lundi 24 octobre 2016

Clinton et Trump : positions sur l'enseignement

Hillary Clinton
Il est peu probable que les deux candidats à la Maison-Blanche se déchirent au sujet de l’éducation, sujet jusqu’à présent marginal dans la campagne, car aux États-Unis règne un relatif consensus sur cette question, qui fait la part belle au libre choix de l’école. Alors qu’au Québec, ce choix est extrêmement limité puisque les écoles dites privées doivent appliquer le programme et la pédagogie décidée par les bureaucrates, alors que cette idée de choix est perçue aux États-Unis comme un acquis social à développer par les Démocrates comme les Républicains, malgré l’hostilité ouverte des syndicats.

Pour le républicain comme pour la démocrate, les écoles à charte (ces écoles publiques indépendantes aconfessionnelles gratuites et entièrement financées par l’État) sont précieuses et doivent être encore développées. Si Hillary Clinton est plus réservée sur le chèque-éducation (voucher) car, selon elle, il sépare les catégories d’enfants en maintenant d’un côté ceux qui sont dans les écoles publiques et de l’autre ceux qui accèdent, avec ou sans chèque-éducation, aux écoles privées, elle ne menace pas pour autant de pousser les 14 États américains qui y recourent à les supprimer.

Donald Trump
Le désaccord porte sur la place que doit jouer l’État fédéral. Pour Clinton, il doit garder un contrôle important de ce qui se passe dans les États, notamment en imposant un socle commun décidé par Washington (Common Core), même si ce n’est pas la panacée selon la candidate démocrate, tandis que Trump veut donner un maximum de liberté au niveau local et s’oppose au Socle commun. Le Socle commun, instauré par Barack Obama en 2010, est une sorte de programme minimal à respecter, fixé par Washington et adopté par 42 États à ce jour. L’un des objectifs de l’institution du Socle commun était d’obtenir un relèvement général du niveau des écoles publiques, grâce à une mise en place de normes d’évaluation des élèves plus strictes pouvant s’appuyer notamment sur ce socle commun de connaissances.

Sans surprise, Mme Clinton affiche un soutien aux syndicats enseignants (tout en étant en faveur des écoles à charte pourtant combattues par les syndicats) tandis que le candidat républicain arbore une méfiance de principe à l’égard des technocrates et donc de l’administration gérant le système éducatif américain.

S’agissant de l’éducation supérieure, la sollicitude des candidats porte surtout sur le niveau très élevé des scolarités universitaires et les endettements de longue durée qui en découlent. Tandis que Trump semble plutôt pencher vers des modalités de financement par des banques privées de ces frais de scolarité, indexées sur les futures capacités contributives de l’étudiant, Clinton propose la gratuité des frais pour les étudiants les moins fortunés. Cela nécessiterait le déploiement d’un plan de 500 milliards de dollars, ce qui imposerait d’augmenter fortement les impôts sur les hauts revenus pour alléger l’endettement des familles gagnant moins de 125 000 dollars par an.

Une chose est sûre : la liberté d’enseignement n’est tout simplement pas l’objet d’un débat aux États-Unis. La réflexion porte sur les moyens de financement du système éducatif, quel qu’il soit. Le développement de l’enseignement privé est vu comme l’une des voies toutes tracées pour alléger la charge de l’État en matière éducative et garantir une amélioration des performances, pour un pays toujours bien mal loti par le classement PISA.

Quelques chiffres :

Les États-Unis comptent 49,52 millions d’élèves dans le public, donc 94 %, et 2,8 millions d’élèves dans le privé. 77 % des écoles américaines ont un financement public. Cela comprend à la fois les écoles publiques classiques et les 4 480 écoles à charte, écoles à financement public, mais autonomes dans leur gestion.

Les chèques scolaires sont actuellement utilisés dans 14 États :
Washington D.C., Wisconsin, Vermont, Utah, Oklahoma, Ohio, Caroline du Nord, Mississippi, Maine, Louisiane, Indiana, Géorgie, Floride et Arkansas. Il s’agit d’États appartenant majoritairement au Midwest et au Sud, à 80 % de couleur républicaine. Les chèques scolaires sont accordés généralement de manière privilégiée à des élèves aux besoins et handicaps spécifiques.

Les écoles à charte, écoles indépendantes libres de leurs méthodes pédagogiques et de leur programme, mais touchant des financements publics sont actuellement au nombre de 6 800, installées dans 42 États et à Washington D.C. Elles accueillent environ 3 millions d’élèves. Elles existent depuis 1991, et sont l’objet d’une forte demande, avec souvent de longues listes d’attente.

Pour aller plus loin :

Editorial Projects in Education Research Center. (2011, May 25). Issues A-Z: Charter Schools.  http://www.edweek.org/ew/issues/charter-schools/.

L'éducation aux États-Unis

L’éducation est aux États-Unis une prérogative importante des 50 États fédérés qui sont responsables de la politique éducative, aux dépens de l’État fédéral, une compétence qui leur est conférée par le dixième amendement à la Constitution. Ils ont la compétence pour choisir les programmes, les manuels, les financements ainsi que l’organisation de la liberté scolaire. La problématique au cœur de la réforme éducative actuelle est celle du « choix de l'école » : les parents doivent pouvoir choisir l’éducation qui sied le mieux à leurs enfants. À l’État fédéré donc d’organiser cette possibilité du choix. Cet éclectisme fait des États-Unis un terrain d’investigation riche et permet de trouver la solution à la fois la moins coûteuse pour l’État et les familles et la plus efficace pour l’éducation scolaire des enfants. Avec 94 % des 52 millions d’élèves dans le système public, les États n’ont plus d’autre choix que de trouver des alternatives au tout financement public. Le « choix de l'école » entre ainsi en jeu dans cette optique d’optimisation des dépenses et démontre que la séparation public-privé n’est pas aussi nette aux États-Unis.

Les États-Unis comptent 49,52 millions d’élèves dans le public, donc 94 %, et 2,8 millions d’élèves dans le privé. 77 % des écoles américaines ont un financement public. Cela comprend à la fois les écoles publiques classiques et les 4 480 écoles à charte, écoles à financement public, mais autonomes dans leur gestion, que nous étudierons plus en détail par la suite. À titre de comparaison, en France, 8 800 écoles sont sous contrat d’association avec l’État, ce qui représente 13,6 % du total des écoles françaises quand 22,5 % des écoles américaines sont privées, souvent tenues par des paroisses, des congrégations ou des associations.

Répartition des élèves selon le public et le privé



Pour contrer la baisse des résultats scolaires, la liberté du choix
 
Malgré la très forte hausse du coût de l’éducation, les élèves des États-Unis ont un niveau en chute libre depuis plusieurs années. Le taux de financement des États a augmenté de 138 % depuis 1985 alors que les résultats en lecture des élèves américains sont demeurés les mêmes.

Quatre moyens principaux ont été mis en place. Le principal objectif est de donner l’argent qui sert au financement de l’éducation des enfants dans l’école publique, directement aux parents, afin que celui-ci soit dépensé le plus efficacement possible.

1/ Le chèque-éducation, appelé « vouchers » aux États-Unis est mis en place dans 15 États. L’argent dépensé par l’État pour l’éducation des élèves du public est directement donné aux parents, libre à eux d’en disposer par la suite.

2/ La réduction d’impôt pour la scolarité est aussi mise en place dans 15 États. Elle permet aux parents de bénéficier d’une réduction d’impôts lorsqu’ils donnent leur argent à une organisation éducative à but non lucratif. Ceci permet d’éviter aux parents de payer deux fois, les scolarités publiques étant financées par les impôts sur la propriété. Cette réduction d’impôt est aussi étendue dans 8 États dès lors que les parents font une dépense pour l’éducation des enfants : cours particuliers, manuels scolaires, fournitures.

3/ Les « comptes d’épargne pour l’éducation ». Cela consiste en un compte bancaire approvisionné par les États que les parents peuvent dépenser comme ils le souhaitent dans le cadre de l’éducation des enfants : scolarité, fournitures, cours particuliers ou même épargne pour les études supérieures. Il existe aujourd’hui 60 programmes dans 27 États, ce chiffre a plus que doublé au cours des 5 dernières années. 399 147 élèves bénéficient de ces programmes selon les chiffres de la Fondation Friedman. De plus, ces programmes ne coûtent pas plus cher aux États, voire permettent souvent des économies. Nous pouvons étudier l’exemple du District de Columbia qui a mis en place des chèques-éducation depuis 2004 pour les élèves vivant sous le seuil de pauvreté. Un chèque de 7 500 dollars, soit 6 675 euros actuels, est remis par an à chaque élève éligible, quand une scolarité publique coûte entre 10 et 12 000 dollars, ou 9 et 10 680 euros. Le tableau ci-dessous fait le compte des économies nettes effectuées par l’État fédéral, qui finance l’éducation dans le District de Columbia.


Source : National Center for Education Statistics, 2011.

En 2011, le gouvernement fédéral a donc pu effectuer 44 % d’économies dans le budget consacré à l’éducation pour le District de Columbia grâce au chèque-éducation. Le district a aussi opté pour une réforme en profondeur de son système éducatif grâce à la mise en place de «  écoles à charte » : des écoles à financement public, mais autonomes dans leur gestion.

4/ Les « écoles à charte », les délégations de service public pour les écoles. Ces écoles sont le lieu privilégié pour des innovations en termes de pédagogie, pour une éducation plus spécialisée qui répond à des besoins particuliers. Elles touchent en moyenne 64 % du financement des écoles publiques normales, sont entièrement autonomes pour les programmes, les recrutements des professeurs et des élèves, la pédagogie, mais en échange sont tenues pour responsables des résultats des élèves.

La situation du District de Columbia permet d’éclairer les mutations en cours dans le système éducatif américain. DC se classe au 47e rang sur 50 dans les examens nationaux qui évaluent le niveau des élèves. Pour sortir de cet échec, DC a mis en place une politique pour permettre l’ouverture de «  écoles à charte », écoles autonomes à financement public. DC est classé premier dans le rapport annuel publié par la National Alliance for Public Charter Schools que nous avons rencontrée. Ce rapport évalue selon différents critères, nombre d’écoles, d’élèves, d’ouverture ou de fermeture d’écoles, des spécialités des écoles, l’efficacité des « écoles à charte » dans 18 États. DC compte 50 % de «  écoles à charte », 44 % des élèves y sont scolarisés, avec une majorité d’élèves issus des minorités. Une étude menée en 2013 par l’Université de Stanford, Stanford University’s Center for Research on Education Outcomes (CREDO), qui regroupait 95 % des élèves des «  écoles à charte » de tous les États-Unis, démontre que les élèves afro-américains, dont les parents ont un bas salaire, avaient un mois d’avance en lecture et deux mois d’avance en mathématiques comparés aux écoles publiques classiques.

Ces écoles coûtent aussi moins cher au gouvernement fédéral qui finance. En effet, les « écoles à charte » touchent en moyenne 74 % de ce que touche une école publique normale. Une somme précise par élève est donnée par les États et varie entre $ 350 dollars (318 €) et plus de 1 000 $ €). Les États peuvent aussi octroyer des bourses ou des prêts. D’autres écoles se financent avec les taxes de propriétés, ou d’autres encore assurent le même financement aux «  écoles à charte » qu’aux écoles publiques normales. Tenues responsables des résultats, ces écoles assurent une transparence complète de leurs dépenses, contrairement aux écoles publiques traditionnelles. Comme témoins de leur succès, plus d’un million d’élèves sont sur les listes d’attente pour entrer dans ces écoles.

Conclusion

Le système éducatif américain est depuis une vingtaine d’années obligé de se réformer rapidement tant les échecs sont nombreux : augmentation du coût de l’école publique, forte baisse des résultats scolaires, augmentation des inégalités chez les minorités. L’autonomie des États et leur grand pouvoir en matière d’éducation font des États-Unis un terrain particulièrement intéressant et dense à étudier.

Selon une étude de l'IFRAP, les « écoles à charte » demeurent l’alternative la plus importante à l’école publique. En finançant publiquement les initiatives privées, qui sont tenues pour responsables des résultats, contrairement aux écoles publiques, les États fédérés permettent de catalyser un florilège de pédagogies. Bien souvent, ces écoles ont des résultats largement supérieurs aux écoles publiques alors même qu’elles ne touchent que 74 % des financements totaux d’une école publique. Équipes unies, pédagogie spécifique, transparence des résultats, responsabilité des moyens, tels sont les ingrédients pour des écoles considérées comme efficaces pour l’éducation des élèves. Depuis l’Elementary and Secondary Education Act voté en décembre 2015, les écoles publiques seront sommées de publier leurs comptes. Ainsi les nombreuses exigences du privé vont-elles devenir peu à peu celles du public.



France — le système scolaire toujours plus inégalitaire

Une étude du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) a publié fin septembre une synthèse de différents rapports pointant tous l’explosion des inégalités au sein du système éducatif français.

Le Monde s’en fait le relais.

Le constat n’est certes pas nouveau : cela fait plusieurs années que le classement PISA, réalisé tous les trois ans par l’OCDE, pointe du doigt la France, qui bat des records en termes d’inégalités scolaires.

L’ennemi facile et tout désigné serait bien sûr l’enseignement privé. Mais les rapports accusent précisément les politiques éducatives menées depuis trente ans, et supposées réduire lesdites égalités.

Au premier rang sur le banc des accusés, la politique des ZEP, ou Zones d’éducation prioritaire [dans les banlieues accueillant des populations issues de l’immigration], qui a engendré de la « discrimination négative » : donner moins à ceux qui ont moins. Le temps horaire consacré à l’enseignement y est dramatiquement bas, de même que l’expérience des professeurs. Quant aux attentes pédagogiques, elles y sont constamment revues à la baisse, empêchant d’avoir toute espèce d’ambition stimulante pour les élèves.

Les remèdes déployés ne sont que cautère sur jambe de bois : temps individualisé de soutien, plans de « relance », jamais évalués et sans cesse reconduits.

Nous ne saurions nous étonner de ces conclusions, que nous produisons nous-mêmes depuis plusieurs années, et qui nous poussent à explorer d’autres voies en milieu difficile, comme les écoles pilotées par la Fondation Espérance Banlieues, qui choisissent précisément la voie de la qualité et de l’exigence pédagogiques là où elles ont disparu.


Mixité sociale obligatoire organisée par l’État ?


Là où le bât blesse, c’est quand le CNESCO propose, comme solution unique, d’améliorer la « mixité sociale. » En clair, répondre à l’échec du système par encore un peu plus de contraintes, ôter encore un peu plus aux parents la liberté du choix de l’établissement où scolariser leurs enfants, au nom d’impératifs d’un brassage des enfants décrété par le haut qui ne saurait jamais, à lui seul, suffire à faire progresser le niveau des établissements paralysés par une mauvaise gestion et des méthodes inadaptées.

Une réelle mixité scolaire s’instaurerait bien plus sûrement en offrant financièrement la possibilité aux familles qui le désirent de mettre leurs enfants dans des établissements privés, qui leur sont actuellement fermés faute d’en avoir les moyens : l’État est le premier à organiser la ségrégation sociale, en se refusant à accorder un financement de l’éducation, qui permette aux parents de choisir la structure d’accueil de leur enfant en fonction de leurs attentes pédagogiques, et non en fonction de leur porte-monnaie, comme cela se fait naturellement à l’étranger.

Quelques esquisses de solutions alternatives ont été cependant évoquées, malheureusement sans jamais que leur mise en œuvre soit pleinement efficiente : expérimentation de travail en petits groupes au collège, par exemple. L’objectif affiché, une véritable « pédagogie différenciée » au sein de la classe, est loin d’être atteint.

Il faut aller plus loin, et casser une approche unitariste de l’enseignement au collège, là où les inégalités explosent : l’enseignement par groupe de niveaux est souhaitable, y compris dans le public. Cessons de le voir comme stigmatisant pour les faibles ou créateur d’inégalités : il permet au contraire à chacun de progresser à la mesure de ses capacités dans un climat de confiance restauré.

Enfin, parallèlement à ces groupes de niveaux, l’instauration de tests de niveaux annuels permettrait de mesurer de manière concrète et objective les progrès réalisés par les élèves en difficulté ou au contraire, leurs blocages, afin d’éviter de promener de classe en classe des enfants que l’on occupe bon gré mal gré, et que guettent à tout moment la sortie de piste et la mise à l’écart du système scolaire.

Constance Prazel