vendredi 11 août 2023

Le consensus « conservateur » serait-il terminé ? Nationalistes contre Libéraux ?

On trouvera ci-dessous l’article traduit de Sean Speer, publié il y a peu dans The Hub.

Cet article explore la tension entre liberté et nationalisme qui façonne le caractère du conservatisme en Amérique du Nord, en particulier aux États-Unis et au Canada. Il évoque les divisions au sein du conservatisme américain et canadien, mettant en lumière des tendances telles que le populisme de droite, le réalignement politique, le conservatisme national et les mouvements opposés au néolibéralisme et au libéralisme. L’auteur examine deux manifestes récents, l’un représentant le conservatisme dit « de la liberté » et l’autre le conservatisme national, qui illustrent des priorités et des visions divergentes. L’article s’interroge sur l’influence croissante du conservatisme national et sa possible émergence au Canada, en lien avec des questions telles que l’identité culturelle, l’immigration et la religiosité.


La tension entre la liberté et le nationalisme façonne le caractère du conservatisme en Amérique du Nord.

Le conservatisme américain a été plus ou moins fracturé pendant 100 ans, comme l’a montré l’intellectuel conservateur Matthew Continetti dans son livre incontournable de 2022, The Right : The Hundred-Year War for American Conservatism. Ces dernières années, cependant, semblent être marquées par des conflits internes et des divisions encore plus importants que la norme historique.

Ces tensions récentes ont également éclaté à certains moments au sein du conservatisme canadien. Le limogeage très médiatisé de Jason Kenney en Alberta l’année dernière par des forces populistes au sein de son propre parti était en partie une manifestation de développements similaires. Il est toutefois juste de dire que, depuis une vingtaine d’années, les conservateurs canadiens sont généralement plus unis sur le plan politique et moins hétérodoxes sur le plan des idées que leurs homologues américains.

L’explication de l’accord relatif qui règne au sein du mouvement est difficile à discerner. Il pourrait s’expliquer par la petite taille du marché canadien et à la relative homogénéité idéologique du mouvement conservateur canadien (essentiellement constitué de libéraux avec un petit « l »), à l’influence continue des baby-boomers (qui sont plus libéraux classiques ou progressistes que les conservateurs en général) dans le monde des idées conservatrices, à l’héritage philosophique de Stephen Harper, à l’absence d’engagement sérieux sur le plan des idées de la part des politiciens conservateurs qui ont suivi, ou peut-être à l’expression du conservatisme inhérent à la « paix, à l’ordre et à la bonne gouvernance ».

Il serait toutefois erroné de supposer que le conservatisme canadien est à l’abri des développements intellectuels et politiques qui remettent actuellement en question l’orthodoxie conservatrice américaine, ou même qu’une telle immunité serait propice. Certaines des tendances qui remodèlent le conservatisme américain sont contingentes. Mais la plupart ne le sont pas.

Les conservateurs canadiens doivent comprendre la différence entre les deux et les conséquences pour leurs propres idées, priorités et politiques. Les récents développements aux États-Unis — y compris la publication de manifestes concurrents sur les fondements intellectuels du conservatisme moderne — trouveront sans aucun doute leur expression au Canada. Les conservateurs canadiens devraient donc réfléchir à ces arguments afin d’anticiper la manière dont ils peuvent se manifester dans notre propre politique.

La fin du consensus conservateur

Commençons par les facteurs qui constituent la toile de fond du débat d’idées et de politique au sein du mouvement conservateur américain. Il s’agit notamment de :

  • l’ascension politique de Donald Trump et de son populisme de droite ;
  • un réalignement politique plus général de la politique américaine dans lequel les bases de soutien traditionnelles des partis démocrate et républicain sont en train de changer ;
  • un mouvement intellectuel et politique émergent opposé au néolibéralisme de l’après-guerre froide en particulier et au libéralisme en général ;
  • le retour de la concurrence entre grandes puissances et peut-être une nouvelle guerre froide avec la Chine ;
  • le changement de génération au sein du conservatisme et l’importance renouvelée de la culture et de l’identité chez les jeunes intellectuels et les personnalités politiques ;
  • l’essor des médias sociaux et la fragmentation des sources traditionnelles d’idées et d’informations ;
  • et la domination progressive des principales institutions dominantes et leur affirmation croissante dans les entreprises, les médias, les universités et la place publique autour d’un ensemble de questions définies au sens large comme « politique de l’identité » ou « wokisme ».

Ces changements ont contribué de manière cumulative à l’érosion du consensus conservateur fondé sur l’adhésion au libre marché, le conservatisme social et une politique étrangère volontariste (parfois décrite comme un « fusionnisme ») qui ont constitué l’ossature intellectuelle du conservatisme américain, essentiellement depuis le lancement du magazine National Review au milieu des années 1950 jusqu’au second mandat de George W. Bush. 

Comme l’a écrit Continetti lui-même la semaine dernière pour le Washington Free Beacon : « le consensus s’est effiloché… [Son] succès [a conduit] à la démesure et à une certaine suffisance… et en 2016, une forte minorité de l’électorat des primaires du Parti républicain a voté pour un candidat qui rejetait de grands pans du consensus conservateur. »

Pourtant, si Trump a été un catalyseur majeur de la dissolution finale du fusionnisme du XXe siècle, il n’allait jamais être un catalyseur intellectuel et politique pour la suite. Il s’agit d’une figure de transition plutôt que de transformation. Le débat sur l’avenir des idées et des politiques conservatrices était invariablement un exercice post-Trump. 

Conservateurs libéraux contre conservateurs nationaux : l’essence du conservatisme

La semaine dernière a été marquée par une évolution majeure dans ce processus. Un groupe très en vue de penseurs et d’essayistes conservateurs, tels que Jonah Goldberg de l’American Enterprise Institute, l’ancien conseiller de l’administration Bush Karl Rove et le chroniqueur du Washington Post George Will, a publié un manifeste intitulé Freedom Conservatism : A Statement of Principles, qui décrit les grandes lignes d’un conservatisme ancré dans les idées de liberté individuelle, de libre entreprise et de société ouverte et dynamique.

Le manifeste, qui a fait l’objet de discussions et de débats considérables, est l’expression d’un conservatisme [nous dirions plutôt d’un libéralisme classique] pré-Trumpien qui rejette la tendance de Trump à l’intervention de l’État dans l’économie de marché, ainsi que sa vision fermée de la société ainsi que sa politique réactionnaire. Au lieu de cela, il énonce comme croyance fondamentale que « la liberté individuelle est essentielle à la force morale et physique de la nation ».

Il s’agit d’un ensemble de propositions (y compris une référence intentionnelle à une « ville au sommet d’une colline », allusion au Sermon sur la Montagne dans Mathieu V, 14) que Ronald Reagan aurait pu signer des deux mains. Il s’agit, à toutes fins utiles, d’une expression contemporaine du vieux consensus fusionniste. Il s’inspire même de la déclaration de Sharon de 1960, rédigée au domicile de William F. Buckley Jr. qui, en tant que catholique convaincu et libertaire, incarnait le fusionnisme du vingtième siècle.

Il y a beaucoup de bonnes choses dans ce manifeste. Son affirmation de la croissance et du dynamisme (« le système de la libre entreprise est le fondement de la prospérité ») est importante à une époque où la politique en est venue à accorder trop d’importance à l’équité et à la sécurité économique. Il en va de même pour son soutien à l’État de droit, au constitutionnalisme et aux droits individuels (« une nation de lois, pas d’hommes »), ainsi que pour sa vision globale, ambitieuse et positive. 

Il y a cependant des omissions notables. La montée en puissance de la Chine et le retour de la concurrence entre grandes puissances sont inexplicablement absents. Il en va de même pour le problème croissant de la polarisation de l’emploi, les questions de dignité économique fondamentale et la tâche cruciale qui consiste à créer de nouvelles sources d’opportunités pour la classe moyenne.

L’aspect le plus intéressant du manifeste est cependant qu’il ait fallu l’écrire. Il doit être compris comme un dialogue avec une faction conservatrice émergente qui n’est pas intéressée par la mise à jour du vieux fusionnisme de Buckley et Reagan, mais qui cherche plutôt à le remplacer de façon permanente par une forme de conservatisme moins libérale et plus populiste.

Ce mouvement de penseurs, d’écrivains et d’un nombre croissant d’hommes politiques qui se nomment eux-mêmes conservateurs nationaux souscrit à une conception du conservatisme qui s’oppose à la National Review de Buckley et aux autres institutions de l’établissement qui sont souvent dénigrées sous le nom de « Conservatisme et Cie ». Ils sont consciemment anti-fusionnistes et, comme l’écrit Continetti, ils exercent une influence importante sur le monde du conservatisme américain en général et sur la politique républicaine en particulier.

Les conservateurs nationaux ont publié l’année dernière leur propre manifeste intitulé National Conservatism : A Statement of Principles. Parmi les signataires de ce manifeste figurent Rod Dreher, écrivain chrétien conservateur, Christopher Rufo, militant conservateur, et Peter Thiel, célèbre investisseur en capital-risque. 

Le manifeste des nationaux insiste sur la religion et les traditions religieuses (« aucune nation ne peut durer longtemps sans l’humilité et la gratitude devant Dieu et la crainte de son jugement que l’on trouve dans les traditions religieuses authentiques »), les tendances libérales dans la culture (« formes radicales de licence et d’expérimentation sexuelles ») et la transformation des institutions traditionnelles telles que les écoles primaires et secondaires et les universités en incubateurs d’un gauchisme homogénéisant. Il reflète aussi implicitement le point de vue selon lequel les conservateurs libéraux ont été naïfs quant à la prétendue neutralité du libéralisme en matière de culture et de valeurs et l’importance de façonner activement les institutions dans une perspective conservatrice.

Les plus grandes différences entre ces manifestes concurrents se trouvent toutefois dans l’ordre des priorités : la liberté est à peine citée dans le manifeste des nationaux, qui accorde plutôt la primauté au nationalisme, au traditionalisme et à la vertu, ainsi qu’au rôle et à l’utilisation appropriés de l’État. 

Alors que les libéraux conservateurs reflètent un scepticisme conservateur classique à l’égard de l’action de l’État (« la liberté politique ne peut exister longtemps sans la liberté économique »), les nationaux ne partagent pas les mêmes réserves. Non seulement leur programme économique est plus centré sur l’État (« le marché libre ne peut être absolu »), mais ils sont aussi ouvertement prêts à utiliser les leviers du pouvoir d’État pour promouvoir une « civilisation occidentale partagée » et s’opposer aux « idéologies universalistes…, à l’immoralité… [et] aux habitudes personnelles destructrices ». Cette vision de l’art de gouverner des conservateurs reflète un argument couramment avancé par les adhérents au conservatisme national : dans un monde où la seule grande institution qui façonne la culture et sur laquelle les conservateurs peuvent vraisemblablement exercer une emprise est le gouvernement, ils doivent être prêts à utiliser le pouvoir de l’État à des fins conservatrices.

La publication des deux manifestes a suscité un débat considérable au sein des cercles intellectuels conservateurs. Certains ont affirmé que les différences étaient exagérées (« ressemblent à de fines fissures à la surface d’un gâteau au fromage cuit de manière imparfaite »). D’autres ont affirmé que les zones de chevauchement idéologique masquent en fin de compte certaines différences irréconciliables, notamment leur vision fondamentale de la société occidentale (« la plus grande différence… ne porte pas sur les détails de la politique. Il s’agit de leurs évaluations divergentes du caractère de l’Amérique »). 

En y réfléchissant, cette différence d’attitude est peut-être le mieux illustrée par la tension inhérente entre le « Morning in America » de Ronald Reagan [une campagne publicitaire de 1984 vantant avec optimisme l’Amérique remise en ordre par Reagan] et le « carnage de l’Amérique » de Donald Trump. Une autre façon de l’exprimer est la suivante : les libéraux conservateurs aspirent à cultiver une renaissance conservatrice alors que les conservateurs nationaux souhaitent lancer une révolution conservatrice.

S’il est vrai que les libéraux conservateurs comptent parmi eux davantage de figures de l’établissement — en particulier des réseaux pensants basés à Washington et d’autres institutions conservatrices clés —, les conservateurs nationaux volent actuellement la vedette dans le monde pratique de la politique mondiale. Comme l’observe Continetti : « Même si l’on peut être en désaccord avec de grandes parties du national-conservatisme, on ne peut pas ignorer son importance. Il a influencé l’administration Trump (si ce n’est Trump lui-même) ainsi que le gouverneur de Floride Ron DeSantis. Si l’on ajoute l’homme d’affaires Vivek Ramaswamy, les candidats qui reflètent les opinions des nationaux conservateurs obtiennent 78 % des voix lors des primaires nationales du GOP. C’est le signe d’un parti transformé. Et cette transformation pourrait bien s’accélérer. Une grande partie de l’énergie qui sous-tend le national-conservatisme provient des jeunes. »


Le candidat républicain au Sénat, JD Vance, s’exprime lors d’un rassemblement au parc des expositions du comté de Delaware, le 23 avril 2022, à Delaware, dans l’Ohio. Voir Une Ode américaine, le film que la critique « progressiste » n’aime pas

La principale figure politique du mouvement conservateur est sans doute le sénateur de l’Ohio J. D. Vance, qui entretient des relations étroites avec de nombreuses voix importantes du conservatisme national et a pris la parole à plusieurs reprises lors de leurs événements. Sa forme de « politique de réalignement », qui se conforme étroitement au manifeste du conservatisme national, représente une politique conservatrice nouvelle, différente et peut-être plus marquante. Il est trop tôt pour en juger. Mais ses premiers succès (notamment la législation bipartisane avec la sénatrice démocrate Elizabeth Warren) sont le signe que ces débats internes sont plus qu’un simple exercice intellectuel. Ils façonnent en profondeur la politique américaine.

Le conservatisme canadien a-t-il un avenir nationaliste ?


Ce qui nous ramène au Canada. Comme nous l’avons déjà mentionné, le conservatisme canadien a été en grande partie immunisé contre ces récents développements intellectuels et politiques.

Dans la mesure où il existe une classe intellectuelle conservatrice ici, elle est principalement libérale. Les partisans du conservatisme national constituent une petite minorité énergique. Le Hub en compte probablement quelques-uns — ou peut-être la plupart — parmi son réseau de contributeurs. 

Par expérience, je constate qu’ils ont tendance à se définir par une combinaison de catholicisme, d’intellectualisme et de pessimisme. Ils ne rejettent pas le libéralisme aussi catégoriquement que certains conservateurs nationalistes américains, mais ils partagent leurs critiques générales sur ses défauts inhérents et ses résultats déficients. Bien qu’ils ne souhaitent pas un post-libéralisme complet, ils sont en faveur de quelque chose de différent du libéralisme par défaut qui imprègne actuellement la politique canadienne en général et le conservatisme canadien en particulier.

Les conservateurs nationalistes contemporains ont en fait un antécédent historique dans le Toryisme rouge du Canada anglais. Les idées culturelles et politiques de George Grant trouveraient sans aucun doute leur place dans le manifeste national conservateur. Il en va de même pour la vision du monde conservateur « anti-laurentien » que Ben Woodfinden a exposée dans un essai précédent pour The Hub.

Pourtant, rien ne prouve que les idées du Conservatisme nationaliste aient eu beaucoup d’influence sur la politique conservatrice canadienne. L’ancien leader conservateur Erin O’Toole a parfois fait des appels du pied aux idées de tradition, de solidarité et de politique de réalignement. Mais il n’a jamais été clair s’il remettait sérieusement en question l’orthodoxie conservatrice libérale ou s’il s’agissait simplement d’une manœuvre politique pour séduire brièvement les conservateurs sociaux. Ses efforts n’ont donc pas eu d’impact durable sur la politique conservatrice. 

Son successeur, Pierre Poilièvre, parle le langage du conservatisme libéral. Il mise son message sur la seule la liberté individuelle et relègue généralement au second plan les questions de moralité ou de vertu. Il est fondamentalement un conservateur du « laissez-faire ». Le parti a ensuite suivi cette direction, en particulier face à la réaction brutale du gouvernement Trudeau face à la pandémie, au programme économique dépensier du parti au pouvoir et à sa prédilection en faveur d’une politique pro-minorité.

Le candidat conservateur présumé dans l’ancienne circonscription de M. O’Toole, Jamil Jivani, pourrait être une exception. Il s’agit probablement de la personnalité la plus en vue du conservatisme national parmi les élus conservateurs canadiens. Jivani (qui fait l’objet d’un article à paraître dans le Hub par le rédacteur en chef Stuart Thomson) a défendu à plusieurs reprises les idées de l’aile nationalo-conservatrice sur le nationalisme, le rôle du gouvernement et la race. Il se trouve également être un ami proche de Vance, avec qui il a fréquenté la faculté de droit de Yale. [Jivani est un métis de Toronto, né d’un père kényan musulman et d’une mère blanche irlando-écossaise.]

Si les lecteurs pensent qu’un réalignement politique et la montée du national-conservatisme au Canada représenteraient des développements positifs, alors Jivani est une figure politique avec laquelle ils voudront se familiariser.

En supposant qu’il soit finalement élu, il pourrait être une voix influente dans la politique conservatrice canadienne. Il possède la bonne combinaison de références, d’idées et de popularité pour gravir rapidement les échelons politiques et se positionner comme un « leader d’opinion » qui pousse le mouvement conservateur dans une direction plus nationalo-conservatrice. C’est quelqu’un qui mérite d’être suivi. 

De manière plus générale, on peut s’attendre à ce que le national-conservatisme trouve un écho au Canada, et ce pour plusieurs raisons.

La première est le sentiment croissant que la neutralité libérale est insuffisante pour s’opposer aux politiques identitaires de gauche qui imprègnent les institutions publiques telles que les écoles et les universités. Le suicide récent et très médiatisé d’un directeur d’école du conseil scolaire de Toronto à la suite de brimades lors d’une séance de lutte contre le racisme a attiré l’attention du public sur la radicalité de ce mouvement et sur l’influence qu’il exerce désormais sur la culture d’élite et au sein des institutions traditionnelles. La réaction viscérale à cette histoire tragique suggère qu’il pourrait y avoir un électorat énergique dont le programme politique confronterait les politiques identitaires (racialiste/pro-minorités) plus directement en utilisant le pouvoir de l’État, comme la réforme des programmes scolaires, l’adoption de la politique 178 du Nouveau-Brunswick sur l’identité de genre dans les écoles, ou même l’interdiction de dépenses publiques pour la lutte contre le racisme ou la diversité, l’équité et les programmes d’inclusion.

Le second est l’immigration.

L’augmentation massive de l’immigration par le gouvernement Trudeau (y compris ses objectifs annuels d’accueil ainsi que les flux de résidents non permanents) produit maintenant une série de conséquences indirectes sur le marché du logement et la demande de services publics qui risquent de contribuer au sentiment anti-immigration dans tout le pays. Jusqu’à présent, M. Poilièvre a résisté aux appels à réviser à la baisse les chiffres sans précédent d’immigrés acceptés par le gouvernement Trudeau. Cela pourrait créer une ouverture pour les partisans de la restriction de l’immigration sur sa droite, tels que le Parti populaire et Maxime Bernier. La réduction des niveaux d’immigration (et même un « moratoire sur l’immigration ») est un élément clé de différenciation entre les conservateurs libéraux et nationalistes. Il est tout à fait possible qu’une ligne de fracture similaire apparaisse ici au Canada. 

La troisième est l’émergence possible d’un mouvement interconfessionnel opposé aux excès du progressisme culturel dans les domaines de l’identité et de la sexualité.

Il est remarquable que les musulmans figurent parmi les critiques les plus virulentes des programmes progressistes d’éducation sexuelle et de la prolifération de ce que l’on appelle l’« idéologie du genre ». [Pour M. Justin Trudeau, ce serait dû à un complot de l’extrême droite américaine…] On discute de plus en plus d’un réalignement des coalitions culturelles et politiques enracinées dans une religiosité partagée et un sentiment d’aliénation par rapport à une culture de plus en plus laïque qui peut se sentir inhospitalière pour les minorités religieuses. La défense de la religion publique par le conservatisme national, qui vise à promouvoir davantage les valeurs religieuses sur la place publique, pourrait trouver un soutien commun parmi les différents groupes religieux qui ne sont peut-être plus convaincus que le libéralisme leur offre une protection suffisante.

Ces scénarios sont bien sûr foncièrement spéculatifs, mais compte tenu de l’influence écrasante de la culture et des idées américaines sur la vie canadienne, ils ne sont pas inconcevables. Ces dernières années, nous avons vu de nombreux cas où la gauche et la droite au Canada ont toutes deux importé certains mèmes et postures politiques américains. L’absence de frontières dans le monde en ligne rend ce phénomène de plus en plus inévitable.   

Dans cette optique, le débat apparemment abstrait et philosophique entre les conservateurs libéraux et nationaux sur l’objectif et les priorités du conservatisme moderne mérite d’être suivi.

Il est certain qu’il finira par traverser le quarante-neuvième parallèle et influencer le conservatisme canadien. Les conséquences pour notre culture et notre politique pourraient être importantes.

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