dimanche 10 novembre 2019

Chine — Instruction à domicile en pleine croissance et pourtant mal vue par les autorités

En Occident, l’enseignement à domicile, autrefois considéré comme excentrique, a crû en popularité ces dernières décennies. En Chine, les fonctionnaires sont méfiants. Ils disent que l'école joue un rôle vital pour faire des enfants des « bâtisseurs du socialisme ». Mais de plus en plus de parents chinois se rebellent.


Une autorisation officielle est requise en Chine pour la scolarisation à domicile pendant les neuf années de la scolarité obligatoire, qui s’étend généralement de six à quinze ans. Elle est accordée uniquement dans de rares circonstances, par exemple lorsqu’un enfant souffre d’un problème de santé auquel l’école ne peut faire face.

L’enseignement à domicile reste très controversé. En 2017, pour la première fois, le ministère de l’Éducation a ouvertement attaqué cette pratique, la qualifiant de « très défavorable au développement de l’enfant tout au long de sa vie ». Il a rappelé aux parents que l’enseignement à domicile sans autorisation était interdit. En mars, le ministère a menacé les parents de « poursuites judiciaires » sans précisions s’ils ne se conformaient pas à la loi.

Ces menaces ne découragent pas certains parents. En 2017, un groupe de réflexion basé à Pékin a estimé qu’environ 56 000 enfants étaient scolarisés à la maison ou sur le point d’être retirés de l’école à cette fin. Le nombre avait presque triplé depuis 2013. De nombreux parents qui instruisent à domicile disent que ce nombre est bien supérieur. Une de ces personnes à Pékin estime qu’il pourrait y avoir « des centaines de milliers » de familles comme la sienne. Certains partagent leurs expériences d’instruction à domicile sur des groupes de discussion qui ont vu le jour au cours des dernières années sur WeChat, une application de messagerie. La plupart n’ont pas la permission faire l’école à la maison. Ils ne se donnent même pas la peine de demander l’autorisation, considérant que la réponse sera d’office non. Selon Wang Jiajia de l’Université du Jiangsu (Kiang-sou), malgré les avertissements du gouvernement, l’éducation à domicile a continué de croître au cours des deux dernières années, bien que plus lentement.

Les parents courent le risque pour plusieurs raisons. Dans les enquêtes de M. Wang, la raison plus commune est de loin le refus de « l’idéologie » et des « méthodes d’enseignement » des écoles publiques. Une autre est le mépris de la « culture scolaire », comme l’adulation des élèves bûcheurs qui potassent jour et nuit. Quelques-uns préfèrent l’enseignement à domicile pour des raisons religieuses. L’école en Chine fait, en effet, la promotion de l’athéisme.

La plupart des parents éducateurs à la maison sont urbains et bien éduqués. Ils sont généralement parvenus à maturité au cours des années relativement libérales dans la seconde moitié des années 1990. L’enseignement à domicile en Amérique était illégal dans 30 États jusqu’aux années 1980. Aujourd’hui près de 3 % des enfants d’âge scolaire en Amérique sont scolarisés de cette façon.

L’exemple américain est la source d’inspiration de certains parents chinois. Même si des centaines de milliers d’enfants en Chine étaient scolarisés à la maison, cela représenterait moins de 1 % du nombre total d’enfants chinois âgés de six à quinze ans.

L’enseignement à domicile en Chine prend deux formes principales. La première concerne l’un des parents, généralement le père, qui quitte son travail ou travaille à temps partiel pour enseigner à sa progéniture. Su Nan, un adolescent de 17 ans de la province centrale du Shaanxi (Chensi), a quitté l’école à l’âge de dix ans. Son père, un conférencier, est devenu son enseignant à temps plein. Mais maintenant que Nan (ce n’est pas son vrai nom) est plus âgé, son père a repris son ancien travail. Nan définit son propre horaire, une combinaison d’études indépendantes, de cours en ligne et de travail bénévole. Les parents qui souhaitent que leurs enfants aillent à l’université en Chine doivent s’assurer qu’ils apprennent l’idéologie du parti. La connaissance de cette idéologie est essentielle pour réussir l’examen d’entrée. Mais Nan, comme de nombreux enfants scolarisés à la maison en Chine, vise une université en Occident.

La seconde forme, moins courante, est l’« instruction à domicile collective », telle que celle que dirige maintenant M. Yuan à Xiamen (Hiamuen). L’enseignant de ces collectifs facture souvent des frais — dans le cas de M. Yuan, environ 50 000 yuans (9300 dollars canadiens, 6300 euros) par an et par élève.

Alors comment se fait-il que les parents s’en tirent ? Il se peut que le gouvernement, tout en essayant de décourager cette pratique, ne la considère pas encore comme assez commune pour constituer une menace sérieuse à son emprise politique. Certains fonctionnaires peuvent même sympathiser avec les élèves instruits à domicile. Avant que le ministère de l’Éducation n’émette ses avertissements en 2017, les médias publics ont annoncé avec une pointe d’approbation l’augmentation du nombre d’enfants éduqués à domicile, suggérant que cela pourrait contribuer à réduire le stress des enfants.

Il est également possible que les autorités, pour le moment, aient davantage l’intention de freiner la fausse instruction à domicile dont se rendent coupables les parents qui prétendent instruire leurs enfants à la maison alors qu’ils envoient illégalement leurs enfants sur le marché du travail. Des preuves anecdotiques étayent cette hypothèse. Un parent à Shanghai (Changhaï) dont la fille préadolescente est scolarisée à la maison dit avoir reçu un appel-surprise il y a quelques mois de la part du Ministère de l’Éducation local. Le fonctionnaire a demandé au parent dans quelle école son enfant avait été inscrit. Elle a dit la vérité et n’a pas été recontactée depuis. Selon elle, plusieurs autres familles scolarisées à la maison à Shanghai (Changhaï) ont vécu la même expérience ; ce qui suggère que les responsables ferment les yeux (l’écriteau à la porte de M. Yuan indique qu’il s’attend à ce qu’ils le fassent). Wang Dong, avocat dans la ville de Kunming, dans le sud du pays, spécialisé dans le domaine de l’éducation, n’a encore entendu parler d’aucun parent poursuivi pour avoir instruit ses enfants à la maison.

Mais, alors que la Chine se crispe idéologiquement, certains parents demeurent nerveux. En juillet, le ministère de l’Éducation a exhorté les écoles à intensifier leurs efforts pour inculquer les vertus d’« amour patriotique » et de « fidélité au parti ». En août, les médias d’État ont rappelé les propos du dirigeant chinois, Xi Jinping, selon lesquels l’école doit veiller à ce que « les semences des valeurs socialistes fondamentales prennent racine et se développent » dans le cœur des enfants. Les fonctionnaires se demandent peut-être si les parents qui instruisent à domicile se plient à ces demandes idéologiques. Xu Xuejin, le fondateur d’un club en ligne pour de telles personnes, ne prend pas de risque. Il a récemment supprimé son site Web pour protéger l’identité de ses membres.

Source : The Economist

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