lundi 10 février 2020

Qu'est-ce que le véto parental mis en place en Murcie (Espagne) ?

Le véto parental de Vox est devenu l’épicentre d’un débat scolaire houleux en Espagne. Alors qu’une rébellion gronde, le gouvernement central de gauche a promis de s’y opposer en justice partout où le véto parental sera implanté par des gouvernements régionaux.

Le parti de droite sociale Vox a déclaré que « les parents savent bien mieux que les enseignants ce qui convient à leurs enfants » et l’organisation HazteOir (Fais-toi entendre) a prévenu qu’elle dénoncera les directeurs d’école qui « entravent » la mise en place de ce véto parental. D’autres parents, des syndicats, des étudiants et des associations se mobilisent pour protester contre cet outil parental déjà mis en place en Murcie (sud-est de l’Espagne). En Andalousie (sud) et dans la Communauté de Madrid (centre), le véto parental pourrait également voir le jour.


Qu’est-ce que le véto parental ?

Le véto parental, selon Vox, est une demande écrite qui sera adressée aux directeurs des centres éducatifs dans laquelle les parents demandent qu’on les informe préalablement et explicitement, sous la forme de demande d’autorisation parentale expresse, chaque fois que l’on aborde ou discute en classe, lors d’un atelier ou d’une activité scolaire, des questions d’identité de genre, de féminisme ou de diversité LGBTQ. Ce véto doit permettre aux parents de donner leur consentement explicite à ce que leur enfant assiste ou non à cette activité, cette leçon ou discussion. Vox considère que ces contenus peuvent être « intrusifs » pour la « conscience » et « l’intimité » des mineurs.

Le véto parental fonctionne-t-il déjà dans une communauté autonome ?

Depuis septembre dernier, il est implanté à Murcie. En août ,le ministère de l’Éducation régional aux mains du Parti populaire (PP, centre droit) a publié des instructions pour le début de l’année scolaire 2019/2020 dans lesquelles il est établi que « les familles seront informées » au début du cours des « activités complémentaires des programmes éducatifs » qui sont enseignés par du personnel qui ne fait pas partie de l’établissement scolaire « afin que les parents puissent exprimer leur accord ou leur désaccord à la participation de leurs enfants mineurs à ces activités ».

Cette résolution, comme l’explique le ministère régional de l’Éducation, était l’une des conditions requises pour que Vox soutienne l’investiture du PP. Maintenant, il a permis de parvenir à un accord avec le parti Ciudadanos (CS, centriste) sur le budget de la région. La condition posée par la formation de Santiago Abascal (Vox) est que cette résolution acquière la valeur de décret et qu’on l’on crée un document officiel et standardisé de demande d’autorisation parentale pour que tous les centres éducatifs puissent envoyer le même document aux familles. En fin de compte, on est parvenu à un compromis : Cuidadanos soutient l’autorisation préalable expresse des familles « sur la base des préceptes inscrits dans la Constitution ». Ce parti a cependant annoncé qu’il fera appel de ces instructions envoyées par le gouvernement de Murcie aux écoles parce qu’il les considère comme « illégales ».

Le véto parental va-t-il être mis en œuvre dans d'autres communautés autonomes ?

C’est aussi une arme de négociation dans le cadre de l’approbation des budgets de la Communauté de Madrid : le parti Cuidadanos (centriste) s’y oppose, mais le ministère de l’Éducation est aux mains du PP (centre droit), comme en Murcie. En Andalousie, c’est également une condition émise par Vox pour qu’il approuve le budget régional. Le véto parental n’y a pas encore été mis en œuvre. Le gouvernement andalou a défendu la semaine passée la liberté des parents lorsqu’il s’agit de choisir l’éducation de leurs enfants et a déclaré que toute mesure à cet égard serait prise dans le respect de ce qui est inscrit par la loi sur l’éducation, conformément à l’accord conclu en Murcie.

Quelle est la position du gouvernement central, coalition de gauche, extrême gauche et indépendantistes ?

Le Premier ministre Pedro Sánchez (parti socialiste) et la ministre de l’Éducation Isabel Celaá (parti socialiste) ont annoncé qu’ils s’opposeraient fermement au véto parental. Au Conseil des ministres, Celaá a affirmé que « les enfants n’appartiennent pas aux parents ». Pour commencer, le ministère de l’Éducation fera appel des instructions de Murcie devant les tribunaux, les considérant comme une sorte de « censure préalable » envers les activités scolaires qui « sapent » le droit des élèves à l’éducation gouvernementale et « censurent les actions des écoles et leurs enseignants ».

De quels arguments juridiques se prévaut le gouvernement central ?

Son raisonnement est que le droit des parents d’éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions morales ne peut pas prendre le pas sur le droit des enfants à recevoir une éducation [dite "progressiste" dans ce cas], comme le stipule l’article 27 de la Constitution et les articles 1, 78, 84.3 et 124.2 de la Loi sur l’éducation et conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant, à la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la Recommandation de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance.

D’autre part, il fait valoir que les enseignants et les directeurs d’école disposent d’une « autonomie pédagogique » et d’une « compétence pour concevoir les activités complémentaires qu’ils considèrent comme appropriées et ainsi se conformer aux programmes d’études correspondants ». Dans le cas contraire, l’éducation serait « à la demande », selon les préférences des parents.

Il ajoute, en outre, que le véto parental va à l’encontre de la Loi sur la violence sexuelle et les lois LGBTQ des régions autonomes qui stipulent expressément que les écoles doivent donner une formation de ce type.

Que prétendent les défenseurs du véto parental ?

Le PP dit que ces contenus sont de l’« endoctrinement » et qu’il doit y avoir un moyen de les éviter, car ils portent atteinte à la liberté idéologique des mineurs. « Tout comme il y a une partie de la gauche s’oppose à ce qu’on enseigne la religion à ses enfants, à droite des parents s’opposent à ce qu’ils ne puissent décider de l’éducation de leurs enfants. Il y a un conflit d’intérêts entre les parents qui veulent que leurs enfants soient bien éduqués et des enseignants qui ont l’obligation d’enseigner, mais sans franchir la ligne rouge de l’endoctrinement », expliquent des sources de l’Inspection de l’Éducation.

Le nœud du problème sera, d’une part, de déterminer si ces contenus sont préjudiciables aux enfants et, d’autre part, de déterminer si les discussions sont extrascolaires ou non. Le PP soutient qu’il s’agit de contenus extrascolaires et le gouvernement déclare au contraire qu’il s’agit « d’activités complémentaires programmées par les centres éducatifs, qui sont également soumises à évaluation » ; c’est-à-dire dans le programme scolaire. La loi sur l’éducation stipule clairement que tous les élèves doivent participer à ce type d'activités complémentaires. En revanche, si le juge détermine que ces activités sont similaires à la visite d’un policier ou d'un pompier pour donner une conférence, et qu'elle n’affectent pas le contenu du programme pédagogique, les parents pourraient retirer leurs enfants de ces activités.

Les parents peuvent-ils faire appel à l’objection de conscience pour justifier le véto parental ?

Selon les sources consultées, l’objection de conscience est envisagée par le système juridique pour des cas très spécifiques qui ne semblent pas correspondre à la situation actuelle. En 2009, la Cour suprême a déterminé qu’il n’était pas possible de s’opposer au sujet de l’Éducation à la citoyenneté [tant qu'il n'y avait pas prosélytisme], dont le contenu était similaire à celui qui est actuellement au centre des débats. C’est pourquoi Vox préfère le terme de véto parental et ne parle pas d’objection de conscience.

Est-il sensé de parler de sexualité, de genre et d’identité LGTBQ pendant les heures de classe ?

Vox, PP et les familles qui défendent le véto parental soutiennent que ces types de contenus sont sensibles et préfèrent en parler à la maison, plutôt que de les confier à des personnes qui souvent n’appartient pas à l’établissement scolaire. Les partisans de ces cours prétendent que, dans une société où la pornographie est de plus en plus accessible à un très jeune âge et où les parents ne sont souvent pas à la maison pour parler avec leurs enfants, il est pratique que les écoles dispensent cette formation afin d’assurer le vivre-ensemble de tous les élèves. [Quel rapport avec les LGBTQ ? Quel rapport avec l’obligation d’y assister ?]

Source : El Mundo (tirage : 229 741 exemplaires par jour)

Voir aussi

Espagne — Vox veut permettre aux parents d'avoir leur mot à dire en éducation

Espagne — Victoire des parents, fin du cours d'Éducation à la citoyenneté (2012)

Espagne — non à l'objection de conscience et non au prosélytisme (décision de la Cour suprême espagnole en 2009)

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