dimanche 9 août 2020

Zemmour : La gauche au pouvoir, Macron, l'endoctrinement de l'école, aux médias, en passant par les chansons

Entretien-fleuve avec Éric Zemmour, paru dans Valeurs actuelles (double numéro d’été).

— Il y a un paradoxe d’apparence dans votre succès sur CNews : la télévision n’est-elle pas le média qui incarne l’inverse des valeurs que vous défendez ? N’est-elle pas le lieu privilégié de la superficialité et de l’immédiateté ?

— La télévision n’a pas toujours été au service de la superficialité. Dans les années 1970, j’ai été nourri par les débats politiques d’une grande qualité entre Mitterrand, Giscard, Couve de Murville, Lecanuet, Barre, Michel Debré ou encore le truculent Georges Marchais. Je me souviens de FR3 qui opposait des intellectuels brillantissimes comme Steiner et Boutang. Pivot recevait Soljenitsyne et opposait BHL à Maurice Bardèche. Les adaptations télévisées des grandes œuvres littéraires comme Illusions perdues m’ont poussé à les lire, de même que les séries historiques comme les Rois maudits ou Jacquou le Croquant ou Schulmeister, l’espion de l’empereur m’ont donné le goût de l’histoire. À l’époque, la télévision tenait son rôle d’instituteur du peuple. Et l’instituteur enseignait l’histoire de France et les grands écrivains, pas la théorie du genre.

— La télévision est-elle le seul moyen de s’adresser à tout le monde ?

— Cela reste en tout cas le média de masse par excellence. Mais j’ai découvert qu’elle était devenue un instrument de propagande au service des minorités et du politiquement correct. C’était un peu par hasard que je suis tombé chez Laurent Ruquier le samedi soir. J’ai compris alors que les émissions dites de divertissement — comme la fiction d’ailleurs — sont devenues des machines de propagande. Guy Lux ne faisait pas la promotion du mariage homosexuel et ne comptait pas les Noirs dans la salle. Alors, chez Ruquier, j’ai retourné la machine contre elle-même. Les gens étaient aux anges et on faisait des audiences énormes. Au bout de cinq ans, ils s’en sont rendu compte, et ils m’ont viré.


— Comment définiriez-vous la recette de Face à l’info ? S’agit-il d’une forme de contre-programmation ?

— Double contre-programmation, à la fois dans la forme et dans le fond. Dans la forme, on n’ouvre pas le robinet à info maison privilégie l’analyse, le débat contradictoire, le recul historique, voire la confrontation idéologique. Sur le fond, j’oppose au politiquement correct macronien de BFM un discours conservateur et patriotique, bref ce que le système médiatique appelle « populiste ». Je fais ce que je sais faire. Je n’ai jamais été un journaliste d’information. Quand j’étais jeune, mon chef du service politique au Quotidien de Paris me taquinait toujours : « Zemmour, il connaît le XYZ du journalisme, mais pas l’ABC. » Cela n’a pas changé. L’information ne m’intéresse pas par elle-même. Ce qui m’intéresse, c’est l’analyse et la bataille idéologique et politique. Mais il me faut donner une dernière précision : ceux qui prétendent ne faire que de l’information sont les plus grands idéologues. Simplement, ils se dissimulent hypocritement derrière le paravent de l’info.

 

— Comment avez-vous atterri sur CNews ?

— Vincent Bolloré est passé par un ami commun pour me joindre et m’inviter à déjeuner. Je ne le connaissais que de nom. Quand j’avais été renvoyé d’iTélé en décembre 2014, à l’époque où il venait de racheter le Groupe Canal, on m’avait raconté qu’il avait été furieux d’être mis devant le fait accompli. Depuis plusieurs années, Serge Nedjar me proposait de revenir à l’antenne. Bolloré a fini par m’inviter à le rencontrer en juin 2019. Le déjeuner s’est avéré chaleureux et sympathique. Il me propose devenir tous les soirs à l’antenne. Je crains l’usure. Il insiste. Je découvre que nous avons beaucoup de points de convergence intellectuelle. Bolloré est convaincu et convaincant. J’accepte. Dans le même temps, BFM m’avait proposé un rendez-vous hebdomadaire de dix minutes face à Alain Duhamel, et LCI un débat chaque dimanche. J’ai donc choisi la proposition la plus contraignante, mais la plus exaltante. Et la plus cohérente.

— Comment s’est passée la préparation de l’émission ?

— Cela m’a un peu stressé, car j’aime que tout soit bien organisé. Mais à CNews, ils ont pour habitude de travailler, disons… dans l’urgence. Les vacances d’été se passent, je devais commencer en octobre, mais arrive entre-temps la « convention de la droite », le 28 septembre. Et la bronca qui a suivi. Le journal le Monde fait référence à Primo Levi et aux camps d’extermination pour jauger mon discours ! Bolloré me prévient alors qu’on devra commencer quinze jours plus tard pour laisser passer l’orage. Pendant vingt-quatre heures, je pense que c’est mort, cuit. J’avais un peu d’expérience : j’ai été viré d’iTélé, de RTL, j’ai failli l’être de Paris Première et même du Figaro.

Mais Bolloré n’a pas cillé. Un roc breton dans la tempête.

— Ce qui n’empêche pas que les débuts fussent compliqués…

— Quand j’arrive, la rédaction m’ignore. Je ne connaissais pas personnellement Christine Kelly ni les chroniqueurs. Pour la première, l’ambiance est polaire. Par ailleurs, il y a des manifestations devant la chaîne, je suis obligé de passer par le stationnement. J’essaie de rester indifférent à tout ça.

— Vos adversaires ont-ils donc raison de dire que « les réacs » ont gagné la bataille des idées ?

— Comme dit Mathieu Bock-Côté, la gauche est tellement hégémonique et sectaire que dès qu’elle n’est plus la seule à parler, elle prétend avoir perdu. Et la droite, les nationalistes, les souverainistes, les populistes, appelez-les comme vous voulez, sont tellement complexés qu’il suffit qu’ils aient le droit de parler durant trois minutes pour qu’ils pensent avoir gagné. Il faut arrêter ! Dans quel monde médiatique et idéologique vit-on ? Dans le monde de la théorie du genre, de la « diversité », du mariage homosexuel, de « l’immigration chance pour la France », de Traoré victime des violences policières ! Croire que l’on aurait gagné la bataille des idées est ridicule ! Ce serait comme si on pensait avoir gagné la coupe du monde 1982 au prétexte que l’équipe de Platini avait un jeu superbe. Voici la folie française de la belle défaite. Et la bêtise de la droite qui croit avoir gagné alors que la gauche domine largement. Il suffit d’observer ce que produisent la publicité, le cinéma, ou la télévision.

— Quelqu’un peut-il battre Emmanuel Macron en 2022 ?

— Son duel annoncé avec Marine Le Pen renvoie les autres pistes au rang d’hypothèses. On va finir par comprendre qu’avec ses 8 % François-Xavier Bellamy n’était pas si mauvais, et que c’est la droite qui est morte. Les écolos ont réussi à faire ce dont ils rêvaient depuis trente ans : faire au PS ce que le PS a fait au PC. C’est une très mauvaise nouvelle pour Macron, car il s’agit de son électorat bobo, mais à la vérité, les Verts ont un gros problème avec l’élection présidentielle. Pour eux, la nation n’existe pas : il n’y a que la planète. Posons les choses : Macron a réussi l’alliance des bourgeoisies, pas forcément remise en cause depuis son élection. Il était Louis-Philippe en 2017, il est toujours Louis-Philippe. Il y a deux stratégies potentielles pour contrer cela : l’alliance des populistes, ou l’union des droites. Moi je pense qu’il faut faire les deux. À savoir, une union des droites avec un électorat populaire, qui vient de la gauche, mais qui ne veut pas de l’alliance de la gauche avec les islamo-gauchistes prônée et par Mélenchon et par les Verts.

— Marine Le Pen a-t-elle une chance ?

— Marine Le Pen a eu le grand mérite — prenant ainsi la suite de son père — de tenir ferme le drapeau des idées qui me sont chères, quand toute la classe politique les abandonnait et que les élites les diabolisaient : la nation, la souveraineté, l’identité, l’indépendance, l’assimilation. Parfois, sous la mitraille, elle montrait bien des zigzags et même des faiblesses, mais elle a dirigé avec courage le seul parti qui ait tenu ce cap. Cependant, il me semble qu’on ne peut pas bâtir un projet à partir du seul soutien des classes populaires. Pour gagner, il faut toujours qu’une fraction de la bourgeoisie se détache de ses intérêts pour se rapprocher des classes populaires au nom du pays. Je peux prendre 10 000 exemples : Disraeli, de Gaulle, Mitterrand, Boris Johnson, Donald Trump. Cela ne marche que lorsqu’une partie de la bourgeoisie s’allie aux classes populaires et passe un compromis avec elles.

Marine Le Pen, elle, ne se reconnaît que dans les classes populaires alors qu’elle n’a pas eu leur vie. Il y a chez elle un côté « nous sommes tous rejetés par la bourgeoisie et les classes dominantes » qu’elle partage avec les classes populaires, mais cela ne fait pas une victoire, tout simplement parce que les classes populaires ont besoin de se retrouver dans une personnalité qu’elles admirent socialement, intellectuellement… C’est Mitterrand, de Gaulle, Boris Johnson : ce sont des gens qui s’expriment remarquablement, qui ont une très grande culture. Trump est un peu un cas à part, mais il s’agit des Américains, qui n’ont pas notre rapport à la culture.

— Pourriez-vous vous lancer en politique ?

— Le simple fait que vous me posiez la question valide le constat précédent. S’il existait une solution politique, personne ne viendrait me chercher. Dans les années 1970, on n’aurait pas posé la question à l’« Éric Zemmour » de l’époque. Je suis partagé. Je suis fasciné par les personnages de l’histoire, comme Bonaparte, qui sont de véritables intellectuels ou des écrivains ayant pris le pouvoir en devenant des hommes d’action… Et en même temps, j’ai l’impression que ce que je fais aujourd’hui est ce que je fais de mieux. Que c’est avec mon travail d’éditorialiste et d’écrivain que je marque des points tous les jours. C’est une question difficile à résoudre. Qu’est-ce que la politique ? Pour moi, c’est continuer l’histoire de France en appelant à l’intelligence et au patriotisme de mes concitoyens. Le reste ne m’intéresse pas.

— Quel souvenir vous laisse la « convention de la droite » ?

— Un très bon souvenir ! Côté polémique, j’ai l’habitude. Mais pour le reste, j’ai aimé prononcer ce discours, dans ces conditions — mis à part que je n’étais pas formellement au meilleur de ma forme — et avec ce public. À vrai dire, cela fait plusieurs années que je me balade en France pour mes livres et que je rencontre mon public, ce n’était pas très nouveau. Sion relit le discours, aujourd’hui, on constatera que je décrivais une France en danger de mort prise en étau entre une mondialisation qui nous désarme économiquement et nous appauvrit et, à l’intérieur, une désagrégation de la nation avec la multiplication d’enclaves étrangères régies, non plus par la loi de la République, mais par l’alliance des caïds et des imams, de la kalachnikov et du Coran. Il me semble que l’année écoulée m’a plutôt donné raison. Même Emmanuel Macron reconnaît désormais que les délocalisations industrielles ont été une folie et évoque désormais le séparatisme islamiste…

— Vous disiez depuis longtemps que votre métier n’était pas de trouver des solutions… Mais dans ce discours, on vous a entendu en esquisser, non ?

— C’est vrai. Et c’était spontané. À force de faire le diagnostic, on passe sur le terrain des solutions. D’autant que des gens viennent me parler, m’expliquer, me détailler des choses. Des hauts fonctionnaires qui partagent mes diagnostics et me stimulent intellectuellement.

— Que vous inspire la disparition des Républicains ?

— J’ai écrit des livres à ce sujet, notamment le Livre noir de la droite, dès 1998, et la logique politique de leur disparition était déjà enclenchée. Pasqua ledit dès 1986 à Chirac : il lui explique que sans alliance immédiate avec le Front national, c’est la droite qui finira par lui courir après… Nous y sommes. J’étais jeune journaliste et j’avais la chance d’avoir en face de moi des hommes politiques qui avaient encore l’histoire de France dans la tête. En écrivant mon Destin français, j’ai compris que des figures comme de Gaulle raisonnaient toujours avec l’histoire de France en arrière-plan de leurs analyses… Évidemment, ça change tout. Quand on fait ce travail-là, qu’eux faisaient très naturellement, il n’est pas difficile de jouer les prophètes… Tout devient très simple à comprendre. Il n’y avait donc pas besoin d’être prophète pour comprendre que cette droite-là finirait par mourir. Elle a abandonné la nation pour avoir le marché, comme les socialistes ont abandonné le peuple pour avoir l’Europe. Les deux vont donc mourir. Historiquement, on sait d’ailleurs qu’un parti qui devient le parti des élus locaux est en train de mourir : ce fut le Parti radical, le Parti communiste, le PS, et ce sont désormais Les Républicains.

— Comment l’expliquer concrètement ?

— Nous avons changé d’époque. Après la guerre, nous avions un affrontement économique et social. Je préfère illustrer ce propos avec les partis allemands parce que c’est plus lisible que chez nous autres Français qui faisons de l’habillage littéraire. Prenons donc le SPD et la CDU : le SPD est un peu plus généreux avec l’argent public et la CDU un peu plus rigoureuse, c’est l’affrontement de l’après-guerre.

À partir du moment où SPD et CDU gouvernent ensemble pendant des années, on comprend bien que ce clivage est dépassé. Nous sommes donc passés à un autre clivage : métropoles contre périphéries, « somewhere » contre « anywhere », populistes contre progressistes. LR et le PS, qui sont les héritiers du combat d’après 1945, sont morts avec leur clivage. Dans tous les autres pays, les dirigeants l’ont compris et ont changé d’alliances : c’est Orbán, Johnson… C’est la seule raison pour laquelle la situation française est atypique et constitue une impasse politique, car les populistes ne peuvent pas l’emporter, pour l’instant en tout cas.

— Comment analysez-vous la stratégie permanente de séduction de la droite mise en place par Emmanuel Macron ?

— J’aurais tendance à balayer cela comme de l’écume, mais je n’ai pas de certitude. Je pense surtout qu’il ne sait pas qui il est idéologiquement, et que ça lui donne une plasticité énorme. C’est l’anti-Mitterrand, qui était tout parce qu’il savait tout. Macron est tout parce qu’il n’est rien. Idéologiquement nulle part. Il est moderne, entre start-up nation et mondialisation. Parce qu’il est intelligent et qu’il a quand même des éléments d’information formidables (faits divers quotidiens, état des forces économiques en puissance), il peut réfléchir. Emmanuel Macron sait très bien ce qui se passe, il sait exactement de quoi il parle lorsqu’il évoque le séparatisme islamique ou la désindustrialisation. Il sait lire un dossier, il est inspecteur des finances (ce qui veut dire qu’il est sorti dans les premiers de l’Ena, cela reste une performance), il est intelligent, il sait évidemment analyser toutes ces situations. Le problème, c’est qu’il ne sait pas quoi en faire politiquement, car il ne sait pas analyser idéologiquement et historiquement ce qui se passe.

Macron est un faux jeune. Il est un homme du clivage d’antan. Il est un Giscard ou un Rocard qui aurait réussi son alliance au centre. Il est issu d’un univers où l’économie domine. Or, ce monde-là est mort. Nous sommes revenus à une époque où les clivages sont nationaux et identitaires. Nous ne nous disputons plus sur le partage des richesses, mais nous entrons dans l’ère de la guerre des races. Nous ne refaisons pas la Révolution française ou la révolution industrielle, mais nous revenons au temps des guerres de religion et des croisades. Et Macron n’est pas bâti pour ce temps-là. Alors, je veux bien que l’on s’arrête sur les signes qu’il donne à la droite, mais je crois franchement que ce sont des trucs de journalistes politiques…

— Comment expliquez-vous que l’immense majorité des commentateurs passe son temps à classer Emmanuel Macron à droite alors qu’il impose la PMA, qu’il affirme qu’il n’y a pas de culture française, mais une souveraineté européenne ou qu’il refuse des'attaquer à l’immigration ?

— Ils passent aussi leur temps à faire croire que c’est la droite qui gouverne. À les écouter, Mitterrand, c’était la droite. Rocard, Jospin… même Hollande, c’était la droite ! C’est un vieux truc de trotskyste : la droite gouverne et la gauche trahit. Je le répète, Emmanuel Macron a tellement peu de structure idéologique qu’il va où le vent le mène. Son fameux « en même temps » était l’habillage de l’indécision professionnelle et du clientélisme. Je trouvais que ce qu’il avait fait de mieux depuis le début du quinquennat était la recentralisation et il se met aujourd’hui à nous parler de décentralisation… Il est capable de dire à la gauche ou à la droite ce qu’elles veulent entendre. La différence, c’est que la gauche ne se laisse pas avoir. C’est toujours la même histoire : la droite veut tellement être reconnue, elle est tellement hantée par la guillotine de Robespierre et l’ostracisme depuis la IIIe République qu’elle est toujours ravie d’entendre la gauche lui dire qu’elle n’est pas si mal. Macron n’a aucune colonne vertébrale idéologique ou politique, il navigue au gré du plus fort et de ses intérêts électoraux. C’est du cynisme.

— On a beaucoup parlé de François Fillon ces derniers temps, avec une condamnation particulièrement sévère, qu’en avez-vous pensé ?

— Je dis depuis février 2017 que nous avons assisté à un putsch juridico-médiatique, je n’ai pas changé d’avis. Plutôt que de me contredire, je suis du genre à me répéter : j’ai écrit en 1997 un livre, le Coup d’État des juges, c’est un sujet qui me passionne et me hante. Ce ne sont pas du tout mes propres déboires avec la justice qui m’ont fait penser cela. C’est un sujet qui m’intéresse, me passionne, m’affole, m’intrigue… Depuis la Révolution française, les juges sont « la bouche de la loi », selon l’expression de Montesquieu reprise par Robespierre. Montesquieu dit même que lorsque les juges exercent des compétences en matière exécutive et législative on entre en dictature ! Or nous avons basculé depuis les années 1970 dans un système où les juges ne sont plus la bouche de la loi, mais se considèrent comme un contre-pouvoir au nom d’un dévoiement de ce quel'on appelait l’État de droit. Ils se pensent désormais comme un contre-pouvoir légitime et se croient donc autorisés à imposer leur grille de lecture idéologique à la société contre celle qui est voulue par le peuple.

Nous sommes dans un autre monde où la démocratie, qui est le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple (formule de Lincoln), est dominée par l’État de droit, lui-même soumis aux droits de l’homme. L’État de droit impose que toute mesure législative ou gouvernementale soit soumise au juge. Et les juges eux-mêmes soumettent leur jugement à la Déclaration des droits de l’homme, ou en tout cas, à l’interprétation moderniste qu’on en fait, universaliste et individualiste. L’État de droit, c’est le gouvernement des juges. Les droits de l’homme, c’est une morale. Les juges (et les médias) sont les grands prêtres chargés d’imposer cette morale au peuple. Nous ne sommes donc plus en démocratie, mais en théocratie.

— À cette aune, que penser de la nomination d’Éric Dupond-Moretti ?

C’est un avocat qui s’oppose aux juges de façon fonctionnelle. Mais idéologiquement, il est d’accord avec eux. Je prends d’ailleurs le pari qu’il finira par se réconcilier avec les syndicats de la magistrature autour d’une ligne que j’appellerai « hugolienne », d’exaltation de la victime et de l’immigré. Il a d’ailleurs déjà commencé ! Dupond-Moretti, c’est une grande gueule et un fort tempérament qui traîne avec lui son passé d’avocat. Il se fait mal voir par les féministes parce qu’il a défendu Georges Tron ! Et c’est vrai sur tous les sujets du progressisme, même s’il a poussé un coup de gueule contre #BalanceTonporc quand ça allait vraiment trop loin contre les droits de la défense.

— La justice a-t-elle une réelle influence sur la vie de la société ?

— Évidemment. Quand le Conseil constitutionnel dit que le principe de fraternités'impose à tous, c’est le retour aux parlements de l’Ancien Régime qui exhumaient des textes sortis du fond des âges pour contester la politique du roi. On décide subitement que tel principe doit avoir un effet pratique, en fonction de l’idéologie du moment. Quand la Cour de cassation décide qu’un enfant né de GPA doit être considéré comme un autre, c’est une traduction idéologique évidente. Nous sommes au cœur d’une bataille idéologique qui soumet les peuples à la morale des élites. Le Conseil constitutionnel, les grands juges français et européens se prennent pour la Cour suprême américaine. Or, je rappelle que de Gaulle disait : « La Cour suprême, en France, c’est le peuple. » Aujourd’hui, de Gaulle serait traité de populiste.

— Est-ce que ces déboires avec la justice pèsent sur votre manière de vous exprimer ?

— Non, je ne soupèse rien par peur de la réponse judiciaire parce que c’est exactement ce que mes ennemis cherchent. Ce serait leur donner la victoire donc je ne le fais surtout pas, même si je me sais extrêmement surveillé. Entre Jean-Marc Ayrault, qui écrit au CSA pour mes propos sur l’esclavage, les Verts, les LGBT, les féministes… et des avocats qui réclament une analyse psychiatrique à mon procès, je me sens un peu surveillé, en effet… Mais je me refuserai toujours à rentrer dans leur jeu en m’autocensurant. Il en est hors de question. Jusqu’à maintenant, ça ne m’empêche pas de parler, car j’ai toujours des employeurs. Le jour où personne ne m’engagera, j’aviserai.

— Parlons de cette « vague » verte dont tout le monde discute. La classe politique nous par le de ce « message envoyé par les Français » alors qu’ils n’ont jamais eu le même discours sur le « message envoyé » par les scores du Front national. Comment l’expliquer ?

— Il est tellement plus confortable d’entendre le message écologique que le message identitaire, dont même le RN se détourne. Il y a des modes, l’écume sur laquelle réagissent les politiques, et il est bien vu d’entendre ce message-là. Je suis très frappé, de plus en plus, par la puissance de propagande de la gauche et de l’extrême gauche dans notre pays. Sans ironie, je suis impressionné. Nous n’avons jamais subi un tel degré d’endoctrinement, de l’école jusqu’à la télévision, au cinéma, dans les chansons. C’est totalement inédit. Nous avons désormais des religions séculières. Aron l’avait parfaitement expliqué pour le communisme, et nous poursuivons le même chemin. Notre situation est vraiment extraordinaire : nous sommes pris en étau entre l’islam qui est une religion totalitaire et l’idéologie de l’écologie qui est une nouvelle religion séculière. Tous les anciens communistes y communient d’ailleurs allègrement. Tout ça se marie parfaitement lors de la convergence des luttes, les uns passent leur temps à faire la courte échelle aux autres.

— Un rapport parlementaire sur la radicalisation vient de paraître… Où en est la France ?

— Comment vous répondre autrement que par les mots que j’utilise depuis maintenant des années ? Nous connaissons une progression continue d’enclaves étrangères sur le sol français. C’est ce fameux séparatisme qu’Emmanuel Macron est capable d’évoquer dans son verbe seulement. La dernière fois qu’on a parlé de séparatisme en France, c’était pour les communistes dans les années 1950, que le général de Gaulle qualifiait ainsi. C’est logique d’ailleurs puisque selon Maxime Rodinson, grand spécialiste de l’islam, « l’islam est un communisme avec Dieu ». La seule différence, c’est qu’à l’époque on ne vous attaquait pas en justice pour discours incitant à la haine des communistes… Ces enclaves se multiplient et s’étendent évidemment, puisque personne ne veut résoudre la question d’origine qui est celle de l’immigration. Emmanuel Macron parle, parle, emploie des mots de plus en plus forts, mais que fait-il concrètement ? Rien.

Pour la première fois dans l’histoire, nous avons sous-traité la politique d’immigration du pays aux immigrés eux-mêmes. On ne s’en rend pas compte, mais ce sont les immigrés eux-mêmes qui décident des immigrés qui viennent ou non en France. Ce sont eux qui les font venir puisque l’État estime qu’il n’a aucun pouvoir de réguler ces arrivées ou de les empêcher, au nom de l’État de droit protégé par les juges, les médias, le monde culturel… C’est là que se trouve la racine, et Emmanuel Macron ne s’y attaquera jamais. Tout le reste se déroule exactement comme prévu. À partir du moment où se développent des enclaves étrangères, on voit apparaître des lois, des us et coutumes étrangers dans ces quartiers : rien de surprenant. C’est de plus en plus visible parce que l’immigration n’a jamais cessé de se poursuivre. C’est le nombre qui décide : je n’ai jamais cessé de répéter qu’à partir d’un certain nombre, la quantité devenait une qualité. Cela se vérifie chaque jour.

— Quelle issue voyez-vous ?

— Nous avons une civilisation étrangère, fondée sur la religion islamique, qui s’installe dans une vieille terre chrétienne. Il y aune civilisation de trop. Tout ce qui se passe doit être compris en fonction de cette guerre de civilisation quine dit pas son nom sur le sol français et européen. La multiplication des vols, des viols, des meurtres ne sont pas causées par un « ensauvagement » de la société française, encore moins des « incivilités » comme dit pudiquement le président Macron, mais le produit de cette guerre de civilisation, de cette situation coloniale où les colonisateurs sont les colonisés d’hier qui prennent une revanche historique. Les vols, les viols, les crimes « gratuits », c’est le « djihad du pauvre ». Tant qu’on se trompera de diagnostic, on se trompera de traitement.

L’État a renoncé à faire son travail. Il n’assure plus le respect de la loi dans ces quartiers, car il a renoncé à défendre l’identité française dans ces quartiers. Ce ne sont pas des quartiers perdus de la République, mais des quartiers perdus de la France. L’un entraîne l’autre. Pour l’instant, le séparatisme islamique s’installe sans affrontement, de façon progressive, sans que rien ne change. Nous avons un modèle de libanisation qui prépare la guerre civile, avec une infinité de gens quine connaissent plus rien des règles de vie françaises. Ils ne connaissent plus que l’école — et encore d’un niveau tellement médiocre qu’elle ne fabrique plus de petits Français — et le système social de redistribution qui, lui, fonctionne à plein régime. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons les plus grosses dépenses sociales d’Europe, le plus fort taux de prélèvements obligatoires, et que nous avons été incapables d’avoir des stocks de masques. Tout est lié, il faut en prendre conscience.

Si nous accordons une part aussi importante de nos budgets aux allocations et à la redistribution — avec une part très importante accordée aux étrangers —, il n’y a évidemment plus d’argent pour le reste, des investissements sociaux au régalien. On me donnait récemment ces chiffres : en 1965 (la guerre d’Algérie est finie), les grands secteurs régaliens — police, défense, justice — représentent 6,5 % du PIB. Aujourd’hui, c’est 2 %. Même si le PIB a augmenté, c’est ridicule. Il n’y arien de très compliqué à comprendre.

— Il y a un peu plus d’un an, vous avez eu un débat avec Gérald Darmanin dans Valeurs actuelles. Il semblait d’accord avec vous sur de nombreux points. Est-ce une bonne nouvelle de le voir débarquer aujourd’hui à l’Intérieur ?

— Ça ne changera pas plus qu’avec Gérard Collomb ou Nicolas Sarkozy. À partir du moment où l’État ne maîtrise plus la politique d’immigration et la délinquance dans des quartiers livrés à eux-mêmes, le ministre de l’Intérieur est là pour la parade. Darmanin le sait déjà, et il va vite s’en apercevoir très concrètement. Sion ne règle pas ces deux sujets-là, le ministre de l’Intérieur ne sert à rien, de même que le ministre de la Justice ne sert plus qu’à décider combien de prisonniers vont être libérés pour ne pas faire exploser la surpopulation carcérale… Les ministres sont devenus des machines médiatiques. Le général de Gaulle ne les considérerait pas comme des ministres. L’État ne tient plus rien, il est vu comme un distributeur d’argent et de droits.

— Vous avez récemment été la victime d’une agression et vous avez reçu beaucoup de soutiens, ce qui était assez nouveau. Mais il paraît que ce n’est pas rare…

— En effet, c’est même assez régulier. Je me suis fait beaucoup insulter, menacer dans la rue, c’était très fréquent et de plus en plus agressif. Pendant le confinement par exemple, un homme est passé à vélo en me donnant un coup sur la tête. Mais depuis lors, Vincent Bolloré m’a demandé de m’entourer dans la rue de gardes du corps. Cette montée en puissance a sans doute plusieurs explications, mais pas du côté de mon discours puisque je n’ai rien changé sur le fond. Certains diraient que j’ai une plus grande visibilité avec CNews, ce qui est incontestable, mais j’en avais beaucoup au temps de Ruquier. L’époque est beaucoup plus violente. Il y a eu l’épisode d’opposition avec Hapsatou Sy qui a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux et certains m’ont découvert à cette occasion. Et puis j’ai été présenté par les médias comme l’incarnation du pire, ça finit par marquer des gens.

— Vous avez notamment eu un appel d’Emmanuel Macron. De quoi avez-vous parlé ?

— Je ne veux pas dévoiler les propos que nous avons échangés. Nous avons discuté pendant quarante-cinq minutes et nous avons évidemment parlé de l’immigration, le sujet s’imposait. Je vous rappelle que le type qui m’avait agressé se félicitait lui-même d’être une islamo-racaille. Ce coup de téléphone du président était élégant et malin. Les deux en même temps. Mais sur le fond, je me fiche assez de savoir ce qu’il a compris : je sais qu’il ne fera rien. C’était dans les années 1980 qu’il fallait comprendre, et certains ont d’ailleurs compris petit à petit. Mais aujourd’hui, il n’y a plus à comprendre, c’est une évidence. Comme je sais qu’il ne fera rien pour des tas de raisons, je me fiche de son degré de compréhension. Nous avons discuté, c’était agréable, nous n’étions pas d’accord du tout, mais ça ne change rien à la situation. Il pense que j’exagère, que je suis catastrophiste… Il a le même diagnostic que tous, de Chirac à Hollande en passant par Sarkozy : ça s’arrangera avec le temps. C’est une minorité d’emmerdeurs qui pourrit la vie des autres, comme dit Darmanin. Je pense l’inverse, que cela va s’aggraver avec le temps, car ce sont des mouvements historiques séculaires qui engagent l’inconscient des peuples, et des civilisations.

Pour le reste, il peut employer tous les mots qu’il veut, Sarkozy le faisait parfaitement avant lui… Ça ne change absolument rien.

— Quelle serait la première rupture avec Éric Zemmour au pouvoir ?

— Je n’en suis pas encore à rédiger un programme présidentiel et à clamer : « Le changement, c’est maintenant ! » Mais si j’accepte de jouer avec vous ce jeu-là, je dirais que la première rupture concernerait bien sûr la politique d’immigration au sens large puisque je pense que c’est la question essentielle, voire existentielle. Les immigrés n’auraient plus le droit de décider de la politique d’immigration menée en France. Cela aurait des tas de conséquences. On supprimerait le regroupement familial, le mariage avec un étranger - 90 000 par an - ne permettrait plus sa venue en France ou sa naturalisation automatique au bout de deux ans, on déciderait que les étudiants doivent payer plus cher et que nous pouvons les choisir, que le droit d’asile serait suspendu ou ne pourrait être demandé en France, mais dans les consulats à l’étranger, que le droit du sol serait supprimé, que les allocations familiales ne seraient plus versées aux étrangers. Les mesures assurantielles seraient maintenues (sécurité sociale…), mais les mesures de solidarité nationale seraient réservées aux nationaux. On expulserait les délinquants étrangers, on supprimerait la double nationalité pour les non-Européens et on étendrait les cas de déchéance de nationalité… Bref, revenir à ce qui se faisait en France jusqu’aux années 1970.

— Vous parlez là de ceux qui arrivent. Mais que faire pour ceux qui sont déjà là, Français, et qui ne s’intègrent pas ?

 Je l’ai dit : expulsion de tous les délinquants étrangers, déchéance de nationalité lors d’un délit sérieux, fermeture de toutes les mosquées salafistes ou tenues par les Frères musulmans, interdiction de toutes les associations étrangères comme c’était le cas avant, suppression du droit d’ester en justice des associations (suppression de la loi Pleven), suppression de toutes les subventions aux associations de défense des étrangers, rétablissement de la loi sur les prénoms français… Il y a beaucoup de mesures à prendre. Et là, c’est une rupture. Il s’agit tout simplement de rétablir la France des années 1960. D’ailleurs, si la question identitaire est essentielle, elle n’est pas la seule. Il faudrait développer une véritable politique industrielle et aussi rétablir une instruction publique digne de ce qu’elle fut, car je pense qu’un de nos problèmes fondamentaux est l’effondrement de notre niveau scolaire. J’emploie le mot d’« instruction » exprès pour échapper aux dérives idéologiques de l’Éducation nationale. Ça ferait les 4 I : immigration, islam, industrie, instruction.

— Vous êtes devenu un phénomène de société… Vous en rendez-vous compte maintenant ?

— Je me rends bien compte que je suis à l’intersection de plusieurs générations, entre les boomers et les jeunes. Et que le succès de l’émission signifie une révolte contre les normes moralisatrices du politiquement correct.

— Pensez-vous que votre public compte des optimistes ?

— Non. Je pense que les gens qui comprennent et approuvent ce que je dis sont très inquiets pour leurs enfants. Je l’entends tous les jours, dans la rue, chez le médecin, dans les commerces… partout. Beaucoup de Français ont très bien compris ce qu’il se passait, le rapport de force démographique, idéologique ou culturel. Les gens ne sont pas idiots, nous sommes la nation la plus politique d’Europe !

— Les gens — et notamment vos ennemis — ne le savent pas, mais vous êtes un personnage plutôt joyeux en dehors des plateaux…

— Évidemment ! Il y a mille choses belles dans la vie auxquelles je m’accroche et qui me rendent heureux. Que vous dire de plus ? Je ne suis pas le personnage monstrueux que certains se plaisent à imaginer. Mais je crois vivre exactement ce que vivent de nombreux Français. Ils sont heureux dans leur vie quotidienne et très inquiets pour leur pays. Ils ont raison, je crois.

— Quand estimerez-vous avoir fait votre œuvre, avoir dit tout ce que vous aviez à dire ?

— J’ai déjà dit tout ce que j’avais à dire, maintenant je m’adapte à l’évolution de la situation. Mais je crois qu’il n’est malheureusement pas prétentieux de dire aujourd’hui que chaque jour qui passe me donne raison… Maintenant, il y a toujours un bon livre à écrire, une analyse à faire, des progrès à accomplir. Je travaille, je progresse en économie, l’émission me permet de travailler, j’étends mes champs de travail et donc de compétences. Cela m’intéresse beaucoup.

— Selon vous, quel serait le portrait-robot de votre opposant ?

— C’est la France de la convergence des luttes. L’alliance entre l’extrême gauche, les minorités, les lobbys, les libéraux mondialistes, et la population qui refuse de s’assimiler. Tous ces gens qui convergent dans les manifestations contre l’islamophobie, pour Traoré, pour la PMA pour toutes… Tous ces gens-là ne me portent vraiment pas dans leur cœur. Je suis pour eux un adversaire, et ils ont raison de le penser. Et puis il y a enfin tous les idiots utiles. Ceux qui n’ont plus que le mot « République » à la bouche sans savoir ce que cela veut dire. Ceux qui pensent qu’au nom de l’universalisme et de la République, il ne faut rien combattre. Ce sont sans doute mes adversaires les plus difficiles à convaincre, parce qu’ils sont les idiots utiles des premiers.

— La démocratie occidentale est-elle morte ?

— La démocratie au sens du pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple est déjà morte depuis longtemps à vrai dire, tuée au nom de l’État de droit et de la décentralisation, de l’Europe et de l’universalisme… et les révoltes populistes en sont le signe : elles sont, comme je le dis depuis longtemps, le cri des peuples qui ne veulent pas mourir. Historiquement, on apprend que dans ce genre de situation de déclin d’une civilisation, soit la décadence se poursuit, soit une révolte éclate contre cette décadence. C’est ce dont je parlais au début de l’entretien, il faudrait pour cela une alliance entre une partie de la bourgeoisie et les classes populaires pour mettre un coup d’arrêt à cette décadence. Elle pourrait tenter de restaurer une France qui n’existe plus, sachant pourtant qu’on n’y arrivera jamais. Régis Debray nous a appris que la nostalgie du passé a toujours été le meilleur levier révolutionnaire. En 1789, les révolutionnaires veulent revenir à l’Antiquité romaine (le monde est vide depuis la chute de Rome, disait Saint-Just) et en 1917 Lénine et Trotsky veulent refaire la Révolution française en faisant gagner Robespierre. Mais pour l’instant, personne ne veut se saisir de ce levier extraordinaire. Tous annoncent le monde d’après et se veulent modernes. Mais le monde d’après est terrifiant.

Voir aussi

Éric Zemmour — Extraits de Destin français


Aucun commentaire: