jeudi 20 août 2020

Étudier en français à Montréal est parfois bien difficile

Dénoncer une injustice ou une discrimination peut prendre des allures de parcours du combattant à l’École de technologie supérieure (ÉTS). Un étudiant forcé de suivre la moitié d’un cours en anglais, ce qui contrevient au règlement de l’établissement francophone, a dû multiplier les démarches pour rectifier la situation. Jugeant ses demandes ignorées par l’ÉTS, il déplore l’absence d’un ombudsman pour traiter ce type de plaintes sans parti pris.

[Gageons qu’aux nombreuses universités anglophones du Québec, on ne force pas les étudiants subventionnés par le Québec officiellement francophone à suivre la moitié de leurs cours en français.]

« J’ai passé ma session à contacter différents paliers administratifs pour régler le problème. C’est déplorable de voir que la communication est aussi difficile et que j’ai dû me battre pour simplement faire respecter le règlement, sans succès au final », lance Vincent Bédard, qui vient de terminer son baccalauréat en génie mécanique à l’ÉTS.

L’étudiant estime avoir été victime d’une discrimination linguistique alors qu’il a dû suivre cet été un cours à moitié en anglais, une langue qu’il ne maîtrise pas. La partie théorique du cours « Robotique mobile » était donnée en français par le professeur, mais les travaux pratiques étaient, eux, en anglais. De langue maternelle espagnole, la doctorante qui dirigeait cette partie du cours ne parlait pas un mot français et donnait donc conseils et explications essentiellement dans la langue de Shakespeare. [Que fait cette doctorante qui ignore le français à l’ÉTS ? Elle anglicise l’institution ? Passe son doctorat en anglais ? Est-ce là une façon de promouvoir la science en français ? Il faudrait imposer la connaissance du français chez les doctorants.]

« Comprendre des concepts universitaires dans une langue qui n’est pas la mienne, ce n’était pas évident. J’avais du mal à comprendre et à me faire comprendre », raconte Vincent Bédard.

L’étudiant dit avoir vécu beaucoup de stress pendant la session, craignant même d’échouer. Pour réussir ses examens, il a dû mettre le double du temps qu’il consacre habituellement à ses études. « Ce n’est pas normal que l’ÉTS nous impose ça. Si j’ai choisi d’étudier dans un établissement francophone, ce n’est pas pour rien. J’ai le droit de recevoir mes cours en français », insiste Vincent Bédard.

S’ils ne sont pas soumis à la loi 101, les établissements d’enseignement supérieur doivent tout de même se doter d’une politique linguistique pour promouvoir la langue française. Celle de l’ÉTS est claire : « Le français est la langue normale de l’enseignement. » Une exception est faite pour les cours de langue et les conférenciers invités non francophones. La politique stipule aussi que « tout membre du personnel doit utiliser un français de qualité dans ses rapports avec ses collègues, les étudiants et le public ».

Souhaitant signaler cette infraction au règlement et demander une rectification de la situation, Vincent Bédard a multiplié les démarches pendant la session, s’adressant au professeur du cours en question, à son directeur de programme, puis à la doyenne des études.

Il a même contacté le ministère de l’Enseignement supérieur, qui lui a recommandé de formuler une plainte officielle au bureau du registraire de l’ÉTS. Ce qu’il a fait début juillet. Un mois plus tard, la registraire, Sandra Lacroix, lui a répondu que la qualité de l’enseignement relevait de la doyenne des études, qui avait déjà « trouvé des solutions » à son problème et qu’elle n’a donc « rien à ajouter ».

« La seule chose qui a changé, c’est que le professeur des cours théoriques était présent sur Zoom lors des travaux pratiques. Il faisait une introduction en français et disait être disponible si on avait des questions. Mais le reste se faisait toujours en anglais par la chargée de travaux pratiques », note Vincent Bédard.

Contactée par Le Devoir, l’ÉTS reconnaît avoir eu de la difficulté à trouver un chargé de travaux pratiques pouvant enseigner en français. Le cours étant donné pour la première fois à la session d’été, le bassin d’étudiants aux cycles supérieurs pouvant s’occuper des travaux pratiques dans ce domaine était réduit.

Devant le choix d’annuler le cours ou de le maintenir, mais en partie en anglais, l’établissement a choisi cette deuxième option, « moins dommageable sur le plan pédagogique », dit-on. « Une grande partie des étudiants en génie à l’ÉTS comprennent aussi l’anglais […] La connaissance de l’anglais est importante pour le futur ingénieur. »

L’école assure néanmoins qu’une telle situation ne se reproduira pas à l’avenir.

Absence d’ombudsman

Espérant que l’établissement tienne promesse, Vincent Bédard trouve surtout « lamentable » la façon dont sa plainte a été traitée. « Je n’avais plus d’options devant moi puisqu’il n’existe pas d’ombudsman à l’ÉTS. »

L’École est l’une des rares institutions du réseau universitaire à ne pas s’être dotée d’un service d’ombudsman, aux côtés de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et de la TELUQ. L’association étudiante de l’école en fait pourtant la demande depuis des années.

Un ombudsman permettrait de « renforcer la confiance de la communauté étudiante envers l’administration et assurerait un traitement équitable des plaintes », peut-on lire dans le Plaidoyer pour la mise en place d’un bureau d’ombudsman à l’ETS, rapport rédigé par l’association en octobre 2015.

Aux yeux de Jean Bernatchez, professeur en administration et en politiques scolaires à l’Université du Québec à Rimouski, un service d’ombudsman est pourtant essentiel. « Ça prend une personne intègre, neutre, qui ne prend pas parti, pour juger si une personne a été lésée par l’institution, dit-il. Un ombudsman aurait pu juger si les mesures prises par l’ÉTS pour régler le problème de l’étudiant sont suffisantes. Celui-ci aurait aussi économisé son temps en ne s’adressant qu’à une seule personne. »

Interrogée à ce sujet, l’École dit travailler sur « un projet de recours à un protecteur universitaire », qui pourrait « être mené à terme dans l’année 2020-2021 ». 


Source : Le Devoir


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