vendredi 17 mars 2023

Québec — et si l'on faisait le bilan du renouveau pédagogique ?

Chronique de Christian Rioux parue dans le Devoir.

À trois jours de la Journée internationale de la Francophonie, on voudrait parler d’autre chose. Mais il faut bien que quelqu’un s’y colle.

Pendant que les élites françaises se vautrent dans le globish, il serait rassurant de se dire que de notre côté de l’Atlantique, les choses vont mieux. Et pourtant, que nenni ! N’est-ce pas ce que nous confirmait ce rapport sur la maîtrise du français au collégial commandé par l’ex-ministre Danielle McCann en 2021 et rendu public seulement la semaine dernière ? Les autrices y rappellent les médiocres résultats des élèves en français à l’entrée du cégep. Elles soulignent surtout combien cette maîtrise est déterminante pour la réussite scolaire à tous les niveaux.

Mais que proposent-elles sinon d’enseigner la grammaire et l’orthographe au cégep. Et pourquoi pas en maîtrise et au doctorat ? « C’est comme si on demandait à un professeur de mathématiques au cégep d’enseigner les tables de multiplication ! » a fort justement répliqué la présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec, Caroline Quesnel.

Car, à moins de dénaturer la mission du cégep, la grammaire et l’orthographe n’ont rien à faire dans ce qui demeure le seul lieu où la littérature a encore une petite place après avoir été expulsée de l’enseignement général. Mais, la chose la plus étonnante dans ce rapport, c’est que devant ce cuisant échec, jamais les autrices ne se penchent sérieusement sur les graves lacunes de l’enseignement du français au primaire et au secondaire. Comme si tout regard vers le passé leur était interdit. Pas un instant elles ne tentent de jeter un œil critique sur les réformes qui ont été faites il y a vingt ans et dont les résultats s’étalent pourtant aujourd’hui au grand jour.

Qui se souvient encore du « Renouveau pédagogique », cette vaste réforme mise en branle au début des années 2000 qui consistait à faire de l’enfant son propre maître ? À réduire les cours magistraux au profit d’une pédagogie par projets. À refuser de définir un socle de connaissances minimum au profit d’un butinage permanent. À mépriser les dictées, les notes et le redoublement jugés tyranniques. Et surtout à ne jamais brimer nos chérubins et leur « estime de soi ». [Voir à ce sujet les résultats de cette pédagogie par projets transversaux en Finlande : Finlande, depuis 20 ans le niveau scolaire n'y cesse de baisser : immigration et réforme pédagogique]

Un jour, remplie de fierté, la fille d’un ami m’avait montré les petits « romans » illustrés qu’elle écrivait à l’école. Souvent imaginatifs, ils étaient néanmoins pratiquement illisibles tant la graphie, l’orthographe et la grammaire laissaient à désirer. À l’école, on ne voulait pas freiner sa « créativité » en la corrigeant.

 

N’importe quel enseignant sait pourtant que la grammaire et l’orthographe sont des savoirs qui exigent un apprentissage rigoureux, systématique et répétitif. La correction, elle, doit être permanente, et cela dès le plus jeune âge. Certainement pas au gré des désirs de l’enfant. On ne développe pas de tels automatismes en dilettante, mais par une discipline soutenue comme savait le faire, malgré ses lacunes, l’école de nos parents et de nos grands-parents.

Au contraire, les textes du ministère se font une gloire de proclamer haut et fort qu’on n’enseigne plus la « grammaire traditionnelle », mais… la « grammaire nouvelle » ! Un peu comme, à une autre époque, le biologiste patenté Lyssenko parlait de « science bourgeoise » et de… « science prolétarienne ». Au lieu d’apprendre et d’appliquer des règles, les élèves sont invités à « observer » la place des mots, à « discuter » des diverses graphies, à faire des « dictées négociées » [sic] afin d’établir un « consensus », comme s’ils devaient redécouvrir eux-mêmes, à tâtons, des codes vieux de plusieurs siècles.

Il aura donc fallu « 20 ans de réforme pour arriver à une maîtrise du français inférieure à ce qu’elle a toujours été », affirmait récemment Lise Bissonnette en entrevue à Radio-Canada. Et l’ancienne directrice du Devoir de conclure que « cette réforme nous a menés à une impasse ».

Ceux qui regardent ailleurs sont complices, car les causes de cet échec ont été analysées depuis longtemps. Qu’on me permette de citer à nouveau notre ancienne directrice. « Pour que l’école soit un milieu de vie et d’apprentissage plus attrayant, on a privilégié les approches qui imposaient le moins de contraintes possible, qui valorisaient l’enfant en le faisant le “constructeur” de savoirs qu’il pouvait puiser dans son environnement immédiat. Pourquoi s’encombrer l’esprit du nom et de la description des continents quand on peut faire le tour de son propre quartier ? » (Lise Bissonnette, entretiens, Boréal).

En témoignent le jargon et le fouillis intellectuel des programmes. Vingt ans plus tard, les résultats sautent aux yeux. Mais nos experts persistent à ne rien voir. Il faudrait pour cela déloger l’idéologie qui règne en maître dans les « sciences de l’éducation ». Une idéologie et un jargon délétères qui, en voulant transformer en science « l’art de la pédagogie », disait il y a longtemps le professeur Gaëtan Daoust de l’Université de Montréal, en ont fait une triste technique bureaucratique émaillée de psycho pop. C’est ce qu’avaient magistralement dénoncé en leur temps l’écrivain Jean Larose et notre collègue Patrick Moreau (Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants ?, Boréal).

Vingt ans, c’est une génération. Peut-être serait-il temps de faire le bilan ? Nul doute que quelque part un nouveau ministre se prépare à lancer un énième « plan d’action » pour l’amélioration du français. Pourquoi pas ? Mais tout cela demeurera un vœu pieux tant qu’on ne remettra pas la transmission des connaissances au cœur de l’école.

[Christian Rioux a raison de se pencher sur le bilan du renouveau pédagogique. Il faut y ajouter la réduction des heures de français rognées par l'imposition de l'anglais intensif et précoce et des cours comme éthique et culture religieuse. Il n'aborde pas non plus l'impact de l'immigration allophone grandissante sur la qualité du français.]

Bonne Journée internationale de la Francophonie quand même…

Voir aussi 

Renouveau pédagogique au Québec — les enfants de la réforme ont des difficultés au cégep (2018) 

Vu de France — Le fiasco de la réforme scolaire québécoise (2016)

Le pédagogiste, symbole de l'égarement intellectuel 

Québec : « La réforme scolaire ? À la poubelle ! »

Les ratés (et les succès) de la réforme scolaire au Québec

Le constructivisme radical ou comment bâtir une réforme de l'éducation sur du sable (2009) 

Un grand brouillard au Conseil supérieur de l’Éducation

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