lundi 24 août 2009

Rapport Caldwell — Il n'y a pas de besoin urgent et réel à imposer le cours d'éthique et culture religieuse

L'expertise de Gary Calwell n'a pas pu être acceptée dans son intégralité par la Cour supérieure de Drummondville, seule la section « Un objectif réel et urgent » sera considérée par le juge.

Nous reproduisons ci-dessous le rapport Caldwell (sans sa table de matière et bibliographie) écrit pour éclairer le tribunal. On le trouve en entier en PDF ici.




Dans ce texte, je me propose d’élucider, dans le domaine de mon expertise – i.e. à partir de constats socio-culturels pertinents pour votre délibération – si les mesures prises par le gouvernement sont nécessaires pour assurer un meilleur «vivre ensemble» et protéger les droits de tous. Bref, nous examinerons si ces mesures rencontrent les exigences de l’article 1 de la Charte canadienne qui stipule que les libertés fondamentales «ne peuvent être restreintes que par une règle de droit», et ceci «dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification puisse être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique». Cet article devient pertinent lorsqu’on veut restreindre «les droits et libertés» énoncés dans la dite Charte. Toutefois, avant de vérifier si les deux qualifications énoncées dans l’article 1 se retrouvent dans le cas présent, il faut déterminer s’il y a restriction ou atteinte à un droit ou une liberté énoncée par la Charte.

I. Atteinte à une liberté protégée par la Charte

Notre opinion d’expert ne porte pas sur ce point, à savoir que les mesures prises par la partie défenderesse [la commission scolaire] pour réaliser son objectif, notamment le déni de la procédure d’exemption prévue par l’article 222 de la Loi sur l’Instruction publique, constitue une atteinte à une liberté fondamentale. À ce sujet je prends pour acquis qu’il a été établi par la demanderesse qu’une telle atteinte existe et que cette atteinte va à l’encontre de sa liberté de conscience et de religion. Mon opinion prendra donc comme point de départ que l’imposition obligatoire, sans exemption possible, du cours d’ECR est une atteinte à la liberté de conscience et de religion des [enfants de Mme Lavallée, leur noms ne peuvent être mentionnés] ainsi que de leurs parents. Ces derniers, en tant que parents responsables de l’éducation de leurs enfants, trouvent que la relativisation de leur religion par la présentation de plusieurs autres religions ainsi que la soumission de leurs croyances à un processus de discussion et de dialogue, le tout imposé et orchestré par l’État par l’entremise de la Commission scolaire des Chênes, constitue bel et bien une atteinte à leur liberté de conscience et de religion.

Passons maintenant à la clause limitative. Nos références seront toutes tirées des documents dont la liste est produite à la fin et qui sont soumis à la Cour. Je n’invoquerai de propos individuels que de ceux – avec l’exception de Tocqueville – qui se sont présentés comme mandataires du Gouvernement du Québec : soit dans le développement et la mise en place du cours d’ÉCR, notamment Jean-Pierre Proulx et Georges Leroux; soit comme membres et auteurs du Rapport d’une Commission de consultation pertinente, notamment Gérard Bouchard et Charles Taylor; et la ministre de l’Éducation elle-même, Mme Courchesne. Les quatre premiers étaient des mandataires de l’État en ce sens qu’ils ont reçu un mandat de l’État pertinent à la question du cours d’ÉCR et qu’ils étaient à la solde de l’État.

II. Cette restriction à la liberté des demandeurs est-elle autorisée par une « règle de droit » ?

C’est là la première condition, selon l’article 1 de la Charte canadienne, de validation (ou d’invalidation) constitutionnelle d’une restriction à une liberté ou un droit reconnu par la Charte. Ici la réponse me semble évidente : non seulement n’y a-t-il pas de loi qui baliserait une telle restriction de la liberté de conscience ou de religion, mais encore on fait fi d’une loi existante et applicable à l’effet contraire; et ce faisant, on passe outre à plusieurs autres lois et conventions. La loi applicable est l’article 222 de la «Loi de l’Instruction publique» du Québec, laquelle loi, tout en prescrivant et assurant la mise en application de la fréquentation scolaire obligatoire, prévoit des cas d’exemption à des cours particuliers, là où il pourrait y avoir «préjudice grave». Les parties défenderesses ont littéralement passé outre à cette règle de droit «accessible et intelligente», spécifiquement applicable dans le cas auquel nous faisons référence. Leur action est un mépris du législateur qui n’a pas cru bon, lorsqu’il a rédigé et voté la loi 95 qui mettait en place le cours d’ÉCR, de supprimer le recours possible à l’exemption, comme il aurait pu le faire. Ici, en niant aux parents l’accès à cette loi, l’exécutif (la ministre de l’Éducation) s’est placé en situation de lèse-majesté envers l’Assemblée nationale (la «couronne en parlement»).

De plus, en mettant à exécution des mesures fondées sur aucune règle de loi, l’exécutif a aussi fait fi de quatre autres lois et conventions. La première, c’est le droit d’être entendu, avec l’aide d’un avocat, dans sa propre cause. Certaines commissions scolaires, se pliant ainsi aux directives explicites de la ministre, ont refusé des exemptions, en révision, sans que les intéressés n’aient été entendus avec leur avocat (Commission scolaire des Affluents, le 9 octobre 2008) et celle de la Vallée-des-Tisserands, le 9 février 2009).

Deuxièmement, le ministère empiète ainsi sur la juridiction des commissions scolaires : ce sont les commissions scolaires, et non le ministère, qui ont juridiction pour accorder ou non des exemptions, du primaire jusqu’à la quatrième secondaire!

Troisièmement, le ministère (la ministre en l’occurrence) a contrevenu au devoir de réserve de l’exécutif qui implique de ne pas se prononcer sur une question litigieuse le concernant : la ministre a déclaré dès le 18 avril 2008 qu’il n’y aurait pas d’exemptions tout en sachant qu’il y aurait des demandes d’exemptions – des parents avaient annoncé leur intention en commission parlementaire – et qu’un refus entraînerait vraisemblablement un litige.

Quatrièmement, dans sa poursuite de l’imposition obligatoire du cours d’ÉCR, le ministère retire aux enseignants – fussent-ils athées, catholiques, musulmans ou autres –le droit d’être exemptés d’enseigner un cours qui pourrait heurter leur conscience, droit qui leur était reconnu jusqu’ici concernant les cours à contenu religieux (la Loi 95 a abrogé l’article 20 de la Loi sur l’instruction publique, consacré à la liberté de conscience de l’enseignant).

En résumé, sur la question de savoir si une restriction à la liberté de conscience et de religion est cautionnée par une «règle de droit», la réponse, à mon avis, est que non seulement une telle règle de droit n’existe pas, mais que de plus, en restreignant cette liberté, on fait fi d’une «règle de droit» existante et applicable qui garantit cette liberté (l’article 222 de la Loi de l’Instruction publique) et que de, plus, on passe outre à quatre autres règles ou conventions de droit. Il y a là plus que des actes non constitutionnels, on se trouve, à mon avis, devant un abus de pouvoir.

Passons maintenant aux autres balises imposées par l’article 1 de la Charte.

III. La restriction de cette liberté : dans « des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans une société libre et démocratique »? : le test d’Oakes

Depuis l’arrêt R. c. Oakes en 1986, c’est le test dit «test d’Oakes» qui, selon la jurisprudence, fournit la plupart du temps les critères pour déterminer si l’article 1 de la Charte est respecté lorsqu’une liberté de la Charte est restreinte. Le test d’Oakes comporte quatre critères : 1) «un objectif réel et urgent». Concernant le moyen utilisé (restriction d’une liberté ou d’un droit), il doit avoir 2) un «lien rationnel avec l’objectif» poursuivi; 3) «porter le moins possible atteinte au droit en question», bref, que la restriction soit minimale; et il doit y avoir 4) «proportionnalité entre la restriction et l’objectif». De plus, la restriction en question doit rencontrer les quatre critères; ce qui signifie que si elle échoue à un seul, la restriction n’est pas constitutionnelle.

Nous passons maintenant à notre examen des actions prises par les parties défenderesses à la lumière des quatre critères du test d’Oakes, pris un à la fois.

a) Un objectif réel et urgent?

Un objectif réel?

L’objectif du programme d’ÉCR, dont l’imposition obligatoire entraîne le déni d’exemption et la subséquente exclusion de l’école pendant le cours, est-il réel ? L’objectif, en termes généraux, selon le programme même du ministère, est de favoriser «la construction d’une véritable culture publique commune» et de «promouvoir un meilleur vivre ensemble» (cf. «Programme», MELS, présentation p. 1) Ces deux objectifs sont préconisés pour atteindre «la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun». Et, faut-il ajouter, cela selon un processus de dialogue et d’examen critique auquel seront soumis tous les jeunes du Québec sans exception.

Comme l’écrit G. Leroux, l’un des concepteurs et défenseurs du programme d’ÉCR  : « ...le législateur soucieux de la culture publique commune ne devrait pas, sur ce chapitre [l’exemption] s’engager sur le chemin de l’accommodement. Personne ne devrait pouvoir s’y soustraire. »

Et Leroux d’ajouter, d’une façon on ne peut plus claire : « car l’introduction du pluralisme et en général la sensibilisation aux vertus de la démocratie qui est un des objectifs principaux de ce programme (ECR) n’aura plus de sens si on introduit un régime d’exception ». (Leroux, 2008, p.283).

On justifie cet objectif par les exigences du « pluralisme grandissant » et « la diversité des valeurs et croyances » (Programme, p. 1) de la société québécoise contemporaine.

Concernant l’objectif de «construction d’une véritable culture publique commune» et d’un «meilleur vivre ensemble», je soumets à la cour que nous avons déjà au Québec une «culture publique commune» qui renferme les règles du jeu de la vie publique au Québec. Il y a même eu des essais d’explicitation de cet encadrement du vivre ensemble (Harvey et Caldwell, 1994, et Caldwell, 2001). Et pour montrer que nous sommes tout à fait à jour, en 2008, citons les auteurs du rapport Bouchard-Taylor qui écrivent ceci, en accord avec notre affirmation : « La société québécoise s’est pourtant dotée, au fil des ans, d’un ensemble de normes d’orientation qui constitue les fondements d’une culture publique commune ». (Bouchard-Taylor, 2008, p. 19)

Quant au « vivre ensemble » — un nouveau terme de jargon universitaire qui recoupe ce qu’on appelait simplement jadis la «civilité» — qui découle de cette «culture publique commune», il existe aussi déjà comme l’ont noté maints observateurs depuis au moins le 19ième siècle. Le plus notable d’entre eux, Alexis de Tocqueville, après une visite au Bas-Canada en 1831, a parlé de cette civilité exceptionnelle dans ses lettres (Jacques Vallée, 1973, p. 84 à 106).

Ainsi donc, si l’on prend le programme au mot, il poursuit un objectif qui est tout simplement déjà acquis, et cela, selon les experts sur la question, mandatés par l’État lui-même, soit MM Bouchard et Taylor. Prétendre le contraire constitue, je le soumets à la cour, un mépris de nos mœurs et de nos institutions actuelles, et même de cette cour de justice. Par exemple, M. Leroux a, dans une interview avec J.-P. Proulx (Proulx, 2008) caractérisé un éventuel recours aux tribunaux par les opposants pour obtenir des accommodements (droit d’exemption au programme d’ÉCR) comme étant un «combat stérile».

Un objectif urgent?

Le test d’Oakes parle aussi d’urgence. Alors nous posons la question : où est l’urgence qui justifierait la restriction de la liberté de conscience et de religion par le refus d’exemption du cours d’ÉCR ?

L’urgence, selon ceux qui défendent un cours obligatoire, découlerait d’un «pluralisme grandissant» face à «la diversité des valeurs et des croyances» (MELS 2007, p. 1). Je soumets que le degré de diversité de la société québécoise est toujours à peu près au même niveau depuis au moins un siècle : soit, grosso modo, presque quatre-cinquièmes de la population du Québec de langue maternelle française – 78 % au recensement de 2006 – et un cinquième de nonfrancophones; de plus, 90% de la population du Québec s’identifie comme étant chrétienne (CDPDJ, 2008, tableau IX). Ces proportions n’ont pas beaucoup varié depuis la fin du dix-neuvième siècle, et nous sommes au début du vingt-et-unième.

C’est la composition ethnique du cinquième non-francophone qui a beaucoup évolué depuis la deuxième Guerre mondiale. Et depuis trois décennies, surtout depuis la Loi 101, la composition ethnique des francophones commence à peine à se diversifier. D’autre part, la grande majorité des membres de l’immigration francophone et non-francophone, soit la source de la «nouvelle diversité», sont de culture chrétienne (CDPDJ, 2008, tableau IV), ce qui met en perspective le «pluralisme grandissant» des valeurs et des croyances.

Alors, cette soi-disant nouvelle diversité des valeurs et des croyances, elle est en grande partie dans la perception des universitaires mobilisés depuis trente ans dans une campagne pour laïciser le Québec. Ils parlent abondamment de l’effritement d’une ancienne homogénéité (Leroux, 2008), un discours qui sert à légitimer leur rôle de porteurs de solutions pour ce nouvel état de choses qu’eux-mêmes ont contribué à créer.

Cependant ces idéologues de la modernité, ne sont pas assez impliqués dans la vie sociale réelle (les institutions de la société civile : écoles, églises, municipalités, etc.) pour s’apercevoir, par exemple, de ceci : lorsque 75% des francophones du Québec (qui constituent les quatre-cinquièmes de la population) regardent le dimanche soir deux émissions de télévision — «Star Académie» et «Tout le monde en parle», avec 2,8 millions et 1,3 millions de téléspectateurs respectivement la fin de semaine de Pâques — ça fait beaucoup de monde à la messe nouvelle manière ! L’unité de pensée est aussi forte au Québec qu’elle l’était avant la guerre. Les exigences de la nouvelle diversité ne sont pas, je le soumets, beaucoup plus grandes que celles qu’ont imposées l’arrivée d’un très important contingent d’Irlandais au 19ième siècle, une immigration juive massive vers la fin du même siècle, ou encore une immigration italienne et grecque au milieu du 20ième siècle.

Le Québec a élu un Juif au parlement québécois au 19ième siècle, – avant que cela soit possible en Grande-Bretagne – un communiste à Ottawa au 20ième et des représentants de race noire à l’Assemblée nationale au début du 21ième . Je ne crois donc pas à cette nouvelle urgence des exigences d’un «pluralisme grandissant». La société québécoise a toujours été accueillante et respectueuse dans son traitement de ces éléments «diversifiés» au sein de sa population.

L’histoire du Québec depuis un siècle et demi le démontre : il n’existe pas un seul cas documenté de mort provoquée par des violences inter-ethniques ou interreligieuses! Peu, très peu de sociétés peuvent en dire autant, certainement pas les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni. Même concernant l’anti-sémitisme, qui est une sorte de baromètre de la tolérance ou plutôt de l’intolérance, il n’existe pas, à ma connaissance, un seul cas documenté de dommage corporel subi par suite d’un acte anti-sémite.

Tout cela, cette civilité et cette tolérance inhérentes à la société québécoise contemporaine, face à la diversité découlant d’une modernisation tardive et accélérée en cours depuis un demi-siècle, a été noté récemment par les auteurs du Rapport Bouchard-Taylor : « Après une année de recherches et de consultations, nous en sommes venus à la conclusion que les fondements de la vie collective au Québec ne se retrouvent pas dans une situation critique ». (Bouchard et Taylor, 2008, p. 18)

b) Un lien rationnel entre l’objectif et la restriction la liberté?

La réponse est non. Au contraire la restriction imposée va à l’encontre de l’objectif. Les mesure prises, l’imposition obligatoire du cours d’ÉCR, le refus d’exemptions, suivis de menaces d’expulsions de l’école témoignent d’un manque de tolérance et de respect des autres qui devraient être à la base du nouveau «vivre-ensemble» que le cours d’ÉCR est censé promouvoir. « Faites ce qu’on dit, pas ce qu’on fait » ! Tout en se référant aux Chartes comme à des repères absolus des valeurs, on pratique une exclusion basée sur le non-respect de la liberté de conscience et de religion. Comment peut-on justifier une telle atteinte à des droits fondamentaux tout en invoquant nos Chartes? L’argumentaire à l’effet que ceux qui s’opposent à l’imposition obligatoire du cours d’ÉCR ne représenteraient qu’une «minorité» va à l’encontre de l’esprit même des Chartes.

c) Restriction minimale de la liberté en question?

La restriction de la liberté n’est pas minimale puisqu’on pourrait facilement permettre aux «dissidents» de passer le temps du cours à la bibliothèque de l’école. On ne se trouverait pas alors à les exclure de l’école comme l’a fait la partie défenderesse et on n’imposerait pas aux parents le fardeau de venir prendre leurs enfants en charge pendant la durée du cours. La preuve que c’est possible, c’est qu’au moins une Commission scolaire le fait, sans que cette solution déjà pratiquée ne semble «entraîner des inconvénients excessifs» (cf. Woehrling, 2007,11, art. 6), argument qui pourrait être présenté par la partie défenderesse. Un argument semblable a déjà été avancé par les autorités québécoises pour justifier la demande d’abrogation de l’article 93 de la Constitution de 1867. C’était alors un argument farfelu car rien dans la Constitution n’empêchait la création d’un secteur neutre (non- catholique et non-protestant); il existait d’ailleurs déjà en Ontario, là où l’article 93 a toujours valeur de loi, un système à quatre secteurs : neutre anglophone, neutre francophone, catholique anglophone et catholique francophone.

d) Proportionnalité entre la restriction et l’objectif?

Dans certains cas (e.g. Commission scolaire du Val-des-Cerfs, à Granby), il y a eu nette disproportion : on a suspendu de l’école, après un certain nombre d’absences, des enfants retirés des cours d’ÉCR par leurs parents. Dans un régime de fréquentation scolaire obligatoire, cela équivaut à une « excommunication», c’est-à-dire, une exclusion de la communauté. Heureusement, la juge Suzanne Mireault de la Cour Supérieure du district de Bedford, dans un jugement rendu le 11 février 2009, a mis fin à un tel manque de proportionnalité. La partie défenderesse n’a donc pu avoir recours à des mesures aussi extrêmes que la précédente à la suite de la décision de la juge Mireault. Le renouvellement de son ordonnance par le juge Paul-Marcel Bellavance a aussi exclu l’utilisation de mesures aussi excessives.

Une autre dimension de la question de proportionnalité a été soulevée par des auteurs américains (cf. Woehrling, 2007,11, art. 15). Si les contraintes à la liberté de religion et de conscience devenaient trop excessives, cela pourrait provoquer un exode du système public, ce qui l’affaiblirait d’autant. Cet exode pourrait mener les parents vers les écoles privées ou l’enseignement à la maison («home schooling»). Cela diminuerait l’influence de l’école publique quant à la «création d’une véritable culture publique commune» et un «meilleur vivre ensemble».

Dans le cas qui nous occupe, le ministère a décidé que le cours d’ÉCR serait obligatoire dans toutes les écoles privées du Québec, qu’elles soient «privées d’intérêt public» ou totalement privées. Toutefois, un exode vers l’enseignement à la maison serait pour certains parents une façon de s’opposer à une atteinte par l’État à leur liberté de conscience et de religion.

Cependant le système public québécois pourrait se trouver affaibli par un autre type d’exode : la décision de certains parents de quitter le Québec pour faire éduquer leurs enfants, en conformité avec leurs convictions, dans d’autres provinces. Nous avons déjà vu cela se produire dans le cas des mennonites de Roxton [Falls] en Estrie (2008). À ce propos, je mentionne que les parents qui souhaiteraient une éducation publique française et catholique pour leurs enfants ont la réelle option de se transplanter et de s’établir en Ontario.

À la lumière de ces considérations, il me semble qu’une mesure plus proportionnelle serait pour les autorités publiques de promouvoir, plutôt que d’imposer le cours d’ÉCR. C’est ce qu’ont encore recommandé Bouchard et Taylor : « Que le gouvernement fasse une promotion énergique du nouveau cours d’éthique et de culture religieuse qui doit entrer en vigueur en septembre 2008 » (Bouchard et Taylor, recommandation C4, p. 272).

Faire la promotion, même énergique, d’un cours n’est pas la même chose que de préconiser son imposition obligatoire à tous sans aucune exception possible.

IV. Conclusion

C’est mon avis réfléchi que la partie défenderesse, la Commission scolaire des Chênes et la partie intervenante, le procureur du Québec, par les mesures et actions prises pour imposer le cours d’ÉCR sans possibilité d’exemption, ont privé les plaignants, Suzanne Lavallée et Daniel Jutras de l’exercice de leur liberté de conscience et de religion, d’une façon qui ne respecte pas les dispositions de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés : « Ils [les droits et libertés] ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique»

Mon exposé a visé à montrer d’une part que les restrictions aux libertés des demandeurs sont arbitraires parce qu’elles ne découlent pas d’une «règle de droit» les concernant; d’autre part, nous avons tenté de démontrer, à partir d’un éclairage sociologique sur la société québécoise, comment ces restrictions échouent non pas à un seul mais aux quatre critères du test d’Oakes.

Gary Caldwell, sociologue,
Ste-Edwidge-de-Clifton,
Estrie, Québec.