vendredi 7 octobre 2011

Angleterre — Écoles libres : la libéralisation de l’Éducation ?

En 2010, le parti conservateur au pouvoir, allié aux Libéraux, a voulu libéraliser en Angleterre la création d’écoles publiques gérées par le privé : les « écoles libres », sur le modèle des « académies » financées par l'État. Avec comme condition que ces écoles doivent être créées de préférence dans des zones défavorisées, où il existe une demande parentale avérée. En favorisant la création d'écoles libres, le ministère espère aussi pouvoir résoudre le problème du manque croissant de places dans les écoles, notamment dans le premier degré, par exemple à Londres.

Il s’agit aussi, par cette réforme, de faciliter, pour les excellentes écoles, l’accession au statut d’académie, qui est une école indépendante, gratuite pour les parents, créée sur fonds publics mais gérée par le privé et qui relève directement du ministère, et non plus du gouvernement local. Les académies ont été créées sous Tony Blair en 2000. Début 2010, avant l’arrivée au pouvoir du Parti conservateur, il y avait 203 académies en Angleterre. En janvier 2011, après la mise en œuvre des réformes, elles étaient plus de 400. En août 2011, plus de 300 groupes avaient soumis au ministère leur projet, plus ou moins avancé, de nouvelle école libre, gérée de façon analogue aux académies. La raison de ce succès, et la principale nouveauté introduite par les Conservateurs, est la suppression du droit de veto des autorités locales qui pouvait être opposé aux créations de nouvelles écoles.



La réforme britannique : débuts, premiers résultats

La réforme britannique s’est faite très rapidement. En un peu plus d’un an, le gouvernement a modifié la loi, trouvé des candidats et permis à 24 nouvelles écoles libres d’ouvrir leurs portes. Retour sur un agenda serré :

1. Avril 2010 — À l’occasion des élections législatives de 2010, le manifeste du Parti conservateur promet de réformer le système de création de nouvelles écoles : « Notre programme de réformes a pour but de permettre aux communautés de se rencontrer pour discuter des problèmes locaux. Par exemple, nous permettrons aux parents de fonder de nouvelles écoles », « Nous appuyant sur l’expérience des réformes scolaires suédoises et du mouvement des écoles à charte aux États-Unis, nous briserons les barrières à l’entrée afin que chaque bon fournisseur d’éducation puisse mettre en place une nouvelle académie. Notre programme de réforme scolaire est une partie importante de notre stratégie anti-pauvreté, c’est pourquoi notre première action sera d’établir de nouvelles académies dans les zones les plus défavorisées du pays ».

2. Juin 2010 — Le ministère demande à New Schools Network de trouver et d’aider des candidats à postuler au programme des écoles libres. Le ministère lui accorde une subvention de 500 000 £, valable de juin 2010 à juillet 2011 pour « fournir des conseils de haute qualité et orienter les candidats à la création d'écoles libres ; développer l’accueil de conférences et de séminaires nationaux et régionaux ; générer et soutenir la mise en réseau de candidats à la création de'écoles libres et, en temps utile, les prestataires existants afin de partager informations et expériences ; être le premier point de contact pour les groupes qui vont formellement manifester un intérêt pour la création d'écoles libres ; soutenir des groupes qui veulent développer et soumettre au ministère une proposition de création d'écoles libres […].  »
Le rôle de New Schools Network dans le processus

New Schools Network est une association de bienfaisance indépendante fondée en 2009. Elle a pour but « d’améliorer la qualité de l’enseignement — particulièrement des plus défavorisés — en augmentant le nombre d’écoles indépendantes et innovantes au sein du secteur public ». Elle propose ses conseils aux groupes souhaitant fonder une école, un service de mise en relations entre enseignants volontaires, futurs directeurs, et partenaires potentiels ; mais aussi des évènements et des fiches pratiques.

NSN a été qualifié de laboratoires d'idées (« think tank »)  — ce dont se défend NSN sur son site — par le journal de gauche The Guardian en juillet 2010, qui critique le manque de transparence de son financement et le fait que sa directrice, Rachel Wolf, ait été anciennement conseillère éducation au parti conservateur, proche de Michael Gove, le Ministre de l’Éducation qui a accordé en juin 2010 à l’association une subvention de 500 000 £ pour aider le ministère à trouver et à conseiller des personnes souhaitant créer une école libre.

3. Juillet 2010 — le Parlement vote l’Academies Act 2010. Cette loi permet à toutes les écoles fondées sur fonds publics de devenir des académies, toujours avec des fonds publics, mais avec des degrés d’autonomie différents (par exemple pour moduler le salaire des enseignants ou pour diverger du programme scolaire établi au niveau national). Notons qu'aux États-Unis un système de rémunération différenciée des enseignants selon les performances de leurs élèves a conduit à une fraude massive  généralisée pendant plusieurs années dans certaines écoles : les enseignants rehaussaient les notes de leurs élèves ou corrigeaient leurs réponses avant correction à l'externe.

4. Septembre 2010 — Michael Gove, ministre de l’Éducation, publie la liste officielle des seize propositions d’écoles qui ont été retenues par le ministère, leur demandant de lui soumettre un projet plus complet, afin d’ouvrir en 2011 sous le statut d'école libre.

5. Janvier 2011- aujourd’hui — début de la lecture à la Chambre des Communes de l’Education White Paper qui vise, entre autres, à permettre aux autorités locales de proposer elles aussi des écoles libres. En effet, les écoles libres échappant aux autorités locales, celles-ci critiquaient fortement la réforme des écoles libres, l’accusant de (re)centralisation. En permettant aux gouvernements locaux de créer des écoles libres, le ministère leur rétrocède en quelque sorte leur pouvoir d’initiative éducatif, tout en gardant la haute main sur les nouvelles écoles créées.

6. Septembre 2011 — 24 écoles libres ouvrent pour la rentrée scolaire 2010-2011. La moitié de ces écoles sont implantées dans des zones défavorisées. Certaines sont confessionnelles, d’autres non, quelques-unes ont été crées par des parents, d’autres par des enseignants, ou des associations caritatives. Des places ont été aussi créées dans des écoles existantes, comme à la Batley Grammar School (créée en 1612), où les nouveaux élèves seront dispensés du paiement des frais de scolarité élevés de cette institution.

Les écoles libres ne représentent qu’une partie des réformes éducatives britanniques, qui concernent aussi, par exemple, la rationalisation des inspections pédagogiques, qui doivent devenir plus rares dans les très bonnes écoles, afin de concentrer les efforts sur celles jugées défaillantes. De plus, la réforme des écoles libres ne s’applique pour le moment qu’en Angleterre, et pas encore en Écosse ni au Pays de Galles. Enfin, si les propositions de nouvelles écoles libres ne manquent pas, il faut voir si les bonnes volontés suffiront à gérer les écoles au jour le jour. Car les expériences étrangères ont montré que les écoles libres les plus performantes étaient celles qui s’appuyaient sur un réseau : réseau d’une pédagogie innovante, chaîne d’écoles, ou encore entreprises privées à but lucratif, professionnelles de la gestion d’établissements.

Pour quel coût ?

Dans la mesure où il s’agit d’écoles publiques, les parents n’ont pas à payer de frais de scolarité. En effet, les écoles libres reçoivent pour chaque élève, la même somme que l’État aurait dépensée pour une école publique normale. D’après la BBC, lorsque la réforme a été annoncée, 50 millions de £ ont été prévus pour la mise en place des écoles. En réalité, les frais de construction des 24 premières écoles libres devraient s’élever entre 110 et 130 millions de £, à charge pour le ministère. À la rentrée 2011, les écoles ont commencé leurs cours dans des locaux temporaires, parfois sur leur futur lieu d’implantation.

Un mouvement « déjà testé avec succès en Suède »

Le manifeste du Parti conservateur s’appuie sur l’expérience qui aurait été réussie en Suède « où 1.000 nouvelles écoles ont été ouvertes (…) et ont attiré des élèves en offrant une meilleure discipline et un niveau plus élevé ». Selon le manifeste, c’est le fait que les parents peuvent librement choisir l’école de leurs enfants, sans être freinés par les frais de scolarité (chèque-éducation), qui fait que le niveau des écoles s’est généralement amélioré, grâce à la concurrence des écoles entre elles. Notons cependant que la liberté de programme n'existe pas dans les écoles suédoises et que l'instruction à domicile y est restreinte de façon draconienne.

Les écoles libres améliorent-elles vraiment les résultats des élèves ? L’exemple suédois

En 1992, la Suède introduisit le système des chèques-éducation, dans lequel des écoles privées (y compris des écoles à but lucratif) pouvaient recevoir pour chaque élève la même subvention qu’une école publique. L’autonomie des écoles a également été considérablement élargie, incluant la modulation du salaire et des conditions de travail des enseignants, la décentralisation du financement des écoles et une plus grande liberté pédagogique concernant l’organisation du programme et des examens. Mais pas  de liberté quant au programme. Aujourd’hui, environ 10 % des élèves de 12-15 ans sont accueillis dans les écoles libres. Il n’existe pas de sélection à l’entrée : l’admission se fait selon la règle du « premier arrivé, premier servi ».

La dernière évaluation des résultats de ces écoles libres suédoises (Böhlmark et Lindahl, 2007, 2008) montre un impact positif, mais faible, sur les résultats scolaires dans les villes où se sont implantées les écoles libres. Ces résultats positifs semblent dus tout autant à l’efficacité des écoles libres qu’aux efforts des écoles publiques locales pour répondre à cette concurrence.

Conclusion

Pour conclure, la rapidité de la mise en œuvre des écoles libres montre qu’une réforme éducative importante peut être menée sans perte de temps, surtout en s’appuyant sur l’initiative privée. Les années à venir montreront si les résultats en Angleterre sont aussi bons qu’ils l’ont été en Suède. Mais une telle réforme ne semble pas envisageable avant longtemps en France ou au Québec, où règne une forte méfiance de l’État envers les établissements gérés par le privé, malgré l'engouement croissant de nombreux parents pour ce secteur de l'enseignement.  Or l’exemple suédois montre, parmi bien d’autres, que la concurrence entre écoles est souvent bénéfique aux élèves.

Source


Voir aussi

Fascination française pour l'« Amérique d'Obama » et ses écoles à charte

Suède — Le monopole de l'Éducation incapable de répondre à tous les désirs

Washington (D.C.) — Des bons scolaires pour les pauvres plutôt que des subventions pour avorter

France — les écoles libres (hors contrat) n'en font qu'à leur tête




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