lundi 29 février 2016

Bandes dessinées — Quand Hergé expurgeait un missionnaire chez les Esquimaux

Nous sommes en 1971. À la demande de ses éditeurs scandinaves, Hergé se voit contraint de transformer son merveilleux album Destination New York. Jo, Zette et Jocko pris dans les glaces de l’Arctique ne rencontrent plus le père Francœur, mais le professeur Henrik Nielsen, ethnologue !

Barbu comme un missionnaire pouvait l’être. Dès la page 21, le brave père Francœur a disparu. Depuis 1971, les lecteurs de 7 à 77 ans ne savent plus que des missionnaires (souvent francophones) aidaient les Esquimaux à survivre dans le désert de glace.

L’avion du brave prêtre baptisé Santa Maria II perdra son nom et sa « mission » surmontée d’une croix sera tout simplement effacé d’un coup de gomme de la part d’Hergé…

Le remplacement de la figure d’un père missionnaire catholique francophone par un ethnologue suédois mène parfois à des incohérences scénaristiques : pourquoi les Esquimaux parlent-ils français comme Jo et Zette ? Pourquoi Jo et Zette sont-ils obligés de piloter eux-mêmes l’avion dans le cas de l’ethnologue (quels soins cet intellectuel peut-il prodiguer ?) alors que le missionnaire a un rôle spirituel essentiel pour ses ouailles esquimaudes.

La version de 1949 — Un missionnaire francophone, le père Francœur, la soutane
La version post-1971, un ethnologue scandinave « Nielsen », plus de soutane
Les Esquimaux continuent mystérieusement de parler français après 1971


1949 — Les postes de la mission, l’avion Santa Maria II
Post-1971 — L’avion n’a plus de nom, de simples « déplacements »


1949 — La mission
1971 — Le camp

1949 — La croix sur la mission, le père Francœur (et pour la graphie « iglou† »)
La croix disparaît, le professeur (et au passage pour la graphie, « iglou† »)


1949 — La croix bien visible sur la mission, le baptême à l’article de la mort, la nécessité de la mission
Version d’après 1971 — La croix (?) évidée, plus de baptême, on ne sait pas trop comment cet ethnologue pourra aider ces malades

Missions catholiques de l'arctique canadien

Parmi les missions du monde, celles du Grand Nord canadien ont souvent été considérées comme héroïques. Les Oblats s’y sont dévoués pendant plus de quarante ans. C’est en 1910 que Mgr Breynat décida de reprendre l’évangélisation des Esquimaux en la confiant au jeune Père Rouvière, âgé de trente ans. Le missionnaire partit l’année suivante pour le nord-est du Grand Lac de l’Ours où il avait appris que les Esquimaux du cuivre venaient commercer avec les Indiens. Lire sur ce sujet par exemple « La conquête missionnaire de l’Arctique ».





† Les dictionnaires Petit Robert et Larousse (« l’usage » comme disent certains) privilégiaient à l’époque « igloo » bien que l’on retrouvât depuis 1880 « iglou » (voir la traduction en français de Deux ans chez les Esquimaux de C. F. Hall). Le Dictionnaire de l’Académie (9e édition, 2005) n’écrit qu’« igloo ». Depuis 1990, la réforme orthographique préfère « iglou » (voir aussi ici). Sur le sujet de ces corrections orthographiques, voir Nénufar peut s’écrire ainsi depuis le XVIIe siècle.


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