mardi 3 mai 2011

ECR en Cour suprême — Mémoire du Regroupement chrétien pour le droit parental en éducation

On trouvera ci-dessous la partie centrale du mémoire du  Regroupement Chrétien pour le Droit Parental en Éducation soumis à la Cour suprême dans le cadre du procès qui se tiendra le 18 mai à Ottawa. Cette partie devait tenir en dix pages.

PARTIE I – EXPOSÉ CONCIS DE SA POSITION

1. Le Regroupement Chrétien pour le Droit Parental en Éducation1 (“RCDPE”)1 soutient la position des parents appelants qui sollicitent, pour leur enfant, l’exemption du programme Éthique et culture religieuse (“ECR”) obligatoire dans toutes les écoles du Québec, tant publiques que privées.

PARTIE II – EXPOSÉ CONCIS DES QUESTIONS EN LITIGE

2. Notre exposé se penche sur deux questions :

A. une critique du programme ECR, exposant ses atteintes à des libertés fondamentales;

B. l’autorité parentale, et son lien direct avec le droit et le devoir d’éducation des parents.

PARTIE III – EXPOSÉ CONCIS DES ARGUMENTS

A. CRITIQUE DU PROGRAMME ECR

3. Le programme ECR a été produit en première instance sous la cote P-19 pour l’école primaire, et P-20 pour le secondaire. Les pages entre parenthèses, dans le présent mémoire, réfèrent à ce programme, tel qu’intégré et paginé dans le volume V du Cahier des appelants.



Le programme ECR n’est PAS « NEUTRE »

4. Le Procureur général semble désormais le seul à prétendre que le programme ECR est « neutre ». Le jugement de première instance n’utilise pas les mots « neutre » ou « neutralité » à l’égard du programme. Même les défenseurs du programme reconnaissent que ce n’est pas le cas. Pierre Lucier, professeur au Département de sciences des religions de l'UQAM, commente ainsi :

Il faut le redire : le programme "Éthique et culture religieuse" ne se meut pas dans la neutralité. Ce n'est pas parce qu'il n'est pas confessionnel qu'il n'affirme ou ne "confesse" rien.2
Dans les motifs au soutien de leur demande de révision, les parents appelants ont porté à l’attention de la Commission scolaire intimée que le responsable du cours ECR au ministère de l’Éducation, Denis Watters, avait reconnu publiquement : « Ce n’est pas un programme neutre, et je le dis haut et fort : ce n’est pas un programme neutre »3, et que le Mouvement laïque québécois entretenait « de sérieux doutes quant à la capacité de l’enseignant de demeurer complètement neutre sur ces questions »4. Les experts des parents appelants en arrivent au même constat de non-neutralité (Expertises Durand5 et Mascré6).

ECR : un programme IDÉOLOGIQUE

5. Le programme ECR ne cherche pas tant à transmettre des « connaissances » qu’à développer des « compétences ». Le contenu est secondaire, voire accessoire, tel que l’expert du Procureur général, le philosophe Georges Leroux, le reconnaît :
Dans l'univers très riche des programmes formulés selon des compétences, nous ne travaillons pas à partir de contenus prédéterminés : les jeunes ne recevront pas dans ce programme des connaissances encyclopédiques sur telle ou telle religion, ou doctrine morale.7
Pour le professeur Lucier, « il ne s’agira pas davantage d’un enseignement de type encyclopédique sur le contenu ou l’histoire des doctrines et des traditions religieuses »8.

6. Ce qui est attendu de l’élève n’est pas la maîtrise de connaissances. ECR vise plutôt « l’adoption d’attitudes et de comportements » (p.737, p.826)9. Le programme prescrit que l’enseignant doit évaluer « des comportements observables ou des actions attendues chez l’élève qui témoignent du niveau de développement des compétences » (p.725, p.816).

7. Pour le professeur Lucier, cette compétence est liée aux objectifs sociaux et visées éducatives 10 du programme qui consistent à « favoriser la construction d’une véritable culture publique commune » (p.713, p.804) à la fois sur le plan religieux et sur le plan éthique.

8. Le Rapport Proulx donne une indication sur la visée sociale, quant au volet religieux:
L’un des moyens de développer l’ouverture et la tolérance à l’école est d’initier l’élève aux différentes cultures et aux différentes religions et de les présenter comme des manifestations de l’esprit créateur humain, tout aussi légitimes que la sienne.11

9. Sur le plan éthique, le but du programme ECR est, selon Leroux, de « faire passer chaque jeune de la constatation du pluralisme de fait à la valorisation du pluralisme normatif »12 :
Le pluralisme (…) invite à constater qu'historiquement, elle (la morale rationnelle) n'est pas disponible et à tenir compte de la pluralité pour enrichir l'éthique. C'est en ce sens que les théoriciens parlent d’un pluralisme normatif, une expression qui désigne le fait que la pluralité des normes et des valeurs doit servir de critère pour la réflexion éthique.13

ECR : un programme RELATIVISTE

Relativisme dans le volet ÉTHIQUE

10. Leroux dévoile ainsi la conception évolutive et variable que le pluralisme normatif a de l’éthique : une conception philosophique particulière de ce qui est bon ou mauvais.

11. Cette position est discutable. Leroux reconnaît lui-même qu'il s'agit d'une philosophie parmi d'autres. Que l'on y adhère ou non, une chose est irréfutable : ce point de vue particulier est présenté comme le seul à inculquer à tous les jeunes Québécois, sans possibilité d’exemption.

12. Plus grave, cette éthique évolutive exclut à dessein la foi et la révélation divine comme sources d'absolu en matière religieuse et morale, alors que pour un chrétien, la raison est étayée, dans la discussion éthique, par la foi. « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité » écrit Jean-Paul II14. ECR évacue les concepts de vérité, de bien et de mal. L’éthique d’ECR est fondée sur une vision matérialiste de l’humain (p.757-753), radicalement opposée à la vision chrétienne qui tient compte de la nature transcendante de l’humain et de ses fins dernières.

13. En pratique, pour tout sujet abordé en classe de primaire ou secondaire d'ECR, cette philosophie pluraliste normative ne se distingue pas du relativisme. Devant toute question éthique au programme sur laquelle il n’y a pas consensus, aucune opinion ne pourra être considérée comme plus valable que les autres. Or, le programme ECR se penche sur de nombreuses questions épineuses : « Dans un cas comme dans l’autre la situation devra être porteuse de tensions ou de conflits de valeurs » (p.727, p.818) afin de faire ressortir le besoin de créer ensemble les valeurs qui « favorisent le vivre-ensemble » (voir les attentes de fin de cycle en éthique, mais aussi en culture religieuse et en dialogue, p.729 à 741).

14. La comparaison, d’abord de « règles de vie en famille » (p.753), puis de « normes » ou « valeurs » de communautés ou de religions distinctes (p.755), et au secondaire la confrontation entre différentes conceptions de « liberté » (p.839), d’ « ordre social » (p.840) ou de « justice » (p.842) amènera le jeune à débattre d’enjeux non résolus dans la société tels que « le clonage humain, l’eugénisme, le suicide, la peine de mort, l’euthanasie, l’avortement, etc. » (p.842) et à « à remettre en question (…) l’ordre social et les lois. » (p.840).

15. Cette « construction commune collective », sera gérée par des règles strictes de dialogue, où le jeune devra « questionner » ses « jugements de préférence », « de prescription » ou « de valeur » (ainsi que ceux des autres) et privilégier les « jugements de réalité » issus de l’observation « dans les faits » (p.769-770). Tout en évaluant constamment les justifications, à travers différentes formes de dialogue, dont la « délibération » dès le primaire, le jeune doit rechercher le « consensus » dans le groupe (voir définitions et conditions de dialogue, p.766).

16. Cependant, selon Leroux lui-même, ce consensus est impossible sur des sujets épineux: « Il paraît, en tout cas, à ce jour, impossible d'obtenir ce qu'on pourrait appeler un principe éthique pour régler des questions aussi graves. »15 Pourtant, ECR au secondaire regorge de questions porteuses de conflits de valeurs. Devant cette diversité irréconciliable, on fera comprendre au jeune que la question n’a pas de solution convaincante. En fonction des types de dialogue, de la dynamique de la classe, de la personnalité du professeur et de l’enfant, on arrivera à des « consensus » variés. Ses propres valeurs remises en question, le jeune est vulnérable à la position la plus populaire dans le groupe. S’il ne cède pas à ce mimétisme, il reste avec des points de vue contrastés et irréconciliables auxquels il est sommé de rester « ouvert » (conditions obligatoires du dialogue, p.766). Le résultat est le relativisme des valeurs, sans principes directeurs ou absolus.

17. L’adoption d’une posture relativiste affectera les choix moraux des jeunes, leur attitude envers l’autorité, les normes et les lois et influencera les actions qu’ils vont privilégier. Car, dès le primaire, le jeune « privilégie les actions favorisant la vie de groupe en fonction du vivre-ensemble » (p.730, p.789, p.873) et au secondaire, il est de plus en plus poussé à « envisager des actions ou des options » (p.788, p.841, p.872) en fonction des valeurs qui se dégagent du groupe. Un exemple prégnant où le mimétisme et le relativisme peuvent influencer l’agir adolescent est celui des relations sexuelles et amoureuses, traité dans quelques thèmes (p. 840, 844, 845, 847).

18. Une précision essentielle, capitale s’impose ici. Cette « ouverture », ce « comportement », cette « compétence » que le programme ECR entend développer chez l’élève n’est pas au premier chef l’ouverture à l’égard de toute personne, objectif louable corroboré par la morale chrétienne, mais plutôt l’ouverture à l’égard de toutes idées, normes, valeurs, ou croyances.

19. Le pluralisme d’une société ne justifie pas que l’État doive imposer à chaque enfant québécois la diversité des repères et la pluralité des normes. Car si l’État est pluraliste, c’est pour permettre la coexistence respectueuse et harmonieuse de personnes qui considèrent leurs valeurs et leur foi comme des principes premiers dans leur vie, et non pour faire de chacune d’elles des pluralistes normatifs, des personnes moins ancrées dans leur religion ou philosophie de vie. Il est d'ailleurs paradoxal que les adeptes du pluralisme normatif, doctrine qui valorise la diversité, désirent uniformiser la société en imposant une approche unique de l’éthique et de la diversité religieuse à tous les élèves, en refusant toute exemption.

20. Ainsi, en voulant faire de chaque élève un « pluraliste » et un « relativiste », par le fait même, le programme ECR tue le véritable pluralisme. Ce paradoxe, inhérent à l’imposition obligatoire du cours, avait été anticipé par Claude Ryan, ancien ministre de l’Éducation, qui commentait ainsi le Rapport Proulx, dont le programme ECR est l’aboutissement :
 L'autre approche, dont le Rapport Proulx fournit un exemple (…) pourrait facilement conduire à des formes de conformisme idéologique et de timidité politique qui pourraient s'avérer plus asphyxiantes pour la pleine réalisation de la liberté dans une société pluraliste que l'approche pragmatique. 16

Relativisme dans le volet CULTURE RELIGIEUSE

21. Si le programme ECR n’impose pas aux élèves l’adhésion à une croyance religieuse, il leur impose de souscrire à une vision philosophique : le relativisme. Pour le relativisme, tout se vaut : « À chacun sa vérité ! ». C’est la « doctrine d’après laquelle les valeurs (morales, esthétiques) sont relatives aux circonstances (sociales, etc.) et variables »17. Le professeur Lucier reconnaît que le programme ECR en est empreint:
(l’élève y) prend ainsi inévitablement une certaine distance par rapport à son expérience (…). Cela, à n’en pas douter, « relativise » les choses, qui sont ainsi situées dans la pluralité : le vivre-ensemble n’est pas possible autrement. On doit le dire en toute transparence : cette « relativisation » est explicitement visée par le programme Éthique et culture religieuse et on ne doit surtout pas s’en excuser!18
22. L’enfant est exposé, semaine après semaine, pendant dix (10) années à une diversité religieuse et morale sans cesse valorisée lors de chacun des thèmes et sous-thèmes prévus au programme. L’enseignant doit encourager la « prise de conscience » que les religions ont, toutes, les mêmes éléments qui peuvent varier dans leurs diverses manifestations (voir les « indications pédagogiques » par thèmes, p.759-764 et p.844-848). ECR interdit de présenter chaque religion dans son ensemble cohérent, de façon séquentielle :
Tous les thèmes et éléments de contenu [du volet culture religieuse] ne doivent pas faire l’objet d’un traitement linéaire ou séquentiel, mais doivent être envisagés en interrelation. (p.758, 843)
L’enseignant doit n’en présenter que des caractéristiques fragmentées et dispersées à travers le programme, toujours en juxtaposition et en contraste avec celles d’autres religions ou convictions philosophiques, telles que l’athéisme ou l’agnosticisme (p.847). Lors de chacune de ces mises en comparaison, l’élève doit « manifester de l’ouverture et du respect à l’égard de ce qui est exprimé » (p.766) et non seulement à l’égard de la personne qui l’exprime. Il doit aussi accueillir « différentes façons de penser » (p.735, 736, 766, 775, 789, 821, 824, 859, 873).

23. L’élève qui assimile vraiment cet enseignement adhère au relativisme, puisque ses croyances ne lui apparaissent ni plus vraies ni moins vraies que celles des autres. Alternativement, le jeune peut devenir « neutre » ou indifférent par rapport à la croyance religieuse en général, puisqu’aucune vérité n’est manifeste. Le programme ECR vise l'harmonie sociale, mais il entend y arriver en altérant ou en évacuant les convictions morales et religieuses.

24. Ce traitement morcelé et superficiel des religions entraîne des distorsions dans la représentation de toutes les religions, distorsions reproduites dans les manuels d’ECR pour élèves. Ce nivellement donne l’impression que les religions sont équivalentes. Il ne s’agit pas là d’un portrait objectif de la religion, de leur essence et des valeurs complexes qui les sous-tendent.

25. L’effet est frappant quand on consulte les manuels du primaire : les récits religieux historiques comme Noël (sans explication sur le fondement spirituel) côtoient des récits animaliers (le réveillon des souris !)19 et des contes autochtones clairement mythiques. Cette banalisation, cette réduction de la religion à la dimension humaine festive et l’omission de la dimension transcendante renforce le message qu’il n’existe pas d’absolu, de vérité religieuse, que les croyances sont interchangeables, aléatoires, d’égale valeur et relatives. Ces juxtapositions sont légion dans les exemples du programme : récit d’Abraham comparé au récit de Glouskap (p.759), Pâques à la fête des Mères (p.759), Jésus au guru Nanak (p.763). Cette approche phénoméniste discrédite le christianisme et mène à l’inculture religieuse.

26. Il est de connaissance judiciaire que le relativisme est incompatible avec la foi catholique, tel que le rappelle la Déclaration « Dominus Iesus » du 6 août 2000, émanant du Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Joseph Ratzinger, selon laquelle la foi chrétienne n'enlève rien à la considération respectueuse et sincère de l'Église pour les religions du monde, mais en même temps, elle exclut radicalement la mentalité indifférentiste imprégnée d'un relativisme religieux qui porte à considérer que « toutes les religions se valent ».20

ECR : une INTRUSION dans la vie privée et la vie de famille

27. Il y a immixtion dans la vie privée et familiale du jeune d’âge mineur par l’obligation pour les enfants de mettre en commun leurs « sentiments » (p.776, 793, 814, 860, 877). L’enseignant doit aussi « prendre appui sur l’expérience quotidienne des élèves par rapport à ce qu’ils sont et à ce qu’ils vivent » (p.746, 751, 777, 784, 861, 868). Le programme ECR prescrit à l’enseignant une démarche intrusive :
Prendre appui sur le fait que les premiers contacts des enfants avec les fêtes se vivent généralement dans la famille pour amener chaque élève à en explorer l’expression dans sa propre cellule familiale et dans celle des autres. (p.759, 779, 784, 863, 868)
28. Non seulement l’enfant doit-il dévoiler en groupe ce qui se vit en famille, ce qu’il ressent ou croit en son for intérieur, il doit également soumettre ce vécu au jugement critique des autres.

Dès le primaire, l’élève doit se questionner sur les « jugements de prescription » et « de valeur » et les « arguments d’autorité » (pp.769-770) qu’il apporte. Par cette constante remise en question des valeurs et croyances reçues des parents ou de sa communauté religieuse, l’enfant est appelé à s’éloigner de l’influence parentale et à déterminer en groupe, avec ses pairs, les attitudes, valeurs et actions qui sont appropriées. Leroux le résume ainsi :

Nous voulons mettre à la place des anciennes orthodoxies et des anciens pouvoirs un nouvel exercice de la pensée et de la parole, et nous pensons que cet idéal du dialogue démocratique est la réponse la mieux ajustée aux défis du pluralisme émergeant. 21 (nos soulignements)

29. Nous soumettons respectueusement qu’une telle invasion dans la vie du jeune porte atteinte au « droit au respect de sa vie privée », protégé par l’article 5 de la Charte québécoise22 et qu’elle constitue une « immixtion » contraire aux droits de l’Homme :
Article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance (…). Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

ECR : un programme COERCITIF

30. Le programme ECR est coercitif parce que:
  1. il impose une méthode de réflexion fondée sur le pluralisme normatif et le relativisme;
  2. il oblige le jeune à exposer son vécu (personnel et familial), ses sentiments et ses positions personnelles en matière de foi et de morale;
  3. il l’oblige à remettre en question ses sentiments, ses convictions morales et religieuses;
  4. il l’oblige à les soumettre à la réévaluation en classe avec et par ses pairs;
  5. le jeune est contraint d’être évalué dans des «Situations d’Apprentissages et d’Évaluation»23 sur ses attitudes et comportements face à la diversité morale et religieuse.
31. Cette coercition enfreint la liberté de conscience et de religion du jeune, ainsi que son droit à la vie privée, et mine le lien parent-enfant. Enfin, cette coercition entrave la structuration de son identité et son cheminement spirituel et le projet éducatif chrétien de ses parents.

32. L’imposition d’un programme concernant les valeurs morales, religieuses et philosophiques du jeune et de ses parents, sans possibilité d’exemption, est elle-même coercitive.

33. Il est clair que l’Église catholique recommande aux parents de ne pas mettre en péril la foi de leurs enfants en les exposant à une formation contraire à leurs convictions :
En outre, les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de fréquenter des cours scolaires ne répondant pas à la conviction religieuse des parents.24

B. LES PARENTS : PREMIERS ÉDUCATEURS DES ENFANTS, NON L'ÉTAT

34. Le premier responsable de l’éducation de l’enfant n’est pas l’État : c’est le parent. Selon le Code civil du Québec25, l’éducation est un attribut de l’autorité parentale. En droit civil, l’éducation est à la fois un droit et un devoir pour le parent : art. 599 et 605 CCQ.

35. L’enfant n’est pas sous l’autorité de l’État, mais sous l’autorité de ses parents : art. 598 CCQ. Au Québec, le parent n’a pas l’obligation de déléguer l’éducation de son enfant à un tiers (art. 601 CCQ & art. 51 de la Loi d’interprétation26).

36. Le rôle de l’État est de soutenir le parent dans sa tâche d’éducateur, et non de se substituer à lui. Lorsque le parent choisit de déléguer en partie l’éducation de son enfant à un tiers, il n’aliène pas, au profit de l’État, son autorité parentale. Juridiquement, le professeur n’est pas un mandataire de l’État, mais un titulaire momentané de l’autorité parentale : art. 601 CCQ.

37. Ces principes de droit interne sont en accord avec les Conventions internationales auxquelles le Canada a adhéré, notamment l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme27, et l’article 18 de la Convention internationale des droits de l'enfant 28.

38. Ils convergent également avec les préceptes de la communauté de foi des parents demandeurs. Le Code de droit canonique 29, promulgué en 1983, édicte que :
Canon 799 : Les fidèles s'efforceront d'obtenir que, dans la société civile, les lois qui régissent la formation des jeunes assurent, dans les écoles elles-mêmes, leur éducation religieuse et morale selon la conscience des parents.

Le Pape Jean-Paul II dans Familiaris Consortio (§40) affirme que « le droit des parents au choix d'une éducation conforme à leur foi doit être absolument assuré ».30

Le point de vue copte

39. Le RCDPE compte en son sein une association copte31. Les Coptes, ou Chrétiens d’Égypte, sont la minorité chrétienne la plus nombreuse (12 millions) en pays musulman. Discriminés et persécutés dans leur pays d’origine, à cause de leur foi, ils ont choisi le Canada et le Québec, qu’ils voyaient comme un havre de respect des droits de la personne. Alors que leurs enfants étaient obligés d’assister au cours de religion musulmane, dans les écoles publiques en Égypte, les parents coptes étaient rassurés par la possibilité de leur faire suivre un cours de religion chrétienne dans les écoles du Québec, jusqu’en 2008. Profondément déçus de la suppression de ce droit, ils sont consternés de l’obligation désormais imposée à leurs enfants de fréquenter le nouveau cours ECR. Les coptes orthodoxes ne partagent pas l’idéologie véhiculée à travers ce programme imposé de force. Ils ont choisi un Québec accueillant aux autres croyances. Par contre, ils ne peuvent accepter que l’on relativise la valeur de leur foi dans une sorte de catalogue d’idéologies, ni que l’on en minimise sa profondeur en la résumant à de simples rituels, tout bonnement comparatifs. Ayant fui la persécution religieuse dont ils sont victimes en Égypte, ils tiennent à l’exercice entier de la liberté la plus précieuse dont ils jouissent depuis leur arrivée au Canada, la liberté de religion, ce qui inclut pour eux le droit de pouvoir éduquer leurs enfants en conformité avec leurs convictions religieuses, sans interférence de la part de l’État.

PARTIE IV: ARGUMENTS RELATIFS AUX DÉPENS

40. Le RCDPE ne demande aucun dépens, ni en sa faveur, ni à son encontre.

PARTIE V : ORDONNANCE DEMANDÉE

41. Le RCDPE soumet respectueusement que le caractère obligatoire du programme ECR empiète sur l’autorité parentale, telle que reconnue notamment au Code civil du Québec, et porte atteinte à la liberté de conscience et de religion et à la vie privée. C’est pourquoi le présent appel devrait être accueilli et l’exemption du programme ECR, accordée. Le RCDPE est d’avis que ce programme ne devrait pas être obligatoire dans les écoles publiques du Québec. Le RCDPE requiert la permission de présenter une argumentation orale à l’audition.

LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS, ce 29e jour d’avril 2011




1 Le Regroupement Chrétien pour le Droit Parental en Éducation ("RCDPE") est composé de quatre (4) associations distinctes qui
unissent leurs voix pour soumettre une argumentation commune au soutien du présent appel, à savoir : 

APCQ Association des Parents Catholiques du Québec 
ACCOM Association de la Communauté Copte Orthodoxe du Grand Montréal 
CCRL Catholic Civil Rights League/ Ligue catholique des droits de l’homme 
FFA Faith and Freedom Alliance

2 LUCIER, Pierre. "L’approche culturelle du phénomène religieux"dans Éthique publique, vol. 10, n° 1, printemps 2008, Éditions Liber, page 159. Cahier des sources de l’intervenant RCDPÉ, p. 39 

3 Pièce P-9, page 26, §83, Dossier des Appelants, VOL IV, p.540.
 
4 Pièce P-9, page 25, §80, Dossier des Appelants, VOL IV, p.539.
 
5 Expertise de Guy Durand, Pièce P-24, pp. 6 & 10, Dossier des Appelants, VOL VI, p.999 & 1003;
 
6 Expertise de David Mascré, Pièce P-26, p. 16, Dossier des Appelants, VOL VII, p.1066.

7 LEROUX, Georges, «Orientation et enjeux du programme d’éthique et de culture religieuse». Formation et profession, mai 2008, p. 8 Cahier des sources de l’intervenant RCDPÉ, p.23


8 LUCIER, Pierre. « Le programme Éthique et culture religieuse : éléments d’analyse praxéologique », dans Béland, Jean-Pierre et PierreLebuis (dir.). Les défis de la formation à l’éthique et à la culture religieuse. Québec : PUL, 2008, p. 24, Cahier des sources de RCDPÉ, p.49. 

9 Tel qu’indiqué ci-haut au paragraphe 3, les pages figurant entre parenthèses dans le corps du présent mémoire réfèrent au programme ECR tel que paginé dans le Dossier des appelants, Volume V

10 LUCIER, Pierre, Ibid, p. 20, Cahier des sources de l’intervenant RCDPÉ, p.36  

11 Pièce PGQ-6, Rapport Proulx, p.90, Dossier du PGQ, vol. IV, p.97. 


12 Leroux, Georges, Éthique et culture religieuse : Arguments pour un programme, Montréal, Fides, 2007, pp. 13-14, Recueil de Sources des Appelants Vol. II Onglet 43, pp. 500-501 

13 Expertise de Georges Leroux au procès, Pièce PGQ-33, p.22, Dossier du PGQ, vol. XII, p.136 


14 JEAN-PAUL II, Encyclique "Fides et ratio" sur les rapports entre la Foi et la Raison, Cahier des sources d’intervenant RCDPÉ, p.20


15 Interrogatoire de Georges Leroux au procès, 13 mai 2009, Dossier du PGQ, vol. II, p.29.

16 RYAN, Claude, "La religion et l'école dans une société pluraliste - Le Rapport Proulx et l'avenir de la dimension religieuse dans le système du Québec", (1999/2000) 30 R.G.D. 217-238, p. 238, Recueil de Sources des Appelants Vol. II Onglet 53, p.610.  

17 Dictionnaire Le Petit Robert, 1993, page 1916. 
18 LUCIER, Pierre. "L’approche culturelle du phénomène religieux"dans Éthique publique, vol. 10, n° 1, printemps 2008, Éditions Liber, page 159. Cahier des sources d’intervenant RCDPÉ, p.39

19 Pièce P-22, Manuel "Près de moi" utilisé en 1ère année, pages 38 à 46, Dossier des Appelants, VOL VI, pp. 920-928.
 
20 Déclaration "Dominus Iesus" du 8 aoùt 2000 de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, §22, Cahier des sources du RCDPÉ, p.12

21 LEROUX, Georges, cité dans l’expertise P-26 de David Mascré, page 5, Dossier des Appelants, VOL VII, p.1055.

22 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 5.
 
23 L’acronyme « SAE » est utilisé dans le programme pour désigner ces «Situations d’Apprentissages et d’Évaluation» (p.719)
 
24 Pièce P-40, Déclaration « Dignitatis Humanae » du Concile Vatican II, §5, Dossier des Appelants, VOL VIII, p.1313

25 Code civil du Québec, L.R.Q., c. C-1991, ci-après « CCQ »

26 Loi d'Interprétation, L.R.Q., c. I-16
 
27 Art. 26, §3 : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants »

28 Art. 18, §1 : « La responsabilité d'élever l'enfant et d'assurer son développement incombe au premier chef aux parents».
 
29 Le Code de droit canonique en entier fut produit au procès sous la cote P-38.
 
30 Pièce P-42, Exhortation Apostolique « Familiaris Consortio » du 22-11-1981, §40, Dossier des Appelants, VOL VIII, p.1348.

31 Association de la Communauté Copte Orthodoxe du Grand Montréal (ACCOM).

3 commentaires:

Claude a dit…

Cette réflexion était clairement trop articulée et bien trop fouillée pour avoir une chance que des juges du Québec acceptent d'y réfléchir, aussi distingués que puissent être nos magistrats de la Cour d'appel ou même (quelquefois) de la Cour dite supérieure. La Cour suprême est certainement plus habilitée et habituée à faire porter ses réflexions à un tel niveau. Reste à savoir si elle en sera influencée. Ce mémoire met en évidence la distinction entre promouvoir une société pluraliste et promouvoir le pluralisme comme philosophie de vie individuelle au plan normatif, ainsi que le lien entre ce pluralisme idéologique et le relativisme comme indifférentisme qui respecte toutes les religions parce qu'elles sont toutes dérisoires et superflues en étant finalement équivalentes dans l'absolu. Pourtant, il me semble que cette distinction entre l'ouverture aux autres comme attitude souhaitable et moralement autant que socialement bonne d'un part, et la culture du nihilisme religieux d'autre part, aurait dû être encore plus approfondie et mieux soulignée. Car tout le fond du débat est là.

Yves R a dit…

Très bon mémoire. Bravo aux auteurs !

Patrick a dit…

Claude,

Comme un des auteurs de ce mémoire, je vous remercie pour vos bons mots.

Je comprends votre désir d'approfondir la distinction entre l'ouverture aux autres comme attitude souhaitable et moralement autant que socialement bonne d'un part, et la culture du nihilisme religieux d'autre part.

C'est une très bonne remarque.

Toutefois, à la défense du Regroupement, nous n'avions que 10 pages, il fallait concilier plusieurs points de vue différents (j'aurai voulu qu'on insiste plus sur l'effet délétère potentiel de ce cours : l'anomie, l'apathie) et que d'autres mémoires (comme ceux de Iain Benson si j'ai bon souvenir) abordent ce sujet du multiculturalisme du pays par opposant à chacun de ses citoyens.