dimanche 23 décembre 2018

La question de l'immigration, devenue centrale en Belgique, a fait tomber le gouvernement

Marche contre le pacte de Marrakech le 16 décembre 2018
Le sénateur belge Alain Destexhe (Mouvement réformateur, même parti que le Premier ministre démissionnaire, Charles Michel) analyse les tensions autour de l’immigration en Belgique. Le modèle multiculturaliste a échoué, argumente-t-il.

– Pourquoi y a-t-il une crise autour de la question de l’immigration en Belgique ?

Alain DESTEXHE. —Le plus grand parti politique du Royaume, la NV-A (Nouvelle Alliance flamande, un parti « nationaliste » de centre droit), a refusé que le Gouvernement belge signe le « Pacte migratoire » de l’ONU. Dès lors, le Premier ministre, Charles Michel, n’avait plus de majorité au Parlement. Il a tenté de gouverner avec une minorité, mais après quelques jours, il a été contraint de présenter sa démission.

Que reprochait la NV-A au Pacte de Marrakech ?

D’abord, elle avait de sérieux doutes quant au caractère « non contraignant » du Pacte, étant donné que les signataires « s’engageaient à honorer les engagements contenus dans le Pacte ». Ensuite, elle craignait le fait que le Pacte fasse partie de la « droit souple », de la coutume internationale et donc que des ONG, des juges belges, ou la CEDH puissent l’invoquer. Enfin, et surtout, elle rejetait une partie du texte : la non-distinction claire entre migration légale et illégale, l’obligation de tenir compte de la culture des migrants par exemple dans les soins de santé (ce qui pourrait signifier l’obligation de femmes médecins pour soigner les femmes), la protection absolue des enfants et donc l’interdiction de placer en centre fermé une famille pour la rapatrier, même en dernier recours, etc.

Pourquoi la question de l’immigration a-t-elle une telle importance en Belgique ?

Par rapport à sa population, la Belgique a reçu beaucoup plus d’immigrés que ses voisins, y compris la France. Dans les années 2000, le solde migratoire a été quatre fois plus important en Belgique qu’en France ou en Allemagne ! Les problèmes qui en résultent (absence d’intégration, communautarisme, développement de l’islamisme) ont été niés ou minimisés.

Il y a aussi un clivage entre Flamands et Wallons. Au nord du pays, la NV-A et le Vlaams Belang (l’« Intérêt flamand  », parti proche des thèses de Marine Le Pen) se sont emparés depuis longtemps de ces questions migratoires. Au sud du pays, la presse et les partis politiques se sont montrés plus réticents. De plus, le nord du pays vote majoritairement à droite (l’extrême droite et la droite nationaliste comptent pour près de 40 % du corps électoral alors que le sud vote à gauche. Le PTB [Parti des travailleurs de Belgique], un mouvement d’extrême gauche qui se réfère encore au marxisme et au communisme, y effectue une percée spectaculaire. Cette différence est clairement une menace pour l’unité du pays. Le président de la N-VA, Bart de Wever, qui est aussi un intellectuel, a développé la thèse de deux démocraties en Belgique qui ne seraient plus en phase, ce qui justifierait de passer du fédéralisme au confédéralisme. Le débat actuel autour de l’immigration ne peut que renforcer ses convictions.

Le problème est-il plus aigu encore en Belgique qu’en France ?


Dans les années 2000, une politique d’ouverture a été pratiquée en Belgique : facilitation du regroupement familial [qui constitue désormais 50 % de l’immigration], opérations de régularisation des clandestins, tolérance vis-à-vis de l’islamisme, naturalisations en masse… En une vingtaine d’années, presque un million de personnes ont été naturalisées sur une population de dix millions. Beaucoup ne sont pas intégrées. Imaginez que cinq ou six millions de personnes accèdent à la nationalité française sans que leur soit demandée une intégration économique ou culturelle à la société française : cela provoquerait un tollé. Pourtant, c’est, proportionnellement, ce qui s’est passé en Belgique.

À quel point Bruxelles est-elle aujourd’hui une ville multiculturelle ?

Bruxelles compte déjà probablement 30 % de musulmans. En quelques années à peine, les Belges d’origine sont devenus minoritaires à Bruxelles. En soi, ce ne serait pas un problème si l’intégration [en Belgique, on ne parle plus d’assimilation depuis longtemps] avait eu lieu, mais la plupart des indicateurs montrent que ce n’est pas le cas. Prenons des. À chaque élection en Turquie, Erdogan et son parti l’AKP réalisent un score d’environ 10 % supérieur parmi les Belgo-Turcs qu’en Turquie. La plupart, issus de la seconde ou troisième génération d’immigrants, sont pourtant nés en Belgique. La dérive autoritaire et islamiste d’Erdogan ne suscite aucune protestation chez les nombreux élus turcs de Belgique parmi lesquels des députés et un maire, ancien ministre. Chez les musulmans, l’homophobie et l’antisémitisme restent très répandus. Les différentes communautés vivent de plus en plus repliées sur elles-mêmes.

Un nouveau modèle de multiculturalisme bruxellois, très problématique de mon point de vue pour le socle de valeurs communes.

Le Parlement régional bruxellois, où les Belges d’origine étrangère sont en passe de devenir majoritaires, vote des résolutions sur la Palestine ou les Rohingyas de Birmanie, mais ne s’intéresse pas à la situation des droits de l’Homme en Turquie. Dans les écoles primaires publiques bruxelloises, plus de 50 % des enfants suivent le cours de religion musulmane. On assiste à l’émergence d’un nouveau modèle de multiculturalisme bruxellois, très problématique de mon point de vue pour le socle de valeurs communes, mais le discours officiel célèbre cette diversité et le « vivre ensemble ». Le sursaut provoqué par les attentats terroristes est bien loin. Le terrorisme est combattu, mais l’islamisme qui est le plus souvent non violent progresse dans une indifférence quasi générale. Il n’y a pas non plus d’études comme celles de l’Institut Montaigne en France qui tenteraient de mesurer le degré d’intégration. Le monde politique et médiatique préfère ne pas voir les problèmes.

Cette situation est-elle inquiétante ?

Ce modèle diversitaire devrait être étudié objectivement, car avec la poussée migratoire que connaissent la plupart des grandes villes d’Europe de l’Ouest, il pourrait s’imposer progressivement, un peu partout, à travers des élections démocratiques. Comme on le sait, la démocratie c’est le pouvoir du nombre, le pouvoir du peuple, qui ne va pas forcément dans le sens des valeurs libérales ou des notions de laïcité ou de neutralité de l’État [notions parfois peu acceptées par certains immigrés].

La démographie est, ici, une question centrale. Bruxelles est devenue la seconde ville la plus cosmopolite du monde après Dubaï, sans en avoir la richesse. Autrefois, la ville la plus riche du royaume, elle est en voie de paupérisation suite aux vagues migratoires. À Bruxelles, 90 % des allocataires sociaux sont d’origine étrangère. Cela devrait faire réfléchir ceux qui prônent des frontières ouvertes tout en dénonçant la montée des inégalités.

Comment cette évolution est-elle perçue par les autres régions de la Belgique ?

Ce qui se passe à Bruxelles sert de repoussoir à une partie de la Flandre. Sans sombrer dans l’extrême droite, la NV-A a pris conscience des dangers de la société multiculturelle et du besoin d’identité, un thème central dans son discours. Elle a d’ailleurs réussi à attirer quelques jeunes femmes éminentes de la société civile d’origine étrangère, mais qui refusent cette évolution vers le multiculturalisme.

Source

« La Belgique finira arabe »

Jeune Afrique, le 9 décembre 2018, par Fawzia Zouari

L’islamisation des esprits a gagné le Nord et le Sud. Des immigrés traînent une mentalité de « daéchistes » sans le savoir.

J’étais de passage à Bruxelles. Je n’aime pas beaucoup Bruxelles. C’est une « capitale pour rire », disait Baudelaire. Elle est faite de tunnels et de voies de sortie sombres, de ponts moches, de trottoirs défoncés, les belles bâtisses y sont noyées sous des immeubles à l’architecture foireuse et la gare du Midi est une horreur. Cependant, j’adore les Belges ! Je trouve que c’est le peuple le plus doux et le plus innocent de la terre. Et c’est sans doute pour cette raison que je me suis fâchée avec le chauffeur de taxi qui m’emmenait au lieu de conférence où je devais me rendre. Le chauffeur en question est tunisien, comme moi. La trentaine, il est installé depuis dix ans à Bruxelles. Dès qu’il a su d’où je venais, il a fait l’arabe, a abandonné la langue de Molière pour ne parler que la langue du Coran, avec les expressions, les jurons, les wallah et les inch Allah à tout bout de phrase. J’avais l’impression de me retrouver au cœur de la médina de Tunis. Je l’ai branché sur Bruxelles. Il a dit :

« J’y suis très bien, al hamdoullah ! J’ai un travail, une femme et des enfants. En plus, il y a plein de Maghrébins, m’a-t-il répondu.

– Tant que ça ?

– Ah ! oui, ma sœur, nous allons devenir majoritaires ! J’ai quatre enfants, mon voisin marocain en a six. Si Dieu le veut, la Belgique finira arabe et musulmane.

– Et ça te plairait ?

– Ben oui. Nous sommes appelés à peupler la terre entière. »

J’ai regardé le jeune homme. Il n’avait ni barbe ni trace sur le front attestant de sa pratique de la prière. Et j’ai compris le mal. Insidieusement, l’islamisation des esprits a gagné le Nord comme le Sud. De jeunes immigrés trimbalent une mentalité de « daéshistes » sans le savoir.

« Pourquoi as-tu quitté la Tunisie ? l’ai-je interrogé.

– Pour être tranquille. Travailler avec des gens sérieux, pas corrompus, et des administrations qui marchent. »

Jugeant inutile de le raisonner, je me suis contentée de le taquiner à la façon de l’humoriste algérien Fellag : « Tu imagines le jour où la Belgique sera gérée par des Arabes ? Tu crois que tu vas continuer à jouir de ces privilèges ? » Il a calé. J’ai ajouté : « Et puis, ils iront où, les Belges ? » Soudain, il m’a semblé triste et désorienté. J’ai détendu l’atmosphère en lui racontant l’histoire de l’un de mes oncles qui avait décidé de ne plus aller à la mosquée après un prêche du vendredi lors duquel l’imam avait affirmé que le bon croyant était destiné d’office à retrouver au paradis ses cousins, ses voisins et toute la smala : « Si c’est pour tomber sur ces mêmes idiots qui me pourrissent la vie ici-bas, merci ! » Nous avons ri.

Théorie du remplacement

Après la conférence, il y a eu un cocktail et une rencontre avec le public. Là, un gars du même âge que mon chauffeur de taxi s’est avancé vers moi, un verre de champagne à la main. C’était un Tunisien… Ils sont tous en Belgique ou quoi ? Et il va falloir que je demande pour quelles raisons mes compatriotes ont quitté aussi nombreux la Tunisie alors qu’il y a eu la révolution et que Ben Ali est parti. Je pose la question à mon interlocuteur en train de savourer ses bulles : « Il n’y a pas que la politique, madame. “Là-bas”, c’est la corruption à plein régime et “ces gens-là” ne fichent rien de la journée. De toute façon, moi, si je suis venu ici, ce n’est pas pour fréquenter mes coreligionnaires, c’est pour vivre parmi les Belges. Les Arabes, je ne veux plus les voir, même pas en photo ! » Voilà qui est clair.

Je suis rentrée à l’hôtel en repensant à la fameuse théorie du remplacement tenue par l’un et au rejet des siens exprimé par l’autre. Et j’ai dû m’avouer que je ne comprenais pas ce qui passe dans la tête de ces jeunes immigrés, moi qui fais partie de la vieille immigration.

Source : Jeune Afrique


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