dimanche 23 décembre 2018

Bobards et intox — Journaliste primé du « Spiegel » licencié

L’affaire Relotius va ébranler pour longtemps la réputation du Spiegel, l’hebdomadaire de référence, très politiquement correct. Son journaliste-vedette, Claas Relotius, 33 ans, a rendu hier les prix dont il avait été distingué, dont quatre prix du reportage allemand de l’année et celui de journaliste de l’année en 2014 pour CNN (« Fake News Network » selon Trump).

Au début du mois encore, il était récompensé pour son reportage « Jeux d’enfants », « pour sa légèreté sans pareil, sa densité et la pertinence qui ne laisse jamais de doute sur les sources de cet article ». Paru en juin dernier, l’article détaillait les conversations WhatsApp avec un enfant de la révolution syrienne, dont le graffiti anti-Assad aurait provoqué le début des émeutes il y a sept ans dans la ville de Deraa. Avec une poignante dramaturgie, l’auteur décrivait le garçon devenu combattant qui se filmait devant le pan de mur en ruine. Une histoire inventée de fond en comble, « bidonnée », comme on dit en jargon journalistique.

Plusieurs passages (ici et en allemand) d’un entretien que Claas Relotius dit avoir eu avec la dernière survivante de la Rose Blanche, ce mouvement chrétien de résistance au nazisme, semblent également falsifiés et dans un sens politique bien déterminé. Dans cet entretien, Relotius fait parler Traute Lafrenz de 99 ans au sujet des manifestations anti-immigration à Chemnitz en août : « Les Allemands, qui ont tendu le bras droit dans la rue, font le salut à Hitler, comme auparavant. » Elle n’a jamais prononcé ces mots, dit Traute Lafrenz interrogé par la suite. Elle n’avait jamais vu de telles photos des défilés à Chemnitz dans les journaux américains.

Embauché il y a un an et demi par l’hebdomadaire basé à Hambourg, Relotius avait rédigé 60 articles pour le Spiegel, dont 14 au moins ont été falsifiés. Auparavant journaliste indépendant, ses articles pour Die Welt, Die Tageszeitung et le Neue Zürcher Zeitung (Suisse) font également l’objet de vérifications.

Soupçons de détournement de dons

L’influent hebdomadaire allemand Der Spiegel a déclaré ce dimanche 23 décembre 2018 porter plainte contre un de ses anciens journalistes, Claas Relotius, le soupçonnant d’avoir détourné des dons en faveur d’orphelins syriens. Ces derniers avaient été mis à l’honneur dans l’un de ses articles, dont la crédibilité est elle-même en cause.

Claas Relotius — journaliste vedette du titre, déchu pour falsification — aurait lancé une collecte d’argent auprès de ses lecteurs pour aider ces victimes dont le sort était évoqué dans l’un de ses articles. Mais il aurait fourni aux donateurs ses coordonnées bancaires personnelles. « Der Spiegel donnera toutes les informations qu’il a réunies au parquet, dans le cadre d’une plainte », a annoncé le magazine sur son site internet.

Le journaliste de 33 ans avait admis avoir imaginé des histoires et inventé de toutes pièces des personnages dans une douzaine d’articles. Le scandale a été révélé mercredi par le magazine allemand, après que Claas Relotius a démissionné le 16 décembre. Des lecteurs inquiets ont alors signalé ces derniers jours à la rédaction l’appel aux dons de Claas Relotius en faveur d’orphelins syriens vivant dans les rues en Turquie, protagonistes d’un de ses articles publié en juillet 2016.

Contrition

C’est la vigilance d’un collègue qui a entraîné la chute de la supervedette allemande du journalisme. Ensemble, ils ont travaillé sur un reportage intitulé « Chasseurs de frontière » sur une milice citoyenne d’Américains. Un article écrit à quatre mains avec Juan Moreno, chargé du reportage côté mexicain. Dans une vidéo publiée sur le site Internet du Spiegel, Moreno explique comment les doutes lui sont venus « quand les miliciens racontaient au journaliste des choses incroyables, comment ils avaient intercepté et emprisonné des Mexicains avec la complicité de la police locale, mais qu’ils refusaient de se faire prendre en photo. Quelque chose ne collait pas ».

À force d’entêtement, car la hiérarchie et les confrères du journaliste refusaient de croire les accusations portées contre ce collègue sympathique et modeste, Moreno obtient le droit de vérifier sur place. Dans l’Arizona, il tombe sur un protagoniste cité dans l’article qui se souvient : « Ah oui, le journaliste du Spiegel ! Il nous a envoyé un courriel, mais il n’est jamais venu… » En mélangeant réel et inventions, de fausses citations avec de vrais personnages, Claas Relotius a confondu journalisme et littérature.

Il a ainsi dupé les lecteurs et le comité de vérification du Spiegel, composé de 60 personnes chargées de contrôler les informations et leurs sources. Peut-être parce que les articles de Relotius allaient dans le sens des préjugés politiquement corrects de gauche de ses collègues du comité de relecture ?

Tout en contrition, Der Spiegel a admis que la « Dok », comme elle est appelée en interne, « ne vérifie pas les notes de frais et si les kilomètres de la voiture de location correspondent au voyage que décrit l’auteur ». Désormais accusé par les populistes d’être le porte-étendard de la presse mensongère, le « Miroir » veut restaurer sa crédibilité, à la hauteur d’une histoire très riche en primeurs bien réelles. « Claas Relotius avait le sentiment d’être à la hauteur de nos attentes seulement quand il écrivait d’excellentes histoires », écrit le rédacteur en chef, Dirk Kurbjuweit.

Réactions

La DJU, le syndicat des journalistes allemands, a qualifié cette affaire de « plus grand scandale de fraude dans le journalisme que de journaux hitlériens », publiée en 1983 par le magazine allemand Stern et qui s’est révélée être un faux.

« Qui est assez naïf pour croire qu’il s’agit d’un cas isolé ? » a tweeté mercredi la section AfD de Heidelberg (sud-ouest de l’Allemagne), tandis que le groupuscule ProChemnitz postait sur Facebook : « Le Spiegel, c’est donc bien de la presse mensongère », reprenant le terme de « Lügenpresse » cher aux manifestants de droite allemands.

Précédents

L’affaire rappelle l’histoire de Jayson Blair, journaliste du New York Times épinglé en 2003 pour avoir notamment inventé l’interview de la famille d’un soldat tué en Irak.

Les révélations de Spiegel font écho à des cas de fraude journalistique commis par des reporters ailleurs, notamment Christopher Newton de l’Associated Press et Janet Cooke, dont l’article en 1980 sur un enfant accro à l’héroïne a remporté un prix Pulitzer du Washington Post c’était exposé comme faux.

En 2002 Matthew Engel du Guardian (journal « progressiste » britannique, très souvent cité par les radioteurs de Radio-Canada) s’était aventuré « au plus profond de l’Alabama pour découvrir ce que l’Américain moyen pense vraiment des Européens ». S’en suivaient bobards confirmant les préjugés les plus sombres que des progressistes pouvaient couver. Le tout fut démonté par James Lileks.

Aujourd’hui, la chaîne d’info américaine CNN est également touchée par le scandale Relotius, elle qui avait couronné l’Allemand « journaliste de l’année » en 2014. 



Mark Steyn sur Fox News : la réalité n’a pas empêché ces journalistes (Relotius et Matthew Engel) d’écrire les histoires que leurs éditeurs ou lecteurs voulaient lire sur l’Amérique profonde. La mentalité grégaire des journalistes est bien pire qu’il y a 30 ou 40 ans.





L’affabulation de Relotius sur l’Amérique blanche qui prie pour Trump


La démystification d’une habitante de la petite ville décrite dans l’article affabulé par Relotius.

En février 2017, mon mari et moi devions assister à un concert et sirotions un verre de vin dans le hall du théâtre local avant le début du spectacle. Des amis sont alors venus nous voir avec enthousiasme en nous demandant : Avez-vous rencontré l’Allemand ?

Je ne l’avais pas encore rencontré, mais mes instincts étaient en éveil quand j’ai appris qu’il travaillait pour Der Spiegel, un hebdo basé à Hambourg, et qu’il faisait un reportage sur l’état de l’Amérique rurale au lendemain de l’élection de Trump.

Je ne suis pas la seule défendeur de l’Amérique rural qui se me méfie du regard anthropologique sur l’Amérique rurale post-élections de 2016 et j’ai du mal à savoir comment répondre à cet intérêt soudain que les médias ont désormais pour nous alors qu’ils nous ignoraient totalement par le passé.

Tout à coup, l’Américain de la campagne est le centre de toutes les attentions, mais uniquement parce que le commentariat veut prétendre avoir percé le mystère de l’âme rurale contemporaine.

Ces journaleux ne semblent pouvoir arriver qu’à une de ces deux conclusions :

  • nous sommes des arriérés, vivant dans le passé, bêtes comme nos pieds, ou
  • nous ressemblons à des animaux stupides, mais attachants, qui ont juste besoin d’un peu d’attention pour éviter que nous dévorions le reste du monde.

Dans cet esprit, j’ai d’abord été rassurée d’apprendre que Claas Relotius, ce journaliste allemand, avait rencontré des gens qui pouvaient brosser un tableau fidèle de la situation complexe de Fergus Falls, des individus aptes à débattre de façon sensée sur des questions locales et nationales.

Même si je me doutais que Relotius allait se concentrer sur des profils plutôt conservateurs, j’avais encore un peu confiance dans le journalisme. Il faut dire qu’il avait reçu plusieurs prix internationaux de journalisme de reportage et qu’il allait passer plusieurs semaines dans notre communauté.

J’imaginais qu’il apporterait quelques nuances sur la façon dont nous réussissons tous à coexister dans l’Amérique de Trump, sans brûler la maison de notre voisin, dès lors qu’ils ne partage pas nos convictions. J’étais cependant méfiante… comment allait-il décrire notre ville ?

Ce qui est arrivé dépasse de loin ce que je n’aurais jamais pu imaginer. Son reportage intitulé « Là où les gens prient pour Trump le dimanche » est une véritable insulte au journalisme.

Tels que décrits dans le reportage de Relotius, Fergus Falls et ses habitants — que je côtoie pourtant tous les jours — sont parfaitement méconnaissables. Tout y est noirci, caricaturé, absolument faux. Cette représentation de l’endroit que j’aime m’a laissé une sensation de grand malaise, une véritable boule au fond de l’estomac.

C’était un sentiment inédit. Savoir que des étrangers, à la lecture de cet article, vont ressentir du dégoût pour la ville que j’aime et vont partager l’article sur Facebook et Twitter en le commentant d’un « Voilà ces gens qui ne pensent que l’électricité n’existe pas » me révolte.

Et dire que Relotius a reçu des éloges pour avoir eu le courage de vivre parmi nous pendant plusieurs semaines… En 7 300 mots, les seules vérités que j’ai trouvées sont le décompte de la population, la température annuelle moyenne de notre ville, ainsi que quelques autres informations de base, tels que les noms d’entreprises et de personnalités publiques, bref, ce qu’un enfant aurait pu faire à l’aide d’une recherche sur Google. Le reste est une affabulation décomplexée. Cela commence par les citations de chiffres bâclés comme le 70,4 % de soutien électoral dans toute la ville pour Trump, alors que ce chiffre était en réalité de 62,6 %.

Tout ceci soulève la question de savoir pourquoi Der Spiegel a même investi dans le voyage de trois semaines de Relotius aux États-Unis ? Ils devraient lui demander de rembourser ces frais. Et quel genre de défaillance institutionnelle a conduit l’équipe de vérification de faits, prétendument de classe mondiale, du Spiegel, à échouer aussi lamentablement.

Les mensonges sont tellement légion que mon ami Jake et moi-même avons dû sélectionner les onze mensonges les plus absurdes afin d’écrire cet article. Nous y avons passé plus d’un an (l’article de Relotius date du printemps 2017), mais avons dû le laisser de côté de temps à autre pour s’occuper de nos vies avant d’y revenir cet automne.

1. Le dragon endormi

« Après 3 heures de route, le bus quitte l’autoroute pour une rue étroite et en pente, qui traverse une forêt sombre qui pourrait tout à fait être peuplée de dragons. À l’entrée, juste avant la gare, une pancarte constituée du drapeau américain vous accueille de cette phrase : Bienvenue à Fergus Falls, ici vivent de sacrées bonnes personnes ».

Fergus Falls est située dans les Prairies (la Plaine centrale des États-Unis et du Canada) — ce qui signifie que notre paysage est principalement constitué de hautes herbes et de lacs. Il y a certes quelques arbres, mais il n’existe pas de forêts autour de notre ville, ou sur l’itinéraire du bus que Relotius aurait emprunté depuis Minneapolis. Et malheureusement, notre signe de bienvenue est des plus banal…


2. L’administrateur ville, le vierge fou de la gâchette

« Andrew Bremseth aimerait se marier bientôt, mais il n’a jamais été avec une femme. De plus, il n’a jamais vu l’océan. »

Relotius a choisi de mettre en vedette l’administrateur de la ville de Fergus Falls, Andrew Bremseth, en tant que personnage principal de son article. Après l’avoir rencontré, seules 3 affirmations sont avérées :
  • il a bien 27 ans, 
  • il a grandi à Fergus Falls et 
  • est diplômé de l’université du Dakota du Sud
Tout le reste de l’article est faux :
  • le fait qu’il porte un Beretta 9mm sur lui lors de son travail (il ne possède pas d’arme),
  • son dédain pour une potentielle présidente des É.-U.,
  • le fait qu’il soit un admirateur absolu de Trump,
  • son goût pour les philosophes français du XVIIe siècle (qu’il n’a jamais lu),
  • et même sa passion pour l’équipe des « New England Patriots » est une fiction complète. « Ce portrait est le plus éloigné de ce que je représente ».
Enfin, au sujet de sa virginité et du fait qu’il n’aurait jamais vu la mer… Le voici avec sa compagne au bord de l’océan.

3. Une ville obsédée par le film « Tireur d’élite américain »

« Il y a un cinéma en dehors de la ville, casé entre deux restaurants-minute. Ce vendredi, deux films sont projetés. La salle de “La La Land”, cette une comédie musicale qui présente une romance entre des artistes de Los Angeles est pratiquement vide. L’autre salle passe “Tireur d’élite américain” (American Sniper à Paris), un film de guerre de Clint Eastwood est en revanche pleine à craquer. Bien que le film ait déjà deux ans et que près de 40 millions d’Américains l’ont vu, mais il continue de tourner à Fergus Falls. »

Cette anecdote qui corroborait le fait que notre ville est obsédée par les armes était la plus facile à vérifier et un des mensonges les plus étonnants qu’il ait imaginés. Le film Tireur d’élite américain n’a été présenté à Fergus Falls qu’à sa sortie, en 2015, comme en témoigne ce SMS du gérant du Westridge Theatre.

Diffusé en salles à Fergus Falls du 16 janvier au 19 février 2015

4. Neil Becker, l’employé de la centrale thermique au charbon…

« Neil Becker, 57 ans, marié, me parle d’une voix grave. Son visage est inexpressif. Lui n’est pas agriculteur, il travaille dans la centrale à charbon voisine, ses mains sont toujours noires. »

« Doug Becker » qui est en fait Neil Becker (photo extraite de l’article du Spiegel)

» homme que décrit Relotius et dont il illustre l’article du Spiegel d’une photo, nous le connaissons tous… C’est le seul et unique Doug Becker, qui travaille pour UPS et a dirigé le centre de musculation de Fergus Falls pendant des années. C’est probablement le seul endroit du Minnesota où vous pouvez écouter une collection de vinyles rétro tout en soulevant des poids… Rien à voir donc avec la description…

5. Le cas d’Israël et de Maria

« Maria Rodriguez, qui gère un restaurant mexicain, est arrivée aux États-Unis il y a plusieurs années. Elle aussi a vu en Trump un sauveur ».

« Israël » qui est en réalité Pablo Rodriguez (Photo extraite de l’article du Spiegel)

Relotius a beaucoup utilisé le cadre du restaurant « Don Pablo » pour son article. Relotius conte l’histoire de Maria, une restauratrice devenue soutien de Trump, dont le traitement pour une maladie rénale devient de plus en plus onéreux sans Obamacare, et celle d’Israël, son fils de 15 ans, qui subit les préjugés de la part de ses camarades de classe de Fergus Falls du fait de ses origines. »

Là encore, un mensonge total.

Nous avons longuement conversé avec Pablo Rodriguez, le fils de Maria, que Relotius a surnommé Israël. « Rien de tout cela est vrai », en fait, il n’avait jamais parlé à Relotius. Sa seule interaction avec le journaliste a été de poser pour une photo à l’extérieur du restaurant, photo publiée dans l’article.

Dans le récit de Relotius, « Israël » était un élève du secondaire âgé de 15 ans, alors qu’en réalité, Pablo était en deuxième année d’université. Au Don Pablo, Israël est un serveur d’une vingtaine d’années qui a probablement servi un repas à Relotius et a donné son nom à ce personnage de fiction, point final…

Maria Rodriguez, comme le décrit l’histoire, existe dans la vie réelle, mais c’est là que se termine la vérité. Elle n’est pas propriétaire du restaurant (elle y est serveuse, sa belle-sœur Teresa en est la propriétaire). Elle n’a jamais souffert de maladie rénale et, plus révélateur encore, elle ne s’est même jamais assise pour une interview avec Relotius. Rodriguez a déclaré : « Il voulait juste prendre une photo de moi. Nous n’avons jamais discuté ».

6. La vue depuis le Café Viking

« Vous pouvez voir la centrale électrique depuis fenêtre du resto-cantine, six hautes tours grises, d’où s’élèvent des nuages de vapeur ».

Le Viking Cafe (60 ans d’existence) est l’établissement le plus prisé du centre-ville de Fergus Falls. L’une des raisons pour lesquelles nous l’aimons tellement, c’est que l’atmosphère y est chaleureuse et marginale/souterraine. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a littéralement AUCUNE FENÊTRE à l’intérieur de ce restaurant. La seule vue est celle de petites fenêtres à l’entrée : qui donne sur des magasins de l’autre côté de la rue. La centrale dont parle Relotius se trouve à 3 km environ au nord-est de la ville, ne peut être aperçue, étant masquée par quartier situé sur une grande colline. Elle ne dispose que d’une seule cheminée. Relotius fait preuve d’un certain sens du dramatique afin de donner une vision cinématographique glauque de l’Amérique de Trump. Tout est faux ici.



7. Les mensonges de la bibliothèque


« À la bibliothèque, une ancienne école maternelle, les retraités se rencontrent pour tricoter. L’administrateur de la ville, Andrew Bremseth, dirige à l’hôtel de ville un séminaire intitulé “iPad pour les débutants”, auquel participent quatre personnes. Il organise également une fois par mois un jeu-questionnaire sur les séries télé. Sa série préférée ? “Le Trône de Fer” (Games of Thrones à Paris).

Jake avec qui j’écris l’article, est marié à la bibliothécaire qui s’occupe des livres jeunesse est le mieux placé pour réagir : “Non, dit-il, le bâtiment a été construit en 1986 et n’a servi que de bibliothèque.”

Il n’y a jamais eu de cours d’iPad pour les débutants à la mairie, ces cours sont animés à la bibliothèque et enseignés par l’un des bibliothécaires. Et quant à la soirée de jeu-questionnaire “Trône de Fer” ? Comme pour tout ce qui concerne notre administrateur municipal, c’est un mensonge complet. Bremseth s,en amuse : “Je n’ai pas la télévision câblée… je n’ai jamais vu Trône de Fer et je ne sais même pas de quoi il s’agit”. Quand la réalité dépasse la fiction…

8. Sécurité à l’école secondaire

“Quiconque entre à l’école subit un contrôle de sécurité, passe par trois portes en verre blindé et est inspecté par un scanneur d’armes”.

Bien que nous n’ayons pas testé la solidité des portes donnant sur notre école secondaire, nous sommes tout à fait sûrs que le terme “blindé” est quelque peu exagéré… La vocation de ces vitres est d’isoler l’école du froid hivernal davantage que des armes automatiques. Cela ne veut pas dire que nos terrains ne soient pas sécurisés — toutes les portes sont verrouillées pendant la journée scolaire et les visiteurs doivent passer par le bureau de l’école pour recevoir un laissez-passer avant d’entrer. Bien que cette image d’une école renforcée soit sans aucun doute vraie ailleurs aux États-Unis, ce n’est tout simplement pas le cas à Fergus Falls.

9. Une soirée Super Bowl secrète à la brasserie ?

“La taverne est remplie d’hommes, qui tiennent debout en tenant une sorte de rampe qui surplombe le bar. La télévision passe le Super Bowl. Andrew Bremseth est là, assis sur un tabouret, devant lui une bière brune, il l’aime bien la boire un peu tiède en hiver”.

Le Super Bowl a eu lieu le dimanche 5 février 2017. L’Union Pizza n’était pas ouvert le dimanche à cette heure-là. Par conséquent, Bremseth et Relotius n’auraient certainement pas pu regarder le Super Bowl là-bas et parler de politique. Pour confirmer cela, nous avons brièvement parlé à notre maire, le propriétaire d’Union Pizza, afin de nous assurer qu’il n’aurait pas une sorte fête privée lors du Super Bowl dans son pub. “Le restaurant était-il ouvert pour le Super Bowl et l’aviez-vous ouvert uniquement aux amis et à la famille ?” Sa réponse aux deux questions : “Non”.

Bremseth confirme : “Je n’ai pas regardé le Super Bowl à l’Union Pizza et je ne l’aurais certainement pas regardé avec ce gars. Et j’aime les bières blondes glacées… ».

10. La formidable ‘soirée western’… à laquelle personne n’a été invité.

‘Ce soir-là, Bremseth a déclaré que les habitants de Fergus Falls adoraient les grandes fêtes extravagantes. C’était l’été dernier, dit-il, ils célébraient une soirée western, ici, dans ce bar. Ils ont versé du sable et de la paille au sol, ont fait griller des carcasses entières de bœuf mariné, le tout animé par orchestre country. Toutes les femmes, y compris Maria Rodriguez, dansaient avec des vêtements à l’ancienne, tous les hommes, dont Neil Becker et ses amis habituels, portaient un chapeau ou des bottes de cow-boy’.

Ce passage nous a beaucoup fait rire et nous donnerait presque des idées pour un prochain événement. Cela permettrait à tous les personnages décrits par Relotius dans son article de se retrouver… Ce qui est bien dans une petite ville, c’est qu’aucun de nous ne l’aurait manqué, surtout si notre administrateur, la non-propriétaire de notre restaurant mexicain, et le non-ouvrier de centrale thermique au charbon, étaient au courant et y assistaient.

Encore une fois, nous avons confirmé avec le maire Schierer, juste au cas où nous étions trop occupés, ou tout simplement non invités. ‘Eh, non, il n’y pas eu de fête western dans notre ville…’

11. Le voyage des collégiens à New York

‘Le bus arrive à New York à minuit, les tours de Manhattan s’allument. Les étudiants s’installent dans une auberge de jeunesse à la périphérie de la ville. Le lendemain matin, ils prennent le métro jusqu’à Times Square. Aucun d’entre eux n’est entré illégalement aux É.-U. et leurs parents ne sont jamais allés à New York. Le premier jour, ils se dirigent dans les rues, la tête levée. Ils crachent du haut du Rockefeller Center et montent à bord d’un bateau pour traverser la rivière Hudson. Ils ne vont pas à Liberty Island, la Statue de la Liberté, mais visitent la Trump Tower’.

Nous avons contacté plusieurs sources à ce sujet, et personne ne se souvient d’un voyage de collégiens à New York. Nous avons interrogé deux élèves, un directeur adjoint et un enseignant qui gère les activités annexes de l’école. Il n’y a pas eu de voyage scolaire à New York en 2017. Nous avons cherché dans les archives de notre journal local pour trouver une mention d’un voyage organisé par l’une de nos 29 églises ou d’un de nos clubs. Nous avons demandé à ‘Israël’ et nous avons même contacté notre réseau de contacts sur Facebook pour voir si quelqu’un se rappelait un tel voyage… Personne ne s’en souvenait. Comme beaucoup d’autres passages décrits par Relotius, ceci est une parfaite affabulation.

Alors, qu’est-ce que Relotius a manqué ?

Étant une ardente défenseur des problèmes ruraux et de Fergus Falls, j’ai essayé de rencontrer Relotius en le saluant d’un ‘hi !’ lors d’une réunion publique, mais il m’a lancé un bref coup d’œil et m’a ensuite ignoré parce qu’il était très préoccupé par un drapeau américain de notre mairie qu’il voulait prendre en photo. Ou peut-être a-t-il simplement prétendu ne pas m’entendre parce que je ne cadrais pas avec son récit.

Non seulement a-t-il simplement inventé des scènes dramatiques et des histoires sur Fergus Falls, mais Relotius a passé trois semaines ici et a réussi à passer à côté de la véritable communauté et de ses nombreuses perspectives complexes, ce qui aurait pu offrir une analyse utile de la transition économique, politique et identitaire dans l’Amérique rurale.

Sources : Le Figaro, National Post, Libération, Yahoo!, medium.com, Der Spiegel


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