lundi 23 décembre 2024

Le Noël tourmenté des chrétiens d'Orient

Dans un Proche-Orient troublé par les guerres et l’incertitude politique, la crise économique frappe sans distinction toutes les communautés et, selon Le Figaro Magazine, les convie à une solidarité active, mâtinée de ferveur religieuse. Reportage auprès des chrétiens du Liban et de Syrie qui vivent Noël, entre peur et espoir, comme une nouvelle naissance.

En Syrie, l’humour est un trésor national ; une étincelle qui s’allume dans les conversations de rue ou de salon, en toutes circonstances

Bachar est parti ! Bon débarras ! Nous sommes libres ! s’exclame un robuste gaillard en écartant les bras. Nous pouvons enfin discuter de politique en public, mais… nous n’avons rien à en dire ! » L’hilarité secoue les corps engourdis de ceux qui font la queue devant la boulangerie dans le matin frais de Damas. Ouf, l’humour syrien est resté intact. C’est un trésor national ; une étincelle qui s’allume dans les conversations de rue ou de salon. L’incertitude du nouveau pouvoir, la guerre, les crises ne l’ont pas abîmé. Le regard plongeant dans la longue rue qui mène à la mosquée des Omeyyades, Alsan reprend : « Nous devons renoncer à nous venger. Les criminels du régime sont déjà hantés par leur mauvaise conscience. Un jour, nous ferons justice. La priorité, c’est de reconstruire notre économie en ruine », poursuit ce chrétien, père de quatre enfants, mécanicien sans clients.

Le muezzin chante, les cloches d’une église voisine tintent. Quelques coups de feu s’entendent au loin, rafales d’enthousiasme ou règlements de comptes : personne ne réagit. Ces dernières semaines, une ferveur inédite habite le pays. Les rassemblements ne sont plus réprimés par les armes, les enfants, les femmes, les vieillards se prennent en photo sur les ronds-points, avec des drapeaux, des rebelles, des kalachnikovs, dans toutes les positions, voilées ou pas, en jean mince ou en treillis.

FLEUR D’ORANGER

Chaque matin, au lever du jour, une soixantaine de fidèles se pressent vers la messe de l’une des églises du quartier de Tabbalé. Devant, un menuisier funéraire au visage blanchi astique un cercueil. Les effluves de fleur d’oranger de la boulangerie voisine flottent dans la rue. « Dommage de mourir sans avoir vu la Syrie renaître, marmonne-t-il en nettoyant la croix qui surmonte la planche de bois. Ces quinze dernières années ont été une descente en enfer pour nous tous. Pas d’argent, pas de paix, pas d’espoir. » Les morts dont on a retrouvé les restes dans les charniers autour des prisons vont désormais pouvoir être enterrés. Le combat pour la liberté ou la justice qui les a tués semble enfin avoir porté ses fruits. « C’est un signe, clame un paroissien melkite à l’air rusé. Bachar a fui le jour où Notre-Dame de Paris rouvrait, et où on fêtait l’Immaculée Conception. »

Lors de l’Angélus, récité depuis la chapelle de la Casa Santa Marta et retransmis sur les écrans géants de la place Saint-Pierre, le pape François a de nouveau parlé de Gaza : « Je pense avec douleur à tant de cruauté, aux enfants mitraillés, aux bombardements d’écoles et d’hôpitaux »

ÈRE NOUVELLE

Près du grand sapin de Noël illuminé entre deux coupures de courant, trois jeunes garçons s’exclament : « Bachar s’est envolé ! Bachar s’est envolé ! » en mimant des ailes avec leurs bras. Le soulagement qui se perçoit depuis deux semaines dans le pays augure une renaissance propre à l’esprit de Noël. Dans ce pays épuisé par treize ans de guerre civile, hanté par la disparition de près de 150 000 personnes, la mort de 500 000 autres et le départ de 6 millions de Syriens en exil, une timide dynamique point. Après un demi-siècle de tyrannie politique, sous le soleil hivernal orangé qui éclairait déjà Jésus de Nazareth, né à 225 kilomètres de là, une ère s’ouvre. « Bachar est parti avec sa famille en emportant tout l’argent de notre pays. Il nous a trahis. C’est un médiocre », marmonne Maha, en baissant la voix par réflexe quand elle aborde un sujet politique. Dans la rue qui mène au sanctuaire de la conversion de saint Paul, les murs ont-ils toujours des oreilles ?

Bombardé par les Israéliens…

Une famille ressort de sa voiture pour nous parler. Le fils, chirurgien-dentiste âgé de 27 ans, se rend à la messe chaque jour. Il professe sa foi devant ses parents et sa sœur, dont les grands yeux noirs sont maquillés de khôl : « Nous sommes entre les mains de Dieu. Plus que jamais. On ne pense pas à demain. Il faut lui faire confiance, lui seul sait où nous mener. » Les quatre membres de cette famille prennent soin, dans leurs réponses, d’associer leur sort de chrétiens à celui de leurs amis musulmans. C’est une ascèse, et un pli hérité du régime laïc qui plaçait l’adhésion à la nation au-dessus de l’appartenance religieuse. Ici, depuis un demi-siècle, les écoles ont intégré des élèves de toutes les confessions, permettant aux générations de se familiariser entre elles. Les congrégations chrétiennes ont contribué à ce legs que la Syrie partage avec le Liban voisin : financées par leur ordre et par des associations d’Église, comme l’Œuvre d’Orient, les écoles sont restées abordables et ouvertes au plus grand nombre d’élèves musulmans. En Syrie, depuis la nationalisation de l’enseignement en 1969 par Hafez el-Assad, on dénombre encore une trentaine d’écoles privées confessionnelles chrétiennes. Depuis quinze ans, toutefois, le niveau scolaire s’est effondré et de nombreux enfants sont déscolarisés. Au Liban, le taux est inverse : 320 écoles chrétiennes scolarisent 20 % des élèves libanais.

BAB TOUMA DÉSERTÉ

Abandonné par ses résidents chrétiens dès les premiers jours de la guerre civile, le quartier de Bab Touma, considéré comme l’un des plus charmants et pittoresques de la capitale, où culminent une dizaine de clochers, est vide. Certaines écoles n’ont pas rouvert, faute d’élèves. Les commerçants, dépourvus de clients et d’électricité, ont restreint leur activité : touristes, étudiants, visiteurs qui affluaient au début du siècle ont disparu, livrant les ruelles aux chats. Les résidents sont partis s’installer au Canada, en Autriche, en Australie, en France. Certains ont vendu leur maison. Ces dernières années, la rumeur courait que les palais traditionnels de Bab Charqi et de Bab Touma avaient été bradés à de riches Iraniens, alliés du régime de Bachar el-Assad. Au détour d’un encorbellement, on entend des chants s’échapper d’un couvent des sœurs de Mère Teresa. Là, des effluves d’encens indiquent une chapelle animée. Les portes de l’église melkite ferment après la liturgie : ici, des irréductibles prient Jésus sans trêve depuis près de deux mille ans. Derrière le sanctuaire de saint Paul, une sœur franciscaine qui a vécu dans les camps de réfugiés d’Idlib accueille les familles arrivées de province dans son hostellerie. Celles-ci viennent chercher leurs proches dans les cellules de Saydnaya et dans les hôpitaux avoisinant les sinistres prisons ou bien pour suivre des traitements médicaux auprès d’un spécialiste. « L’islam de Syrie, c’est le meilleur de tous, constate-t-elle. Les musulmans d’ici sont habitués à vivre avec tout le monde. À Idlib, ils provenaient de beaucoup de pays, et ils se battaient entre eux. » Le moteur d’un avion vrombit au-dessus de la capitale. Dans le sanctuaire, Nicolas ne cache pas son effroi. Rien n’apaise ses inquiétudes de bombardements israéliens comme celles concernant le sort des minorités kurdes, alaouites, chrétiennes : « Habibi, qu’est-ce qui nous attend ? De quoi l’avenir est-il fait ? » gémit-il.

UN VISA POUR NOËL

À une centaine de kilomètres au nord de Damas, dans les villages d’agriculteurs de la périphérie de Homs, troisième ville de Syrie, la peur est sensible. Les informations non vérifiées circulent à toute vitesse : « Les rebelles ont obligé une femme chrétienne à mettre un hijab », dit un prêtre en brandissant son téléphone portable. « Le père Noël est désormais interdit en Syrie », assure un autre. À Meskané, les enfants nous ouvrent les portes de leur maison, dévoilant leur crèche, leur sapin décoré au milieu du salon comme des antidotes à la morosité ambiante. Des missiles israéliens sont tombés dans une caserne à l’entrée du village il y a deux jours, soufflant les fenêtres des résidences avoisinantes. Depuis, chacun préfère rester chez lui. Guerre ou pas, pour les 500 000 chrétiens (2 %) qui vivent toujours en Syrie, Noël reste une fête familiale, spirituelle, teintée de consumérisme : une messe de minuit, une crèche vivante, un bon repas, quelques cadeaux aux enfants, ainsi se commémore la naissance de Jésus.

À 12 kilomètres de Homs, autour des deux églises syriaques catholiques et orthodoxes où vivent plusieurs centaines de familles chrétiennes, les enfants formulent leur souhait de cadeaux : Hala, 12 ans, veut « voyager » à Dubaï ou en Espagne, c’est-à-dire immigrer. « C’est le rêve de tous les Syriens », s’excuse sa mère, assise à côté d’elle, les sourcils épilés redessinés d’un épais trait de crayon. Son amie Mira réclame de nouveaux habits et la possibilité de retourner à l’école. Les adultes souhaitent le retour de la paix : « Nous ne demandons pas davantage que notre nourriture quotidienne, murmure une femme. Et que personne ne fasse de tort à nos enfants dans la Syrie de demain. » « Nous n’avons plus de rêve, nous sommes fatigués », renchérit un homme qui rentre des champs. La pédiatre de ce village de 6 000 habitants, le Dr Ghanem, constate que les enfants sont mal nourris depuis des années. Ses petits patients souffrent de carences multiples : « Ils ne boivent pas de lait, ne se nourrissent que de sauce tomate, de pain et de thé. Certains ont oublié ce que viande veut dire. La plupart sont anémiés. »


Depuis le 8 décembre, date de la chute du régime, la liesse habite la place de l’horloge à Homs. C’est là que la première manifestation démocratique, en mars 2011, a été réprimée dans le sang. À quelques rues de là, parmi le clergé chrétien, la circonspection prévaut, sauf chez l’archevêque de Homs, Jacques Mourad, qui a obtenu des gages de protection des minorités de la part des nouvelles autorités. « Au début, les chrétiens ne voulaient pas sortir de chez eux, raconte cet homme de paix, artisan du dialogue islamo-chrétien depuis les années 1980. Il a fallu que je marche dans les rues pour qu’ils soient rassurés et qu’ils reprennent une vie normale. » Pelant une orange à la fin d’un repas frugal au sein de l’archevêché, où il reçoit toutes sortes de convives avec une humilité biblique, il s’enthousiasme : « Nous, chrétiens, devons vivre la joie du peuple syrien ! Il nous faut regarder dans les yeux ceux qui viennent de renverser le régime et croire en leur bonne volonté pour reconstruire ce pays. Ne nous arrêtons pas à nos craintes, dépassons-les. Pour la première fois depuis que j’ai été pris en otage à al-Qaryatayn/Cariatein [en 2015, par des islamistes, avant d’être libéré par des amis musulmans cinq mois plus tard, NDLR], je goûte pleinement à la joie de ma liberté. »

ÉGOPORTRAITS SUR LES CHARS

Les images horribles des charniers et des prisons du régime renforcent le crédit des nouveaux maîtres du pays. Peuvent-ils faire pire que ce système mortifère, cynique et corrupteur ? Sur les routes, des chars de confection russe sont abandonnés et deviennent des décors pour les égoportraits. Les voitures des fuyards dont personne n’a refermé les portes gisent dans les ravins avant d’être pillées et démontées avec des cris de joie ; les sièges des ministères ont été incendiés, les rebelles exultent au volant de leurs véhicules badigeonnés de la terre rouge d’Idlib. Les bâtiments publics, les centres commerciaux où les caciques blanchissaient leur argent : tout a été vandalisé. Le chaos n’est pas loin. Sur les routes du pays, les guérites sont vides, les barrages de contrôle désertés. À 19 ans, Syrienne exilée au Liban, Hiba n’en croit pas ses yeux : pour la première fois, elle a passé la frontière sans embûche. Exit le sinistre hall dans lequel les sbires du régime Assad sévissaient, exit leurs questions inquisitrices, leur collecte abusive d’informations sur les personnes qu’elle venait visiter avant d’obtenir le sésame. Comme 95 % des Syriens âgés de moins de 65 ans, elle n’a connu que les redoutés moukhabarat, agents des services de renseignement. En cas d’arrestation, le piège se refermait : on allait en prison, et le régime avait droit de vie ou de mort sur vous. Dans la voiture que son mari conduit à tombeau ouvert, Hiba jubile, tenant sa fille âgée de 1 an sur ses genoux. Le long de l’asphalte qui crisse sous les pneus, les portraits de Bachar el-Assad ont été lacérés. Le scalp de son père Hafez, le front blafard, subsiste parfois sur un portique.
Une chrétienne du Liban a attendu plus de quarante ans le retour de son fils emprisonné en Syrie. Elle est morte l’année dernière, mais lui est vivant !
Le calendrier jaune au mur est en français

DISPARUS LIBANAIS


Le peuple libanais a lui aussi vécu sous le joug de la dynastie des Assad. En 1982, de l’autre côté de la frontière, dans la plaine de la Bekaa, une vingtaine d’hommes de 18 ans, du village de Deir al-Ahmar, ont été kidnappés et retenus dans les prisons syriennes durant des décennies. « Une de mes paroissiennes a attendu pendant quarante ans sur le balcon de sa maison le retour de son fils, raconte le père Paul, au nord du Liban sans masquer son admiration. Elle est morte l’année dernière. Et nous venons d’apprendre que son fils était vivant ! ajoute-t-il en brandissant une photo d’un homme de 60 ans, prostré, apparemment éborgné par ses geôliers. Ses cousins viennent de partir pour l’hôpital de Saydnaya afin de vérifier son ADN. Nous accueillerons son fils comme elle l’aurait fait », témoigne-t-il.

À la frontière est du pays du Cèdre, les campements de réfugiés syriens subsistent. Après la chute de Bachar el-Assad, certains rescapés de la conscription militaire obligatoire ou de la guerre civile examinent l’opportunité de rentrer chez eux. Si la communauté internationale refuse de lever les sanctions économiques qui étranglent l’économie syrienne, ils resteront au Liban, à l’affût de leurs maigres avantages. À Zahlé, chaque début de semaine, on voit toujours des cohortes de femmes patienter devant la banque pour retirer leur solde hebdomadaire, distribué par l’UNHCR, l’agence de l’ONU pour les réfugiés. Un peu plus loin, à Deir el-Ahmar, la guerre entre le Hezbollah et Israël a causé des dégâts. Durant soixante-six jours, l’armée de Benyamin Nétanyahou a pilonné Baalbek et sa région pour détruire des caches d’armes de la milice islamiste chiite et d’autres bâtiments pourtant sans valeur stratégique. Des civils ont été tués, beaucoup d’autres ont fui : « Quinze mille personnes sont venues se réfugier dans nos maisons et nos écoles, raconte Hanna Rahme, archevêque maronite du diocèse. Avec l’Esprit saint, ça a été incroyable, les chrétiens se sont montrés solidaires de nos frères musulmans. Cela reflète la longue histoire des quatorze siècles de notre cohabitation harmonieuse. » Appuyée sur une béquille, sœur Deema, originaire de la Bekaa, raconte comment elle a vu trois missiles tomber autour d’elle. « J’ai eu peur pour le couvent, pour l’école, pour les dégâts. Mais je n’ai pas eu peur de mourir : à l’intérieur, j’étais forte. » Sœur Rima Maalouf acquiesce à côté d’elle : « On n’est pas le Hezbollah, ce n’est pas notre guerre, mais c’est dans ces crises-là que nous devons exprimer notre charité chrétienne. J’ai ouvert aux réfugiés sept de nos salles de classe pour qu’ils puissent continuer à étudier durant ces deux mois », ajoute-t-elle dans un français parfait.


SURMENAGE AU COUVENT

Selon Vincent Gelot, qui vit sur place pour coordonner les activités de L’Œuvre d’Orient au Liban et en Syrie, une importante quantité de prêtres et de bonnes sœurs de la région connaissent un état d’épuisement sévère. « Les religieux sont les plus engagés, les plus persévérants, les plus courageux pour faire face à ce type de crise, constate-t-il. Ils portent beaucoup des drames de cette région sur leurs épaules et œuvrent au plus près des populations qui leur font toute confiance. J’aimerais que la communauté internationale prenne davantage conscience de leur rôle et les aide mieux. » S’appuyant sur les jeunes volontaires du pays, membres du dynamique secteur associatif au Levant, les congrégations religieuses aident les familles à retrouver une vie normale à la veille des fêtes de Noël.

À Nabatié, fief du Hezbollah au sud du Liban, dont le souk pluriséculaire a été réduit en cendres par l’armée israélienne, sœur Maria Wehbi ne mâche pas ses mots : « J’ai vu l’enfer ici. Les missiles ont plu sur l’école, à l’intérieur du bâtiment préscolaire et sur les quartiers d’habitation. Nous avons beaucoup crié et prié avec les chiites qui récitaient avec nous le Notre Père et le Je vous salue Marie à 18 heures chaque soir. C’était superbe. Tous les voisins musulmans sont venus nous dire : “Grâce à Dieu, vous êtes encore vivantes”. » Directrice de cette école chrétienne construite en 1973, qui accueillait avant le déclenchement de la guerre, en septembre, 1 300 collégiens et lycéens, elle craint une nouvelle hémorragie des talents : « En 2006 déjà [lors de la guerre de 34 jours entre Israël et le Hezbollah, NDLR], les jeunes sont partis. Nous comptions parmi nos élèves 40 % de chrétiens. Aujourd’hui, il ne nous en reste que 5 % et nous ne sommes même pas sûrs de les garder. » Même scénario plus au sud, à Ain Ebel, où sœur Maya accueille, avec la congrégation des Saints-Cœurs, 1 100 élèves dans son école près d’une frontière explosive. Sous le ballet des drones qui bourdonnent dans le ciel, donnant l’impression d’une guerre toujours active, les jeunes de Caritas aident les réfugiés qui sont venus des 32 villages bombardés. Femmes, enfants, personnes âgées ont été accueillis à bras ouverts. Pas les hommes : inutile d’exposer le reste du groupe aux bombardements de l’État hébreu à cause d’une éventuelle présence de miliciens du « Hezb », comme on les appelle ici. Dans ce paysage désolé où Israël a bombardé des dizaines de bâtiments parfois sans prévenir, un village donne l’impression d’une héroïque résistance : c’est Rmeich, enclave exclusivement chrétienne dont les 10 000 habitants présentent leur aplomb de martyrs au caractère bien trempé. « Cette terre est à nous, on ne l’abandonnera jamais, tonitrue Valia, une commerçante du village, la mine fière. Nous ne voulons pas être une zone tampon d’Israël. Nous souhaitons vivre chez nous, auprès de nos ancêtres et de nos oliviers. » Les bulldozers israéliens ont d’ailleurs détruit, à quelques kilomètres, des champs d’oliviers comme pour signaler aux agriculteurs qu’ils devaient prendre racine ailleurs. De quoi attiser la colère des réfugiés empêchés de rentrer chez eux, dans leurs villages bordant le fleuve Litani.

Damas, Syrie : Les manifestations dénonçant les attaques antichrétiennes à Suqaylabiyah (Skelbié à l'époque du mandat français) et ailleurs en Syrie se sont étendues à Jaramana, une grande ville chrétienne et druze proche de Damas.

VITE RECONSTRUIRE

La guerre au sud du Liban a vraiment commencé il y a quatorze mois, le 8 octobre 2023, lorsque l’armée israélienne a visé des villages mixtes. « J’ai appris au fil des crises des dernières années qu’après une destruction, il faut tout de suite envoyer des signaux de reconstruction positifs à la population pour éviter qu’elle plie bagage », assure sœur Maya, dans son habit bleu ciel. Le nonce apostolique d’origine italienne, Paolo Borgia, vient découvrir l’ampleur des destructions. Dans la voiture, il relit les derniers chiffres tombés sur son WhatsApp : « Au Liban, le 5 décembre 2024, la guerre avait fait 4 047 morts et 16 638 blessés. »

Dans l’église éventrée de Derdghaiya, les yeux clos de saint Charbel, représenté sur l’unique mur encore debout, invitent au silence.

« Ici, il y a eu sept morts le 23 septembre, par drones. Parmi eux, un pompier volontaire paroissien resté ici pour porter secours aux habitants. La mosquée du village n’a rien eu, c’était un attentat ciblé », affirme Naji, loquace ingénieur des Ponts et Chaussées, incollable sur la longue histoire des chrétiens du sud du Liban, des Cananéens qui précédaient les Israéliens, des Mamelouks envahisseurs. Au loin, on aperçoit le mont Hermon tandis que le nonce perd l’équilibre sur une pierre vacillante.

« Les gens ne peuvent pas attendre pour reconstruire leur maison, il faut les aider. Ils n’ont aucune réserve ni aide en dehors de nous », s’alarme Mgr Georges Iskandar, archevêque melkite de Tyr, rattrapant l’envoyé du Pape par le bras. « Où qu’il meure dans le monde, un Libanais veut toujours être enterré chez lui, dans le berceau de sa famille, croit savoir un badaud francophone, attiré par l’attroupement autour de l’église.

Vous verrez, la messe de Noël à ciel ouvert, sous les étoiles, sera très belle cette année. » L’expression libanaise « De ta bouche jusqu’aux portes du ciel », qui signifie « sois exaucé », traverse la voûte brisée.

Source : Figaro Magazine



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