jeudi 13 novembre 2008

Fallardeau a-t-il raison ? Il y aurait donc des journalistes mal renseignés et suiveux ?

Ah ! Le Québec a vraiment des journalistes de haut calibre. Prenons pour exemple cet article de Mme Michèle Ouimet sur le soutien (un peu confus) de Mario Dumont aux parents qui désirent avoir la liberté de choix en matière de formation morale et religieuse dans les écoles publiques et privées. Le texte de Mme Ouimet est bordé d'un liseré bleu.
« Selon M. Dumont, le multiculturalisme prôné par Pierre Elliott Trudeau hante le programme. À quelle page a-t-il lu ça ?
Par exemple à la page 71 de la version approuvée du cours d’ECR pour le primaire. Elle indique les noms du divin que l’enfant devra apprendre dès l’âge de 6 ans :
Des noms du divin :
• Dieu, Seigneur, Hashem, Adonaï, les esprits protecteurs, Allah, Brahma, Shiva et Vishnu, etc. [1]
Il faut aussi rappeler ici la doctrine interculturelle prônée par MM. Bouchard et Taylor et qui dans les faits est peu distincte du multiculturalisme quoi qu'en dise M. Bouchard.

C'est ainsi que dans un ouvrage collectif paru l’année dernière (Questions d’équité en éducation et formation, Éditions Nouvelles), Fasal Kanouté, professeur au Département de psychopédagogie et d’andragogie et spécialiste de l’éducation interculturelle, écrivait : « La littérature anglophone parle d’éducation multiculturelle au même titre que la littérature francophone parle d’éducation interculturelle. [...] Nous sommes d’avis que les uns et les autres disent la même chose sur la prise en compte de la diversité ethnoculturelle par l’école. »

Rappelons que le rapport Bouchard-Taylor soutenait fortement l'imposition du cours d'éthique et de culture religieuse par l'État au nom de l'interculturalisme.
Précisons d'abord que le cours d'éthique n'est pas sorti du cerveau malveillant des bureaucrates qui voulaient annihiler l'identité québécoise.
L’article intitulé « L’enseignement du fait religieux dans l’école publique » [2], Fernand Ouellet, père du cours ECR [3], commente ainsi les assertions de l’auteur Gallichet sur la « pédagogie du conflit » à privilégier dans le cadre d’un tel cours :
Dans le contexte actuel, il ne suffit pas d’éduquer à la reconnaissance et au respect de l’autre. Il faut aussi apprendre à ébranler la « suffisance identitaire » et à s’intéresser à l’autre par delà les divergences et les conflits de valeurs :

« On saisit à partir de là les principes de ce que pourrait être une éducation à la citoyenneté et à la responsabilité. Le problème n’est pas d’inculquer telle valeur ou ensemble de valeurs plutôt que tel autre. Il est de permettre l’émergence d’un questionnement, d’une inquiétude qui arrache l’enfant ou l’adolescent au confort d’un plein et serein accord avec soi-même (…) Il est donc moins de « construire une identité » que, à l’inverse, d’ébranler une identité trop massive et d’y introduire la divergence et la dissonance; il n’est pas de préparer à la coexistence et à la tolérance, mais au contraire, de mettre en scène l’incommensurable abîme qui me sépare d’autrui et m’oblige (au sens moral du terme) à m’intéresser à lui. C’est donc une « pédagogie du conflit » à la fois entre les individus mais aussi en chacun. » (p. 146) [4]
La laïcisation des écoles a suivi un long processus. En 1998, les commissions scolaires ont perdu leur statut religieux pour devenir linguistiques. C'est Pauline Marois qui a mené cette délicate opération.
C’est vrai.

Pauline Marois, alors ministre de l'Éducation, déclarait le 26 mars 1997 à l'Assemblée nationale :
« L'école publique se doit donc de respecter le libre choix ou le libre refus de la religion, cela fait partie des libertés démocratiques. »

« Le libre choix entre l'enseignement moral et l'enseignement religieux catholique et protestant continuera d'être offert, en conformité avec la Charte québécoise des droits et libertés. »

« Cette école devra être capable d'offrir le libre choix aux parents qui la fréquenteront... c'est-à-dire aux parents des enfants qui la fréquenteront, soit la possibilité d'une formation religieuse catholique, protestante ou une formation morale. »

« Je répète, M. le Président, que l'école publique doit respecter le libre choix comme le libre refus de la religion qu'expriment les parents. » [5]
Stéphane Dion, alors Ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, déclarait le 22 avril 1997 à la Chambre des Communes :
« Si les Québécois approuvent une déconfessionnalisation des structures, un grand nombre tient à l'instruction religieuse. La ministre de l'Éducation du Québec, madame Pauline Marois, a déjà indiqué que les écoles qui le désirent pourront conserver leur orientation confessionnelle. De surcroît, le droit à l'enseignement religieux demeure garanti par l'article 41 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. »
Le 1er octobre 1997, il renchérissait en déclarant, toujours à la Chambre des communes :
« Qui plus est, le droit à l'enseignement religieux demeure garanti par l'article 41 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, un document ayant une valeur quasi constitutionnelle selon la Cour suprême du Canada. »
Deux ans plus tard, les écoles sont devenues laïques. Dans l'indifférence générale. En septembre, le dernier jalon a été posé: la religion a été remplacée par un cours d'éthique et de culture religieuse. Il y a eu des consultations. On est loin de la dictature des bureaucrates.
La chronologie de Mme Ouimet omet ici un fait important : l’adoption de la Loi 95 en juin 2005. Cette loi a pavé la voie au cours d’éthique et culture religieuse. Pour imposer ce cours, la Loi 95 abolit en pratique la liberté de choix des parents :
  1. en abrogeant l’article 5 de la Loi sur l’instruction publique ;
  2. en modifiant l’article 41 de la Charte québécoise.
Cette Loi abroge également l’article 20 de la Loi sur l’instruction publique, qui prévoyait la liberté de conscience pour les professeurs en matière d'enseignement de cours à contenu moral ou religieux.

Le projet de loi 95 a modifié l’article 41 de la Charte québécoise de la façon suivante :
Article 41
(avant le projet de loi 95)(depuis le projet de loi 95)
Enseignement religieux ou moral.Éducation religieuse et morale.
41. Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement publics, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi.41. Les parents ou les personnes qui en tiennent lieu ont le droit d'assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs convictions, dans le respect des droits de leurs enfants et de l'intérêt de ceux-ci.


Plus d'exigence. Plus de choix. Et qui veillera au respect de l'intérêt de l'enfant si ce n'est l'État qui étend ainsi explicitement son droit de supervision à la transmission des valeurs et des convictions des parents, et ceci même hors de l'école qui n'est plus mentionnée dans la nouvelle formulation de l'article 41 ?

Le Projet de loi 95, opérant cette modification à la Charte, a été adopté sans vote par appel nominal [6] de l’Assemblée nationale.

À l'école primaire, j'étais obligée d'apprendre le petit catéchisme par coeur.
L’argument du « petit catéchisme » commence vraiment à dater. Il a peu de résonance auprès des parents de la génération actuelle, ceux qui sont confrontés au cours d’ECR.
J'ai donc inscrit ma fille aux cours d'enseignement moral. Elle apprenait des évidences d'une renversante insignifiance. Dans le cours d'éthique et de culture religieuse, il y a du contenu, de l'histoire avec, en filigrane, un regard critique. Il était temps.
Certaines personnes se déclarent satisfaites du contenu du cours; il représente à leurs yeux une amélioration par rapport à l’ancien cours de morale. Tant mieux pour eux. La Coalition pour la liberté en éducation (CLE) ne vise pas à faire interdire le cours : elle veut que les parents retrouvent leur liberté de choix.

Madame Ouimet décrit dans son article une époque où l’enseignement de la religion était marqué par la coercition. En obligeant tous les enfants à suivre obligatoirement le cours ECR et en abolissant la liberté de choix garantie par la Charte, le gouvernement ne nous ramène-t-il pas à un régime de coercition relativement à l’enseignement du phénomène religieux ? La ministre de l’éducation Michelle Courchesne a annoncé, en avril dernier, qu’aucune exemption au cours ECR ne serait accordée. Pourtant, ce droit d’exemption existe à l’article 222 de la Loi sur l’Instruction publique. La ministre a déclaré très messianique : « On ne négocie pas un virage aussi important sans écraser d’orteils » [7]. Nous disons à la inistre que ces « orteils », ce sont nos droits fondamentaux : droit à la liberté de choix, droit à la liberté de conscience et de religion, droit d’éduquer nos enfants en conformité avec nos convictions religieuses ou philosophiques. En démocratie, il n’est pas permis à la ministre d’écraser ces droits.
Seule une poignée de farouches catholiques ont protesté.
C’est faux. La Coalition pour la liberté en éducation regroupe non seulement des catholiques, mais aussi des protestants et des orthodoxes. À la manifestation du 18 octobre, réunissant plus de 2000 personnes à Montréal, des usulmans se sont joints à nous, ainsi que des athées. Pour avoir une bonne idée de la diversité autour de laquelle la CLE s’est construite et se développe, voir les photos de cette manifestation ici.

Notons aussi que 72 % des parents québécois sont pour le libre choix en matière d'éducation morale et religieuse et soutiennent donc le manifeste de la Coalition pour la liberté en éducation.
Lundi, des Bérets blancs, des ultras catholiques, ont applaudi M. Dumont. À sa place, j'aurais été gêné.
Mais ces Bérets blancs n'avaient pas été invités ni bienvenus. Ils étaient huit sur plus de 200 personnes dans l'assistance. Les médias se sont focalisés sur eux. Enfin, M. Dumont a bien dit qu'il n'appuyait pas leur position vers un retour à la confessionnalité des structures scolaires. Il s'agit ici plus d'opportunisme de la part des Bérets blancs et des journalistes que d'une identité de vues entre M. Dumont et ces catholiques qui font fort démodés.
Seulement 1448 élèves, sur un total d'un million, ont demandé d'être exemptés du cours d'éthique et de culture religieuse. »
D'une part, ce chiffre augmente sans cesse. Radio-Canada une semaine auparavant parlait de 1 200 personnes. Mme Courchesne n'en trouvait que 1 112 le 22 octobre 2008 lors de la période des questions à l'Assemblée nationale. Voilà une belle progression et tout cela alors que ces parents sont assurés de voir leur demande refusée et de se signaler souvent ainsi comme des « extrémistes » aux yeux de la direction de leur école et de leur commission scolaire !

D'autre part, ce chiffre est tronqué. Le Québec compte un million d’élèves au total, pour le secteur public et privé. Or, le chiffre avancé ne vise que le secteur public. Il ne tient pas compte des demandes d’exemption émanant du secteur privé. C'est ainsi que le Collège Loyola, à Notre-Dame-de-Grâce, enregistre à lui seul 600 demandes d’exemption.

Enfin, il est inquiétant que cette journaliste de haute volée brandisse l’argument du nombre comme condition du respect de libertés individuelles protégées par les Chartes. Laissons Me Julius Grey disposer de cet argument troublant :
On vient de rendre public le contenu des cours d'éthique et de culture religieuse pour nos écoles. Hélas, ce cours est un autre exemple de rectitude politique et de répression de la pensée indépendante.(…) Chacun de ces accrocs à la liberté est plutôt mineur. Toutefois, ensemble, ils présagent une société qui garde les formes d'une démocratie mais impose un conformisme rigoureux. Une société où le concept douteux de « droit collectif » non seulement remplace la solidarité entre individus, qui était à la base de grandes réformes sociales au 20e siècle, mais obtient une préséance sur les libertés individuelles. Bref, une démocratie totalitaire.[8]



[1] Plan du cours d’Éthique et culture religieuse pour le primaire, version approuvée, page 71.

[2] Ouellet F., L’enseignement du fait religieux dans l’école publique ?, Carrefours de l’éducation 2002/2, n° 14, pp. 40-58.

[3] Cette information est confirmée par trois (3) sources :
  1. une déclaration écrite de Jean-Pierre Proulx
  2. la page 6 du volume de Georges Leroux intitulé « Éthique et culture religieuse » publié en 2007 par la maison d’édition Fides ;
  3. par le livre « Mélodie — Éthique et culture religieuse », manuel scolaire destiné aux élèves du cours d’ECR et publié aux éditions Modulo.
[4] Carrefours de l'éducation.

[5] Journal des débats, 26 mars 1997, Déclaration ministérielle de la Ministre de l’Éducation à l’Assemblée nationale.

[6] Procès-verbal de l'Assemblée nationale du 15 juin 2005 (n° 169) : page 1723 pour l’adoption du projet de loi 95, Annexe pour les votes par appel nominal aux pages 1725-1726 : le projet de loi 95 n’y figure pas.

[7] Conférence de presse du 18 avril 2008. Voir :"Le cours de culture religieuse obligatoire", LE SOLEIL, 19 avril 2008.

[8] JOURNAL DE MONTRÉAL: "Une démocratie totalitaire" (chronique de Julius Grey), 28 avril 2008.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellente réfutation encore une fois sur ce blogue.

Les journalistes vont commencer à marcher les fesses serrées... ou à écrire les coudes collés !

Sinon le Hezbollah Jugend Fallardeau n'as pas de leçons de journalisme à donner avec son film sur la Rébellion des Patriotes du Bas-Canada qui passe totalement sous silence la rébellion équivalente qui a eu en même temps au Haut-Canada, cela dans le but de faire du anglo-bashing.

Anonyme a dit…

Éthique et culture religieuse, un prétexte à la perte des droits ?

Nous n'accepterons pas que le gouvernement nous enlèvent nos droits d'autorité Morale sur nos enfants!

Merci de nous informer de la modification de la charte (art.41). Votre document est très bien fait, avec les références, etc...

Voir si on devrait perdre des droits pour assurer le mieux-vivre ensemble causé par une immigration qui rends le Québec (je dirais plutôt Montréal... que la ministre sorte de chez elle un peu!) quelque peu plus diversifié...

Ainsi, non seulement devrions nous accommoder tous ceux qui nous arrivent d'ailleurs, et par surcroit perdre nos droits ??? (le droit de choisir la forme d'éducation Éthique, philosophique et religieuse de nos propres enfants... même a 6 ans) ?

Monsieur Jean Charest, Madame Pauline Marois, Monsieur Mario Dumont, Mme Michelle Courchesne; avec l'imposition intransigeante du cours d'éthique et de culture religieuse, Nous sommes en train de sombrer dans un processus qui nous fait perdre NOTRE IDENTITÉ ET NOS DROITS!

Accordez nous le droit de choisir, ou à tout de moins, le droit à l'exemption! Vaudrait mieux ne rien avoir que d'avoir cette intransigeance.

Et si vous ne nous l'accordez pas, on va se l'accorder nous-même !