lundi 4 septembre 2023

Jean-Paul Brighelli sur l'école

Si l’interdiction de l’abaya est un pas dans la bonne direction, l’Éducation nationale a encore besoin de réformes d’ampleur, argumente Jean-Paul Brighelli, professeur agrégé de lettres modernes*. Parmi elles, l’imposition de l’uniforme et le recentrage sur les savoirs fondamentaux sont indispensables, estime-t-il.

Gabriel Attal, tout juste nommé à l’Éducation, a réussi un joli coup. En promettant un décret interdisant le port des abayas, il s’impose en se démarquant de son prédécesseur, trop woke pour prendre clairement position sur un sujet qui empoisonne depuis longtemps la vie des chefs d’établissement. Il divise profondément la gauche, qui hésite entre soutien (Fabien Roussel) et rejet (Clémentine Autain et LFI en général).

Il prend ses marques vis-à-vis des syndicats, eux aussi partagés entre soutien et suspicion. Il réjouit les vrais laïques, auxquels Pap Ndiaye avait porté des coups sensibles pendant un an. Et il s’offre même le luxe de paraître féministe — du moins un féminisme à la Badinter, qui s’est toujours prononcée contre le voile et autres oripeaux d’aliénation. Parce que l’abaya, comme le voile, stigmatise les femmes, que l’islam n’a de cesse de dégrader.

Interdire les défroques religieuses, dans les faits, ne sera pas facile. Le plus simple est d’instaurer l’uniforme, comme cela se fait aux Antilles, et sans que les adolescents là-bas protestent. Jupe pour les filles, blazer pour les garçons. Avec des contraintes fortes sur la chevelure, les chaussures, les tatouages: on doit s’habiller pour venir à l’école comme on s’habille pour être chirurgien ou homme d’affaires.

L’uniforme, qui relancerait une industrie du vêtement aujourd’hui moribonde, est un bon moyen d’égaliser les conditions, afin que la seule distinction soit celle du travail et du talent. C’est cela, l’élitisme républicain. Ce n’est pas être d’extrême droite que de dire cela — n’en déplaise aux aveugles qui traitent de fascistes tous ceux qui voient trop bien.

Réformer en profondeur

Évidemment, l’abaya est le petit doigt qui cache la forêt des vraies préoccupations. Il faut repenser tout le système éducatif, si l’on veut arrêter la glissade de la France, ininterrompue depuis vingt ans, vers les abysses des classements internationaux. Revenir sur le collège unique, dont le plus bel effet fut de descendre automatiquement le niveau.

Réformer en profondeur la loi Jospin, grâce à laquelle ce ministre de gauche, trois mois plus tard, n’avait pas osé interdire les voiles de Creil, et s’en était remis au Conseil constitutionnel, manœuvre dilatoire qui donna de l’espoir à tous les extrémismes religieux. Il faut repenser la formation des maîtres, et ne pas confier les clés des écoles normales, que le ministre pense aujourd’hui à ressusciter, aux pédagogues qui ont massacré trois générations de néoprofs via les IUFM, ESPE et INSPE: recruter les candidats à bac +1, par exemple, et les former à fond jusqu’à la fin de la licence, sans reculer indéfiniment l’entrée dans le métier.

Mais l’essentiel est de reprendre les programmes, en donnant aux établissements une vraie souplesse pour augmenter, quand c’est nécessaire, la part du français (40 % de quasi-analphabètes en sixième est un record dont aucun ministre ne devrait se satisfaire) et des sciences. Et de l’histoire, qu’il faut arracher aux lubies des idéologues pour qui narrer l’histoire de France, c’est exalter le colonialisme cocardier.

Et il faut faire ces réformes vite, et concurremment. Si tout change en même temps, les adversaires du savoir et de l’intelligence n’auront pas le temps de protester. Peut-être faut-il aller jusqu’à permettre un recrutement régional, et donner aux chefs d’établissement le pouvoir de raisonner les partisans du moindre effort — ou celui de les révoquer. Il faut dégraisser le mammouth en réformant les habitudes jacobines qui permettent effectivement de prendre des décisions, mais ralentissent leur mise en exécution.

Ce qui est sûr, c’est que chaque école, chaque collège, chaque lycée doit pouvoir gérer les emplois du temps, en donnant plus à ceux qui en ont le plus besoin, et en cessant de disperser l’énergie à étudier des matières annexes et des «sensibilisations» qui ne font plaisir qu’à ceux qui les colportent: les élèves ont bien le temps d’apprendre à conduire, de régler leur alimentation, de se soucier des problèmes écologiques ou d’étudier à fond la sexualité de leur prochain. Il faut leur apprendre à lire, écrire, compter — et savoir d’où vient ce « vieux pays», comme disait de Gaulle.

Relever le niveau

Oui, Gabriel Attal a réussi un joli coup, mais il n’a pas gagné la partie. Il doit savoir que son ministère est infiltré, depuis trente ans, de forces négatives qui dénaturent le moindre décret pour préserver, disent-ils, la sacro-sainte liberté pédagogique. Il est temps que des consignes claires disent aux professeurs, à tous niveaux, ce qu’ils doivent faire et comment ils doivent le faire: apprendre à lire et à écrire en méthode alpha-syllabique, par exemple.

Dernier point, il faut penser à une vraie mixité scolaire, qui ne consiste pas à saupoudrer les classes des riches de quelques pauvres, mais à confronter les intelligences, de quelque milieu qu’elles viennent. La France qui sombre a besoin de tous les talents pour être à nouveau l’exemple des nations.

Parce que c’est par l’Éducation que le combat économique se gagne — voir la Chine ou le Japon. Il fut un temps où les industriels étrangers (Toyota à Valenciennes par exemple) s’installaient en France parce que l’ouvrier français avait un niveau très supérieur à celui de ses homologues européens. Ils partent aujourd’hui à Singapour ou à Shanghaï, pour des raisons similaires. Il faut remonter le niveau d’un pays qui se croit intelligent parce qu’il le fut jadis — et qui peut le redevenir demain.

*Auteur notamment de La Fabrique du crétin — Vers l’apocalypse scolaire (Éditions de l’Archipel, 2022).

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