mercredi 1 juillet 2020

Colbert et le Code noir, la vérité historique

Dans le contexte des statues vandalisées en France, signe de l’américanisation et ethnicisation croissantes de la France, l’historien Jean-Christian Petitfils revient dans les colonnes du Figaro sur le rôle de Colbert dont la statue à Paris a été attaquée par des manifestants radicaux. La pression extrémiste désire également débaptiser les places, les rues et les salles Colbert en France.

Auteur d’une trentaine d’ouvrages, Jean-Christian Petitfils a notamment publié une biographie de Louis XIV (Perrin, coll. « Tempus », 2002), grand prix de la biographie de l’Académie française et « Histoire de la France. Le vrai roman national » (Fayard, coll. Pluriel, 2018).

Un agent de la Mairie de Paris nettoie la statue de Jean-Baptiste Colbert

Dans le vandalisme frénétique qui a saisi la France depuis la mort de [l’Américain] George Floyd, des associations antiracistes et des groupuscules mènent une campagne passionnelle et outrancière destinée à abattre les statues, à débaptiser lycées, places et rues portant le nom de grands hommes de notre histoire, soupçonnés d’esclavagisme ou de colonialisme. Est visé en particulier le ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, pour avoir été l’auteur du « Code noir ».

Dans ce délire idéologique qui sature l’espace public, où le souci de la vérité historique ne pèse pour rien, on ne sait trop ceux qui sont le plus à blâmer, les « indigénistes », qui ne rêvent que de déconstruire l’histoire de notre pays, ou les hommes politiques — dont, hélas, un ancien premier ministre — et les édiles tétanisés qui mettent genou à terre et se prêtent complaisamment aux injonctions terroristes des discours anti-Blancs.

Bourreau de travail, brutal, hautain, froid (« Le Nord », comme le surnommait Mme de Sévigné), Colbert fut un des géants du Grand Siècle. Derrière son abord rebutant se cachaient une belle intelligence, une ardeur, une ambition peu commune, doublée d’une passion extrême d’agir et de servir. Il cumula des fonctions qui correspondraient aujourd’hui à celles de ministre de l’Intérieur, de l’Économie, des Finances, de la Marine, de la Justice, du Commerce, de la Construction et de la Culture. Son œuvre au service du roi et de la centralisation de l’État est immense, même si des ombres ont entaché son action.

L’élaboration de l’édit royal de mars 1685 « touchant la police des îles de l’Amérique française », appelé ultérieurement « Code noir », prend place dans sa politique d’unification du droit et de codification législative : ordonnances sur la procédure civile (1667), les eaux et forêts (1669), la procédure criminelle (1670), le commerce (1673) et la marine (1681). Il s’agissait en l’occurrence de clarifier le statut civil et pénal des esclaves d’outre-mer « tant pour la punition de leurs crimes que pour tout ce qui concerne la justice qui doit leur être rendue ».

À l’image des autres entreprises, Colbert lança sur place des consultations préalables, car la pratique de l’esclavage était interdite en France métropolitaine et n’existait pas dans d’autres colonies comme le Canada. C’est ainsi qu’en avril 1681, il demanda à Charles de Courbon, gouverneur général des îles d’Amérique, et à l’intendant Jean-Baptiste Patoulet, de collationner la jurisprudence locale et de recueillir les avis des membres des Conseils souverains — petits parlements locaux — de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Christophe. Ce travail prit du temps, car il s’agissait de rationaliser des pratiques et usages répandus depuis plusieurs décennies.

Suivirent un premier rapport en mai 1682, puis un avant-projet d’ordonnance en février 1683, qui arriva sur le bureau du ministre trois mois plus tard. On ignore la part que ce dernier prit dans la rédaction du texte final qui comporte 60 articles. Malade, il mourut le 6 septembre 1683. Laissée en souffrance, l’ordonnance royale, qui reprenait 90 % de l’avant-projet, ne fut donc promulguée qu’en 1685, sous la signature de Louis XIV et le contreseing du fils du ministre, Jean-Baptiste Colbert de Seignelay, secrétaire d’État à la Marine.

Lourd de contradictions, le texte faisait la part belle aux planteurs, tout en introduisant un cadre légal. Si les esclaves étaient assimilés juridiquement à des biens meubles dans les transactions, ils étaient néanmoins considérés comme des êtres humains aux droits limités. Ils devaient être nourris convenablement, vêtus, baptisés, instruits dans la religion catholique, et bénéficier du repos du dimanche. Ils pouvaient se marier avec l’accord de leur maître, mais les enfants nés de ces unions devenaient esclaves à leur tour. Les sujets âgés ou malades devaient être pris en charge et les morts enterrés dans des cimetières catholiques. Les affranchissements, les mariages mixtes maître-esclave étaient possibles, mais encadrés. Le Code autorisait les maîtres à avoir recours au fouet, prohibant toutefois les « traitements barbares et inhumains ». Aucune mutilation ou torture ne leur était permise. Celle-ci était réservée aux décisions de justice.

Implacables alors étaient les sanctions pénales : les coupables étaient marqués au fer rouge, mutilés aux oreilles ou aux jarrets et dans les cas les plus graves exécutés. Tout maître ou contremaître qui tuait un esclave se rendait en revanche coupable d’un crime. Sous réserve de quelques variantes, ces dispositions furent étendues à Saint-Domingue, aux îles de France (Maurice) et de Bourbon (La Réunion), à la Guyane et à la Louisiane.

Si Colbert n’a pas contresigné le « Code noir » on peut penser qu’il en aurait approuvé les termes. La vérité est qu’il fut seulement l’héritier de la politique coloniale de la monarchie absolue, commencée sous le ministériat du cardinal de Richelieu en 1626 avec la création de la Compagnie de Saint-Christophe.

L’installation d’esclaves dans les Antilles commença en 1635 en dehors de tout statut juridique, principalement en vue de la culture de la canne à sucre. À l’époque, une bonne partie du monde acceptait sans état d’âme l’esclavage. Les monarques et chefs de nombreux royaumes africains vivaient de la traite des Noirs (souvent occultée, leur complicité est « une donnée objective » souligne l’historien et anthropologue sénégalais Tidiane N’Diaye), et l’Europe rachetait les esclaves chrétiens aux Barbaresques d’Afrique du Nord, qui en faisaient un trafic lucratif.

Bien entendu, philosophiquement, le « Code noir » est injustifiable en ce qu’il légitimait et légalisait un système d’esclavage, enrobé de quelques principes d’humanité et de christianisme. Aucune définition, aucune justification n’étaient d’ailleurs données de cette institution barbare, qu’il faut replacer dans son contexte historique. Au lieu de pratiquer la rhétorique de l’indignation morale, avec 335 ans de retard et une lecture anachronique et vindicative de l’histoire, nos belles âmes « indigénistes » ne feraient-elles pas mieux de dénoncer la persistance actuelle de ces pratiques dans certains pays du monde arabo-musulman, sur lesquelles pèse un silence gênant, rarement entrecoupé de protestations ?

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