lundi 16 novembre 2015

La France catholique de Jean Sévillia vu du Québec

Extraits d’une recension de Mathieu Bock-Côté, docteur en sociologie et chargé de cours aux HÉC Montréal, sur le dernier ouvrage de Jean Sévillia « La France catholique » :


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Jean Sévillia ne s’est pas seulement intéressé aux catholiques en France, mais à la France catholique. C’est-à-dire que son enquête portait non seulement sur une religion parmi d’autres, mais sur une religion qui, à bien des égards, a fait la France, ou du moins, a contribué à la faire. Ne dit-on pas de la France qu’elle fut, bien avant d’être le pays phare de la laïcité, la fille aînée de l’Église ? Faire l’histoire de la France catholique, c’est chercher à comprendre les racines de l’identité française, même si elles ne sont évidemment pas les seules. D’une certaine manière, à travers le catholicisme, on se rapproche de ses origines les plus intimes. Certains verront là un propos audacieux. En d’autres temps, on y aurait vu une évidence. Il y a quelques décennies, une telle sociologie aurait donné beaucoup de place à l’aile « progressiste » de l’Église en France. Elle était hégémonique. Jean Sévillia note une chose : nous assistons probablement aujourd’hui à la fin de l’aventure historique des cathos de gauche, qui voulurent, dans la deuxième moitié du vingtième siècle, transvaser à peu près complètement le catholicisme du spirituel vers le social, comme s’il devait moins se préoccuper de la vie intérieure et de l’aspiration spirituelle de chaque homme que de l’établissement du paradis sur terre, qui était la plupart du temps une manière ou une autre de se rallier au socialisme dominant auquel il voulait donner un supplément d’âme. Aujourd’hui, le christianisme de gauche est en lambeaux.

Des mouvements éducatifs plébiscités
C’est l’étrange histoire de la deuxième moitié du vingtième siècle. Les catholiques ont cru alors devoir se faire discrets pour gagner les âmes. C’était ce qu’on a appelé la pédagogie de l’enfouissement. Il s’agissait de transformer la société souterrainement sans brandir aucunement l’étendard de l’Église. Pour aller à la rencontre du monde, les catholiques devaient neutraliser ce qu’ils avaient en propre. Il fallait s’accorder avec l’époque, lui donner des gages, en quelque sorte, pour purifier l’Église et lui donner un nouveau souffle. Mais ce qui devait permettre sa renaissance a contribué à son délitement. On a cherché à déculturer le catholicisme, en croyant alors le délivrer d’une tradition qui, apparemment, l’étouffait.

En fait, on s’est livré à un saccage liturgique qui a détourné bien des fidèles de leur Église. Jean Sévillia le note, c’est à un mouvement inverse qu’on assiste aujourd’hui avec la renaissance d’un catholicisme d’abord centré sur la vie intérieure et la quête spirituelle. Car il est d’abord et avant tout centré sur la quête des fins dernières. C’est ainsi que les catholiques des nouvelles générations redécouvrent non seulement la prière, mais réapprennent à prier. On a cru que l’homme pouvait s’aventurer sans repères dans la quête de l’absolu en se fiant simplement à ses bonnes intuitions. Il risquait pourtant de s’y perdre comme on l’a vu avec la prolifération des sectes. On parle aujourd’hui du vide spirituel occidental. On doit ajouter que le commun des mortels cherche à y répondre en se jetant confusément dans le nouvel-âge ou l’exotisme oriental. D’autres se tournent vers un Islam ne doutant manifestement pas de lui-même.

Vue aérienne de Rocamadour
C’est pourtant essentiellement à travers le catholicisme que la France s’est posée, au fil du temps, les grandes questions spirituelles et qu’elle a civilisé son rapport à l’absolu, qu’elle a appréhendé ce dernier. C’est d’ailleurs la vertu des grandes religions. L’homme n’accède pas au monde en se détournant de sa culture, mais en l’assumant. Plus il est enraciné et plus il risque de rencontrer la part sacrée de sa culture. On comprend aussi l’importance accordée par Sévillia à l’éducation catholique : la foi n’est pas séparable de la raison, et la doctrine, pour qui veut véritablement cheminer dans l’Église, n’est pas sans importance. Le travail d’évangélisation en est aussi un d’enseignement. Et la France, à sa manière, est redevenue terre de mission.

Une nouvelle génération de prêtres apparaît. Ils assument jusqu’à la soutane et au col romain. Ils s’investissent dans la vie publique, prennent d’assaut les médias sociaux et contestent une époque qui se veut hostile au catholicisme et le considère d’ailleurs souvent à la manière d’une opposition philosophique officielle, comme le dernier bastion d’une autre idée de l’homme à éradiquer. L’émergence de la question anthropologique, qui place au cœur de la cité le problème de la définition de l’homme, révèle les limites d’un certain individualisme libéral qui a privatisé radicalement la question du sens et qui ouvre la porte à toutes les dérives dont la théorie du genre est la plus exaspérante. À ceux qui succombent au fantasme de l’autoengendrement, le catholicisme veut rappeler que l’homme est créé. Nul besoin d’avoir la foi pour savoir cela : il suffit de méditer sur la finitude de l’homme et sur ce qui, chez lui, relève du donné. Ce n’est peut-être pas sans raison qu’en ces temps d’angoisse identitaire, la France se tourne vers sa religion première, moins pour s’y fondre, mais pour voir une source à laquelle elle doit s’alimenter. En un mot, la France catholique renaît d’abord spirituellement, mais elle n’abandonne pas la cité. Cette renaissance catholique répond aussi à la quête identitaire de la France contemporaine, qui découvre manifestement les limites du culte autoréférentiel des seules valeurs républicaines, qui pousse à la dissolution du pays dans un néant mondialisé. Ce n’est peut-être pas sans raison qu’en ces temps d’angoisse identitaire, la France se tourne vers sa religion première, moins pour s’y fondre, mais pour voir une source à laquelle elle doit s’alimenter. Peut-être est-ce d’ailleurs par la médiation identitaire que certains redécouvriront le catholicisme, non seulement comme un patrimoine de civilisation, ce qu’il est même pour les incroyants, mais comme une foi qui relève fondamentalement d’une conversion personnelle. Tout cela demeure minoritaire et Jean Sévillia ne le cache pas. 

Et bien des chiffres feront frémir ceux qui souhaitent voir le catholicisme regagner du terrain. La chute vertigineuse des vocations l’inquiète particulièrement. Il veut croire, toutefois, au pouvoir des minorités créatrices. Si on comprend bien Sévillia, c’est à partir de la marge que le catholicisme français est revenu à ses fondements, qu’il a renoué avec ce qu’il n’aurait jamais dû sacrifier.

[...]

En fait, là où plusieurs veulent voir un catholicisme crépusculaire, dont ils chanteront tristement les derniers jours, Jean Sévillia veut voir un catholicisme à l’aube de sa renaissance, comme si en renouant avec sa meilleure part, il était appelé à illuminer à nouveau le vieux monde. Jean Sévillia ne cache pas sa foi, mais jamais son livre ne semble verser dans la nostalgie de la France d’hier — ce qui ne serait pas déshonorant, par ailleurs. Cette foi non seulement assumée, mais revendiquée, sans jamais être agressive et ouverte à la pluralité des familles dans l’Église, donne d’ailleurs une profondeur particulière à son livre, qui dépasse les seules limites du grand journalisme. Jean Sévillia a éclairé et illustré comme peu d’autres une part irremplaçable de l’identité française. Chose certaine, nous sommes devant un livre magnifique vers lequel on retournera souvent. Il nous permet d’apercevoir, au-delà des formules habituelles, la richesse inouïe d’une tradition spirituelle et culturelle, qui a marqué les âmes et les paysages, et qu’un peuple ne saurait sacrifier sans se mutiler.





La France catholique
par Jean Sévillia,
chez Michel Lafon,
publié le 14 octobre 2015,
à Paris,
237 pages.  
ISBN-13 : 978-2749925936



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