samedi 31 mai 2008

Et si Bouchard-Taylor étaient pour la « dictature des intellectuels au pouvoir d’un peuple encore imparfait » ?

Mathieu Bock-Côté, auteur de La Dénationalisation tranquille paru chez Boréal, a publié ce samedi une lettre ouverte qui rejoint grandement notre analyse publiée mercredi passé sur la commission Bouchard-Taylor : Bouchard-Taylor  : la peur de la fragmentation justifie moins de libertés scolaires pour les « de souche ».
Un camp de rééducation

Marcuse se posait déjà la question à l’époque : comment transformer massivement les mentalités populaires ? Comment « rééduquer la population » ? De ce point de vue, la politique a désormais pour fonction de transformer la société en immense camp de rééducation idéologique où l’identité nationale sera déconstruite pour permettre la mise en place de nouveaux mécanismes de socialisation qui déprendraient l’individu des traditions qui le façonnent.

[...]

Le vieux mythe de l’homme nouveau qui intoxique l’intelligentsia depuis trop longtemps prend aujourd’hui la forme du rêve d’un homme « sans préjugés » infiniment tolérant et inlassablement ouvert au dialogue. Ne retrouve-t-on pas cet aveu chez ceux qui veulent fabriquer au berceau l’homme sans préjugés dont la société adulte se refuserait d’accoucher ? Lorsqu’on milite pour la conversion de l’école au multiculturalisme, comme en témoignent le sacrifice de l’histoire nationale à l’histoire multiculturelle ou la mise en place d’un programme d’Éthique et de culture religieuse (un programme dont la commission encourage la « promotion énergique »), on peut dire de l’État québécois qu’il a intériorisé cette utopie et qu’il entend désormais fabriquer un nouveau peuple, ce que les commissaires reconnaissent en disant vouloir construire une nouvelle culture commune, celle de la « citoyenneté interculturelle » qui serait enfin déprise de la culture nationale du Québec historique.

Mais le peuple réel rechigne. Il ne voulait pas de la révolution socialiste hier. Il ne veut pas de la révolution multiculturelle aujourd’hui, comme la controverse des accommodements raisonnables l’aura amplement démontré. On traduira donc de manière conceptuelle sa dissidence dans le langage de l’intolérance pour ne reconnaître dans la défense de l’identité nationale qu’une marque de xénophobie ou de racisme. Évidemment, de tels sentiments ne devraient pas être permis dans le débat public. Car le débat public n’est pas un espace sans contraintes, comme le reconnaissait Marcuse, qui distinguait les « contraintes progressistes » des « contraintes réactionnaires », les premières étant nécessaires pour émanciper la subjectivité (aujourd’hui on dirait les identités), les secondes limitant plutôt leur expression et devant pour cela être démantelées.

Censure et discrimination

Une censure qui correspond à la volonté de criminaliser la dissidence par rapport au multiculturalisme. Cette volonté était explicitement présente dans le rapport de la commission Bouchard-Taylor, qui proposait « que la charte québécoise interdise l’incitation publique à la discrimination ». Dans la mesure où on connaît la définition très élargie que les « sciences sociales » donnent aujourd’hui de la discrimination, on doit comprendre ici que le rapport de la commission propose d’interdire tout simplement la contestation publique du multiculturalisme. Si on suit les commissaires dans leur raisonnement, le simple fait de plaider pour faire de la majorité francophone le pôle de convergence de la communauté politique québécoise sera considéré comme un appel à la discrimination. Doit-on en conclure que la charte devrait désormais interdire la diffusion de certains écrits tardifs de Fernand Dumont ?

Le point d’aboutissement d’une telle dynamique ne laisse pas de doute : la révolution culturelle a fini par générer un nouveau régime politique pour nos sociétés qui se déprennent subrepticement de la démocratie libérale. Le régime techno-chartiste repose ainsi explicitement sur la disqualification du peuple par un système idéologique qui criminalise ses manifestations. La lecture du rapport de la commission nous permet de voir à quel point les chartes sont désormais sacralisées et servent de texte fondateur pour réinterpréter toutes les interactions sociales au Québec. Le chartisme est certainement aujourd’hui l’héritage le plus net de la nouvelle gauche sur le plan institutionnel et doit être considéré comme l’instrument par excellence de désarmement et de neutralisation de la souveraineté populaire, qui est de plus en plus présentée comme une simple tyrannie de la majorité contre laquelle devrait s’imposer la technocratie progressiste. Il va de soi que les chartes, de ce point de vue, ne servent pas à préserver les libertés individuelles, mais bien à les comprimer.

Il y a quelque chose de fascinant dans le radicalisme idéologique, avec sa perpétuelle régression utopique. Hier, la société sans classes promettait une réconciliation des consciences dans un monde abolissant pour de bon l’aliénation générée par le capitalisme. Dans la société multiculturelle, il devrait seulement y avoir la perpétuelle réconciliation des différences s’enrichissant les unes les autres. Mais la promesse de la société idéale est toujours l’avant-dernière étape avant l’anesthésie des libertés. La chose devait désormais être reconnue : rien n’est plus intolérant qu’une philosophie qui réclame pour elle seule le monopole de la tolérance. Derrière les grands appels au pluralisme intégral, c’est une vieille tentation qui se dévoile sous une allure neuve. Une nouvelle tentation totalitaire.

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