jeudi 19 décembre 2013

Russie — la démographie expliquerait-elle le retour au conservatisme ?

Moscou rejette le mariage homo­sexuel, au nom de l’avenir. Les raisons sont éthiques, poli­tiques et démo­graphiques. Explications de la présidente de la com­mission de la famille à la Douma (Diète) interrogée par Valeurs actuelles.

Les Russes ont suivi de près l’intense débat franco-français du prin­temps dernier sur le mariage homo­sexuel.

Présidente de la commission de la famille à la Diète, la Chambre basse du Parlement russe, Éléna Borisovna Mizoulina reconnaît le vif intérêt de son pays pour ce sujet : « Oui, on s’est posé beaucoup de questions sur vos lois, car nos deux pays ont signé un accord sur l’adoption. On ne voulait pas que nos enfants en pâtissent. » L’enfant adopté en Russie conserve en effet la nationalité russe, au moins jusqu’à ses 18 ans. Pendant cette période, les autorités russes exigent même des « rapports de suivi » : « Il n’y a pas de problème pour les enfants adoptés par des couples traditionnels, un homme et une femme, poursuit Mme Mizoulina, mère de deux enfants. En revanche, nous ne sommes pas d’accord sur votre loi promariage homo. La Russie n’accepte pas ce type de mariage, encore moins le fait que ces couples puissent adopter un enfant. »

En 2011, lorsque l’accord d’adoption franco-russe fut signé, la loi française autorisant le mariage homosexuel n’existait pas. Seuls étaient concernés les couples hétérosexuels. Votée en juillet dernier par 444 députés sur 450 et avec le soutien de 89 % de la population, la nouvelle loi russe interdit donc l’adoption aux familles homosexuelles, aux couples non mariés, aux célibataires.




Au même moment, 116 célibataires français étaient en attente d’adoption en Russie.

Le pays assume sans complexe sa défense de la famille traditionnelle (un homme et une femme). « Bâtie entre un homme et une femme, de génération en génération, la famille est sacrée dans la culture russe », rappelle Mme Mizoulina.

Ce choix justifie aussi l’interdiction désormais légale de toute forme de propagande en faveur de « relations sexuelles non traditionnelles » (homosexuelles) auprès des mineurs. Les amendes prévues sont doublées et un nouveau projet de loi prévoit de retirer leurs droits parentaux aux personnes ayant des relations homosexuelles.

La défense de la famille et la défiance devant l’homosexualité militante sont jugées vitales à l’heure où la Russie subit un affaissement démographique sans précédent. « Oui, c’est un problème grave pour notre avenir, reconnaît me Mizoulina. Il nous manque environ un million d’enfants par an. Ce n’est pas en facilitant les familles homosexuelles qu’on réglera ce problème. Seule la famille traditionnelle peut nous aider à résorber ce déficit démographique. »

Ce chantier familial est une priorité de Poutine. À peu près seul parmi les chefs d’État des grandes puissances, il défend la famille, pilier naturel de toute société, et rejette le prétendu « mariage pour tous » à la socialiste française, qui menace cet ordre naturel. « C’est un suicide social », a dit aux Russes François Légrier, le président du Mouvement catholique des familles, invité à témoigner devant la Diète de l’engagement de nombreux jeunes Français pour la défense de l’institution familiale.

« C’est un suicide démographique, car l’homosexualité, c’est l’infécondité ; un suicide moral, car l’individu qui ne sait d’où il vient ni où il va ne sera qu’un révolté, n’ayant à aimer ni famille ni patrie. »

Les députés russes ont applaudi et confié leur déception devant le choix de la France. Ils soulignent que leur défense de la famille est liée à leur volonté de redressement démographique de la Russie autant qu’à la restauration morale et spirituelle de leur pays. Vingt mille églises y ont été reconstruites en quinze ans, parfois à l’identique, à l’exemple de la porte de la Résurrection et sa célèbre petite chapelle, au pied même du Kremlin, qui avaient été détruites sur ordre de Staline, en 1931.



Bilan démographique

Hausse de la natalité, baisse de la mortalité, augmentation de l’espérance de vie : la période propice à la reproduction naturelle de la population touche à sa fin en Russie, écrit mercredi le quotidien Vedomosti.

Les démographes tirent la sonnette d’alarme : si la tendance actuelle se maintenait, la population russe retomberait à 130 millions d’habitants à l’horizon 2030 et à 100 millions d’ici 2060. Certaines estimations sont encore plus pessimistes – 120 millions d’habitants d’ici 2030 et une division par deux de la population d’ici 2060 pour atteindre 70 millions.

Tels sont les résultats du rapport « Sera-t-il trop tard dans 10 ans ? La politique démographique de la Fédération de Russie : défis et scénarios ». La Russie a donc besoin d’une nouvelle politique pour « préserver le peuple », qui sera loin de se limiter à un soutien social.

Le rapport actuel entre la population apte à travailler et les retraités, de 2,8/1, chutera à 2/1 d’ici 2030 selon les prévisions de l’agence russe des statistiques Rosstat, voire jusqu’à 1,6/1 selon certains experts, entraînant une charge supplémentaire pour le budget, les employeurs et les employés.

L’immigration ne permettra probablement pas de sortir du trou démographique. En effet les auteurs du rapport soulignent que dans les pays d’Asie centrale, la natalité est en baisse ces dernières années. En particulier en Ouzbékistan où, après une augmentation au milieu des années 2000, selon les informations officielles, le nombre de naissances a baissé de 652 000 en 2009 jusqu’à 625 000 en 2012. Le nombre d’enfants par femme se réduit également.

Un ensemble de mesures est nécessaire pour préserver la population, avant tout une amélioration de la qualité des services médiaux et la réduction de la mortalité. La mortalité infantile en Russie en 2012 était de 8,6 pour 1 000 naissances. En descendant au niveau de la Lituanie ou de la Pologne (4,9 et 5,9), sans parler de l’Estonie (3,5), la Russie sauverait chaque année entre 60 000 et 80 000 vies.

Selon les autorités, il faudrait également réduire le nombre d’avortements (1,1 million en 2012). Une prévention à grande échelle des maladies cardiaques pourrait également avoir d’importants résultats, sachant qu’elles provoquent 2 à 3 fois plus de décès en Russie que dans la majorité de pays européens. Autres solutions : renforcer le contrôle de l’accès aux spiritueux et la sécurité routière.

Ces deux derniers facteurs sont la cause d’une mortalité élevée en Russie parmi les hommes aptes à travailler. Ces mesures permettraient de maintenir la population russe à hauteur de 130 millions d’habitants d’ici 2060.

Pour cela, il est nécessaire de faire passer le financement de la santé au même niveau que les ex-républiques socialistes. Actuellement, les dépenses de la Russie pour la santé (2 450 milliards de roubles en 2013, soit 55,6 milliards d’euros) représentent 3,6 % du PIB. Il est prévu de les réduire jusqu’à 3,2 % d’ici 2016. À titre de comparaison, la Pologne et l’Estonie consacrent à la santé 4,7 % du PIB, pour 4,5 % en Lituanie et 5,7 % en République tchèque.

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