Il semble de plus en plus clair que la Suède souffrira d’une récession nettement plus douce que la zone euro, les États-Unis ou le Canada. Une nouvelle analyse publiée mardi dernier (6 octobre) montre que la Suède s’en tirera mieux même que ses voisins nordiques cette année et l’année prochaine.
Danske Bank, une des principales banques danoises, est le dernier prévisionniste à prédire une crise moins douloureuse en Scandinavie que dans le reste de l’Europe. Et dans ses dernières prévisions, la banque s’attend désormais à ce que l’économie suédoise se contracte moins en 2020 et qu’elle connaîtra un taux de croissance plus élevé en 2021 que dans le reste de la Scandinavie et de la Finlande.
La baisse de 3,3 % du PIB de la Suède cette année se compare à la baisse de 8,3 % que Danske prévoit dans la zone euro et à la contraction de 4,3 % qu’elle prédit pour les États-Unis. La banque s’attend à ce que l’économie britannique recule de 5,8 % cette année. Les prévisions du FMI sont nettement plus pessimistes pour le Canada (-7,1 %) et la Grande-Bretagne (-9,8 %). En revanche, la projection du FMI pour les États-Unis (-4,3 %) concorde avec celle de la Danske Bank.
Prévisions du PIB de Danske Bank
2020 | 2021 | |
---|---|---|
Suède | -3,3 % | 3,8 % |
Norvège | -3,6 % | 3,7 % |
Danemark | -3,5 % | 3,0 % |
Finlande | -4,5 % | 2,5 % |
Le fait de garder les magasins, les restaurants et les bars ouverts a contribué à soutenir les dépenses de consommation suédoises, ce n’est qu’une partie de l’explication, une autre partie de l’explication est la force des entreprises suédoises. « Les entreprises suédoises ont montré qu’elles pouvaient rebondir rapidement après une crise, comme elles l’ont fait après la crise financière », selon M. Olsen. « Cela démontre que la Suède a une économie très compétitive. »
La dette publique brute de la Suède ne dépassera pas 40 %, selon les documents budgétaires officiels publiés en septembre alors que la dette publique brute consolidée (y compris les provinces) du Canada augmentera au-delà de 120 % du PIB selon l’agence de crédit Fitch.
Entretemps, sur le front médical, la Suède semble toujours éviter un rebond épidémique pour l’instant. Le nombre de décès quotidien fluctue autour de 2 (deux) depuis de la fin août.
Prévisions de croissance du PIB par le Fonds international monétaire (FMI)
Billet originel du 2 octobre
Le royaume nordique, qui refuse le confinement et ne recommande pas le port du masque, n’impose aucune nouvelle mesure contre le coronavirus. Il affiche néanmoins l’un des taux de contamination les plus faibles et, sans crier victoire, est heureux de ne plus être critiqué pour son cavalier seul, comme au début de l’épidémie.
Comme c’est souvent le cas en Suède, la maison de retraite de Skärholmen partage ses locaux avec une crèche et une école. Ses 120 résidents, depuis le début de l’épidémie, ne pouvaient recevoir de visites que dans une salle dédiée, ou à l’extérieur. Mais à partir de ce jeudi, ils pourront accueillir famille et amis chez eux, dans leur chambre ou leur appartement. « Bien sûr, il faudra réserver un créneau horaire, ne pas être plus de deux personnes, se laver les mains, porter une visière, respecter une distance de deux mètres, mais tout le monde est très heureux de cette décision, détaille Emilie Engbo, la directrice. Ce sera bon pour le moral de tous. » Les maisons de retraite, où a été recensée la moitié des morts suédois du Covid-19, sont le point noir de la stratégie suédoise, mais pour le Premier ministre, Stefan Löfven, la situation épidémiologique permet cette avancée. « C’est important pour les personnes âgées de se sentir comme à la maison, assure Andreas Thorstensson, le chef du secteur. Si tout le monde suit les règles, cela se passera bien. »
Un même vent de liberté souffle sur les théâtres, les stades, ou les salles de conférences. Jusqu’à maintenant, la Suède avait mis en place l’une des restrictions les plus sévères pour les événements publics en temps de coronavirus : pas plus de 50 personnes. Mais mardi, la ministre de la Culture, Amanda Lind, a promis un assouplissement : « Si la situation épidémiologique le permet, et en respectant les distances, à partir du 15 octobre, nous pourrons monter à 500 personnes », a-t-elle déclaré. Pour Jesper Larsson, directeur du Kulturhuset, la grande scène du spectacle vivant à Stockholm, c’est un véritable soulagement : « On faisait des spectacles plus courts, plus nombreux, mais c’était devenu très compliqué. On se retrouve avec les mêmes règles que dans un bar, ou un restaurant, ce qui est finalement logique. » « Ce changement signifie beaucoup pour de nombreuses associations, ajoute Björn Eriksson, de la Confédération suédoise du sport, c’est un grand pas en avant. »
Le masque porté par les étrangers
Une ouverture certes limitée, encadrée, mais qui paraît quelque peu surréaliste au pied de cette deuxième vague qui menace l’Europe. Quand les autres pays se claquemurent à nouveau, fermant bars et restaurants, imposant des quarantaines, voire des confinements, la Suède desserre son corset et continue à afficher de simples « recommandations ». Alors que ses voisins ne jurent que par le port du masque, partout, et en toutes circonstances, le royaume nordique reste le seul à ne pas le conseiller. Que ce soit dans les transports, les écoles, les centres commerciaux, ou dans la rue, les seuls qui le portent sont souvent des étrangers, ou quelques personnes âgées. Encore récemment, Anders Tegnell, épidémiologiste en chef et architecte de la stratégie suédoise, affirmait que les preuves scientifiques de l’efficacité du masque étaient « étonnamment faibles », et qu’il pouvait entraîner « encore plus de contaminations quand les gens se touchent sans cesse le visage ». La Suède préfère miser sur des mesures durables, et pour Lena Hallengren, ministre de la Santé, « on ne va pas demander aux gens de porter le masque pendant des années ».
Ce cavalier seul du royaume nordique a suscité autant d’admiration que de condamnations. Admiration, et envie, quand les Européens confinés regardaient ce printemps les Suédois prendre des bains de soleil dans les parcs et se retrouver aux terrasses des cafés. Condamnation, avec parfois le plaisir non dissimulé de voir le « modèle suédois » mis à mal, quand le nombre de morts a augmenté pour s’approcher de la barre des 6000, soit un taux de mortalité de 581 pour un million d’habitants, plus élevé que le taux français, et bien supérieur à celui des voisins scandinaves. Autant d’outrances qui empêchent de saisir la véritable originalité de cette stratégie : sa constance, et sa vision à long terme. « La grande différence avec les autres pays, c’est que nous n’avons pas changé nos recommandations ni la façon dont nous organisons cette distanciation sociale, souligne Anders Tegnell. Nous ne devons donc pas encore affronter la deuxième vague que connaissent ces pays où l’on a confiné, puis déconfiné. » De fait, le message depuis le début de l’épidémie est toujours le même : restez à la maison au moindre symptôme, lavez-vous les mains, gardez vos distances, travaillez chez vous, évitez les transports en commun, avec une mention spéciale pour les plus de 70 ans : isolez-vous !
Un mantra auquel il est difficile d’échapper : il est répété au cours des deux conférences de presse hebdomadaires de l’Autorité suédoise de santé, retransmises en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux. Avant les vacances d’été, il y en avait même… cinq par semaine. Les Suédois font confiance à leurs dirigeants, suivent généralement les recommandations. Les autorités les ont convaincus que la lutte contre le coronavirus était « un marathon, pas un sprint », et qu’il fallait attendre pour avoir des résultats. Début juin, le pays était celui où l’on avait le plus de chances de mourir du Covid-19, et les courbes ont mis très longtemps à descendre de ce « plateau » statistique. Mais depuis juillet, la plupart des indicateurs sont au vert. Selon le Centre européen de contrôle des maladies infectieuses (ECDC), la Suède affiche l’un des taux de contamination les plus faibles, avec 42 nouveaux cas de Covid pour 100 000 habitants ces deux dernières semaines, contre 231 en France. Seuls 130 patients sont hospitalisés, une vingtaine en soins intensifs, et le nombre de morts s’est stabilisé autour d’une moyenne de deux par jour.
Pourquoi ? C’est la question que tout le monde se pose. Anders Tegnell met en avant la pérennité des mesures prises, qui sont de ce fait mieux comprises et acceptées par les citoyens. Il reste en revanche très prudent lorsqu’il évoque l’immunité collective, permettant de mettre fin à une épidémie quand environ 60 % de la population a été en contact avec le virus. « Il n’y a que deux façons d’arrêter une épidémie qui se diffuse de façon aérienne comme celle du coronavirus : avec un vaccin, ou en atteignant l’immunité collective, rappelle-t-il. Cette dernière n’a jamais été notre stratégie, même si une meilleure immunité peut être une des conséquences des mesures que nous prenons. »
Mais d’autres, comme Johann Giesecke, ne prennent pas ces précautions oratoires. Pour ce mentor d’Anders Tegnell, ancien épidémiologiste en chef, aujourd’hui membre du groupe restreint de douze experts qui conseillent le directeur général de l’OMS, l’immunité ne se limite pas à la seule présence d’anticorps, et peut jouer un grand rôle dans la maîtrise de l’épidémie : « S’il faut une immunité de 60 % pour arrêter une épidémie, un seuil plus faible — autour de 25 % peut contribuer à beaucoup la ralentir. L’explication des chiffres très bas que connaît la Suède en ce moment, c’est l’immunité de la population. »
Le retour du modèle suédois
Adepte du lagom, cet art de vivre prônant la modération en toute chose, la Suède ne crie pas victoire, mais se félicite de ne plus être vilipendée en place publique comme au début de l’épidémie. L’Europe vient de rouvrir ses écoles, alors que les siennes n’avaient jamais fermé. Les gouvernants clament qu’il faut vivre avec le virus, comme elle le fait depuis le début. La presse locale [en fait The Spectator avait fuité l’affaire] a même rapporté que le Premier ministre britannique Boris Johnson — devenu un adepte du télétravail à la suédoise — s’était entretenu avec Anders Tegnell avant son intervention télévisée du 22 septembre. « Aujourd’hui, tous les pays d’Europe s’inspirent plus ou moins du modèle suédois, mais personne ne l’admet, car ce n’est pas politiquement correct, expliquait récemment au Svenska Dagbladet Antoine Flahault, professeur d’épidémiologie à l’université de Genève. Il permet aux citoyens de participer eux-mêmes à la lutte contre le virus, sans lois ni réglementations obligatoires. »
Pour Kim Sneppen, de l’Institut Niels Bohr à Copenhague, « l’immunité » suédoise ajoutée aux mesures prises pour limiter l’épidémie signifierait même qu’elle « pourrait être finie » dans ce pays. Rien n’est moins sûr. Depuis trois semaines, la Suède constate une hausse des contaminations, avec plus de 2000 nouveaux cas la semaine dernière. Le taux de positivité des tests est passé de 1,2 à 2,4 %. Pour Anders Tegnell, la Suède va « lentement mais sûrement dans la mauvaise direction », et le Premier ministre Stefan Löfven s’en est inquiété jeudi dans une conférence de presse. Il s’est adressé aux citoyens — « Lavez-vous les mains soigneusement et faites-le souvent, évitez de serrer vos amis dans les bras, n’organisez pas de fêtes chez vous… Nous devons persévérer, et persévérer » — et a demandé aux employeurs de « créer des opportunités pour que les salariés travaillent à distance ». Il a envisagé la possibilité d’adopter des mesures plus ciblées, notamment pour Stockholm, comme la quarantaine familiale, c’est-à-dire l’isolement total des personnes vivant dans le même foyer qu’une personne contaminée. Mais en fin de compte, une fois de plus, il s’est contenté de rappeler ces fameuses recommandations suédoises… sans en annoncer de nouvelles.
Source : Le Figaro, 1er octobre 2020
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