vendredi 24 octobre 2014

Éric Zemmour et le Suicide français vus par Mathieu Bock-Côté et un sondage

Mathieu Bock-Côté commente la polémique Éric Zemmour dans le Figaro :

On ne le sait peut-être pas, mais le passage d’Éric Zemmour à On n’est pas couché il y a deux semaines, a beaucoup fait réagir au Québec. Et cela non pas à cause de la polémique terriblement artificielle menée par Léa Salamé, qui a absurdement cherché à transformer Zemmour, le gaulliste incandescent, en pétainiste inavoué, non plus que celle d’Aymeric Caron qui fidèle à lui-même, confond l’injure et l’analyse, et cherche davantage lorsqu’il lit un livre à l’incriminer qu’à le comprendre. C’est plutôt la réaction de l’actrice Anne Dorval, épouvantée par sa rencontre avec Zemmour, au point de ne savoir que dire devant lui, sinon qu’elle était scandalisée, et qu’un propos comme le sien était inconcevable, qui a enthousiasmé les Québécois [Note du carnet : mal informés].

C’est la société du buzz. Une vidéo de trois minutes devenue virale sur le net peut suffire à abattre un homme. Des centaines de milliers de Québécois se sont donc imaginé qu’Éric Zemmour souhaitait « jeter les homosexuels blonds à la poubelle », selon la formule de l’actrice, même si Zemmour n’a jamais rien dit de tel. L’homme devenait du coup un monstre à abattre. Pour paraphraser Orwell, Zemmour a eu droit aux 48 heures de la haine, et contre lui, on s’est déchaîné. Les médias sont rapidement passés à autre chose. Mais l’homme est désormais marqué. On l’a transformé en ennemi public. Il suffira désormais d’évoquer son nom pour susciter une clameur négative, comme s’il était l’écho d’un « populisme nauséabond » dans la médiasphère. On dira Zemmour et on suscitera la haine.

[...]

Zemmour est passé d’écrivain à phénomène social. Il convient moins de répondre aux thèses qu’il développe que de contenir son expansion, comme s’il était le symptôme d’une pathologie française. Il serait le visage de la maladie politique de la France. Faudra-t-il le mettre à l’index ? Mais on se demandera plutôt à quoi sert aujourd’hui d’écrire un livre, puisqu’on en retiendra seulement quelques phrases, sans cesse répétées, simplifiées, dénaturées, qui serviront à disqualifier à jamais celui à qui on les prête. Une œuvre se verra réduite à quelques formules et citations qu’on répétera à l’infini, en suscitant inévitablement des indignations plus ou moins calculées. Dans un livre, on ne cherchera plus le travail de la pensée, quitte à critiquer profondément la démarche et les conclusions, mais des preuves pour incriminer.

C’est à cette lumière qu’on peut comprendre la référence aux fameux dérapages qu’on ne cesse de traquer : ils consistent à s’éloigner du couloir bien balisé de la respectabilité mondaine et des opinions généralement admises.

La diabolisation d’Éric Zemmour nous force à réfléchir à la fonction de l’étiquetage idéologique. On connait les étiquettes qu’on lui colle : xénophobe, homophobe, sexiste, raciste. Ce vocabulaire relève de la psychiatrisation de la dissidence politique. On nomme phobie le désaccord avec l’époque. Ces phobies sont appelées à se multiplier, comme on l’a vu récemment avec l’invention de l’europhobie, désignant les partisans de l’État-nation en opposition à l’entreprise européenne. C’est ainsi qu’on garde pour soi la référence à la rationalité et qu’on transforme le désaccord en maladie. Si on préfère, on trace le cercle de la raison, et on s’assure que seuls les individus en conformité avec l’idéologie dominante, ou se contentant d’y apporter des nuances pourront y entrer à la manière d’interlocuteurs légitimes.

[...]
Le suicide français est un livre d’histoire. Ou si on préfère, il s’agit de la chronique d’une décadence. Zemmour cherche à comprendre ce qu’on pourrait appeler l’inversion de la légitimité politique et culturelle en France depuis cinquante ans. Comment les choses absolument désirables, comme l’indépendance nationale ou l’école méritocratique, sont-elles devenues des archaïsmes empêchant de moderniser et de mondialiser en rond ? Comment la France du général de Gaulle est-elle devenue radicalement étrangère à elle-même, même si on garde artificiellement vivante la mémoire du grand homme (tout en la nettoyant de toute aspérité idéologique) pour masquer le changement de civilisation dont nous avons été témoins, comme si nous n’assistions à rien d’autre qu’à la marche du progrès ?

[...]

Zemmour n’a pas tort d’identifier mai 68 comme le point de départ de cette révolution. Cette distinction, il l’emprunte aux thuriféraires de l’époque. On nous explique sans cesse que depuis mai 68 le monde a progressé, qu’il s’est transformé radicalement, et pour le mieux. Partout en Occident, d’ailleurs, les radical sixties [note du carnet : la Révolution tranquille au Québec] sont célébrées et commémorées. Elles cassent l’histoire en deux. Avant, l’oppression des minorités, l’écrasement des marges, l’étouffement des mœurs. Après, la libération des opprimés, la contestation des normes dominantes et l’éclosion des libertés. Avant, la France engoncée dans sa souveraineté et frileusement crispée sur son identité. Après, la France mondialisée et multiculturelle, enfin libérée d’elle-même.

Sommes-nous obligés d’embrasser cette vision ? Si la thèse du progrès est admise, celle du déclin ne devrait-elle pas être considérée paisiblement, quitte ensuite à la rejeter, parce qu’on l’aura démontée ? N’est-ce pas une règle élémentaire de la vie démocratique, la diversité des interprétations du passé alimentant un perpétuel renouvellement de la conscience historique ? Mais justement, les gardiens de la révolution soixante-huitarde ne tolèrent pas qu’on la discute. Il fallait s’y attendre : le progressisme mondialisé et multiculturel, prétendant accoucher d’un homme nouveau sans préjugés ni discriminations, est une religion politique. Ses adversaires sont considérés naturellement comme des hérétiques.

[...]

C’est ici que l’entreprise de Zemmour a un caractère explosif : il ouvre un conflit de légitimité avec le régime soixante-huitard en refusant de souscrire à sa légende. Il a ainsi décidé de marquer son désaccord le plus complet avec l’époque [...]. Il révèle surtout un clivage politique authentique, recouvert par la fausse alternative entre libéraux-sociaux et sociaux-libéral : faut-il poursuivre « l’émancipation » soixante-huitarde ou faut-il engager le réenracinement de l’homme ? Il faudrait réussir à mettre en scène ce débat sans manichéisme.

[...]


Entretemps, les Français plébiscitent la vision d’Éric Zemmour si l’on en croit un sondage récent.

Tenu à distance, comme sentant le soufre, par la plupart des politiques, de droite comme de gauche, Éric Zemmour bénéficie dans le même temps d’une large approbation des Français. Et ce avec une très forte notoriété (72 %) et malgré une image qui reste clivante (deux fois plus de « bonnes opinions » à droite qu’à gauche). « On ne saurait mieux résumer que par notre sondage, le premier à lui être consacré, le gigantesque fossé qui s’est creusé entre les Français et leurs représentants sur toute une série de sujets », décrypte Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP.

Alors qu’à droite, à l’exception du FN, on se montre si frileux sur ces questions, il se trouve respectivement 80, 87 et 93 % des sympathisants MoDem, UMP et UDI à penser, comme Zemmour, qu’« on ne peut plus rien dire sans se faire traiter de raciste ». Idem, alors que leurs partis se situent aux antipodes, pour plus de la moitié des électeurs écolos (53 %), PS (58 %) et jusqu’à… 67 % des électeurs de Mélenchon en 2012 !

Autre plébiscite pour Zemmour : comme lui, 62 % des Français estiment que « la nation française se dissout dans l’Europe, la mondialisation, l’immigration et le multiculturalisme » (plus des deux tiers à droite et près de la moitié à gauche, dont… 53 % chez les écolos). Sur l’incompatibilité de l’islam avec la République, ils sont encore près de 6 Français sur 10 (dont 38 % à gauche) à l’approuver.

À noter que, en toute circonstance et à l’instar du FN, dont les sympathisants sont les plus « zemmouristes », le polémiste « bénéficie, relève Jérôme Fourquet, d’une adhésion nettement supérieure parmi les classes populaires qu’au sein des classes aisées ». Un autre révélateur du profond décalage entre France d’en bas et France d’en haut.

« La plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est un fait » est la seule citation à ne pas obtenir une majorité d’approbations, avec quand même 45 % affirmant être « d’accord ». Dont 56 % à l’UMP, 44 % chez les électeurs de Bayrou en 2012 et 25 % — un quart — parmi ceux de Hollande.

Tous hors-la-loi ! Pour avoir prononcé cette phrase le 6 mars 2010 sur Canal +, Zemmour avait en effet été condamné le 18 février 2011 pour… incitation à la discrimination raciale alors que c’est un état de fait. Mais l’on sait qu’à notre époque la vérité n’est plus une défense (même au Canada, voir l’arrêt Whatcott).

Aucun commentaire: