Lire la recension de Étienne-Alexandre Beauregard. Résumé de l’éditeur
Geste politique phare du premier gouvernement du Parti québécois, la loi 101 devait rendre le Québec « maintenant et pour toujours français ». Or, affirme Frédéric Lacroix, la situation du français est catastrophique non seulement sur l’île de Montréal, mais aussi dans ses couronnes. La loi 101 serait-elle un échec ?
Pour comprendre globalement l’état du français au Québec, les impressions subjectives ne suffisent pas ; il faut passer par les chiffres, les données de recensement par exemple, afin de se faire une idée objective des tendances. C’est pourquoi Frédéric Lacroix a ici recours à une approche quantitative pour démontrer comment et pourquoi le français recule au Québec. Ce qui ressort, c’est que le français est de plus en plus rétrogradé au statut de langue seconde à Montréal alors que la langue première, le véhicule de culture, est de plus en plus l’anglais. Or, une culture ne peut se déployer et survivre en tant que langue seconde.
L’auteur pense qu’il est encore temps de renverser la tendance, mais que, pour ce faire, des gestes politiques forts devront être accomplis, sans crainte d’ébranler certains faux consensus.
Pourquoi la loi 101 est un échec
par Frédéric Lacroix,
paru le 13 octobre 2020
aux éditions Boréal
à Montréal
264 pages
ISBN-13 : 9 782 764 626 498
Code-barre : 9 782 764 626 498
29,95 $/22,00 €
Entretien de Mathieu Bock-Côté et Frédéric Lacroix sur la sortie de cet ouvrage.
Mathieu Bock-Côté — Que trouve-t-on dans ce livre ?
Frédéric Lacroix — On y trouve une synthèse complète de la situation du français (et de l’anglais) au Québec. Mon ambition, en écrivant ce livre, était de fournir à ceux qui s’intéressent à l’avenir du Québec français un portrait de la situation actuelle et de son évolution probable. Car il est difficile de se faire une tête sur la question linguistique ; les informations sont dispersées, contradictoires et souvent inaccessibles. J’ai souhaité écrire un livre qui rassemble l’ensemble des données pertinentes, de façon à permettre à chacun de comprendre ce qui se passe avec le français au Québec.
Je souhaitais également fournir un état des lieux le plus objectif possible. Pour atteindre ce but, j’ai fait appel au concept de « complétude institutionnelle », bien connu en sociologie, concept qui relie la vitalité d’une langue à l’ampleur du réseau institutionnel qui lui est attaché (hôpitaux, universités, cégeps). Le portrait que je trace est donc chiffré et quantitatif, et s’appuie sur la complétude institutionnelle propre à chaque communauté linguistique, anglophone et francophone, ce qui permet de tirer des conclusions solides. C’est ce qui distingue ce livre, à mon avis, de tous les autres qui ont été écrits sur la question linguistique. Mon livre se veut donc une synthèse exacte, scientifiquement fondée, tout en étant accessible au grand public.
MBC — Quels étaient les objectifs initiaux de la loi 101 ? Et quels objectifs lui prête-t-on aujourd’hui ?
FL — Les objectifs de la Charte de la langue française sont énumérés dans le « livre blanc » publié par Camille Laurin un peu avant le dépôt de son projet de loi. Ces objectifs sont ceux spécifiés par la commission Gendron, une commission d’étude de la question linguistique lancée par le Parti libéral du Québec en réponse à la crise de Saint-Léonard de la fin des années soixante. L’objectif majeur de la loi 101 est « d’orienter les options linguistiques des immigrants », une litote qui signifie que la charte est conçue afin que l’assimilation linguistique des immigrants se fasse principalement vers le français au lieu de l’anglais, à l’avenir (l’assimilation des immigrants se faisait à 85 % à l’anglais avant la charte). La charte souhaitait rehausser le statut du français et en faire la « langue commune », c’est-à-dire la langue utilisée lors des échanges entre groupes linguistiques au Québec. La charte venait aussi agir pour améliorer les conditions économiques des francophones et leur donner accès aux emplois bien rémunérés, emplois qui étaient quasiment exclusivement réservés aux anglophones auparavant.
Notons que la charte a été combattue vigoureusement par Ottawa dès son adoption par l’Assemblée nationale du Québec. Dès 1979, tout le chapitre III, chapitre qui faisait du français la langue officielle de la justice et du droit, a sauté. Trudeau père a ensuite procédé au rapatriement de la Constitution canadienne, en 1982, pour invalider les dispositions visant la langue d’enseignement dans les écoles primaires et secondaires. Ottawa a livré une véritable guerre juridique contre la charte, chose qui continue de nos jours.
Aujourd’hui, le Québec semble avoir abandonné toute prétention de faire du français la langue commune et a sombré à nouveau dans le bilinguisme systématique qui était en place avant la charte. Le Québec semble s’être résigné au service minimum, soit à ce que la charte ne fasse qu’assurer — et pas toujours — la disponibilité de services en français au Québec. Face à Ottawa, Québec a donc complètement capitulé et a adopté, hypocritement, tout en assurant cœur sur la main que le « français est la langue officielle », la Loi sur les langues officielles fédérale, c’est-à-dire est venu assurer à l’anglais au Québec un statut à quasi-égalité avec le français. Dans les faits, le Québec est aujourd’hui, comme avant la loi 101 de 1977, une « province » quasi intégralement bilingue. Il ne faut pas se surprendre, alors, que l’anglais, langue de la majorité canadienne et continentale et langue des nouveaux empires numériques (Google, Facebook, Netflix, etc.), joue maintenant le rôle de langue commune à Montréal et que les immigrants allophones s’assimilent pour moitié au groupe anglophone.
MBC — La loi 101, un échec, vraiment ? N’êtes-vous pas trop sévère ?
La charte n’a jamais atteint son objectif principal, qui était de faire en sorte que la nette majorité des immigrants s’intègrent au Québec français. Par là, on entend que 90 % d’entre eux devraient adopter éventuellement le français comme langue parlée à la maison afin d’assurer la stabilité démographique du groupe francophone au Québec. Or nous n’en sommes qu’à 50 % environ et tout indique que le plafond est atteint, c’est-à-dire que les effets de la charte actuelle sont épuisés. De plus, on a noté, lors du recensement de 2016, une nette accélération de l’assimilation des jeunes francophones à Montréal.
Dans mon livre, je démontre que, depuis 2001, une « nouvelle dynamique linguistique » s’est installée au Québec, dynamique marquée par un recul (historique) du poids des francophones et une augmentation du poids des anglophones, augmentation qui est due principalement à l’assimilation linguistique massive, complètement hors de proportion avec le poids démographique réel des anglophones (qui est de 8,1 % seulement), des allophones à l’anglais.
Cela signifie que le français va continuer à régresser dans l’avenir prévisible et que le destin qui nous attend est celui de toutes les minorités francophones en Amérique, c’est-à-dire la minorisation et la disparition. À moins, bien sûr, que des gestes courageux et structurants ne soient accomplis.
MBC — Est-il trop tard ?
FL — Non. Comprendre la mécanique de notre déclin signifie aussi que les clés pour intervenir avec succès nous deviennent accessibles. Ces clés peuvent se résumer ainsi : revenir au « français langue commune », mettre fin au bilinguisme de l’État québécois, mettre en place une politique culturelle adaptée à la réalité numérique de notre époque et, surtout, rehausser massivement le financement des institutions francophones (cégeps, universités et hôpitaux) afin d’assurer au Québec français une « complétude institutionnelle » proportionnelle à son poids démographique.
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