Comme son nom l’indique, l’Internationella Engelska Skolan offre une formation internationale bilingue (anglais et suédois) aux élèves du primaire et du secondaire (6 à 16 ans), dans la banlieue d’Upplands Väsby, au nord de Stockholm. Elle occupe d’anciens locaux administratifs d’une chocolaterie voisine. Les quatre édifices portent des noms de dieux scandinaves, soit Odin, Freya, Thor et Idunn. Une journaliste de M, le magazine du Monde, a visité le minicampus récemment et proposé une comparaison avec les maisons de l’école de sorcellerie Poudlard, de la série Harry Potter.
« Dans une vitrine à l’entrée, parmi des trophées remportés par les élèves, trône le livre de Barbara Bergström Tough Love (non traduit, Ekerlids, 2018), décrit le reportage. Dans ce manifeste à la gloire de l’enseignement privé, la fondatrice de l’école, âgée de 77 ans, raconte comment, en trente ans, elle est parvenue à bâtir un empire, en devenant propriétaire de quarante-six établissements en Suède. Des écoles primaires et des collèges qui lui ont rapporté plus de 85 millions d’euros depuis 1993. »
L’année précédente, le gouvernement du conservateur Carl Bildt lançait un programme de réformes du système scolaire national qui accordait à chaque élève un « chèque éducation » permettant son inscription dans l’école de son choix (en fait du choix de ses parents). La somme distribuée annuellement par les 290 communes du royaume correspondait d’abord à 85 % des frais. Elle a vite gonflé pour les couvrir entièrement.
Le libre-choix 100 % subventionné, selon la logique de la socialisation des risques et de la privatisation des profits, a donc stimulé la création d’un réseau parallèle tentaculaire et la constitution d’empires scolaires cotés en Bourse. Seuls 1 % des jeunes Suédois fréquentaient une école privée avant la réforme. Ils totalisent maintenant 16 % des effectifs au primaire et 30 % au secondaire.
« Il faut une longue perspective historique pour comprendre cette transformation », dit au Devoir le professeur Håkan Forsberg, de l’Université d’Uppsala. Il explique que la Suède a développé un système d’éducation extrêmement centralisé et très inclusif en instaurant l’école obligatoire pour tous dès un très jeune âge et jusqu’à 15 ans, système qui propose des formations techniques et générales dans les mêmes établissements. Les problèmes économiques des années 1970 et 1980 ont sapé les fondations de l’État-providence et forcé les remises en cause.
« Les tensions et les discussions ont duré deux décennies, et ce sont les sociaux-démocrates qui ont avancé les premiers la possibilité d’une déréglementation et d’une décentralisation, ajoute le professeur. L’idée du bon a ensuite été imaginée pour permettre au privé de concurrencer et de stimuler le public tout en offrant le libre-choix subventionné aux parents. »
« Dans une vitrine à l’entrée, parmi des trophées remportés par les élèves, trône le livre de Barbara Bergström Tough Love (non traduit, Ekerlids, 2018), décrit le reportage. Dans ce manifeste à la gloire de l’enseignement privé, la fondatrice de l’école, âgée de 77 ans, raconte comment, en trente ans, elle est parvenue à bâtir un empire, en devenant propriétaire de quarante-six établissements en Suède. Des écoles primaires et des collèges qui lui ont rapporté plus de 85 millions d’euros depuis 1993. »
L’année précédente, le gouvernement du conservateur Carl Bildt lançait un programme de réformes du système scolaire national qui accordait à chaque élève un « chèque éducation » permettant son inscription dans l’école de son choix (en fait du choix de ses parents). La somme distribuée annuellement par les 290 communes du royaume correspondait d’abord à 85 % des frais. Elle a vite gonflé pour les couvrir entièrement.
Le libre-choix 100 % subventionné, selon la logique de la socialisation des risques et de la privatisation des profits, a donc stimulé la création d’un réseau parallèle tentaculaire et la constitution d’empires scolaires cotés en Bourse. Seuls 1 % des jeunes Suédois fréquentaient une école privée avant la réforme. Ils totalisent maintenant 16 % des effectifs au primaire et 30 % au secondaire.
« Il faut une longue perspective historique pour comprendre cette transformation », dit au Devoir le professeur Håkan Forsberg, de l’Université d’Uppsala. Il explique que la Suède a développé un système d’éducation extrêmement centralisé et très inclusif en instaurant l’école obligatoire pour tous dès un très jeune âge et jusqu’à 15 ans, système qui propose des formations techniques et générales dans les mêmes établissements. Les problèmes économiques des années 1970 et 1980 ont sapé les fondations de l’État-providence et forcé les remises en cause.
« Les tensions et les discussions ont duré deux décennies, et ce sont les sociaux-démocrates qui ont avancé les premiers la possibilité d’une déréglementation et d’une décentralisation, ajoute le professeur. L’idée du bon a ensuite été imaginée pour permettre au privé de concurrencer et de stimuler le public tout en offrant le libre-choix subventionné aux parents. »
Stockholm-en-Québec
Lui-même ancien enseignant d’histoire et de suédois au secondaire, M. Forsberg est spécialisé en sociologie de l’éducation. Ses recherches quantitatives portent principalement sur le marché scolaire. Elles cherchent à expliquer comment les familles s’y comportent et les effets de la ségrégation socioéconomique engendrés ou accentués par la grande privatisation.
« En fait, on peut observer un mouvement semblable dans plusieurs pays du monde, fait remarquer le professeur. La Chine a aussi choisi de déréglementer son système pour permettre la concurrence entre différents types d’offres de services. » Il ajoute qu’en Suède, le mouvement de déréglementation et de privatisation a aussi touché le système de santé et ainsi permis la mise en place de cliniques privées et de tout un réseau d’hospices pour les personnes âgées.
Qu’en est-il au Québec, où nous aimons bien nous comparer aux pays scandinaves, souvent à notre désavantage ? La Révolution tranquille n’a pas osé s’attaquer aux écoles privées. Il s’en trouve maintenant environ 270, qui attirent quelque 125 000 élèves, dont 70 % sont au secondaire, 25 % au primaire et 5 % au préscolaire. Au total, un élève québécois du secondaire sur cinq (20 %) fréquente une école privée, surtout en milieu urbain.
Un système « à trois vitesses », qui comprend également le réseau public « ordinaire » et les écoles publiques à programmes enrichis qui viennent concurrencer le privé, s’est ainsi développé ici. La subvention accordée par Québec au réseau privatisé représente 60 % des frais alloués au public.
[...] les écoles privées du Québec sont des OBNL [sans but lucratif] qui ne peuvent générer de profits [alors qu'elles le peuvent en Suède], et il n’est plus possible d’obtenir ici un permis pour en ouvrir une nouvelle.
Lutte des classes
Les premières initiatives privées suédoises venaient parfois de coopératives d’enseignants sans but lucratif. Les entreprises commerciales ont vite pris le relais. « On se retrouve en situation de quasi-monopole sur le marché, dit le professeur Forsberg. La plupart des écoles privées appartiennent maintenant à quelques grands groupes. Il n’y a aucune limite à leur niveau de rentabilité. Les réseaux les plus importants sont maintenant milliardaires en couronnes suédoises. »
L’Internationella Engelska Skolan est du nombre. Le poids lourd AcadeMedia s’internationalise, lui qui compte pas moins de 100 000 élèves répartis dans ses écoles de la Suède, mais aussi de la Norvège, de l’Allemagne et, plus récemment, des Pays-Bas. Le groupe compte 700 écoles, y compris dans le secteur de l’éducation aux adultes. Il emploie plus de 18 500 personnes. Le holding AcadeMedia AB a réalisé un profit de plus de 35 millions de dollars canadiens au dernier trimestre, dont près de 23 millions distribués à ses actionnaires.
Toutes les compagnies scolaires ne s’en tirent pas aussi bien. En 2013, la faillite du groupe JB Education a laissé en rade 11 000 élèves et un millier d’enseignants. Le service national d’inspection a fermé 25 écoles au cours des cinq dernières années pour divers manquements, dont l’embauche d’enseignants non qualifiés.
Qualité variable du public selon la zone géographique
N’empêche que le développement des empires scolaires dans le pays réputé social-démocrate découle aussi du libre-choix donné aux parents suédois. Alors pourquoi certains favorisent-ils les écoles privées avec leur « chèque éducation » ?
Le professeur Forsberg a beaucoup étudié la situation à Stockholm, là où le réseau privé s’étend le plus, comme ici, dans la région métropolitaine. Il explique que sa société très égalitaire négocie avec une importante « ségrégation résidentielle » qui stimule le choix de certaines écoles au détriment de certaines autres. Comme au Québec, quoi, où des parents préfèrent se saigner pour inscrire leur progéniture au magnifique collège privé situé à quelques kilomètres de la maison plutôt que de l’envoyer dans la polyvalente-bunker déglinguée de leur quartier.
Le professeur envoie ses propres enfants dans le réseau public, mais il précise habiter un secteur privilégié de sa ville universitaire, où les écoles sont excellentes. Des programmes particuliers du réseau privé, offrant par exemple une éducation bilingue ou promettant de transformer les jeunes en futurs entrepreneurs du numérique, s’avèrent aussi attrayants pour certaines clientèles.
« Il reste qu’au niveau secondaire, les meilleures écoles sont encore celles du réseau public », conclut le professeur Forsberg. Un sondage diffusé en juin 2022 montre en plus que 60 % de la population suédoise est favorable à l’interdiction des profits en éducation.
« Pourtant, nous n’avons qu’un seul parti à gauche qui se déclare contre ce système privatisé, alors que le lobby des grands groupes scolaires fait beaucoup pression sur les autres partis. Chose certaine, la Suède se retrouve dans une situation dérégularisée extrême, assez unique au monde et inédite en Scandinavie. »
Source : Le Devoir
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