mardi 24 mars 2015

ECR — « Il faut retirer le volet religieux » et... « abolir le financement public des écoles publiques »

Pour Daniel Baril, militant laïciste de longue date (ancien président du Mouvement laïque québécois, Intellectuels pour la laïcité, Association humaniste du Québec, Mouvement des Brights), s’exprimant dans les colonnes de Voir.ca :

Un aspect du jugement ne manque d’attirer l’attention du lecteur attentif : chaque fois qu’il est question du volet éthique, la Cour suprême le présente toujours comme s’agissant d’éthique religieuse. Même si ce volet est sensé [sic : censé] être indépendant du volet religieux comme le prétend la littérature des concepteurs, jamais les juges majoritaires n’abondent dans ce sens dans leur phraséologie. Plus précisément, l’éthique autre que catholique est toujours qualifiée d’« éthique d’autres religions », l’éthique humaniste demeurant invisible sous le radar.

Voici d’ailleurs comment ils présentent le cours :

« Imbrication de l’éthique à la religion

Daniel Baril
Le programme ECR a pour objectifs explicites la “reconnaissance de l’autre” et la “poursuite du bien commun”. Ces objectifs visent à inculquer aux élèves un esprit d’ouverture aux droits de la personne et à la diversité ainsi que le respect de l’autre. Pour réaliser ces objectifs, le programme ECR comprend trois volets : les religions du monde et le phénomène religieux, l’éthique et le dialogue. Ces trois volets sont censés se compléter et se renforcer l’un l’autre. » (page 6, emphase ajoutée)

Vous avez bien lu : à la lumière de son analyse du dossier, la Cour suprême conclut que le volet éthique est censé renforcer la religion alors que le volet religieux est censé renforcer l’éthique. Il y a imbrication des deux volets. Du côté de la mouvance laïque, c’est toujours ainsi que les choses ont été perçues malgré le discours officiel occultant ce biais. Cette réalité enlève toute crédibilité au cours et annule toute prétention à la neutralité.

Les trois juges dissidents estiment quant à eux que :
« Il n’y a rien d’inhérent aux objectifs du programme ECR (reconnaissance des autres et poursuite du bien commun) ou aux compétences qu’il vise à inculquer aux élèves (religions dans le monde, éthique et dialogue) qui exige que l’on adopte une démarche culturelle et non confessionnelle » (paragraphe 148).

Autrement dit, le fait qu’un enseignant oriente le contenu du cours par ses propres croyances religieuses n’empêche pas l’atteinte des objectifs du cours. Ce qui revient à dire que ces objectifs ne visent pas nécessairement la transmission culturelle et non confessionnelle du fait religieux. À moins que les juges n’aient rien compris. Mais si leur raisonnement est vrai pour une école privée confessionnelle, il l’est également pour une école publique supposément laïque. Ce cours ne met donc pas les élèves l’abri de la transmission d’une religion.

Ces trois mêmes juges estiment que l’approche non confessionnelle obligée forcerait les enseignants de Loyola, lorsqu’ils sont « confrontés à des positions qui heurtent de front la foi catholique […] à adopter une attitude de neutralité fausse et superficielle » (par. 156). Ou bien les enseignants croyants se font violence à eux-mêmes avec ce cours, ou bien les élèves ne seront pas longtemps dupes de positions non authentiques. Encore une fois, cela vaut quel que soit le statut public ou privé de l’école.

Retour en arrière

Bien qu’il ne s’applique qu’aux écoles privées confessionnelles, ce jugement risque donc d’avoir un effet psychologique non négligeable sur la posture professionnelle que peuvent adopter les enseignants de ce cours dans les écoles publiques. La pression en ce sens n’est pas qu’une vision de l’esprit. La Coalition pour la liberté en éducation, un lobby interreligieux opposé à la laïcité scolaire [c'est inexact, la Coalition lutte pour la liberté scolaire de tous, mêmes celle de M. Baril, mais pas l'imposition de ses préjugés aux autres] n’a d’ailleurs pas tardé à demander que ce jugement soit aussi appliqué à toutes les écoles publiques au nom de l’équité… envers les croyants ! (à 1 min 22 de ce reportage de Radio-Canada)

À l’Assemblée nationale, la députée péquiste Nicole Léger a pour sa part déclaré que ce jugement représentait un « retour en arrière » fragilisant la déconfessionnalisation des écoles [confessionnelles ou publiques ?] C’est en fait le cours ECR lui-même qui a marqué un retour en arrière. Ce cours n’était demandé par personne du côté des minorités religieuses et des associations laïques. Il a été imposé par le lobby catholique — héritier du Comité catholique — comme compromis visant à maintenir de l’enseignement religieux à l’école. Sous le régime confessionnel, il était toutefois possible, en principe, d’éviter l’enseignement religieux en choisissant l’enseignement moral. Ce choix n’est plus possible [La CLÉ a toujours défendu le choix des parents... ]  dû aux fondements supposément neutres du cours ECR  et tous les enfants sont maintenant soumis à un cours de promotion de l’identité religieuse.

Nous sommes ainsi revenus à la situation d’avant l’exemption de l’enseignement religieux qui prévalait dans les années 70.

Avec le cours ECR, l’État est allé jouer dans des plates-bandes qui ne sont pas les siennes, celles de l’appartenance religieuse. La seule avenue envisageable est de retirer le volet religieux de ce cours et d’enrichir le volet éthique par une approche favorisant la formation de la pensée critique. Quitte à ce que le fait religieux soit abordé dans les cours d’histoire lorsque nécessaire.

Et ultimement, abolir le financement public des écoles privées.




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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il n' a pas compris le Baril que la religion, notre anthropologie, notre métaphysique ou sous absence teinte toujours notre éthique qu'il y ait un volet "culture religieuse" ou non d'enseigné.

Vieux Phil a dit…

Daniel Baril soutient implicitement l'épistémologie évidentialiste sous-jacente au programme ECR. En un sens, Baril a raison. En effet, en vertu de l'épistémologie évidentialiste excluant toute connaissance se rapportant à l'immatérielle et au surnaturelle, le volet religieux est illégitime, surtout si l'on invoque le principe éthique de la croyance de Clifford. Mais, encore une fois, il s'agit d'une épistémologie qui a de grandes failles, et qu'il convient de remplacer par une épistémologie des vertus (défendue, en France, par Roger Pouivet, et aux USA par Alvin Plantiga notamment).