L’école est une grande malade, entrée en phase chronique depuis plusieurs années. D’élection en élection, de réforme en réforme, rien n’y change. Comment pourrait-il en être autrement alors que les politiciens n’ont de cesse de vouloir faire, toujours plus, de la même chose.
Décret inscription limitant le choix d'école et laissant nombre d’enfants sur le carreau; enquête Pisa démontrant – toujours et encore – le faible niveau moyen des élèves francophones de Belgique ; taux d’échec faramineux en 1re année universitaire ; matériel désuet dans les écoles professionnelles et manque de locaux en région bruxelloise ; harcèlement moral pratiqué au quotidien dans l’enceinte scolaire ; explosion des prescriptions de Rilatine, cette forme de camisole chimique à propos de laquelle des commerciaux s’invitent jusqu’en journée pédagogique ; jeunes enseignants prometteurs fuyant l’école après quelques années de métier… la liste des maux de l’école est longue ; des maux qui se sont installés dans la chronicité. Comme cela devrait aussi être le cas dans la société. On est cependant loin de cette réalité.
Deux générations sacrifiées
Pour tenter de cerner la logique qui a prévalu à cette déliquescence de l’école, lieu qui, par excellence, devrait pourtant être celui où le politique apporte le meilleur, nous interrogeons régulièrement Marc Halévy depuis quelques années. Élève du prix Nobel Ilya Prigogine, maître en économie et docteur en sciences appliquées, il est également expert en gestion stratégique. Son analyse est décapante et vivifiante à la fois. Elle démontre – en apportant des pistes crédibles de solutions – que l’école pourrait redevenir un lieu où chacun se devrait de vivre dans le respect, dans l’épanouissement de ses talents, dans la solidarité et dans la sécurité.
Pour Marc Halévy, « [l]e système scolaire s’effondrera de lui-même, dans les larmes et dans le sang, en sacrifiant deux générations qui devront se construire toutes seules ».
Et Marc Halévy de décrire l’école – les écoles – de demain. « Pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain, l’école se doit d’abord d’être diverse et diversifiée, explique l’expert en gestion stratégique. Il y aura des écoles de génies et écoles de braves gens, des écoles des villes et des écoles des champs, des écoles des compétences et des écoles des talents, des écoles élitaires et des écoles égalitaires… Fini le moule unique, nivelé, standardisé, uniforme : la complexité et l’uniformité sont incompatibles. On n’ira plus à l’école, mais on (se) fera (de) l’école : apprendre sera une occupation permanente et décentralisée, tantôt dans une classe, tantôt dans un atelier, tantôt devant son ordinateur, tantôt dans la nature, tantôt seul, tantôt en groupe (par forcément le même tout le temps), etc. ».
Halte aux principes d’égalité et de plaisir
Marc Halévy estime qu’il faut dès lors battre en brèche deux principes : celui de l’égalité et celui qui énonce qu’apprendre doit être plaisir : « C’est ainsi que l’on fabrique des assistés !, clame-t-il. Le principe d’égalité nie idéologiquement l’existence, en tout, d’une inégalité foncière entre les humains, dès la naissance. Tout comme notre société nie la nécessité de l’effort et du rôle de la mémorisation dans les apprentissages au nom d’une tête bien faite. Mais comment ne pas être d’abord une tête bien pleine avant de pouvoir espérer devenir une tête bien faite ? Ce qui n’empêche que l’école de demain se devra de reposer sur quatre dimensions complémentaires : la dimension corporelle ; la dimension sensible intégrant la créativité, l’intuition, la sentimentalité, l’expressivité ; la dimension intellectuelle et la dimension spirituelle : philosophie, spiritualités, éthique. »
« Afin de réaliser ce virage, insiste l’expert, l’école doit aussi être libérée des carcans procéduriers, réglementaires, bureaucratiques et fonctionnaires et autres conseillers de l’ombre. Les enseignants, eux, doivent cesser de passer du statut d’étudiant à celui de professeur sans passage par la case « une autre vie que l’école ». Il n’y aura plus de place pour les planqués, plus de nominations, les enseignants seront évalués, comme dans le privé, et ne travailleront pas uniquement aux tâches d’enseignement. Cette école nouvelle sera la plus autonome possible, pilotée comme une petite entreprise privée, avec des finalités claires, des objectifs précis, des stratégies et tactiques déterminées, des budgets contrôlés au plus juste (frugalité oblige). Bref une école responsable des résultats réellement atteints en face des objectifs consciemment acceptés », conclut-il.
Les chiffres du mauvais bulletin
Un élève sur cinq accuse un retard scolaire en primaire, un sur deux en secondaire. En région flamande, environ 15 % des jeunes quittent le secondaire sans avoir obtenu de diplôme. En région wallonne ils sont 20 %. À Bruxelles-Capitale, le taux est de 30 %.
À côté de cela :
- Plus de 45.000 offres d’emploi pour des professions en pénurie restent non pourvues chaque année ;
- Il manque près de 9000 informaticiens en Belgique (étude Agoria 2012) et entre 2000 à 3000 ingénieurs.
Quand discours idéologiques et incohérences font partie du quotidien des profs…
« Notre travail est supervisé par des inspecteurs et des conseillers pédagogiques qui ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. On ne sait donc pas si le travail d’équipe que nous menons durant ces vacances pour préparer nos cours au départ d’un nouveau manuel sera ce qui est souhaité », explique ce professeur d’une école très bien cotée d’enseignement général. « On nous demande d’être très pointus au niveau des compétences et quand on arrive en délibération toutes ces exigences s’envolent : il faut faire réussir un maximum d’élèves même si les compétences ne sont pas acquises », déplore ce professeur d’une école à discriminations positives.
Le défi du multiculturel
Autre sujet particulièrement brûlant, celui de l’intégration. « Quand j’ai commencé à enseigner en 1978, la psychologue nous demandait de ne pas mettre de remarques dans le journal de classe des élèves maghrébins au motif que les mères seraient battues par leur mari, parce que responsable de l’éducation des enfants », explique cette enseignante. Aujourd’hui, on nous demande de faire réussir les filles, quels que soient les résultats, parce que sans cela elles seront battues par leur père ou par leur frère. »
« Les parents immigrés nous taxent de racisme dès que l’on fait une remarque à leur enfant. On a beau leur dire que dans une classe où il y a 80 % d’étrangers, la probabilité est forcément plus élevée de faire des remarques à un non belge, ils ne veulent rien entendre. Un papa m’a ainsi un jour menacée de me couper la tête, en joignant un mouvement de la main à la parole », raconte ce professeur. D’autres témoignent : « Certaines écoles deviennent des lieux de non-droit pour les élèves belges : les filles habillées à la mode se font traiter de putains par les élèves musulmanes, et les garçons autochtones sont sous l’emprise de caïds allochtones [immigrés] qui n’hésitent pas à rameuter leurs bandes pour leur rappeler qu’ils sont les maîtres à bord. » « Les demandes de repas halal, les dérogations pour la piscine et le cours de gym, les pressions pour l’introduction d’un cours de religion islamiste… chez nous, ça ne prend plus : on rappelle aux parents que l’école dont ils viennent de pousser la porte pour une demande d’inscription est une école catholique qui défend certaines valeurs », explique ce directeur d’une école à discriminations positives.
Source (remaniée)
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