samedi 30 janvier 2016

France — Pourquoi les garçons issus de l'immigration ont autant de mal à l'école

Si les filles issues des minorités visibles s’intègrent plutôt bien au système scolaire en France, leurs frères ont beaucoup plus de difficultés. Pourquoi les fils d’immigrés, mais pas de toutes les immigrations, ne réussissent-ils pas à l’école aussi bien que leurs sœurs ? Les filles parviennent en effet à surmonter le fait que l’école joue de plus en plus mal son rôle d’intégration pour les enfants issus de l’immigration.


Selon les derniers chiffres du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA, enquête 2012), un quart des 15-24 ans sortis du système scolaire sans diplôme sont des enfants d’immigrés nés en France, alors qu’ils représentent une personne sur cinq dans cette classe d’âge. Par la faiblesse socio-économique de leurs parents, ces enfants-là cumulent les difficultés de départ. Mais ce handicap ne pèse pas le même poids selon qu’on est une fille ou un garçon.

Menée depuis 2008 par des chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (INED) et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la vaste enquête « Trajectoires et origines » (TeO), dont les résultats viennent d’être rendus publics (Le Monde du 9 janvier), le confirme avec force : à niveau social équivalent et toutes origines confondues, les filles issues de l’immigration témoignent d’une intégration scolaire sensiblement équivalente à celle de la population générale. Les garçons, en revanche, marquent le pas. L’enquête pointe même un groupe, les fils de Maghrébins et de parents venus d’Afrique subsaharienne, dans lequel une part importante de jeunes gens, du fait de leur échec scolaire massif, n’ont pas réussi leur insertion sociale et cumulent les indicateurs d’exclusion. Un phénomène qualifié par les auteurs de l’enquête TeO de « fait social majeur » et que l’école publique s’est révélée impuissante à empêcher.

Classe parisienne
Les garçons moins scolaires que les filles ? L’inégalité de genre est bien connue dans le système scolaire français, et même européen. Les études PISA, qui se succèdent tous les trois ans depuis 2000, le montrent à chaque fois : les filles sortent moins souvent du parcours scolaire, redoublent moins, ont des taux supérieurs d’obtention du brevet et du bac, ont de meilleures notes. Ce qui n’empêche pas les garçons, une fois l’étape du bac franchie, d’être les plus nombreux aux niveaux les plus sélectifs : ils constituent 56 % des étudiants atteignant le doctorat, les filles s’arrêtant le plus souvent à la licence ou à la maîtrise. Comme on le verra ci-dessous, ce ne sont pas les mêmes groupes de garçons que l’on retrouve aux niveaux les plus sélectifs.

Pour expliquer cette plus grande difficulté d’adaptation des garçons au système scolaire, la sociologue Marie Duru-Bellat, spécialiste des questions d’éducation, avance deux pistes : la socialisation familiale et l’attitude des enseignants. Les débuts de la scolarité sont souvent décisifs pour la suite, rappelle-t-elle. Or, les premières années d’école, les petits garçons vont avoir plus de mal à s’adapter au « métier d’élève ». Rester tranquille sur sa chaise, s’intéresser à la lecture activité perçue comme féminine, tout cela va jouer en leur défaveur. À quoi s’ajoute le fait que les filles ont en général un vocabulaire plus développé.


Les garçons ont souvent l’impression d’être « surpunis », ce qui n’est pas forcément faux, commente Marie Duru-Bellat. Même dans les pratiques éducatives parentales, on observe que les filles savent mieux s’y prendre pour éviter les punitions : elles promettent d’être plus sages, de faire un effort.

Les écarts de réussite entre filles et garçons sont encore plus marqués que dans la population générale. Comment expliquer l’échec scolaire qui affecte spécifiquement les fils d’immigrés en provenance de ces pays ? L’enquête TeO ne répond pas directement à cette question. Mais elle ouvre des hypothèses.


L’étude a été menée sur le terrain en 2008-2009, auprès de 8 200 jeunes gens âgés de 18 à 35 ans, tous nés en France et ayant au moins un parent immigré. Chez ces enfants ayant suivi toute leur scolarité en France, les filles tirent leur épingle du jeu : 62 % d’entre elles sont bachelières, contre 65 % des filles dans la population majoritaire (n’ayant aucun parent d’origine étrangère). Leur taux de réussite est même supérieur à la moyenne quand leur famille est originaire du Sud-Est asiatique (70 %).

La situation est nettement plus préoccupante chez les garçons. En 2008, parmi les fils d’immigrés interrogés, 48 % seulement étaient titulaires du bac, contre 59 % des garçons de la population générale. Et ils étaient 24 % (contre 16 %) à être sortis du système éducatif sans diplôme du secondaire, ce taux atteignant 30 % parmi les fils d’immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique sahélienne, centrale ou guinéenne, et 35 % chez les fils d’immigrés venus de Turquie. « Dans certains courants migratoires, les fils d’immigrés sont particulièrement nombreux à être démunis de diplôme à la fin de la scolarité obligatoire ou à n’avoir que le brevet des collèges », résument les chercheurs.


Si l’on veut expliquer ces résultats disparates (chez les garçons comme chez les filles) selon les milieux d’origine, il faut bien sûr prendre en compte le contexte économique, souvent très précaire, de ces familles d’immigrés. À niveau financier équivalent, il faut aussi regarder les appartenances sociales et le capital scolaire des parents dans leur pays d’origine. « Le brillant parcours de nombreux élèves appartenant à des familles venues d’Asie du Sud-Est et de Chine doit être corrélé au fait que ces immigrés faisaient souvent partie des groupes les plus éduqués dans leur pays d’origine, précise Mathieu Ichou, sociologue à l’INED. De même, les faibles performances des enfants d’immigrés turcs — filles comprises — dans le système scolaire français doivent être rapprochées du statut social de leurs parents, en général issus d’un milieu rural et peu qualifié. »


Pour faire la part de ce qui, dans les difficultés scolaires rencontrées par les garçons issus de l’immigration, relève de leur origine sociale (diplôme des parents, conditions financières, taille de la fratrie, etc.), les chercheurs ont procédé à des analyses dites « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire après contrôle des héritages sociaux, scolaires et linguistiques transmis par les parents. Une fois ces correctifs appliqués, les écarts de réussite constatés entre les fils d’immigrés et la population générale s’annulent pour les descendants originaires d’un département d’outre-mer ou du Portugal. En revanche, et même s’ils se réduisent, les désavantages scolaires persistent pour la plupart des autres origines : Maghreb, Turquie, Afrique subsaharienne.

Le sociologue Hugues Lagrange plaidait, dans Le Déni des cultures (Seuil, 2010) pour la prise en compte des identités culturelles dans l’analyse des difficultés scolaires précoces selon l’origine des parents. À l’issue de plusieurs enquêtes menées dans des quartiers sensibles de la vallée de la Seine, de Paris et de Saint-Herblain (Loire-Atlantique), il observait qu’à condition sociale égale délinquance et échec scolaire étaient trois fois plus fréquents chez les garçons d’immigrés provenant du Sahel (Mali, Sénégal et Mauritanie) que chez les enfants de parents français, une fois et demie plus que chez les Turcs, les Maghrébins et les Africains du golfe de Guinée. Rappelant que dans ces pays du Sahel, à majorité musulmane, la famille est patriarcale, souvent polygame, avec des femmes dépendantes et de grandes fratries, il imputait à ce modèle familial l’échec et l’inconduite des fils.
Hugues Lagrange suggère de « revenir sur l’occultation de l’ethnicité et des différences culturelles » pour expliquer le fort échec scolaire d’une partie des fils d’immigrés, une approche culturaliste très critiquée dans la sociologie française.
Faut-il invoquer le retour, observé par l’Insee, de l’observance religieuse et des normes morales traditionnelles chez les jeunes des cités (séparation et traitement différencié des sexes, polygamie) ? N’ayant pas pris la religion comme critère dans leur étude, les chercheurs de l’enquête TeO ne s’y risquent pas. Laure Moguérou, socio-démographe à l’université Paris-X et cosignataire du chapitre relatif au parcours scolaire de l’enquête TeO, n’en constate pas moins, chez les enfants de l’immigration comme dans le reste de la population française, une socialisation familiale assez différenciée entre filles et garçons. « Les premières vont être davantage contrôlées, assignées à rester à la maison. Cela peut développer chez elles certaines dispositions scolaires. On attend d’elles qu’elles soient sages et dociles, quand les garçons sont plus libres de sortir, constate-t-elle. »
En parallèle à l’étude TeO, Laure Moguérou a mené avec la sociologue Emmanuelle Santelli une série d’entretiens dans des familles immigrées de milieux populaires, venues du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie. Elles y ont observé de fortes aspirations scolaires pour leurs enfants, l’école étant perçue comme un moyen d’intégration et de mobilité sociale. Mais « cette situation ne s’accompagne pas d’une implication plus forte dans le suivi de la scolarité », constatent-elles. À milieux sociaux comparables, les parents immigrés suivent moins les devoirs que ceux de la population majoritaire. Freinés par la faiblesse de leur capital scolaire, ils sont donc peu à même d’intervenir quand leur progéniture est en difficulté. Les filles étant à ce stade globalement plus intégrées dans le système scolaire, elles s’en sortent mieux.

Que faire pour inverser cette tendance et donner à tous des chances égales ? Dans ce domaine pourtant au cœur de sa mission, l’école française se révèle particulièrement mauvaise élève comparée à ses voisins européens, selon la dernière étude PISA. Si tant est que des comparaisons puissent se faire, les immigrations diffèrent entre pays européens : l’immigration récente est surtout africaine en France, asiatique en Grande-Bretagne et jusqu’il y a peu très rarement extraeuropéenne en Allemagne. 

Laure Moguérou, insiste sur la nécessité pour l’école de tenir compte de la diversité de ses populations. « Il y a une sorte de chape de plomb dans l’institution scolaire française : on ne veut pas voir qu’il y a des origines différentes, on fait comme si cela n’existait pas, constate la sociodémographe. Or, lorsqu’on fait des enquêtes en milieu scolaire, on voit bien que la question des origines est présente : elle intervient dans la constitution des classes, dans les processus d’orientation, dans la manière dont les enseignants vont percevoir les élèves et s’adresser à eux... Mais, dans l’école de la République, ce n’est pas censé exister. Du coup, la formation des — enseignants n’intègre pas cette réalité. »

Source : Le Monde

La sélection à l’entrée des universités de l’« Ivy league »

Princeton et ses façades recouvertes de lierres
Pour les étudiants américains, l’entrée à l’université est un parcours du combattant qui commence bien avant la dernière année d’études secondaires. Quatre ans avant la fin de leurs études secondaires (lycée en France, une partie du cégep au Québec), les élèves qui aspirent à s’inscrire à une université prestigieuse s’attachent à ajouter à leur parcours ces éléments qui peuvent faire la différence aux yeux des comités d’admission : sport, démonstrations d’excellence, de leadership, de curiosité d’esprit (apprentissage du mandarin, par exemple). L’engagement social (« community service ») ou une expérience de bénévolat, comme un stage dans une clinique pour les pauvres ou dans une ONG en Afrique, sont hautement recommandés.

Les huit meilleures universités sont regroupées dans le groupe dit « Ivy League », la Ligue du lierre, lierre qui recouvre les bâtiments des augustes institutions de la Nouvelle-Angleterre. La sélection y est impitoyable. En 2015, le taux d’acceptation est tombé pour la première fois à 5 % dans une université, celle de Stanford, qui a admis 2 144 étudiants pour 42 487 candidats. Viennent ensuite Harvard (5,3 %), soit 1 990 admis pour 37 305 dossiers, Yale (6,5 %) et Columbia (6,1 %). Chaque candidature est payante (85 dollars, soit 78 euros), et les établissements les plus prestigieux touchent des millions de dollars grâce aux rejets.

La sélection s’effectue d’abord sur les notes. À 16-17 ans, les élèves en classe « junior » du secondaire passent l’un ou l’autre des tests nationaux : Standard Admission Test (SAT) ou American College Testing (ACT). Le plus commun est le SAT, des questionnaires à choix multiples de trois épreuves (maths, écriture et lecture critique) que les élèves remplissent. Non seulement il faut aller vite en 3 h 45, mais les réponses fausses sont pénalisées. Pour espérer entrer à Stanford ou à Harvard, il est bon de se prévaloir d’un quasi-sans-faute (800 points par sujet) ou au moins d’un score supérieur à 2 150. Moins de 0,05 % des candidats réussissent le score parfait de 2 400 points (360 sur 1,6 million d’inscrits en 2012).

Le SAT a donné lieu à toute une industrie de préparation à l’examen, qui n’est accessible qu’aux plus riches. Les comités d’admission examinent aussi le « Grade Points Average » (GPA), la moyenne des notes sur les quatre ans de lycée. À leur dossier, rempli en ligne, les candidats doivent ajouter des recommandations personnalisées d’un professeur, entraîneur sportif ou éducateur. Et un « essai », soit un texte (650 mots maximum) de motivation, de personnalité, sur un sujet déterminé chaque année par l’établissement. Un exemple pour 2016 : « Décrivez une action ou un événement, formel ou informel, qui a marqué votre passage de l’enfance à l’âge adulte dans le contexte de votre culture, famille ou communauté. »

Souci de diversité sociale et ethnique (moins de sensibilités politiques)

Plus de 600 universités ont une banque d’épreuves communes (la « common app ») mais chacune se réserve le droit de demander un texte supplémentaire. Au total, les élèves soumettent parfois trois ou quatre « essais » différents. Là aussi, des répétiteurs privés offrent leurs services (de 60 à 130 dollars l’heure). Les séances commencent par un remue-méninges, censé permettre aux candidats de trouver dans leur vie, souvent sans histoires, l’épisode qui a montré un trait exceptionnel de leur personnalité. Il est bon d’expliquer qu’on a surmonté une épreuve ou un échec, voire d’émouvoir les examinateurs avec une enfance difficile.

Les universités appliquent ensuite des « correctifs » divers. L’origine ethnique, d’abord. Certains États, comme la Californie, ont abandonné la discrimination positive dans la sélection de leurs étudiants. La Cour suprême des États-Unis a récemment validé une loi du Michigan interdisant la discrimination positive dans l’enseignement supérieur. D’autres continuent à l’imposer. Chaque établissement affiche en tout cas un souci de diversité. Être une « latina » est certainement un plus. Les garçons « anglos » et les étudiants d’origine asiatique, une minorité qui crève le plafond de la réussite scolaire, se plaignent d’être désavantagés, à résultats scolaires équivalents. Les sportifs de haut niveau bénéficient de conditions exceptionnelles, indépendamment de leurs notes. Dernier critère d’admission, le plus flou : « l’héritage » (legacy). Sauf à être des cancres avérés, les fils et filles d’anciens élèves ont peu de chances d’être recalés par l’université de papa (ou de maman), surtout si les parents soutiennent généreusement leur alma mater.



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Les études coûtent cher : 60 000 dollars par an, avec hébergement et repas, à Harvard ; 59 000 dollars à Yale ; 32 600 à Berkeley pour les domiciliés en Californie (56 000 pour les étudiants d’autres États). Les universités soulignent le nombre de bourses distribuées (60 % des étudiants de Harvard ont une bourse grâce à un programme d’aide de 160 millions ; 50 % à Yale) pour les plus désargentés et les minorités notamment noires et « latinas ». Mais la majorité des étudiants ne reçoivent qu’une aide de quelques milliers de dollars sur quatre ans, loin de compenser le coût de la scolarité. Les dossiers d’inscription sont en général clos fin janvier. Attendues avec angoisse, les lettres d’admission arrivent début mai. Au début de l’été, le grand mercato des admissions est terminé.

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Comment clouer le bec à un intervenant qui joue les trouble-fête ? Voilà qui fait certainement partie du b.a-ba de tout orateur hors pair. À l’université d’Édimbourg, la relève de la classe politique n’aura toutefois pas la chance de se former à cet art. Les interruptions, les rires et globalement toute intervention susceptible de distraire l’orateur sont désormais interdits dans les réunions du conseil des étudiants. Même les gestes et signes de la main sont bannis s’ils expriment « une forme de désaccord ».

Si les étudiants ont le droit d’applaudir l’adoption d’une proposition, il leur est expressément défendu de faire de même si la motion est refusée. Et les contrevenants, y compris le président de la session, peuvent alors se retrouver exclus sur un simple vote à main levée. Ces règles formulées par l’association étudiante de l’université d’Édimbourg montrent jusqu’où les étudiants sont prêts à aller pour faire des campus des « espaces sûrs », des lieux accueillants et douillets, et ne surtout pas heurter la moindre susceptibilité. Les détracteurs de cette mesure y voient l’érosion croissante de l’expression d’une parole désinhibée et un affaiblissement de la notion même de liberté d’expression.

Les polémistes ne sont pas les seuls dans le collimateur. Certains zélotes des syndicats étudiants ont également proscrit les exemplaires du journal The Sun ou Charlie Hebdo, la presse dite masculine et même des chansons de pop. Les étudiants de l’université de Northumbrie ont mis au ban tous les costumes de fête susceptibles d’être jugés racistes, sexistes ou insultants pour les homosexuels, les transsexuels, les handicapés ou les adeptes de certaines confessions. « Votre sens de l’humour ou votre goût pour la provocation ne priment pas le droit de chaque étudiant à se sentir en sécurité sur le campus », affirme l’organisation étudiante.

Ces jeunes gens pensent avoir « le droit » de ne pas être offensés, mais cela peut avoir des conséquences inattendues comme l’a souligné Brendan O’Neill dans les colonnes du Spectator. M. O’Neill voulait participer à un débat à Oxford pour y défendre l’avortement, mais la discussion universitaire a été annulée. Pourquoi ? Parce qu’elle aurait été offensante et aurait pu menacer la « sécurité mentale » des étudiants qui auraient entendu « une personne sans utérus » parler de l’avortement. Quid de la liberté d’expression ? Concept surfait, ont déclaré des étudiants. Une simple excuse qui sert les bigots intolérants.

Comme le relate le New York Times, des étudiants — théoriquement des adultes — ont également décidé qu’il fallait les protéger de passages troublants trouvés dans des livres. Récemment, certains ont demandé qu’on insère des avertissements dans les classiques : Gatsby le magnifique (parce qu’il serait misogyne), Huckleberry Finn (raciste) et le Marchand de Venise (antisémite). Un projet de guide a été diffusé à l’université Oberlin en Ohio, il suggère en outre l’obligation de signaler tout ce qui ressemblerait à du « classisme, du sexisme, de l’hétérosexisme [le gouvernement du Québec y consacre des millions], de cissexisme [partialité contre le transgenre], de capacitisme [préjugés contre les handicapés] et d’autres questions reliées aux privilèges et à l’oppression. »

Au printemps 2015, une étudiante à l’Université Columbia s’est plainte parce qu’elle a été « troublée » par la lecture des Métamorphoses d’Ovide.

Le traitement de Proserpine aux mains de Dis (Pluton) lui aurait remémoré une ancienne agression. Elle a affirmé s’être sentie « en danger ». Selon le Spectator, Columbia aurait ensuite annoncé, sotto voce, que les Métamorphoses allaient être remplacées par Le chant de Salomon de Tonni Morrison. Ouvrage favori d’Oprah et d’Obama décrit en ces termes par l’éditeur : « Héritier de la tradition orale et des légendes africaines, Le chant de Salomon est un retour aux sources de l’odyssée du peuple noir. Entre rêve et réalité, cette fresque retrace la quête mythique de Macon Mort, un adolescent désabusé parti dans le Sud profond chercher d’hypothétiques lingots d’or. Mais le véritable trésor qu’il découvrira sera le secret de ses origines. »


L’Enlèvement de Proserpine du Bernin, 1622
Notons que le rapt de Proserpine (ou Perséphone sous son nom grec) est une scène mythologie extrêmement connue qui a inspiré de très nombreux artistes. Les latinistes adolescents l’apprenaient lors de leurs versions. (Le Québec a résolu le problème : le latin et les classiques [même en français] ont disparu des écoles québécoises sauf rares exceptions pour faire place à des ouvrages modernes insipides et politiquement corrects.) La description d’Ovide n’est en rien crue ou d’une violence explicite :
La terre que baigne cette onde paisible est émaillée de fleurs. Là règnent, avec les Zéphyrs, l’ombre, la fraîcheur, un printemps éternel ; là, dans un bocage, jouait Proserpine. Elle allait, dans la joie ingénue de son sexe et de son âge, cueillant la violette ou le lis, en parant son sein, en remplissant des corbeilles, en disputant à ses compagnes à qui rassemblerait les fleurs les plus belles.

Pluton l’aperçoit et s’enflamme. La voir, l’aimer, et l’enlever n’est pour lui qu’un moment. La jeune déesse, dans son trouble et dans son effroi, appelle en gémissant sa mère, ses compagnes, et sa mère surtout. Sa moisson de lis s’échappe.

Voilà, c’est tout...

En décembre 2014, Jeannie Suk, professeur de droit, a écrit un article désespéré dans le New Yorker à propos de la situation à Harvard, une sorte de SOS. Ses élèves, dit-elle, se sont plaints aux autorités que les lois concernant le viol évoquaient trop de choses (elles sont trop « déclenchantes » pour utiliser le jargon de ces étudiantes) pour être enseignées à tous les étudiants. Une jeune fille pensait que le mot « violer » — comme dans « cela viole-t-il la loi ? » — était trop traumatisant pour qu’on l’utilise en classe. Comme conclut Jeannie Suk, si l’on devait exclure le sujet des agressions sexuelles des écoles de droit, les véritables victimes seraient les vraies victimes de viol qui auraient besoin d’avocats.

À l’université de Swansea, un groupe de danseurs à la barre verticale, a été interdit en raison des « liens inextricables [entre cette activité] et l’industrie du sexe ». À l’université de Birmingham, ce sont les sombreros qui ont été bannis, ainsi que les moustaches des membres d’un club de sport, également jugés racistes. Il en va de même à l’université d’East Anglia, où le port du couvre-chef mexicain est désormais considéré comme une « appropriation culturelle ». Figurent également dans la liste des interdits les groupes antiavortement, les associations féministes, les communautés antitransgenre et les chercheurs israéliens, boycottés par les universités du Sussex, d’East Anglia, de Birkbeck et la School of Oriental and African Studies (SOAS). L’université Brunel applique la tolérance zéro à l’égard des attitudes machistes qui se manifestent à travers des « comportements de meute », une forte consommation d’alcool et, souvent, des « plaisanteries à caractère sexiste, misogyne ou homophobe ».

Alors qu’une loi datant de 1986 oblige les responsables d’établissement à faire respecter la liberté d’expression, ceux-ci sont parfois eux-mêmes à l’origine des interdits. Ainsi, l’administration de l’université de Bristol demande à ses étudiants d’éviter tout acte ou parole inutilement blessante ou provocatrice ».



Certains religieux musulmans, invités à parler devant les étudiants, ont eux aussi fait l’objet d’une interdiction. Imran ibn Mansour [prédicateur musulman actif sur YouTube] a été rayé de la liste des invités de l’université de Londres-Est en 2014 en raison de « son concours actif à la propagation d’opinions homophobes ». L’université a souligné qu’elle ne pouvait contribuer à la ségrégation dans ses auditoriums.

Le magazine Spiked, qui propose depuis un an un classement des universités en fonction de leur degré de liberté d’expression, a noté 115 établissements selon un système de feu tricolore avec une description des décisions liberticides dans chaque cas. Les 55 % qui faisaient partie des plus hostiles à la liberté d’expression ont reçu un feu rouge du magazine. Ce sont des universités dont l’administration ou les étudiants eux-mêmes ont interdit des idéologies, des affiliations politiques, des croyances, des livres, des conférenciers ou des types de commentaires : 35 % ont reçu un feu orange, signe que des restrictions à la liberté d’expression ont été mises en place dans le but de limiter les propos insultants, polémiques ou provocateurs. Seuls 10 % des universités notées ont reçu un feu vert, signifiant qu’aucune mesure spécifique n’a été mise en place pour contrôler la parole.

La résistance s’organise néanmoins au Royaume-Uni sous la forme d’un réseau d’associations étudiantes contre la censure. Des groupes de parole « libre » se mettent en place à la London School of Economics et à l’université d’Édimbourg, même si les étudiants de cette dernière n’ont pas le droit d’interrompre leurs camarades.

Aux États-Unis également, ces menaces contre la liberté d’expression ont attiré l’attention sur la Déclaration de Chicago qui a été adoptée par plusieurs universités prestigieuses, dont Purdue, Princeton, l’American University, Johns Hopkins, Chapman, Winston-Salem State et le réseau de l’Université du Wisconsin, selon la Fondation pour les droits individuels en éducation (Fire), une association à but non lucratif qui milite pour la liberté d’expression. Cette déclaration est brève (trois pages) et catégorique.

« Le véritable rôle de l’université n’est pas de tenter de protéger les étudiants contre les idées et les opinions qu’ils trouvent déplacées, désagréables, voire profondément offensantes », affirme la déclaration. « Des inquiétudes quant à un manque de civilité ou de respect mutuel ne peuvent jamais être invoquées comme justification pour empêcher le débat d’idées, aussi blessantes ou déplaisantes soient-elles. » La déclaration conclut en déclarant que la responsabilité d’une université est non seulement de promouvoir « une intrépide liberté de débattre », mais aussi de la protéger.

Le comité s’est diligemment penché sur les inquiétudes suscitées par les « discours haineux » et les « microagressions ». Toutefois, il a conclu que, quel que soit le tort causé par cette expression, il doit être redressé par des « membres de l’université... qui réfuteront franchement et vigoureusement les idées qu’ils condamnent » et non par la censure.


Sources : le Times de Londres, New York Times, Spectator, The Economist

Voir aussi

Canada — Liberté d'expression et d'opinion menacée dans les universités