Nadia El-Mabrouk, professeure à l’Université de Montréal et membre de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec), publie une critique (laïque, féministe et pro « pluralisme ») du programme ECR dans Le Devoir :
« Parle de ta religion », « Qui est le créateur de l’univers ? », « Reconnaît la musulmane et le juif dans cette image ». Voici des exemples de questions auxquelles doivent répondre les enfants du primaire dans le cours Éthique et culture religieuse (ECR). Il y a lieu de se demander si, concrètement, ce cours ne va pas à l’encontre des nobles objectifs de ses concepteurs. [Note du carnet : nous ne sommes pas si sûrs que ces objectifs sont si nobles.] Le philosophe Georges Leroux, qui vient de publier un nouvel essai (Différence et liberté, Boréal), parle d’ouverture au pluralisme et de dialogue entre les citoyens. Éducation au pluralisme ? Certes. Mais pas en réduisant la diversité à sa dimension religieuse. Dialogue interculturel ? Oui, mais pas en survalorisant le dialogue religieux.
Que répondra l’enseignante à l’enfant qui demande « Est-ce que l’archange Gabriel existe vraiment ? », « Est-ce qu’Abraham a vraiment voulu obéir à Dieu qui lui commandait de tuer son fils ? » Alors que M. Leroux affirme que les enseignants sont très à l’aise de donner ce cours, en réalité, on les laisse seuls dans la classe pour arbitrer les incohérences et les conflits éventuels.
Un cours fortement contesté
Dans une récente entrevue, Georges Leroux évoque trois vagues de contestation à ce cours : celles des parents chrétiens, du Mouvement laïque québécois et du mouvement nationaliste. Mais il y en a une quatrième, celle des femmes, illustrée par l’avis du Conseil du statut de la femme de 2011, qui recommande d’intégrer les connaissances sur les religions au cours Histoire et éducation à la citoyenneté au secondaire, parce que l’enfant plus âgé est plus apte à prendre une distance critique par rapport au sujet.
Ce dossier est également porté par PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) à la suite d’une analyse de tous les manuels ECR du primaire approuvés par le ministère de l’Éducation.
Il en ressort une contradiction flagrante entre le volet « éthique », qui valorise les facteurs d’émancipation de la femme, et le volet « culture religieuse », où c’est plutôt une vision fondamentaliste et traditionaliste du statut et du rôle des femmes qui est mise en avant. Les femmes sont nettement moins représentées que les hommes, et ce, pour toutes les religions. Alors que ce sont surtout les hommes qui officient aux cérémonies religieuses et qui manipulent les livres sacrés, ce sont les femmes qui font la cuisine et qui portent les enfants. Contrairement aux aspirations d’ouverture vers l’avenir de M. Leroux, les manuels scolaires illustrent plutôt un cours branché sur le passé, qui laisse craindre un retour en arrière pour les droits des femmes.
Mais il y a également une cinquième vague de contestation, qui est celle des Québécois de culture musulmane, représentés notamment par l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL), dont je fais partie. En effet, nous subissons les dommages collatéraux de l’identification des groupes par leur religion. Nos enfants sont encouragés à s’identifier comme musulmans. Mais, en plus, ils sont amenés à intégrer toute une série de pratiques religieuses contraignantes, portées par une version dogmatique et rigoriste de l’islam. « Mon fils est devenu musulman avec ce cours », « ma fille demande maintenant à sa mère pourquoi elle n’est pas voilée », « mon enfant est culpabilisé parce qu’il ne mange pas halal à l’école ». Voici le genre de commentaires rapportés par plusieurs. En effet, plutôt qu’une approche non confessionnelle du phénomène religieux, c’est bien un ensemble de règles, d’interdictions et de codes religieux qui sont mis en avant.
Quand la culture se résume à la religion
M. Leroux prône l’éducation au pluralisme, mais c’est plutôt une vision normative des cultures religieuses qui ressort des manuels scolaires. La diversité est en fait réduite essentiellement à quelques stéréotypes. Les juifs portent une kippa, les musulmanes un voile, les bouddhistes une robe orange, les chrétiennes une croix dans le cou et les autochtones des plumes. C’est simple, ainsi on peut les « reconnaître ». On amène les enfants, ni plus ni moins, à faire du profilage ethno-religieux. Et ces constatations ne sont pas extrapolées de quelques cas isolés de manuels défaillants. Par exemple, c’est à peu près l’ensemble des manuels ECR du primaire qui utilisent la femme voilée comme marqueur visuel pour l’islam. Est-ce qu’une petite fille qui subirait des pressions dans sa famille pour porter le voile se sentirait encouragée d’en parler à l’école, alors que l’on présente le voile comme LE code vestimentaire de l’islam ?
Si l’objectif est d’éduquer les jeunes à la diversité, au pluralisme du Québec, il faudrait tenir compte de toutes les convictions spirituelles. Où sont les non-croyants ? Les non-pratiquants, qui forment pourtant la majorité de la population du Québec ? Mais surtout, ramener la culture à la religion est un raccourci qui a pour effet de gommer les spécificités nationales. De grands pans de la société du Québec moderne se retrouvent ainsi sous-représentés. Où sont les vagues successives d’immigration au Québec, les Portugais, les Italiens, les Latino-Américains, les Libanais, les Vietnamiens, les Haïtiens dans ces manuels ? Le biais religieux de ce cours n’a pas pour effet de promouvoir la diversité culturelle.
Promotion du fait religieux
Le volet « culture religieuse » ressemble plus à de l’endoctrinement et à de la promotion du fait religieux qu’à un apprentissage objectif de connaissances sur les religions. On ressasse, pendant toute la scolarité de l’enfant, des manifestations du religieux, mais sans les éléments permettant de développer son sens critique.
Nous demandons que les concepteurs du cours ECR se préoccupent de savoir comment sont traduits, concrètement, les beaux principes du programme dans les manuels scolaires, mais surtout dans les classes, alors que les enseignants sont amenés à gérer, seuls, les pressions religieuses et les conflits qui peuvent en découler. Réduire le pluralisme à sa seule dimension religieuse est un réel danger pour la cohésion sociale et le « vivre ensemble ». N’oublions pas que c’est le Québec de l’avenir qu’on est en train de construire.
« Parle de ta religion », « Qui est le créateur de l’univers ? », « Reconnaît la musulmane et le juif dans cette image ». Voici des exemples de questions auxquelles doivent répondre les enfants du primaire dans le cours Éthique et culture religieuse (ECR). Il y a lieu de se demander si, concrètement, ce cours ne va pas à l’encontre des nobles objectifs de ses concepteurs. [Note du carnet : nous ne sommes pas si sûrs que ces objectifs sont si nobles.] Le philosophe Georges Leroux, qui vient de publier un nouvel essai (Différence et liberté, Boréal), parle d’ouverture au pluralisme et de dialogue entre les citoyens. Éducation au pluralisme ? Certes. Mais pas en réduisant la diversité à sa dimension religieuse. Dialogue interculturel ? Oui, mais pas en survalorisant le dialogue religieux.
Que répondra l’enseignante à l’enfant qui demande « Est-ce que l’archange Gabriel existe vraiment ? », « Est-ce qu’Abraham a vraiment voulu obéir à Dieu qui lui commandait de tuer son fils ? » Alors que M. Leroux affirme que les enseignants sont très à l’aise de donner ce cours, en réalité, on les laisse seuls dans la classe pour arbitrer les incohérences et les conflits éventuels.
Un cours fortement contesté
Dans une récente entrevue, Georges Leroux évoque trois vagues de contestation à ce cours : celles des parents chrétiens, du Mouvement laïque québécois et du mouvement nationaliste. Mais il y en a une quatrième, celle des femmes, illustrée par l’avis du Conseil du statut de la femme de 2011, qui recommande d’intégrer les connaissances sur les religions au cours Histoire et éducation à la citoyenneté au secondaire, parce que l’enfant plus âgé est plus apte à prendre une distance critique par rapport au sujet.
Ce dossier est également porté par PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) à la suite d’une analyse de tous les manuels ECR du primaire approuvés par le ministère de l’Éducation.
Il en ressort une contradiction flagrante entre le volet « éthique », qui valorise les facteurs d’émancipation de la femme, et le volet « culture religieuse », où c’est plutôt une vision fondamentaliste et traditionaliste du statut et du rôle des femmes qui est mise en avant. Les femmes sont nettement moins représentées que les hommes, et ce, pour toutes les religions. Alors que ce sont surtout les hommes qui officient aux cérémonies religieuses et qui manipulent les livres sacrés, ce sont les femmes qui font la cuisine et qui portent les enfants. Contrairement aux aspirations d’ouverture vers l’avenir de M. Leroux, les manuels scolaires illustrent plutôt un cours branché sur le passé, qui laisse craindre un retour en arrière pour les droits des femmes.
Mais il y a également une cinquième vague de contestation, qui est celle des Québécois de culture musulmane, représentés notamment par l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL), dont je fais partie. En effet, nous subissons les dommages collatéraux de l’identification des groupes par leur religion. Nos enfants sont encouragés à s’identifier comme musulmans. Mais, en plus, ils sont amenés à intégrer toute une série de pratiques religieuses contraignantes, portées par une version dogmatique et rigoriste de l’islam. « Mon fils est devenu musulman avec ce cours », « ma fille demande maintenant à sa mère pourquoi elle n’est pas voilée », « mon enfant est culpabilisé parce qu’il ne mange pas halal à l’école ». Voici le genre de commentaires rapportés par plusieurs. En effet, plutôt qu’une approche non confessionnelle du phénomène religieux, c’est bien un ensemble de règles, d’interdictions et de codes religieux qui sont mis en avant.
Quand la culture se résume à la religion
M. Leroux prône l’éducation au pluralisme, mais c’est plutôt une vision normative des cultures religieuses qui ressort des manuels scolaires. La diversité est en fait réduite essentiellement à quelques stéréotypes. Les juifs portent une kippa, les musulmanes un voile, les bouddhistes une robe orange, les chrétiennes une croix dans le cou et les autochtones des plumes. C’est simple, ainsi on peut les « reconnaître ». On amène les enfants, ni plus ni moins, à faire du profilage ethno-religieux. Et ces constatations ne sont pas extrapolées de quelques cas isolés de manuels défaillants. Par exemple, c’est à peu près l’ensemble des manuels ECR du primaire qui utilisent la femme voilée comme marqueur visuel pour l’islam. Est-ce qu’une petite fille qui subirait des pressions dans sa famille pour porter le voile se sentirait encouragée d’en parler à l’école, alors que l’on présente le voile comme LE code vestimentaire de l’islam ?
Si l’objectif est d’éduquer les jeunes à la diversité, au pluralisme du Québec, il faudrait tenir compte de toutes les convictions spirituelles. Où sont les non-croyants ? Les non-pratiquants, qui forment pourtant la majorité de la population du Québec ? Mais surtout, ramener la culture à la religion est un raccourci qui a pour effet de gommer les spécificités nationales. De grands pans de la société du Québec moderne se retrouvent ainsi sous-représentés. Où sont les vagues successives d’immigration au Québec, les Portugais, les Italiens, les Latino-Américains, les Libanais, les Vietnamiens, les Haïtiens dans ces manuels ? Le biais religieux de ce cours n’a pas pour effet de promouvoir la diversité culturelle.
Promotion du fait religieux
Le volet « culture religieuse » ressemble plus à de l’endoctrinement et à de la promotion du fait religieux qu’à un apprentissage objectif de connaissances sur les religions. On ressasse, pendant toute la scolarité de l’enfant, des manifestations du religieux, mais sans les éléments permettant de développer son sens critique.
Nous demandons que les concepteurs du cours ECR se préoccupent de savoir comment sont traduits, concrètement, les beaux principes du programme dans les manuels scolaires, mais surtout dans les classes, alors que les enseignants sont amenés à gérer, seuls, les pressions religieuses et les conflits qui peuvent en découler. Réduire le pluralisme à sa seule dimension religieuse est un réel danger pour la cohésion sociale et le « vivre ensemble ». N’oublions pas que c’est le Québec de l’avenir qu’on est en train de construire.
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