lundi 18 mai 2009

Jacques Pettigrew à la barre – ne pas faire de vagues, aseptiser le cours

On se rappellera qu’en septembre passé MM. Pettigrew et Bergevin étaient passés par Valcourt et Sherbrooke pour rencontrer les parents des alentours au sujet du nouveau cours d’éthique et de culture religieuse (ECR). Nous avions alors publié un rapport de leur intervention à Valcourt.

Après ces deux réunions houleuses, M. Pettigrew a fait un rapport au sous-ministre de l’Éducation. Voici ce qu’on en apprit au procès grâce à Me Bélisle et son équipe.

Quelques extraits de la séance du mercredi 13 mai tirés du repiquage audio :

Il est obligatoire d’offrir le cours ECR, mais faut-il le suivre ?
11:15 Me Bélisle – Le régime pédagogique, cours sujet à sanction, cours obligatoire, quand un élève arrive dans une classe avec un billet motivé de son parent pour une absence, est-ce qu’il y a une disposition dans le régime pédagogique qui indique au professeur ou à l’école de faire quelque chose ?

[objection de Me Jacob, rejetée]

M. Pettigrew – Je suis incapable de répondre à votre réponse [sic] pour la raison suivante que la gestion de la présence en classe – à ma connaissance – relève de la commission scolaire et de l’école, de la direction d’école. À ma connaissance, elle ne fait pas partie du régime pédagogique, je ne suis pas un expert dans l’application du régime pédagogique. Je m’occupe du programme d’éthique et de culture religieuse.

Me Bélisle – M. Pettigrew vous me surprenez. Si effectivement, le cours ECR, il y avait 50 % des élèves qui apportaient un billet motivé de leurs parents à l’effet qu’ils ne vont pas au cours une journée. Est-ce qu’il y a quelque chose que le prof que le directeur d’école en vertu du régime pédagogique doit faire? Y a-t-il quelque chose que vous connaissez qu’il doit faire ?

M. Pettigrew – Je suis incapable de répondre à cette question.

Me Bélisle – D’accord. Je vais prendre le même cas, le même exemple. Je vais prendre le même enfant, le même parent, puis ça fait 50 fois qu’il y a le même billet d’absence qui est remis au prof. Est-ce qu’il y a quelque chose dans le régime pédagogique qui dit au prof, à la direction d’école qu’il y a un traitement particulier à faire ?

M. Pettigrew – Je répète ce que j’ai dit. La gestion de la présence en classe est de juridiction – à ma connaissance – de l’école et de la commission scolaire.

[…]

11 h 19

Me Bélisle – Quand vous dites dans le régime pédagogique que le cours est obligatoire, qu’est-ce que cela signifie « obligatoire » ?

M. Pettigrew – Cela veut dire …

Me Bélisle – Obligatoire de présence ou obligatoire, mais avec absence répétée chronique, mais ça respecte l’obligation. Vous comprenez ma question ?

M. Pettigrew – Très bien.

Me Bélisle – Répondez à la question.

M. Pettigrew – La réponse c’est que le régime pédagogique donne le mandat ou institue les cours qui sont obligatoires et que la commission scolaire doit mettre à son horaire et doit mettre à l’horaire des élèves. La gestion de la présence en classe, ça c’est du regard de la commission scolaire et de l’école.

Me Bélisle – Donc le régime pédagogique quand il dit qu’un cours est obligatoire, ce n’est pas obligatoire ?

[M. Pettigrew dit ne pas savoir, Me Boucher vient à la rescousse et objecte, discussion avec le juge, objection refusée, mais pas de réponse de M. Pettigrew.]
Nous verrons lors de la plaidoirie ce que dit la commission scolaire locale dans les interrogatoires pré-audience et en se basant sur quels textes.

Ne pas faire de vagues
11 h 24, Me Bélisle – Votre dernière page de votre rapport (JP-1). Il y a eu un débriefing après la rencontre.

M. Pettigrew – Oui, Monsieur.

[Long accouchement pour apprendre qui était présent à la rencontre dont nous faisons grâce aux lecteurs]

Me Bélisle, lisant le rapport – Première conclusion de l’avis de deux représentants du MELS, – je suppose que c’est vous et M. Bergevin ? –

M. Pettigrew – Exact.

Me Bélisle, continue la lecture – …ce genre de rencontres risque d’offrir aux représentants de la CLÉ une tribune que ce mouvement, pour l’instant marginal, recherche à des fins de promotion de ses idées, ainsi nous estimons qu’il serait préférable de ne pas répéter ces rencontres. C’est bien ça ?

M. Pettigrew – Exact.

Me Bélisle – Alors votre stratégie à vous autres c’est on ne fait plus de rencontres, on ne va pas exposer ou communiquer ou faire la pro-mo-tion é-ner-gique du programme, du nouveau produit parce qu’on se fait brasser. Vous l’avez dit aux pages précédentes que vous vous êtes fait brasser.

[…]

Me Bélisle – Vous avez eu Valcourt, vous avez eu effectivement ici à Drummondville. Puis vous en avez eu assez. Deuxième commentaire, conclusion : « Une fois l’année scolaire engagée, le MELS devrait peut-être utiliser la stratégie de soutien aux autorités scolaires locales, les laisser assumer le rôle de prestataire de services, et éviter de se présenter localement comme le premier interlocuteur auprès des parents. Vous disparaissez de la circulation, vous laissez là la commission scolaire avec ses problèmes. C’est vous qui êtes responsable du programme ECR, il y a un peu de houle dans le bateau, vous vous retirez, vous laissez la commission scolaire effectivement aller au bâton pour vous autres.

M. Pettigrew – Ce sont les commissions scolaires qui sont les premiers intervenants au niveau des enseignants …

Me Bélisle – Je comprends.

M. Pettigrew – …et on leur a toujours dit qu’on était en soutien à eux.

Me Bélisle – Je comprends. Je comprends très bien.

[silence]

La troisième et la quatrième [recommandations] : « D’une façon ou d’une autre, les enseignantes et enseignants du primaire devraient être invités à se concentrer sur le volet éthique du programme dans les premières semaines, ce volet ne soulevant pas ou fort peu d’oppositions. » La stratégie que vous adoptez au MELS : on va faire le moins de vagues possible et puis on va toucher au secteur plutôt éthique du programme parce qu’on ne veut pas avoir de vagues, on ne veut pas avoir d’autres demandes. N’est-ce pas vrai ? N’est-ce pas la raison ?

M. Pettigrew – Je pense qu’il faut mettre ce point aussi en rapport avec le point suivant où on disait que le catholicisme et le protestantisme étant prépondérants dans le programme, ils pourraient pour les premières semaines d’implantation occuper l’essentiel du contenu relié au volet culture religieuse. Faut se rappeler que le programme comprend deux volets : éthique et culture religieuse et que l’enseignant est tout à fait libre de décider par lequel il commence.

Me Bélisle – J’ai très bien compris.

[…]


Les parents oubliés et tassés
11 h 29

Me Bélisle – J’attire votre attention sur le système planétaire. La galaxie vous en avez parlé longuement, p. 278 du programme. C’est réellement beau, y a bin de la couleur, c’est réellement très beau. L’élève est dans le centre.

Juge Dubois – Je dois tenir compte de cela dans mon jugement, parce que c’est beau ?

Me Bélisle – Non, non, c’est bôô. Oui, vous allez faire ce qui s’en vient, vous pourriez tenir compte de ce qui s’en vient. L’élève, « structuration de l’identité », « développement du pouvoir d’action » […], puis « construction d’une vision du monde », on fabrique effectivement quelque chose. Puis à l’extérieur de la galaxie, manifester une compréhension du phénomène religieux, réfléchir, pratiquer le dialogue et tout le reste. C’est du domaine du développement personnel, le programme comme tel, l’élève est au cœur de cela. C’est l’univers social, c’est la ga-la-xie telle que perçue, conçue par le MELS, le ministère de l’Éducation, du Loisir et des Sports. C’est bien ça ?

M. Pettigrew – C’est la schématisation du programme de formation de l’école québécoise.

Me Bélisle – Est-ce qu’il y a une autre galaxie qui n’est pas là, qui devrait être là avec celle-là? Vous ne savez pas ?

M. Pettigrew – Je ne sais pas à quoi vous vous référez.

Me Bélisle – La galaxie des valeurs et des croyances des parents ? [pas de réponse] Oui ou non ? [pas de réponse] Pourquoi on n’en tient pas compte dans tout ce beau schéma technocratique qui est là de couleurs ? Pourquoi on ne tient pas compte de l’autorité parentale ? Des croyances et des valeurs des familles et des parents ? Pourquoi ?

M. Pettigrew – Tout ce que je peux dire c’est que c’est le programme de formation de l’école québécoise et tout le programme, évidemment, tient compte de… ne propose rien qui doit aller à l’encontre… euh..

Me Bélisle – C’est votre opinion, mais les parents ne sont pas là. Ils ne sont pas dans la galaxie. Okay c’est beau.
Pas d’athéisme dans le programme « malheureusement », vraiment ?
11 h 32

Me Bélisle – Est-ce que le programme permet aux enseignants de traiter, de communiquer, de donner de l’information sur tout ce qui s’appelle les [nouveaux] mouvements religieux, je parle des sectes, je parle des mouvements religieux réellement marginaux ?

M. Pettigrew – Il y a une possibilité au deuxième cycle du secondaire.

Me Bélisle – Parfait. Maintenant, l’athéisme, l’athéisme. Est-ce que les enseignants dans le programme du ministère peuvent parler de l’athéisme, de la non-existence de Dieu, en donnant des exemples.

M. Pettigrew – Je rappelle que le programme est un programme qui aborde le monde des religions de façon culturelle, c’est important pour la réponse…

Me Bélisle – Je comprends, je comprends très bien, il n’y a pas de culture athée ? C’est cela que vous allez me dire.

[Me Boucher demande que le témoin puisse répondre]

M. Pettigrew – …donc une approche culturelle du phénomène religieux et, dans ce sens, on amène l’élève à décoder, comme je le disais à M. le juge hier, des expressions du religieux. Je donnais le crucifix en exemple. Et, en ce sens là, on veut tenir compte des autres manières de penser, on va nommer des fêtes religieuses et on va identifier avec les élèves des fêtes qui ne relèvent pas du fait religieux.

Me Bélisle – Et s’il n’y a pas de fête religieuse pour les athées, donc on ne parlera pas du phénomène d’athéisme, parce que tout simplement ce n’est pas une manifestation d’un phénomène religieux et donc ce n’est pas prévu dans la conception du programme.

M. Pettigrew – Je vous référerais à la page 277 (non paginé) du préambule : « religions, ni de promouvoir quelque nouvelle doctrine religieuse commune destinée à remplacer les croyances particulières. » […] Au primaire, on se limite à décoder des éléments qui sont dans l’univers du jeune, et malheureusement il n’y a pas de temple athée, il n’y a pas de temple agnostique, donc lorsqu’on va aborder la question des temples, on va dire tiens le musulman va à la mosquée, le jeune juif va à la synagogue, le jeune qui fait partie d’une famille où on ne pratique aucune religion…

Me Bélisle – Vous avez lu l’article du Journal de Québec du 19 avril 2008 « Le mot athée banni » ?

M. Pettigrew – Oui.

L’ennui c’est que la question de M. Bélisle ne se limitait pas au primaire et qu'au secondaire on peut aborder le sujet de l’athéisme, il est cité comme exemple de sujet de discussion pour aborder l'existence du divin et plusieurs cahiers le font ! Voir programme page 543.

C'est ainsi que le « cahier-manuel » d'éthique et de culture religieuse publié par les éditions de la Pensée en 2008 et destiné à la 2e année du 2e cycle du secondaire (soit secondaire IV) y consacre cinq pages explicitement.

Karl Marx et Jea-Paul Sartre, athées
(page 183, du cahier d'éthique et de culture religieuse, Dialogue II, publié par les éditions La Pensée, 2008)


On a droit à deux pages sur Karl Marx, Jean-Paul Sartre et Simone Beauvoir. Simone de Beauvoir est l'auteur du livre Le deuxième sexe devenu l'ouvrage de référence du mouvement féministe selon les auteurs de ce cahier d'ECR qui déjà consacrent ailleurs 28 pages au féminisme.

Aseptiser le cours, pas de débat sur les aspects religieux?

Ce n’est pas la première fois que M. Pettigrew aseptise de la sorte le programme d’éthique et culture religieuse. Ainsi, mardi (entre 17 h 30 et 17 h 32), a-t-il dit qu’on ne discutait, qu’on ne débattait pas de religion, ce n’est pas tout à fait faux dans le sens que le programme ne prévoit pas l’analyse critique des récits ou des principes des différentes religions comme un sujet distinct d’analyse.

Mais, cela n’empêche pas la discussion et la confrontation de récits religieux en classe, voir le reportage de Radio-Canada fait à micro ouvert dans une classe d’ECR où les élèves comparent les récits de la Création, ni de discuter de « repères » (de valeurs) religieux, de les comparer, de les confronter et donc de les analyser : qu’elle est la place de la femme dans la société, le clonage est-il permis, l’avortement, tous les types de famille sont-ils bons, etc. ? Il existe des repères religieux en la matière et ils pourront être mis à mal lors d’une discussion sur ces sujets dans un débat où tout peut être mis en question (sauf ce qui nuirait aux finalités très vagues de bien commun et de « reconnaissance de l’autre »).

Il ne nous apparaît donc pas honnête de vouloir faire croire au tribunal que la discussion, pardon le dialogue, sur des sujets religieux, se limitera à savoir si un tel aspect du programme se discutera sous la forme d’une pièce de théâtre, d’une présentation PowerPoint, d’un récit, etc. (mardi 17 h 53)

Intriguant

Nous ne savons pas pourquoi les avocats de la défenderesse (Mme Lavallée) n’ont pas réagi à cette volonté évidente d’aseptiser, de rendre inoffensif et inodore le programme ECR, en parlant le plus possible du premier cycle du primaire, alors que le programme précise clairement le contraire de ce que laissait sous-entendre M. Pettigrew (pour l’athéisme voir ci-dessus, pour la discussion des « repères » religieux voir ci-dessous). Les avocats des requérants se réservent-ils la dénonciation de cette volonté de banalisation pour la plaidoirie ? Désirent-ils ne pas tant s’attaquer au contenu du programme, mais plutôt au droit administratif et au non-respect des Chartes, une fois la croyance sincère et non frivole de la demanderesse prouvée ?

Transcription du contre-interrogatoire de M. Pettigrew
mardi, 17 h 52 à 17 h 55

M. Pettigrew – Il y a une erreur qu’il faut éviter à tout prix, M. le juge, c’est de prendre le contenu ou des éléments du dialogue et de l’appliquer systématiquement à la culture religieuse ou à l’éthique.

Le dialogue ici [p. 332] vise à habileter [sic] l’élève à dialoguer avec ses copains, avec les gens qui l’entourent sur des sujets qui ne sont pas de sa croyance religieuse, on ne discute pas et on ne remet surtout pas en question la croyance ou les convictions du jeune.

Je peux dire, par exemple, que si je voulais donner un exemple de la pratique du dialogue, on pourrait dire, par exemple, si les enfants ont à illustrer le récit, pour prendre celui qu’on a utilisé tout à l’heure, le récit de la Nativité. Les enfants sont quatre, ils sont ensemble et ils doivent se demander comment on va illustrer à nos amis de la classe, comment on comprend ou comment ou quel est le récit de la Nativité. Alors, ils ont à entrer en dialogue, l’un va vouloir faire une pièce de théâtre, l’autre un dessin, un autre va vouloir faire une présentation PowerPoint de ce qui en est. Et ils devront être capables. En sixième année [à six ans ?], en première année, ils sont capables.

Le juge Dubois – Ils sont meilleurs que les adultes, quand on leur demande d’expliquer, ils n’expliquent pas.

M. Pettigrew – Vous connaissez les mêmes adultes que moi. C’est là que se situe le dialogue.
Extrait du programme d’ECR (primaire)
« Examiner quelques repères d’ordre culturel, moral, religieux, scientifique ou social

Premier cycle du primaire


Trouver quelques repères présents dans différents points de vue • En rechercher le rôle • Considérer d’autres repères (p. 341)

Troisième cycle du primaire

Trouver quelques repères présents dans différents points de vue • En rechercher le rôle et le sens • Considérer d’autres repères • Comparer le sens de certains repères dans différents contextes » (pp. 298 et 341). »
Primaire Culture religieuse — Attentes de fin de cycle pp. 301 à 303

1er cycle p. 301 :

« Il en repère dans son environnement et reconnaît ce qu’elles ont en commun et ce qui les distingue. Il peut faire des liens entre des écrits sacrés, des guides spirituels et leurs traditions. Il est capable d’établir quelques liens entre diverses expressions religieuses et des éléments de l’environnement social et culturel d’ici et d’ailleurs. Il nomme diverses façons de penser, d’être ou d’agir et des comportements appropriés à l’égard de la diversité.

Dans l'illustration p. 301 :

« Explorer diverses façons de penser, d’être ou d’agir à l’intérieur d’une même tradition religieuse ou entre plusieurs traditions religieuses Repérer des expressions du religieux dans son environnement • Les rattacher à des éléments de l’environnement social et culturel d’ici et d’ailleurs • Reconnaître leur influence
sur certains aspects de la vie en société • Dégager ce qu’elles ont en commun et ce qui les distingue »...
« Établir des liens entre des expressions du religieux et l’environnement social et culturel

Deuxième et troisième cycles du primaire

Repérer des expressions du religieux dans son environnement • Les rattacher à des éléments de l’environnement social et culturel d’ici et d’ailleurs • Reconnaître leur influence sur certains aspects de la vie en société • Dégager ce qu’elles ont en commun et ce qui les distingue • Faire un retour sur ses découvertes et ses réflexions (p.302) »

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