Chronique québécoise de Bock-Côté dans les pages du Figaro de Paris.
Le 6 février, la Cour suprême du Canada a autorisé « l’aide médicale à mourir ». Pour Mathieu Bock-Côté, cette décision est un pas de plus vers la déconstruction d’un tabou civilisationnel liée à la déchristianisation des sociétés occidentales et à la désacralisation de la vie qui l’accompagne.
« Il y a quelques mois déjà, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la loi sur les soins en fin de vie, qui légalisait l’euthanasie transfigurée en droit de mourir dans la dignité. Pilotée depuis plusieurs années, la loi a reçu un appui massif des élites politiques et médiatiques, témoignant pour une fois d’un vrai consensus moral autour de cette question qui, ailleurs, fâche quand même un peu. C’est désormais par un autre chemin que le Canada prend le relais et pousse plus loin la déconstruction de l’interdit moral et légal autour de l’euthanasie. La Cour suprême, vendredi le 6 février, par un jugement unanime, décriminalisait « l’aide médicale à mourir ».
Ce débat dure depuis des années et a été caractérisé par la progressive marginalisation des opposants à l’euthanasie, qui furent médiatiquement présentés comme des fondamentalistes religieux prêts à imposer leur foi à tout prix dans l’espace public. On les traita avec un mélange de respect de façade et de condescendance profonde. Le respect était nécessaire pour donner l’impression d’une proposition modérée, mais consensuelle, attentive aux arguments de chacun pour éviter une brusque rupture morale. Mais la condescendance prenait vite le dessus : ceux qui sont dans le sens de l’histoire n’ont aucune envie de s’encombrer avec les retardataires qui traînent la patte.
C’est la grande marche des droits de l’individu autonome qui se poursuit et qui se mène en brandissant l’étendard de la dignité humaine. Au fil des décennies, on a assisté à une privatisation croissante de la culture et de la morale. Il n’y a plus vraiment d’anthropologie commune sur laquelle fonder la cité, sinon, et j’y reviendrai, le culte de l’indétermination identitaire de chaque individu. Chaque homme est libre du sens à donner à sa vie, et est libre de décider à quel moment elle n’a plus de valeur. Et il est en droit, sous le régime de l’État social, de réclamer de ce dernier qu’il satisfasse sa requête de « mourir dans la dignité », en en faisant en quelque sorte l’ultime droit de l’homme : celui de quitter le monde selon ses propres termes.
Il faut entrer dans les profondeurs de l’imaginaire de notre époque pour bien comprendre les enjeux liés à la transformation de l’euthanasie en droit fondamental. L’homme contemporain est traversé par la tentation démiurgique. Il ne veut plus se soumettre à d’autres autorités que lui-même. Il veut choisir son propre nom, son propre pays, et il lui arrive même de souhaiter choisir son propre sexe.
Il se veut moins l’héritier d’un monde que le créateur de sa propre vie, qu’il absolutise, et qu’il délie de la longue chaine humaine. Pourquoi, dès lors, tolérerait-il qu’une volonté extérieure à la sienne décide de sa manière d’en finir avec la vie ?
Les différentes initiatives canadiennes cherchent à marquer le caractère exceptionnel de l’euthanasie. Mais cette prudence masque bien mal la révolution morale qui se joue sous nos yeux.
La mort n’est plus l’ultime limite existentielle, aussi mystérieuse qu’angoissante, qui donne son sens à l’existence, en l’achevant et en l’ouvrant vers l’inconnu. On ne verra dans cette méditation sur la mort qu’une mauvaise poésie vaguement chrétienne. L’euthanasie devient un acte médical comme les autres, peut-être nécessaire pour en finir avec l’extrême souffrance. La mort, en quelque sorte, se désacralise. La médecine doit s’adapter. On entend certainement encadrer l’euthanasie, la circonscrire, pour éviter les dérapages à la belge. Et il est vrai que les différentes initiatives canadiennes cherchent à marquer le caractère exceptionnel de l’euthanasie. Mais cette prudence masque bien mal la révolution morale qui se joue sous nos yeux.
Un tabou civilisationnel s’est tellement effrité qu’il n’existe plus. Dans la société gestionnaire, la mort passe désormais pour un problème à résoudre et à gérer avec le maximum d’efficacité. Les interdits moraux liés à l’anthropologie chrétienne passent pour d’exaspérants archaïsmes que chacun pourra honorer selon sa conscience, mais qui ne pourront plus s’imposer à tous. Comment ne pas penser cette révolution en lien avec la mutation des rites funéraires, qui se personnalisent, et qui ne s’ancrent plus dans une commune conception du sacré. L’homme contemporain préfère souvent la crémation à l’ensevelissement, comme s’il voulait une fin hygiénique, le corps devant se dissiper en poussière et non pas trouver une dernière demeure, où ses survivants pourraient l’honorer.
Ce que cela révèle, à travers tout cela, c’est la déchristianisation en profondeur des sociétés occidentales, qui pousse inévitablement à la désacralisation de la vie. Dans un texte paru le 31 octobre 1950 dans Le Figaro, et recueilli dans La paix des cimes, François Mauriac écrivait magnifiquement : « avouons-le : seul le chrétien est logique lorsqu’il s’interdit d’interrompre ce dernier combat entre la chair à demi-vaincue et l’âme palpitante près de surgir dans une inimaginable lumière, parce que seul le chrétien attache du prix et donne une signification à cette suprême angoisse et croit qu’elle a un témoin éternel ».
Mauriac disait de l’idée chrétienne qu’elle avait un temps survécu au christianisme vécu, mais qu’elle ne saurait longtemps marquer le monde sans l’impulsion de la foi. Il ne se trompait manifestement pas. Et nous savons bien que les dieux morts ne renaissent pas, et que si les rites qui leur étaient associés peuvent survivre un temps, ils finissent par s’assécher. Les adversaires de l’euthanasie, pour éviter de passer pour réactionnaires, évitent de transposer cette querelle sur le plan spirituel. On les comprend : nous sommes tous aujourd’hui au moins un peu libéral. Mais il n’en demeure pas moins que c’est à cette hauteur qu’elle devrait aussi se mener.
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Le 6 février, la Cour suprême du Canada a autorisé « l’aide médicale à mourir ». Pour Mathieu Bock-Côté, cette décision est un pas de plus vers la déconstruction d’un tabou civilisationnel liée à la déchristianisation des sociétés occidentales et à la désacralisation de la vie qui l’accompagne.
« Il y a quelques mois déjà, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la loi sur les soins en fin de vie, qui légalisait l’euthanasie transfigurée en droit de mourir dans la dignité. Pilotée depuis plusieurs années, la loi a reçu un appui massif des élites politiques et médiatiques, témoignant pour une fois d’un vrai consensus moral autour de cette question qui, ailleurs, fâche quand même un peu. C’est désormais par un autre chemin que le Canada prend le relais et pousse plus loin la déconstruction de l’interdit moral et légal autour de l’euthanasie. La Cour suprême, vendredi le 6 février, par un jugement unanime, décriminalisait « l’aide médicale à mourir ».
Ce débat dure depuis des années et a été caractérisé par la progressive marginalisation des opposants à l’euthanasie, qui furent médiatiquement présentés comme des fondamentalistes religieux prêts à imposer leur foi à tout prix dans l’espace public. On les traita avec un mélange de respect de façade et de condescendance profonde. Le respect était nécessaire pour donner l’impression d’une proposition modérée, mais consensuelle, attentive aux arguments de chacun pour éviter une brusque rupture morale. Mais la condescendance prenait vite le dessus : ceux qui sont dans le sens de l’histoire n’ont aucune envie de s’encombrer avec les retardataires qui traînent la patte.
C’est la grande marche des droits de l’individu autonome qui se poursuit et qui se mène en brandissant l’étendard de la dignité humaine. Au fil des décennies, on a assisté à une privatisation croissante de la culture et de la morale. Il n’y a plus vraiment d’anthropologie commune sur laquelle fonder la cité, sinon, et j’y reviendrai, le culte de l’indétermination identitaire de chaque individu. Chaque homme est libre du sens à donner à sa vie, et est libre de décider à quel moment elle n’a plus de valeur. Et il est en droit, sous le régime de l’État social, de réclamer de ce dernier qu’il satisfasse sa requête de « mourir dans la dignité », en en faisant en quelque sorte l’ultime droit de l’homme : celui de quitter le monde selon ses propres termes.
Il faut entrer dans les profondeurs de l’imaginaire de notre époque pour bien comprendre les enjeux liés à la transformation de l’euthanasie en droit fondamental. L’homme contemporain est traversé par la tentation démiurgique. Il ne veut plus se soumettre à d’autres autorités que lui-même. Il veut choisir son propre nom, son propre pays, et il lui arrive même de souhaiter choisir son propre sexe.
Il se veut moins l’héritier d’un monde que le créateur de sa propre vie, qu’il absolutise, et qu’il délie de la longue chaine humaine. Pourquoi, dès lors, tolérerait-il qu’une volonté extérieure à la sienne décide de sa manière d’en finir avec la vie ?
Les différentes initiatives canadiennes cherchent à marquer le caractère exceptionnel de l’euthanasie. Mais cette prudence masque bien mal la révolution morale qui se joue sous nos yeux.
La mort n’est plus l’ultime limite existentielle, aussi mystérieuse qu’angoissante, qui donne son sens à l’existence, en l’achevant et en l’ouvrant vers l’inconnu. On ne verra dans cette méditation sur la mort qu’une mauvaise poésie vaguement chrétienne. L’euthanasie devient un acte médical comme les autres, peut-être nécessaire pour en finir avec l’extrême souffrance. La mort, en quelque sorte, se désacralise. La médecine doit s’adapter. On entend certainement encadrer l’euthanasie, la circonscrire, pour éviter les dérapages à la belge. Et il est vrai que les différentes initiatives canadiennes cherchent à marquer le caractère exceptionnel de l’euthanasie. Mais cette prudence masque bien mal la révolution morale qui se joue sous nos yeux.
Un tabou civilisationnel s’est tellement effrité qu’il n’existe plus. Dans la société gestionnaire, la mort passe désormais pour un problème à résoudre et à gérer avec le maximum d’efficacité. Les interdits moraux liés à l’anthropologie chrétienne passent pour d’exaspérants archaïsmes que chacun pourra honorer selon sa conscience, mais qui ne pourront plus s’imposer à tous. Comment ne pas penser cette révolution en lien avec la mutation des rites funéraires, qui se personnalisent, et qui ne s’ancrent plus dans une commune conception du sacré. L’homme contemporain préfère souvent la crémation à l’ensevelissement, comme s’il voulait une fin hygiénique, le corps devant se dissiper en poussière et non pas trouver une dernière demeure, où ses survivants pourraient l’honorer.
Ce que cela révèle, à travers tout cela, c’est la déchristianisation en profondeur des sociétés occidentales, qui pousse inévitablement à la désacralisation de la vie. Dans un texte paru le 31 octobre 1950 dans Le Figaro, et recueilli dans La paix des cimes, François Mauriac écrivait magnifiquement : « avouons-le : seul le chrétien est logique lorsqu’il s’interdit d’interrompre ce dernier combat entre la chair à demi-vaincue et l’âme palpitante près de surgir dans une inimaginable lumière, parce que seul le chrétien attache du prix et donne une signification à cette suprême angoisse et croit qu’elle a un témoin éternel ».
Mauriac disait de l’idée chrétienne qu’elle avait un temps survécu au christianisme vécu, mais qu’elle ne saurait longtemps marquer le monde sans l’impulsion de la foi. Il ne se trompait manifestement pas. Et nous savons bien que les dieux morts ne renaissent pas, et que si les rites qui leur étaient associés peuvent survivre un temps, ils finissent par s’assécher. Les adversaires de l’euthanasie, pour éviter de passer pour réactionnaires, évitent de transposer cette querelle sur le plan spirituel. On les comprend : nous sommes tous aujourd’hui au moins un peu libéral. Mais il n’en demeure pas moins que c’est à cette hauteur qu’elle devrait aussi se mener.
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