dimanche 18 août 2019

Grande-Bretagne : se débarrasser des écoles privées ? Mieux vaudrait résorber l'inégalité entre les écoles publiques

Pour deux chercheurs de l’Université de Stirling en Grande-Bretagne, Dave Griffiths et Jennifer M Ferguson, il ne faut pas tant se débarrasser des écoles privées, mais plutôt se pencher sur la grande inégalité qui existe au sein même du réseau scolaire public.

Alexander Boris de Pfeffel Johnson est le vingtième ancien élève d’Eton à devenir Premier ministre du Royaume-Uni. La majeure partie de son cabinet est composée de personnes privilégiées ayant une éducation privée. Les deux tiers de ses ministres en ont une, alors que seuls 7 % de la population générale fréquentent des écoles payantes.

Avec plus de la moitié des hauts magistrats, des hauts fonctionnaires et des diplomates britanniques ayant également fréquenté des établissements privés — sans oublier un nombre substantiel dans les médias, les arts et le sport — le Royaume-Uni continue d’être un pays dirigé par une minorité éduquée dans le secteur privé.

L’ancien élève d’Eton,
Alexander Boris de Pfeffel Johnson,
dit Boris Johnson

Le même mois, Labor Against Private Schools, le groupe de pression du Parti travailliste (socialiste), a annoncé son intention d’inclure l’abolition de l’enseignement privé dans le prochain manifeste électoral du parti. La résolution #AbolishEton vise à ce que l’« intégration de toutes les écoles privées dans le secteur public » et la suppression de statut d’organisme de bienfaisance pour ces écoles fasse partie du programme électoral du Parti travailliste. Bon nombre considère les écoles privées comme des établissements de reproduction de privilèges hérités qui étouffent toute mobilité sociale.

Père riche, père pauvre

Même si l'on a l'habitude de présenter Eton comme emblématique de l'école privée britannique, Eton n’est en rien une école privée typique. Il ne s’agit que de l’une des 2 500 écoles payantes au Royaume-Uni et ses 1 200 élèves inscrits représentent moins de 0,2 % des 650 000 inscrits dans ces écoles payantes. Connu pour avoir éduqué de nombreuses personnalités publiques, telles que George Orwell, Ian Fleming et les princes William et Harry, un an à Eton coûte environ 40 000 £ (44 000 €, 64 500 $ canadiens), tandis que le droit de scolarité annuel moyen des écoles privées du nord-ouest de l’Angleterre (la moyenne régionale la plus basse) est inférieur à 11 000 £.

La plupart des écoles payantes ne diffèrent guère des écoles publiques les plus performantes, car elles ont peu à avoir avec des écoles aussi prestigieuses et privilégiées qu’Eton. L’écart entre les pensionnats privés d’élite (prestigieux) et les externats privés (plus modestes) est peut-être plus grand que celui qui sépare les secteurs privé et public.

Il existe également de grandes variations entre les écoles publiques, liées aux conditions socio-économiques de leurs zones de recrutement. En Écosse, plus de 20 % des écoles gouvernementales ont moins d’un tiers des élèves qui décrochent trois « highers » (grosso modo leur baccalauréat avec mention en France, leur DEC avec une bonne note au Québec), alors que dans les 15 % d’écoles publiques les plus performantes 70 % de leurs élèves atteignent ce niveau.


Eton

Les inégalités existent aussi parmi les étudiants qui postulent à l’université — souvent considérée comme un moyen d’accroître la mobilité sociale. C’est ainsi que 73 % des élèves candidats à l’université issus des 20 % des écoles publiques les mieux cotées (selon les notes aux examens) s’inscrivent aux établissements les plus prestigieux. Alors que dans la tranche des 20 % des écoles les moins bien cotées, seuls 34 % des élèves le font. Près de 88 % des élèves issus d’écoles privées qui poursuivent des études supérieures s’inscrivent dans ces universités renommées.

Nombre des meilleures écoles publiques sont plus proches des écoles privées que des écoles publiques défavorisées. Les écoles des zones les plus favorisées sont plus susceptibles de disposer d’enseignants titulaires d’un diplôme dans leur domaine et d’étudiants qui produisent de meilleures lettres de motivation, élément clé qui accompagne le dossier d’un candidat qui désire étudier à une université.

Les caractéristiques et les pratiques des écoles publiques peuvent expliquer en partie ces variations. Les études des deux chercheurs de l’université de Stirling sur le rôle des conseillers d’orientation ont montré que les écoles publiques des quartiers nantis comptaient de nombreux parents universitaires ou pratiquant une profession libérale sur lesquels elles pouvaient s’appuyer et qu’elles considèrent que leur rôle était de faciliter l’admission de leurs élèves à l’université en les aidant à se constituer un CV qui plaisent aux bureaux d’admission des meilleures universités. Ces caractéristiques et pratiques sont similaires à celles observées dans les écoles privées.

En revanche, dans les zones les moins riches, les conseillers d’orientation décrivent souvent leur rôle comme celui d’accroître les aspirations des élèves doués. Les parents avaient souvent peu d’expérience universitaire et les élèves connaissaient peu de gens diplômés qui auraient pu leur faire comprendre les avantages de l’enseignement supérieur. Les écoles situées dans des zones défavorisées essaient donc de convaincre leurs élèves d’aller à l’université, plutôt que de convaincre les universités d’admettre les élèves de ces écoles de quartiers moins nantis.

La proposition travailliste risque d’accroître les inégalités

La proposition du parti travailliste d’intégrer les écoles indépendantes dans le système étatique risque d’accroître, et non de réduire, les inégalités existant dans le système éducatif. La plupart des enfants qui reçoivent une éducation privée vivent dans les zones de recrutement des écoles publiques les plus riches, augmentant ainsi le nombre de parents nantis, tant sur le plan des connaissances et que de l’argent, à ces écoles publiques déjà favorisées. Ces écoles en profiteraient et certains élèves qui fréquentent à l’heure actuelle ces écoles publiques devraient s’adresser ailleurs, peut-être auprès d’écoles moins favorisées.

La plupart des élèves des écoles privées qui obtiennent de bonnes notes et sont admis à l’université obtiendraient les mêmes résultats dans les meilleures écoles publiques. Les élèves des écoles privées qui y perdraient seraient probablement ceux qui habitent les zones les plus pauvres. Rappelons que les écoles privées admettent des élèves des zones moins nanties grâce à un système de bourses. C’est le cas de Boris Johnson, issu d’une famille de la classe moyenne supérieure et qui a bénéficié d’une « bourse royale ».

Abolir les écoles privées ne supprime pas les privilèges. Les Premiers ministres continueraient d'être des anciens élèves d'écoles prestigieuses mais ils auraient fréquenté les écoles gouvernementales les plus sélectives plutôt qu'Eton. Ce n’est pas la fréquentation d’une école en tant que telle qui explique l’admission dans de bonnes universités. Les familles qui envoient leurs enfants dans les prestigieuses écoles privées continueraient à créer des réseaux et à cultiver un mode de vie qui favorisent l’admissibilité à l’université.

De nombreuses écoles privées ferment déjà leurs portes. Elles deviennent hors de prix et des écoles subventionnées (comme les « écoles libres » et les « académies ») attirent la clientèle de la classe moyenne qui ne peut plus se permettre d’envoyer sa progéniture à une école privée. Pour Dave Griffiths et Jennifer Ferguson, il faut mettre l’accent sur les politiques scolaites pour faire en sorte que les inégalités existantes ne soient pas aggravées si ces écoles payantes reviennaient dans le giron du secteur public.

Certaines écoles publiques essaient déjà d'exclure les élèves issus des foyers pauvres et à recruter des élèves issus de milieux riches. Pour les deux chercheurs de l’université de Stirling, il est essentiel de veiller à ce que les écoles (publiques ou privées) ne créent pas d’inégalités involontaires.

La recherche de stratégies visant à limiter les inégalités entre les écoles publiques devrait constituer un objectif politique central. L’intégration des écoles privées dans le système étatique est une question idéologique qui offre peu d’avantages réels et pragmatiques qui permettraient aux jeunes socialement défavorisés de s’épanouir. En outre, cette étatisation ne résout pas le problème de la reproduction de privilèges.

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