier dans les sciences sociales, la domination de la gauche s’affermit », assure Dominique Reynié. Ce que Pierre Nora décrit comme « une radicalisation à gauche de “la basse intelligentsia” ». Claquemurée sur elle-même, cette gauche universitaire ne veut plus exister médiatiquement. Depuis Bourdieu qui refusait de se rendre à la télévision en présence d’un contradicteur, nombre de ses épigones répugnent à entrer dans l’arène pour affronter les monstres qu’ils prétendent dénoncer. C’est l’écrivain Édouard Louis qui refuse avec son ami philosophe Geoffroy de Lagasnerie de participer aux Rendez-vous de l’histoire de Blois au motif que l’universitaire Marcel Gauchet, « ce militant de la réaction », y est invité. Méprisant les plateaux télé, ces intellectuels se réfugient dans la citadelle des sciences sociales. « Pour une certaine gauche universitaire, intervenir dans le débat public de façon généraliste, c’est se commettre », estime Laurent Bouvet. « Ce gauchisme de la chaire a perdu contact avec la société », assure Jacques Julliard. « Il ne lui reste plus que le paradigme de la déconstruction par lequel elle entend déconstruire ces catégories du réel qui lui donnent tort », dit Dominique Reynié.
« Double humiliation »
L’espace d’un moment, cette gauche radicale a voulu croire qu’elle serait sauvée par la politique. En 2010, le succès de librairie de Stéphane Hessel, [avec le minuscule opuscule] Indignez-vous !, qui s’appuyait sur un renouveau de l’idée « sartrienne » d’engagement révolutionnaire, s’écoulait à 2 millions d’exemplaires [le faible prix de cette plaquette et le peu de pages à lire expliquent en partie ce succès à notre avis, les médias firent également un battage important au tour de ce personnage et de son petit livre]. L’émergence de Syriza en Grèce, de Podemos en Espagne, de Bernie Sanders aux États-Unis, de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou l’actuelle campagne de la « France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon témoignent de cette métamorphose de la gauche post-marxiste. Dans À demain Gramsci, le politologue Gaël Brustier théorisait les enjeux de ce nouveau « populisme de gauche », inspiré des travaux d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, qui voudraient propager en Occident les révolutions d’Amérique latine. Prônant un « néo-gramscisme », il ambitionne de reconstruire une « Weltanschauung alternative à la superstructure “nationale-populiste” qui est en train de devenir dominante partout en Occident ». Las !, Chavez et Castro sont morts [et il n’est pas évident qu’ils ne s’appuyaient pas sur un certain populisme nationaliste, pardon anti-impérialiste], Tsipras a baissé les bras, Podemos est sur le déclin, Nuit debout s’est recouchée pendant les vacances et la « radicalité » est retournée à son aporie.
Comme le temps passe… En 1985, après le tournant de la rigueur, le « concert des potes » de SOS Racisme rassemblait un million de personnes place de la Concorde autour de la « France multiculturelle ». Chanteurs et intellectuels de gauche communiaient dans la lutte contre le Front national et le rejet du « libéralisme sauvage ». Trente ans plus tard, la jeunesse vote Marine Le Pen, défile contre le mariage homo ou rêve de vivre entre Londres, Chang-haï et San Francisco…
Impuissante à conjurer l’hégémonie de la mondialisation néolibérale, la gauche s’est retrouvée prise au dépourvu par le retour du religieux et de l’identitaire. Là est sans doute la clé du désamour qu’elle inspire. « C’est une crise de l’imagination de l’avenir », expliquait Marcel Gauchet dans l’émission « Répliques ». « L’une des caractéristiques de la gauche, c’est la maîtrise du devenir, or nous vivons sous le signe d’une histoire subie », ajoutait l’auteur du Désenchantement du monde, concluant : « La gauche se montre incapable de penser une société différente. » Comme le dit Jean Birnbaum : « La gauche se vivait comme le parti de l’égalité, or elle voit “son” peuple saisi par un vigoureux désir anti-égalitaire. La gauche se vivait comme le parti de l’universel, or elle constate la puissance d’attraction de l’internationalisme djihadiste. C’est une double humiliation. » Elle n’a même plus de Sartre pour lui dire qu’elle est « ce grand cadavre à la renverse où les vers se sont mis ». Ni de BHL pour s’en faire l’écho. Reste un acronyme d’agence bancaire : la Belle Alliance populaire. [Note du carnet : ou de terrible défaite française, la Bataille de Belle-Alliance étant le nom que les Allemands donnaient à ce que les Anglophones appelèrent la Bataille de Waterloo et qui fut d’abord connu sous le nom de bataille de Mont-Saint-Jean en France.]
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