Un texte de Laurent Dandrieu auteur Église et immigration, le grand malaise, paru aux Presses de la Renaissance, 316 pages, 17,90 €. (Voir recension de l’ouvrage).
L’incendie criminel de la cathédrale de Nantes, perpétré par un immigré rwandais, est le triste symbole de la naïveté suicidaire de l’Église sur la question.
Sous la pression des enquêteurs, Emmanuel A., le bénévole catholique rwandais chargé de la fermeture de la cathédrale de Nantes la veille de son incendie, le 18 juillet dernier, a donc avoué avoir allumé les trois départs de feu qui ont causé des dommages irréparables. Âgé de 39 ans, vivant en France depuis 2012 et à Nantes depuis plusieurs années, il s’était vu refuser à plusieurs reprises le statut de réfugié. Faisant l’objet depuis 2019 d’une obligation de quitter le territoire, il n’avait pas obtempéré, soutenu par le diocèse de Nantes qui avait tenté d’obtenir de la préfecture qu’elle revoie sa position. Ce n’était visiblement pas assez aux yeux d’Emmanuel A., qui venait de se plaindre par courriel auprès de plusieurs personnalités du diocèse de ne pas être soutenu. L’incendie qu’il a déclenché dans la cathédrale n’est pas seulement un acte de vandalisme criminel, c’est aussi un geste d’ingratitude envers l’Église, bien mal payée de sa bienveillance.
Il n’est certes pas question de généraliser, d’étendre la suspicion à tous les immigrés qui rejoignent les rangs clairsemés des messes catholiques ou d’oublier que dans les innombrables atteintes à des lieux de culte chrétiens — incendies, profanations, vols ou simples vandalismes — les autochtones ont aussi leur part. Il n’en reste pas moins qu’en incendiant une cathédrale pour punir la société française d’un accueil jugé insuffisant, Emmanuel A. adonné à son geste une dimension on ne peut plus symbolique : le symbole d’une immigration qui considère l’accès à la France comme un droit imprescriptible, et tout refus de ce droit comme une injustice qui justifie les rétorsions les plus violentes.
Le symbole est d’autant plus frappant qu’il a été rendu public le jour même où l’Église commémorait l’assassinat du père Jacques Hamel, victime il y a quatre ans de ce terrorisme islamiste qui est, chez nous, un pur produit d’importation. Si les deux événements ne sont pas comparables, dans les deux cas l’Église est punie par là où elle a péché : une confiance aveugle dans le migrant en tant que damné de la terre, un refus obstiné de voir que l'immigration de masse n’est pas seulement l’occasion d’une « culture de la rencontre », mais aussi un bouleversement radical des équilibres culturels et sociaux, une révolution démographique et anthropologique porteuse de menaces sérieuses, et peut-être mortelles, pour nos civilisations.
Car s’il y a une chose qui caractérise le regard de l’Église sur l’immigration, c’est bien la naïveté. Une naïveté poussée jusqu’à la cécité. Depuis des décennies, la hiérarchie catholique ne veut voir dans l’immigration de masse qu’une source d’enrichissement culturel et humain, une occasion de charité et de dépassement des égoïsmes. Toutes les mises en garde contre les dangers induits par cette arrivée massive de populations subitement déracinées et plongées sans préparation dans des sociétés qui ne veulent plus entendre parler d’assimilation au nom du droit de chacun à rester fidèle à ses origines, toutes ces mises en garde sont balayées par la hiérarchie, pape François en tête, comme autant de fantasmes ou de manifestations de racisme. Tout en défendant, à propos des Indiens d’Amazonie, le respect dû aux « peuples autochtones menacés dans leur identité et leur existence même », le pape dénie le même respect aux Européens, jugeant illégitimes leurs inquiétudes face à une immigration de peuplement massive. « Je ne vous cache pas, déclarait-il ainsi en 2017, ma préoccupation devant les signes d’intolérance, de discrimination et de xénophobie que l'on constate dans diverses régions d’Europe. Ceux-ci sont souvent motivés par la méfiance et par la crainte à l’égard de l’autre, celui qui est différent, l’étranger. Je suis encore plus préoccupé par la triste constatation que nos communautés catholiques en Europe ne sont pas exemptes de ces réactions de défense et de rejet, justifiées par un vague “devoir moral” de conserver leur identité culturelle et religieuse d’origine. »
Ce « migrantocentrisme » se refuse d’autant plus volontiers à regarder en face les conséquences concrètes de l’immigration (souvent désastreuses pour les migrants eux-mêmes et leurs pays d’origine) qu’il a donné naissance à une « théologie du migrant » où celui-ci n’est plus véritablement regardé comme une personne concrète, mais comme une figure rédemptrice permettant d’accéder enfin à « l’unité du genre humain », selon le souhait de Jean XXIII à Vatican II, les difficultés liées aux migrations n’étant que le « travail d’enfantement d’une humanité nouvelle » (instruction Erga migrantes caritas Christi, 2004). Les migrations ne sont plus un phénomène humain ou géopolitique, mais, « parmi toutes les expériences humaines, [celle choisie par Dieu] pour signifier son plan de rédemption de l’homme » (Jean-Paul II, 1988), et « la préfiguration anticipée de la cité sans frontières de Dieu » (Benoît XVI, 2010). « Notre théologie est une théologie de migrants », assénait le pape François en ouverture de son livre Politique et société (2017). Ce nouveau rédempteur, François l’a célébré en installant place Saint-Pierre une sculpture monumentale représentant un groupe d’immigrés puis, sur les murs du Vatican, un crucifix où un gilet de sauvetage de migrants a été substitué au corps du Christ…
Cette canonisation du migrant a, entre autres conséquences, celle de piétiner le respect dû à la loi. Le « droit à migrer » étant devenu, dans le discours ecclésial courant, une sorte d’absolu théologique, le droit des États à y opposer une législation restrictive est sans cesse dénié, et le migrant encouragé à le transgresser par l’immigration illégale : dans un message d’août 2017, le pape réclamait même des États qu’ils accordent les mêmes droits aux clandestins qu’aux immigrants légaux. L’Église peut-elle dès lors s’étonner lorsqu’on retourne contre elle cette incitation à ne pas respecter le droit, comme l’a fait, d’une manière extrême, le bénévole rwandais de Nantes ?
Le dernier communiqué du diocèse paraît surtout marqué par la crainte que l’incendie ne remette en cause cette sacralisation du migrant : « Nous veillerons à ce qu’à la meurtrissure subie par notre église-cathédrale ne s’ajoute celle infligée à l’Église du Christ par la haine et le déni de fraternité. » Il est édifiant de comparer le ton de ce communiqué avec celui qu’emploie habituellement la communication épiscopale dans ses dénonciations récurrentes de ceux qu’elle qualifie de « catholiques identitaires », où le souci de fraternité disparaît bien facilement des termes qui ne dissimulent pas leur hostilité. À force de sembler ainsi choisir son camp, qui n’est pas celui, hélas, du peuple de France, l’Église peut-elle s’étonner si ce peuple se détourne d’elle, de plus en plus massivement ?
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