mardi 7 janvier 2020

Mathieu Bock-Côté : « Le progressisme ne tolère que lui-même »

Chronique de Mathieu Bock-Côté dans le Figaro du 4 janvier 2020. À noter que, le même jour où paraissait cet article, le juge des référés ordonne la reprise de l’affichage de la campagne d’Alliance VITA par Mediatransports

La formule est désormais consacrée : la liberté d’expression ne serait pas celle de dire n’importe quoi. Reste à déterminer ce qu’est ce « n’importe quoi » et, surtout, qui peut le définir. L’espace public ne cesse de se rétrécir. Vu de l’étranger, par exemple, on ne peut que se demander quelle est la légitimité d’un organe comme le CSA, qui veille moins à l’éthique journalistique qu’à l’encadrement idéologique de la parole publique. Plusieurs de ses interventions, aussi ubuesques qu’orwelliennes, mériteraient d’être rassemblées dans une anthologie de la bêtise.

La campagne médiatique qui a révolté la mairesse de Paris, la socialiste Hidalgo
On refoule dans les marges ceux qui s’entêtent à ne pas célébrer l’esprit de l’époque. Dans une société démocratique normale, ils n’existeraient pas. On vient de le voir à nouveau avec l’étrange polémique entourant Alliance Vita, qui, dans les transports publics, faisait une campagne publicitaire anti-PMA et GPA, au nom de l’importance du père et de la mère. Cette campagne a scandalisé la Mairie de Paris. Anne Hidalgo l’a dit clairement : le point de vue exprimé par les affiches ne devrait pas être admis dans le domaine public. Il faudrait les retirer. Le progressisme est obligatoire.



La référence à la paternité et la maternité par Alliance Vita passe pour une provocation morbide. D’ailleurs, l’évolution du vocabulaire ne pousse-t-elle pas au remplacement de « père » et « mère » par « parent 1 » et « parent 2 » ? Hommes et femmes ne sont-ils pas appelés à s’effacer progressivement devant la fluidité identitaire, qui résisterait à son encadrement symbolique et juridique ? On ne naît plus homme ou femme : on se fait assigner un sexe à la naissance par un pouvoir médical encore marqué par la logique patriarcale. Chacun est appelé à s’en libérer. Qui ne voit pas le monde ainsi doit se taire.



En d’autres mots, ce qu’on appellera très imparfaitement le conservatisme n’a plus droit de cité. Il est réduit à une série de préjugés irrecevables. Lorsqu’il parvient néanmoins à se faire entendre, c’est que les mécanismes de régulation de la parole publique ont échoué. Normalement, une telle parole devrait être contenue dans les marges et ne pas rejoindre le commun des mortels, qui pourrait la croire alors normalisée. Les invariants anthropologiques ne doivent plus apparaître qu’à la manière des restes usés du monde d’hier. La promotion de la famille traditionnelle relève aujourd’hui du discours discriminatoire et haineux. Les gardiens de la révolution diversitaire ne rient pas.



Nulle surprise ici : le progressisme ne tolère pas qu’on ne voie pas le monde comme lui. Il s’offusque toutefois lorsqu’on lui reproche son fanatisme. Il se croit neutre. Il n’y aurait rien d’idéologique à faire la promotion du véganisme, du féminisme ou du multiculturalisme dans les transports publics. [Que dire de l’école nettement mieux maîtrisée par les progressistes et loin des yeux des parents !!!] On ne devrait y voir que des manifestations du progrès. En son temps, Herbert Marcuse avait théorisé la chose, en soutenant que la tolérance ne saurait valoir pour les idées contredisant les mouvements favorables à ce qu’il appelait l’émancipation. Aujourd’hui, une association étudiante nord-américaine explique que la liberté d’expression ne saurait justifier les discours « racistes, colonialistes, xénophobes, transphobes, homophobes, sexistes, misogynes, antiféministes, classistes ou capacitistes ».


Mais on aurait tort de croire que la censure s’appuie uniquement sur les pouvoirs publics. Les dernières semaines de 2019 ont été marquées par l’irruption dans l’actualité des Sleeping Giants, ces activistes numériques anonymes qui veulent priver de revenus publicitaires les médias permettant l’expression de pensées dissidentes. Ils misent sur la frilosité des annonceurs, toujours soucieux de ne pas faire de vagues et de ne pas attraper la « mauvaise réputation », en associant certaines entreprises de presse à la « haine ». Ils accusent ainsi de complicité phobique ceux qui s’y associeraient par la publicité.

Ils ont ainsi notamment eu pour cible Valeurs actuelles, accusé concrètement d’insoumission idéologique. C’est aussi dans cet esprit que certaines entreprises ont voulu, sans y parvenir, pousser les employeurs et commanditaires d’Éric Zemmour à se débarrasser de lui lors de la dernière campagne de diffamation massive le visant. Ces méthodes relèvent non seulement de l’intimidation commerciale, mais aussi du terrorisme intellectuel. On peinera à y voir autre chose qu’une tentative d’épuration idéologique témoignant d’une psychologie tyrannique.

Le progressisme rêve d’exercer un monopole sur le récit médiatique légitime et de contrôler toutes les représentations sociales admises dans l’espace public. On ne parlera du vieux monde que pour le maudire et on rêve ouvertement de mettre à mort socialement les nouveaux dissidents. Il ne nous est pas interdit de noter que le progressisme renoue dans l’enthousiasme avec sa tentation totalitaire. Comme si cela correspondait à sa nature.

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