mardi 6 août 2019

La Journée de dépassement de la Terre et l'empreinte écologique sont-elles de la pseudoscience ?

« Ils n’ont jamais eu de preuves ! »

Le Point publie, ce lundi 5 août, le témoignage du militant écologiste Michael Shellenberger sur la notion de « jour du dépassement », que les médias reprennent désormais chaque année. Initié par l’ONG Global Footprint Network, le concept désigne le moment où la totalité des ressources naturelles produites par la planète en une année a été consommée.

Michael Shellenberger, « héros de l’environnement »

« Les environnementalistes prétendent depuis longtemps que nous sommes en train d’arriver à court de ressources et qu’il s’agit d’un fait scientifiquement établi. Ils n’ont jamais eu de preuves ! », commence celui qui a été nommé « héros de l’environnement » par le magazine Time, en 2008. « Il ne s’agit que de prédictions basées sur des modèles. Le “jour du dépassement” repose sur la notion d’empreinte écologique, qui consiste en six mesures de perte de ressources : carbone, terres agricoles, terres urbanisées, pâturages, pêche et forêts », poursuit-il.


Et d’ajouter : « Or, selon leur méthodologie, cinq de ces six ressources sont à l’équilibre, ou excédentaires, comme nous l’avions montré dans l’étude publiée il y a six ans dans la revue PLOS Biology [résumé ci-dessous]. La dernière mesure est celle du dioxyde de carbone, sauf qu’il ne s’agit pas d’une ressource, mais de pollution ! » Par ailleurs, « selon les calculs du Global Footprint Network, l’empreinte écologique équivaut ainsi quasiment à l’empreinte carbone. Ils prétendent pouvoir calculer cette empreinte carbone à partir du nombre d’arbres qu’on devrait faire pousser pour compenser notre production de CO2. Ils combinent ensuite toutes ces données en une, qu’ils appellent empreinte écologique, et qui est censée montrer que nous perdons des ressources », poursuit le militant.

« Pourquoi faudrait-il combiner toutes ces données ? »

« L’empreinte écologique est pire que [les] fausses sciences en ceci que les créateurs de cette mesure trompent les individus à dessein. On peut mesurer la pollution, ou l’utilisation des ressources de manière très directe. Combien d’hectares de terre utilisons-nous pour l’agriculture ? Est-ce plus ou moins que l’année précédente ? Utilisons-nous plus ou moins d’eau ? Plus ou moins d’engrais ? Mais pourquoi faudrait-il combiner toutes ces données ? », s’interroge l’écologiste, ajoutant : « Il y a des liens entre elles, mais fusionner ces mesures en une seule réduit notre capacité à résoudre les défis qu’elles soulèvent. »


Selon Michael Shellenberger, « le souci, c’est que les environnementalistes ne veulent pas régler ces problèmes avec des moyens technologiques, ce qui est la façon la plus évidente de s’attaquer au défi climatique (...). Les environnementalistes préfèrent nous culpabiliser sur la surconsommation, s’attaquer à la modernité, au développement et à la prospérité ». « Ils veulent effrayer les gens en leur faisant croire que le seul moyen de régler le problème du réchauffement climatique est de devenir pauvre, végétarien, ne pas prendre l’avion, ne pas utiliser d’électricité. Afin de répandre cette peur, ils doivent exagérer les problèmes en les combinant, et en suggérant qu’ils sont la conséquence du fait que l’humanité est trop prospère et développée », estime-t-il encore.





Texte de Michael Shellenberger, paru dans Forbes. Il résume un article paru dans PLOS Biology.


À partir d’aujourd’hui et jusqu’à la fin de l’année, l’humanité commencera à consommer plus de ressources que notre planète ne peut en produire durablement, selon le Global Footprint Network (GFN), qui organise ces journées depuis 1986.




« L’humanité utilise la nature 1,75 fois plus vite que les écosystèmes de notre planète ne peuvent se régénérer », déclare le groupe. « C’est un peu comme utiliser 1,75 Terre. »

Les pays riches utilisent leurs ressources plus rapidement que les pays pauvres, selon le GFN. Les États-Unis, l’Australie, le Danemark et le Canada épuisent leurs ressources avant la fin mars, tandis que Cuba, le Nicaragua, l’Irak et l’Équateur ne le font pas avant décembre.

Le « Jour de la Terre en dépassement » est basé sur ce que l’on appelle l’« empreinte écologique », qui est utilisée par le Fonds mondial pour la nature, le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le Rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement et l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Mais l’empreinte écologique est-elle de la bonne science ? Ce n’est pas le cas.

Il y a six ans, j’ai aidé à démystifier la Journée du dépassement de la Terre et le calcul de l’empreinte écologique sur lequel elle est basée dans un article de la revue scientifique à comité de lecture PLOS Biology, intitulé « Does the Shoe Fit? Empreintes réelles contre empreintes imaginaires. »

Nous avons réparti les six mesures qui composent l’empreinte écologique et nous avons constaté que cinq d’entre elles, y compris les aliments et les produits forestiers, étaient soit en équilibre, soit excédentaires [Note du carnet : rappelons que la planète est de plus en plus verte !]. La seule chose qui n’était pas équilibrée, c’était les émissions de carbone de l’humanité.

Mais pour résoudre ce problème, il ne faut pas que les pays riches deviennent pauvres — ou que les pays pauvres restent pauvres — mais simplement que nous nous dirigions vers des sources d’énergie qui ne produisent pas d’émissions de carbone, un processus appelé « décarbonisation ».



Et les deux seuls cas de pays qui ont fortement décarbonisé leur approvisionnement énergétique, la France et la Suède, ne l’ont pas fait en s’appauvrissant, mais plutôt en s’enrichissant considérablement grâce à l’utilisation de l’énergie nucléaire. Aujourd’hui, grâce au nucléaire, la France dépense un peu plus de la moitié de ce que dépense l’Allemagne pour produire de l’électricité qui produit un dixième des émissions de carbone.

Comment les créateurs de l’empreinte écologique ont-ils caché ce qu’ils avaient fait ? En supposant que la seule façon de résoudre le problème du changement climatique était d’étendre le couvert forestier pour absorber toutes les émissions industrielles de carbone.

En d’autres termes, l’empreinte écologique convertit les émissions de dioxyde de carbone en une catégorie d’utilisation du sol, ignorant ainsi toutes les autres façons d’absorber ou de ne jamais émettre de CO2.

Il y a pire. Différentes forêts absorbent le dioxyde de carbone à des taux différents au fil du temps. Mais l’empreinte écologique choisit arbitrairement un seul chiffre pour représenter le taux d’absorption du carbone pour toutes les forêts du monde entier et pour toujours. La méthode de l’empreinte écologique est mieux connue sous le nom de « foutaise en entrée, foutaise en sortie ».

L’Empreinte écologique implique donc que tous les habitants des pays développés riches comme les États-Unis, l’Europe et l’Australie devraient essayer de vivre comme les Cubains et les Nicaraguayens, ou que nous devrions convertir toutes les forêts anciennes du monde en fermes forestières à croissance rapide.

Lorsque nous avons publié notre article en 2013, il a été largement couvert par les médias, notamment par Scientific American, New Science et Le Monde, mais cela n’a pas empêché la Commission européenne et d’autres organismes gouvernementaux de reconnaître la « Journée de la Terre en dépassement » sur les médias sociaux.

La Journée de l’empreinte écologique et de la protection de la Terre a été créée en même temps que les pays d’Europe occidentale et les Nations Unies adoptaient une approche néomalthusienne des problèmes environnementaux [entendre : devenir moins nombreux, consommer moins d’énergie, plutôt que produire mieux cette énergie à bon marché].

Ironiquement, l’ONU a fait la promotion de l’utilisation du bois comme combustible plutôt que du nucléaire. Dans un rapport de 1987 intitulé « Notre avenir à tous », l’ONU dénonce l’énergie nucléaire et insiste pour que les pays pauvres utilisent le bois de manière plus durable. « Les pays pauvres en bois doivent organiser leurs secteurs agricoles pour produire de grandes quantités de bois et autres combustibles végétaux. »

L’auteur principal de « Notre avenir à tous » était Gro Brundtland, ancien Premier ministre norvégien, une nation qui, dix ans auparavant, était devenue fabuleusement riche grâce à ses abondantes réserves de pétrole et de gaz [Note du carnet : et richement doté en hydroélectricité].

Des chiffres comme celui de Brundtland ont fait la promotion de l’idée que les pays pauvres n’avaient pas besoin de consommer beaucoup d’énergie, ce qui s’est avéré être une erreur monumentale. La consommation d’énergie est aujourd’hui aussi étroitement liée au PIB par habitant qu’elle l’était lorsque les pays riches d’aujourd’hui étaient eux-mêmes pauvres.

Il n’y a pas de pays riches qui dépendent principalement du bois pour l’énergie, tout comme il n’y a pas de pays pauvres qui dépendent principalement des combustibles fossiles ou du nucléaire.

L’empreinte écologique a autant de valeur scientifique que l’astrologie, la phrénologie et les théories de la terre plate. Il est temps de traiter l’empreinte écologique comme la théorie pseudoscientifique qu’elle est.


Pourquoi ce chiffre est-il critiqué ? (Le Monde et La Libre)

Obtenir un chiffre parlant pour l’opinion publique nécessite bien souvent de faire des raccourcis. En 2010, Leo Hickman, journaliste spécialiste de l’environnement, déplorait dans le Guardian, que cet indicateur agrège « des pommes et des poires », c’est-à-dire additionne des données de nature aussi différentes que les émissions de gaz à effet de serre, les récoltes de maïs ou la perte de la forêt primaire.

Il déplore aussi que les calculs soient affinés chaque année, ce qui fait fluctuer la date fatidique. En effet, en 2015, lorsque nous avions publié un article à ce sujet, le dépassement était censé survenir le 13 août ; or les dernières données publiées en 2019 estiment désormais que cette date aurait plutôt dû être le 5 août, soit huit jours plus tôt. En 2018, de la même façon, le jour du dépassement était fixé au 1er août, mais rétrospectivement, l’ONG calcule aujourd’hui que la Terre avait épuisé ses réserves dès le 29 juillet.

La notion d’« hectares globaux » est aussi une mesure difficile à appréhender pour le grand public : un hectare de céréales n’a pas le même rendement en France et au Maghreb, et une forêt scandinave ressemble peu à une forêt tropicale. Il s’agit en fait d’opérer une moyenne, comme le PIB, destinée à faciliter les comparaisons internationales, comme l’explique Aurélien Boutaud, consultant en environnement interrogé en 2017 par Libération.

Autre subtilité : certains pays ont une biocapacité supérieure aux autres et sont donc des « réservoirs » écologiques. Ainsi, les Brésiliens ont-ils la même empreinte écologique que les Macédoniens, mais leur biocapacité est cinq fois plus élevée en raison de la forêt amazonienne. Chaque Français consomme 2,9 fois ce que la Terre peut lui fournir pour subvenir à ses besoins, mais seulement 1,8 fois la capacité du territoire français (notamment grâce à la richesse écologique de la Guyane).

Si certains indicateurs sont tangibles (le nombre d’arbres coupés pour produire du bois ou la production de céréales), l’essentiel [la quasi-totalité] de la dette est constitué des émissions de carbone que la nature ne parvient pas à absorber. En France, elle représentait 60 % de l’empreinte totale. Certains analystes estiment donc qu’il serait plus pertinent de se concentrer sur cet indicateur seul.

Bien sûr, on imagine aisément que l’institut chargé de calculer cette date se propose de prendre en compte l’épuisement des ressources naturelles, notamment l’utilisation de carburants fossiles, en considérant ces dernières comme un « stock ». Un stock dont l’épuisement pourrait être converti statistiquement en surface cultivable. Ce serait confondre la notion déjà critiquable d’empreinte écologique avec celle d’empreinte carbone. Mais surtout, sur base de quelle équivalence allons-nous réaliser ce calcul ? Combien d’hectares pour un litre de pétrole ou l’extraction d’un kilo de cuivre ? Ne cherchez pas, il n’y a aucun calcul connu qui tienne la route, et quiconque prétend le contraire ne fait que se ménager le droit d’écrire n’importe quoi.

Mieux encore, comment expliquer les incohérences et remarquables omissions au gré des intentions des auteurs du calcul ? Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, l’institut chargé de calculer le jour du dépassement a dû admettre en 2008 qu’il prenait en compte une empreinte carbone identique pour l’électricité d’origine nucléaire et celle d’origine fossile. Hypothèse qui, quoi qu’on pense du nucléaire, ne peut relever que du préjugé ou de l’ignorance de son auteur.

Il me semble qu’actuellement, le « jour du dépassement » de l’esprit critique tombe de plus en plus tôt dans l’année.

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