vendredi 4 décembre 2015

Le rôle de la femme et de l'Église au Moyen Âge

Extrait de l’essai Pour en finir avec le Moyen-Âge de l’historienne Régine Pernoud au chapitre « La Femme sans âme », on remarquera que la situation de celles-ci était sans doute plus enviable que celles leurs descendantes de la Renaissance et des Lumières toutes deux tournées vers l'Antiquité gréco-romaine :

N’est-il pas surprenant, en effet, de penser qu’aux temps féodaux la reine est couronnée comme le roi, généralement à Reims, parfois dans d’autres cathédrales du domaine royal (à Sens pour Marguerite de Provence), mais toujours par les mains de l’archevêque de Reims ? Autrement dit, on attribue au couronnement de la reine autant de valeur qu’à celui du roi. Or, la dernière reine qui fut couronnée est Marie de Médicis ; elle le fut d’ailleurs tardivement, en 1610, à la veille même du meurtre de son époux Henri IV ;  [...]

Toujours est-il qu’au XVIIe siècle la reine disparaît littéralement de la scène au profit de la favorite. Il suffit d’évoquer ce que fut le destin de Marie-Thérèse ou celui de Marie Leszcynska pour s’en convaincre. Et quand la dernière reine a voulu reprendre une parcelle de pouvoir, on lui a donné l’occasion de s’en repentir puisqu’elle s’appelait Marie-Antoinette (il est juste d’ajouter que la dernière favorite, la du Barry, a rejoint sur l’échafaud la dernière reine).

Ce rapide survol du statut des reines donne assez exactement idée de ce qui s’est passé pour l’ensemble des femmes ; la place qu’elles tiennent dans la société, l’influence qu’elles exercent, suivent un tracé exactement parallèle. Alors qu’une Aliénor d’Aquitaine, une Blanche de Castille dominent réellement leur siècle, qu’elles exercent le pouvoir sans conteste dans le cas où le roi est absent, malade ou mort, qu’elles ont leur chancellerie, leur douaire, leur champ d’activité personnelle (qui pourrait être revendiqué comme un fécond exemple par les mouvements les plus féministes de notre temps), la femme aux temps classiques est reléguée au second plan ; elle n’exerce plus d’influence que clandestinement, et se trouve notamment exclue de toute fonction politique ou administrative. Elle est même tenue, et cela surtout dans les pays latins, pour incapable de régner, de succéder au fief ou au domaine, et finalement, selon notre Code, d’exercer un droit quelconque sur ses biens personnels.

C’est, comme toujours, dans l’histoire du droit qu’il faut chercher les faits et leur signification, autrement dit la raison de ce déclin devenu, avec le XIXe siècle, disparition totale du rôle de la femme, en France surtout. Son influence diminue parallèlement à la montée du droit romain dans les études de juristes, puis dans les institutions, et enfin dans les mœurs. C’est un effacement progressif dont on suit très bien, en France du moins, les principales étapes.

Assez curieusement, la première disposition qui écarte la femme de la succession au trône a été prise par Philippe le Bel. Il est vrai que ce roi était sous l’emprise des légistes méridionaux qui avaient littéralement envahi la cour de France au début du XIVe siècle et qui, représentants typiques de la bourgeoisie des villes, notamment des villes très commerçantes du Midi, redécouvraient le droit romain avec une véritable avidité intellectuelle. Ce droit conçu pour des militaires, des fonctionnaires, des marchands, conférait au propriétaire le jus utendi et abutendi, droit d’user et d’abuser, en complète contradiction avec le droit coutumier d’alors, mais éminemment favorable à ceux qui détenaient des richesses surtout mobilières. À ceux-là, cette législation paraissait, avec raison, infiniment supérieure aux coutumes existantes pour assurer et garantir biens, trafics, et négoces. Le droit romain dont on voit renaître l’influence en Italie, à Bologne notamment, a été la grande tentation de la période médiévale ; il a été étudié avec enthousiasme non seulement par la bourgeoisie des villes, mais aussi par tous ceux qui y voyaient un instrument de centralisation et d’autorité. Il se ressent largement en effet de ses origines impérialistes et, disons le mot, colonialistes. Il est le droit par excellence de ceux qui veulent affirmer une autorité centrale étatique. Aussi est-il revendiqué, adopté, étendu par les puissances qui recherchaient alors la centralisation : par l’empereur d’abord, puis par la papauté. Au milieu du XIIIe siècle, l’empereur Frédéric II, dont les tendances étaient celles d’un monarque, en a fait la loi commune des pays germaniques.

L’université qu’il fonde à Naples — la seule que les sujets de l’empereur soient désormais autorisés à fréquenter — dispense l’étude du droit romain, si bien que c’est ce droit romain qui a régi les institutions et les mœurs des pays germaniques en un temps où l’Occident ne l’admettait pas encore[1]. Ce ne sera que dans le courant du XVIIe siècle que l’étude du droit romain, précisément parce qu’il était le droit impérial, sera admise à l’université de Paris. Il est vrai que, beaucoup plus tôt, il était enseigné à Toulouse et que, favorisé par l’engouement qu’on éprouve au XVIe siècle pour l’Antiquité, il avait commencé à imprégner les mœurs et à modifier en profondeur les coutumes et les mentalités en France même.

Or le droit romain n’est pas favorable à la femme, pas plus qu’à l’enfant. C’est un droit monarchique, qui n’admet qu’un seul terme. C’est le droit du pater familias, père, propriétaire et chez lui grand-prêtre, chef de famille au pouvoir sacré, en tout cas sans limites, en ce qui concerne ses enfants : il a sur eux droit de vie et de mort — il en est de même pour sa femme, en dépit des limitations tardivement introduites sous le Bas-Empire.

C’est en s’appuyant sur le droit romain que des juristes comme Dumoulin, par leurs traités et leur enseignement, contribuent à la fois à étendre la puissance de l’État centralisé et aussi — ce qui nous intéresse ici — à restreindre la liberté de la femme et ses capacités d’action, notamment dans le mariage. L’influence de ce droit sera si forte qu’au XVIe siècle l’âge de la majorité, qui était de douze ans pour les filles et de quatorze pour les garçons dans la plupart des coutumes, se trouve ramené à l’âge même fixé à Rome, c’est-à-dire vingt-cinq ans (à Rome la majorité ne comptait guère puisque le pouvoir du père sur ses enfants demeurait effectif sa vie durant). C’était une nette régression sur le droit coutumier qui permettait à l’enfant d’acquérir très jeune une véritable autonomie, sans que, pour autant, la solidarité de la famille lui soit retirée. Dans cette structure, le père avait une autorité de gérant, non de propriétaire : il n’avait pas le pouvoir de déshériter son fils aîné, et c’était la coutume qui dans les familles, nobles ou roturières, réglait la dévolution des biens, dans un sens qui montre d’ailleurs bien le pouvoir que la femme conservait sur ce qui lui appartenait en propre : dans le cas d’un ménage mort sans héritier direct, les biens provenant du père allaient à la famille paternelle, mais ceux provenant de la mère retournaient à la famille maternelle, selon l’adage bien connu du droit coutumier : paterna paternis, materna maternis.

Au XVIIe siècle, déjà, on constate une profonde évolution de ce point de vue : les enfants, considérés comme mineurs jusqu’à vingt-cinq ans, demeurent sous la puissance paternelle, et le caractère de la propriété tendant à devenir le monopole du père ne fait que s’affirmer. Le code Napoléon met la dernière main à ce dispositif et donne un sens impératif aux tendances qui ont commencé à s’affirmer dès la fin de l’époque médiévale. Rappelons que c’est au XVIIe siècle seulement que la femme prend obligatoirement le nom de son époux ; et aussi, que ce n’est qu’avec le Concile de Trente, donc dans la deuxième moitié du XVIe siècle, que le consentement des parents est devenu nécessaire pour le mariage des enfants ;


[...]

On ne manquera pas de nous faire remarquer ici le nombre d’unions dûment arrangées par les familles aux temps féodaux : filles et garçons fiancés dès le berceau, promis l’un à l’autre ; les exemples abondent en effet. On n’a pas manqué d’en tirer argument lorsqu’on entend démontrer que les femmes n’étaient pas libres à l’époque ; à quoi il est aisé de rétorquer que, de ce point de vue, garçons et filles se retrouvent sur un pied d’égalité rigoureuse, car on dispose du futur époux absolument comme de la future épouse. Cependant, il est incontestable qu’il se produisait alors ce qui se passe encore aujourd’hui dans les deux tiers du monde, à savoir que les unions, dans leur grande majorité, étaient arrangées par les familles. Et dans des familles nobles, voire royales, ces dispositions faisaient en quelque sorte partie des charges de naissance, car un mariage entre deux héritiers de fiefs ou de royaumes était considéré comme la meilleure façon de sceller un traité de paix, d’assurer l’amitié réciproque, et aussi de prévoir pour l’avenir de fructueux héritages.

Une puissance a lutté contre ces unions imposées, et c’est l’Église ; elle a multiplié dans le droit canonique les causes de nullité, n’a cessé de réclamer la liberté pour ceux qui s’engagent l’un envers l’autre et s’est souvent montrée assez indulgente pour tolérer en fait la rupture de liens imposés — beaucoup plus alors que par la suite, remarquons-le. C’est d’ailleurs une constatation qui relève de la simple évidence que les progrès du libre choix des époux ont partout accompagné les progrès de la diffusion du christianisme. Aujourd’hui encore, c’est en pays chrétiens que cette liberté, si justement revendiquée, est reconnue par les lois alors qu’en pays musulmans ou dans les pays d’Extrême-Orient cette liberté, qui nous paraît essentielle, n’existe pas ou n’a été que très récemment accordée[2].

Cela nous amène à discuter le slogan de « l’Église hostile à la femme ». Nous ne nous attarderons pas à reprendre l’ensemble d’une question qui nécessiterait un volume à part ; nous n’irons pas non plus discuter les sottises évidentes[3] qui ont été proférées dans ce sens.

« Ce n’est qu’au XVe siècle que l’Église a admis que la femme avait une âme », affirmait candidement, un jour, à la radio, je ne sais quelle romancière certainement animée de bonnes intentions, mais dont l’information présentait quelques lacunes ! Ainsi, pendant des siècles, on aurait baptisé, confessé et admis à l’Eucharistie des êtres sans âme ! Dans ce cas, pourquoi pas les animaux ? Étrange que les premiers martyrs honorés comme des saints aient été des femmes et non des hommes : sainte Agnès, sainte Cécile, sainte Agathe et tant d’autres. Triste, vraiment, que sainte Blandine ou sainte Geneviève aient été dépourvues d’âmes immortelles. Surprenant, que l’une des plus anciennes peintures catacombales (au cimetière de Priscille) ait représenté précisément la Vierge à l’Enfant, bien désignée par l’étoile et le prophète Isaïe. Enfin, qui croire, ceux qui reprochent à l’Église médiévale, justement, le culte de la Vierge Marie, ou ceux qui estiment que la Vierge était alors considérée comme une créature sans âme ?

Sans nous attarder donc à ces sornettes, nous rappellerons ici que certaines femmes (que rien ne désignait particulièrement par leur famille ou leur naissance, puisqu’elles venaient, comme nous dirions aujourd’hui, de toutes les couches sociales, à preuve la bergère de Nanterre) ont joui dans l’Église, et de par leur fonction dans l’Église, d’une extraordinaire puissance au Moyen-Âge. Certaines abbesses étaient des seigneurs féodaux dont le pouvoir était respecté à l’égal de celui des autres seigneurs ; quelques-unes portaient la crosse comme l’évêque ; elles administraient souvent de vastes territoires avec des villages, des paroisses… Un exemple entre mille autres : au milieu du XIIe siècle, les cartulaires nous permettent de suivre la formation du monastère du Paraclet dont la supérieure est Héloïse ; il suffit de les parcourir pour constater que la vie d’une abbesse à l’époque comporte tout un aspect administratif : les donations s’accumulent, qui permettent ici de percevoir la dîme sur une vigne, là d’avoir droit à des redevances sur les foins ou les blés, ici de jouir d’une grange, et là d’un droit de pâture dans la forêt… Son activité est aussi celle d’un exploitant, voire d’un seigneur. C’est dire que, de par leurs fonctions religieuses, certaines femmes exercent, même dans la vie laïque, un pouvoir que beaucoup d’hommes pourraient leur envier aujourd’hui.

D’autre part, on constate que les religieuses de ce temps — sur lesquelles, disons-le en passant, les études sérieuses nous manquent tout à fait — sont pour la plupart des femmes extrêmement instruites, qui auraient pu rivaliser de savoir avec les moines les plus lettrés du temps. Héloïse elle-même connaît et enseigne à ses moniales le grec et l’hébreu. C’est d’une abbaye de femmes, celle de Gandersheim, que provient un manuscrit du Xe siècle contenant six comédies en prose rimée, imitées de Térence ; on les attribue à la fameuse abbesse Hrotsvitha dont, par ailleurs, on connaît l’influence sur le développement littéraire des pays germaniques. Ces comédies probablement jouées par les religieuses sont du point de vue de l’histoire dramatique considérées comme la preuve d’une tradition scolaire qui aura contribué au développement du théâtre au Moyen-Âge. Ajoutons au passage que beaucoup de monastères d’hommes ou de femmes dispensaient localement l’instruction aux enfants de la région.

Il est surprenant aussi de constater que l’encyclopédie la plus connue du XIIe siècle émane d’une religieuse, l’abbesse Herrade de Landsberg. C’est le fameux Hortus deliciarum, Jardin de délices dans lequel les érudits puisent les renseignements les plus sûrs concernant l’état des techniques en son temps. On pourrait en dire autant des ouvrages de la célèbre Hildegarde de Bingen. Enfin une autre religieuse, Gertrude de Helfta, au XIIIe siècle, nous raconte comment elle fut heureuse de passer de l’état de « grammairienne » à celui de « théologienne », c’est-à-dire qu’après avoir parcouru le cycle des études préparatoires elle aborde le cycle supérieur, comme on le faisait à l’Université. Ce qui prouve qu’encore au XIIIe siècle les couvents de femmes sont ce qu’ils avaient toujours été depuis saint Jérôme qui institua le premier d’entre eux, la communauté de Bethléem : des foyers de prière, mais aussi de science religieuse, d’exégèse, d’érudition ; on y étudie l’Écriture sainte, considérée comme la base de toute connaissance, et aussi tous les éléments du savoir religieux et profane.

Abbaye de Fontevraud
Les religieuses sont des filles instruites ; d’ailleurs, entrer au couvent est une voie normale pour celles qui veulent développer leurs connaissances au-delà du niveau courant. Ce qui a semblé extraordinaire chez Héloïse dans sa jeunesse, c’est le fait que, n’étant pas religieuse et ne souhaitant manifestement pas entrer au couvent, elle poursuivait néanmoins des études fort arides au lieu de se contenter de la vie plus frivole, plus insouciante d’une fille désirant « demeurer dans le siècle ». La lettre que Pierre le Vénérable lui a envoyée le dit expressément. Mais il y a plus surprenant. Si l’on veut se faire une idée exacte de la place tenue par la femme dans l’Église aux temps féodaux, il faut se demander ce qu’on dirait en notre XXe siècle de couvents d’hommes placés sous le magistère d’une femme. Un projet de ce genre aurait-il en notre temps la moindre chance d’aboutir ? C’est pourtant ce qui fut réalisé avec plein succès, et sans avoir provoqué le moindre scandale dans l’Église, par Robert d’Arbrissel à Fontevrault, dans les premières années du XIIe siècle. Ayant résolu de fixer la foule invraisemblable d’hommes et de femmes qu’il traînait dans son sillage — car il fut l’un des plus grands convertisseurs de tous les temps — Robert d’Arbrissel décida de fonder deux couvents, l’un d’hommes, l’autre de femmes[4] entre eux s’élevait l’église qui était le seul lieu où moines et moniales puissent se rencontrer. Or ce monastère double fut placé sous l’autorité, non d’un abbé, mais d’une abbesse.

Celle-ci, par la volonté du fondateur, devait être une veuve, ayant eu l’expérience du mariage. Ajoutons pour être complet que la première abbesse, Pétronille de Chemillé, qui présida aux destinées de cet ordre de Fontevrault avait 22 ans. On ne voit pas qu’aujourd’hui semblable audace, encore une fois, aurait la moindre chance d’être envisagée. Si l’on examine les faits, la conclusion s’impose : pendant toute la période féodale, la place de la femme dans l’Église a été certes différente de celle de l’homme (et dans quelle mesure ne serait-ce pas une preuve de sagesse que de tenir compte de ce qu’homme et femme sont deux créatures égales, mais différentes ?), mais ce fut une place éminente, que symbolise d’ailleurs parfaitement le culte, éminent aussi, rendu à la Vierge parmi tous les saints. Et il est à peine surprenant que l’époque se termine sur un visage de femme : celui de Jeanne d’Arc, laquelle, soit dit en passant, n’aurait jamais pu aux siècles suivants obtenir l’audience et susciter la confiance qu’en fin de compte elle obtint. Il est surprenant aussi d’observer le raidissement qui se produit à l’égard de la femme à l’extrême fin du XIIIe siècle. C’est par une mesure bien significative que le pape Boniface VIII, en 1298, décide pour les moniales (chartreuses, cisterciennes) la clôture totale et rigoureuse qu’elles ont connue depuis lors. Par la suite on n’admettra plus que la religieuse soit mêlée au monde. On ne tolérera pas davantage ces laïques consacrées que furent, au XIIIe siècle, les béguines, qui menaient la vie de tout le monde, mais se consacraient par vœux.

Au XVIIe siècle notamment, on verra les religieuses de la Visitation, destinées par leur fondatrice à se mêler à l’existence quotidienne, obligées de se conformer à la même clôture que les carmélites ; si bien que saint Vincent de Paul, pour permettre aux Filles de la Charité de rendre service au petit peuple, d’aller soigner les malades et aider les familles nécessiteuses, se gardera bien de les traiter en religieuses et de leur faire prendre le voile ; leur sort eût été alors celui des Visitandines. On ne pouvait plus concevoir qu’une femme ayant décidé de consacrer sa vie à Dieu ne soit pas cloîtrée ; alors que dans les nouveaux ordres créés pour les hommes, témoin les Jésuites, ceux-ci restent dans le monde. C’est assez dire que le statut de la femme dans l’Église est exactement le même que dans la société civile et que peu à peu lui a été retiré, après le Moyen-Âge, tout ce qui lui conférait quelque autonomie, quelque indépendance, quelque instruction.

Or, comme dans le même temps l’Université — qui n’admet que les hommes — tente de concentrer le savoir et l’enseignement, les couvents cessent peu à peu d’être ces foyers d’étude qu’ils étaient précédemment ; ajoutons qu’ils cessent aussi, et assez rapidement, d’être des foyers de prière. La femme se trouve donc exclue de la vie ecclésiale, comme de la vie intellectuelle. Le mouvement se précipite lorsqu’au début du XVIe siècle le roi de France a la haute main sur la nomination des abbesses et des abbés. Le meilleur exemple reste l’ordre de Fontevrault qui devient un asile pour les anciennes maîtresses du roi. Asile où l’on mène d’ailleurs une vie de moins en moins édifiante, car la clôture si rigoureuse ne tarde pas à subir des entorses, avouées ou non. Si quelques ordres comme ceux du Carmel ou de Sainte-Claire gardent leur pureté grâce aux réformes, la plupart des monastères de femmes, à la fin de l’Ancien Régime, sont des maisons accueillantes où les cadettes de grandes familles reçoivent force visites et où l’on joue aux cartes, voire à d’autres « jeux interdits », très avant dans la nuit.

Notes

[1] Paradoxalement, les pays germaniques auront été ainsi modelés par le droit romain, alors qu’en France, n’en déplaise à ceux qui demeurent attachés au mythe de la « race latine », les mœurs étaient formées par des coutumes que l’on croit « germaniques » et que l’on devrait plutôt dire « celtiques ».

[2] « La législation musulmane interdit à la femme ce que celle-ci revendique aujourd’hui et qu’elle appelle ses droits, et qui ne constitue qu’une agression contre les droits qui ont été conférés aux hommes seuls. » Ainsi s’exprimait en 1952, dans la publication intitulée Al Misri, le Cheikh Hasanam Makhlouf (voir La Documentation française, no 2418, 31 mai 1952, p. 4).

[3] Nous n’avions pas cru nécessaire, lors de la rédaction de cet ouvrage, de rappeler l’origine de cette ridicule assertion. Mais il se trouve que l’ayant entendu répéter récemment (1989), cette mise au point peut sembler utile. Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs (chap. 91) raconte qu’au synode de Mâcon de 486 — auquel il n’a pas assisté et pour cause ! — un des prélats fit remarquer « qu’on ne devait pas comprendre les femmes sous le nom d’hommes », donnant au mot homo le sens restrictif du latin vir. Il ajoute que, faisant appel à la Sainte Écriture, « les arguments des évêques le firent revenir » de cette fausse interprétation, ce qui « fit cesser la discussion ». Mais les auteurs de la Grande Encyclopédie au XVIIIe siècle allaient exploiter ce mince incident (même pas retenu dans les canons du concile) pour laisser croire qu’on refusait à la femme la nature humaine…

[4] Il y eut d’ailleurs de nombreux ordres doubles à l’époque, notamment dans les régions anglo-saxonnes et en Espagne.

Voir aussi

La place des femmes au Moyen-Âge : elles votaient, elles ouvraient boutique sans autorisation maritale

La femme au temps des cathédrales (m-à-j vidéo Apostrophes avec Regine Pernoud)

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