samedi 21 septembre 2019

Zemmour : Le mot « réactionnaire » ne me scandalise pas

Dans un entretien publié dans le Figaro Magazine de ce samedi 21 septembre, Éric Zemmour revient sur le mot de « réactionnaire » dont on le qualifie souvent et en l’occurrence Laurent Mouchard (Joffrin à la ville). Extraits de cet entretien axé en partie sur le roman historique de Laurent Joffrin.

Zemmour. — Le mot « réactionnaire » ne me scandalise pas. Tous les grands révolutionnaires sont réactionnaires : Saint-Just voulait revenir à la Rome antique, Lénine et Trotski voulaient revenir à la Révolution française… On ne fait des choses grandes et révolutionnaires qu’en voulant revenir au passé. Cette querelle est vaine. L’identité française est résumée par la phrase de De Gaulle : « Un pays de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-romaine. » Laurent Joffrin a raison de la qualifier de trésor. Et nous sommes en train de le dilapider. Prétendre que la France, de toute éternité, avait existé et devait exister est faux. La France est fragile, c’est une création artificielle, politique, qui aurait très bien pu ne jamais exister et qui, d’ailleurs, a été en danger en permanence. Laurent Joffrin considère son histoire comme un progrès de la liberté. Or, ce n’est pas le cas. Dès que la France, au nom d’idéaux — que ce soit l’universalisme catholique ou l’universalisme des droits de l’homme —, a plongé dans un certain humanisme, cela s’est retourné contre elle.

À chaque fois que notre pays a été en danger de dislocation, de désintégration — ce que l’on appelait la « balkanisation » —, il n’a été sauvé que par des « hommes providentiels » qui sont avant tout des hommes à poigne.

[...]

Notre désaccord est réglé par une phrase de Péguy que de Gaulle citait souvent : « Seul l’ordre fait la liberté, le désordre fait la servitude. » Notre querelle est là. La liberté telle que la pense Laurent Joffrin, c’est le désordre donc la servitude. L’histoire telle qu’il la pense est un mariage de deux histoires. La première est une histoire classique, républicaine, c’est-à-dire qu’elle pense qu’il existe une aspiration à la liberté présente depuis des siècles et la Révolution française y est une espèce de nirvana, de fin de l’histoire et de début d’une histoire nouvelle paradisiaque. C’est cette histoire que nous avons tous deux apprise lorsque nous étions enfants. La deuxième histoire se glisse dans les interstices : c’est la contre-histoire portée depuis quarante ans par l’extrême gauche décoloniale. On retrouve ainsi, de-ci de-là, des éléments qui rappellent la méchante colonisation… Mais ces deux histoires se contredisent. Ce sont les Lumières qui ont fait la colonisation, ce sont les républicains qui ont colonisé.  

[...] 

Jules Ferry [de gauche très laïcarde] est, au contraire, cohérent [quand il prône la colonisation pour y apporter la civilisation]. C’est Victor Hugo qui déclare que nous sommes la lumière du monde, que nous sommes les Grecs du monde et que nous devons apporter cette lumière à des peuples qui sont dans la nuit. Ce ne sont pas des préjugés : la liberté est une religion. Clemenceau — qui est politiquement marginal à l’époque — explique que, sachant que les Allemands s’estiment un peuple supérieur aux Français, il se méfie de l’idée de peuple supérieur. Il n’est d’ailleurs pas le seul à être contre la colonisation. Pourquoi ne pas rappeler qu’à l’époque les grands opposants à la colonisation viennent de l’extrême droite, à l’instar de Maurras ou de Léon Daudet ? Laurent Joffrin, votre livre aurait pu s’appeler « Le Roman noir de l’histoire de France » : Saint Louis est un fanatique, Jeanne d’Arc, c’est la religion dans sa version la plus archaïque, vous comparez le djihad et les croisades…
Jules Ferry le laïcard pro-colonisation
croquant un prêtre

[...]

Vous jugez avec vos yeux d’homme du XXIe siècle. Je ne le fais pas. Prenons l’exemple de l’esclavage : tous les peuples ont été esclavagistes. Nous devrions donc nous glorifier d’être la seule civilisation à avoir aboli l’esclavage. On ne devrait donc pas en faire un sujet de repentance. Votre problème est que vous raisonnez en termes de morale quand je raisonne en termes d’intérêt de la France.

[...]

La nature humaine est à la fois bonne et mauvaise, mais cette philosophie de l’optimisme mène toujours à la catastrophe. Les optimistes sont toujours ceux qui ne veulent pas voir la tragédie arriver et qui, quand elle leur tombe dessus, la déplorent. Mais c’est la condition humaine et les optimistes nous empêchent de nous défendre à temps contre les malheurs qui arrivent. À toutes les époques, ils ne cessent de dire que tout va bien mais finissent par prendre la tragédie en pleine figure et ensuite, pleurent et se lamentent parce que l’humanité est méchante.

Voir aussi

Étude — Plus on est « progressiste », plus idéaliserait-on ou nierait-on la réalité ? (les formes géométriques par exemple)


Les musulmans de France semblent se radicaliser avec le temps

L’auteur de « L’archipel français » (Seuil) livre dans l’édition du 19 septembre du Point les principaux enseignements de sa grande étude auprès de la population musulmane.

Le Point. — Il y a trente ans éclatait l’affaire des foulards à Creil. Est-ce un tournant important dans la société française ? Est-ce un tournant important dans la société française ?

Jérôme Fourquet. — À partir du début des années 1980, il y a une prise de conscience collective, par la société française, non seulement de la réalité de la présence d’immigrés de culture musulmane sur son territoire, mais aussi du fait que cette immigration a vocation à rester sur place. La première date symbolique, c’est 1983, avec la Marche des beurs et les grèves dans l’automobile. On commence à parler de « la deuxième génération ». 1989 est une autre date clé, avec cette fois-ci une prise de conscience des dés que représente cette immigration musulmane, notamment sur le principe de la laïcité. Les signes religieux dans les établissements publics ne sont alors plus une problématique dans une société française qui est en train de s’apaiser sur la guerre des deux écoles et qui, comme l’écrit Marcel Gauchet en 1985 dans « Le désenchantement du monde », a déjà bien entamé son processus de sortie de la religion. L’affaire de Creil repose subitement la question de la manifestation du religieux dans l’espace public et, comme le montre bien le livre que viennent de publier les éditions de l’Aube et la Fondation Jean-Jaurès, « Les foulards de la discorde. Retours sur l’affaire de Creil. 1989 », ce retour du religieux, mais musulman, est particulièrement problématique pour la gauche française. La laïcité, élément structurant de l’identité de la gauche française, avait toujours été pensée dans le contexte de l’opposition au catholicisme. Là, elle se retrouve confrontée à la religion musulmane, ce qui change énormément de choses.

Plus globalement, l’affaire de Creil va susciter un intense débat dans la société française autour de l’interrogation sur l’acclimatation possible de l’islam à notre modèle républicain. 1989 ouvre en quelque sorte une nouvelle ère et acte médiatiquement et sociologiquement l’existence de l’islam en France. L’Ifop, qui a pour vocation de suivre les évolutions de fond de la société française, a d’ailleurs commencé cette année-là à sonder et interroger la population de confession ou de culture musulmane. Trente ans après cet événement marquant, Le Point et la Fondation Jean-Jaurès ont demandé à notre institut de jeter un nouveau coup de projecteur sur cette population de confession ou de culture musulmane.



— Quels sont les principaux enseignements de l’enquête ?

— Le premier enseignement réside dans la puissance de l’orthopraxie, qui se renforce au fil du temps, notamment auprès des jeunes générations. L’orthopraxie désigne la capacité d’une religion à fixer des règles comportementales concernant la vie quotidienne et le fait que le public de croyants se conforme aux injonctions de la religion à laquelle il est rattaché spirituellement et culturellement. L’islam en comporte un certain nombre et son empreinte sur la vie quotidienne a gagné du terrain. En 1989, beaucoup ont cru à une crise d’adolescence et qu’il suffisait d’être patient. S’opposant à l’exclusion des collégiennes voilées de Creil, SOS racisme estimait que le jean finirai [t] par l’emporter sur le tchador ». Avec trente ans de recul, et alors que les jeunes qui avaient 15 ans à l’époque en ont aujourd’hui 45, on voit que l’empreinte de la religion sur cette population ne s’est pas effacée, bien au contraire.

Notre enquête montre ainsi que la proportion de personnes (de confession ou de culture musulmane) déclarant participer à la prière du vendredi à la mosquée a plus que doublé, passant de 16 % en 1989 à 38 % aujourd’hui.

C’est spectaculaire. Bien sûr, il s’agit de déclaratif, et il faut donc relativiser cette assiduité affichée. [Faudrait-il aussi relativiser les déclarations qui vont dans le sens « progressistes », plus faciles à faire en France, comme la relative tolérance des musulmans envers les homosexuels [67 % y seraient tolérants] ?]

Mais le biais déclaratif était le même dans le sondage de 1989. Ce que ces résultats traduisent, c’est que, dans cette population, la norme sociale est beaucoup plus religieuse aujourd’hui qu’il y a trente ans. Quand on regarde dans le détail, on observe que cette pratique est, comme dans les pays musulmans, beaucoup plus importante chez les hommes (55 % des hommes déclarent fréquenter la mosquée le vendredi, contre 20 % chez les femmes).

Des écarts importants apparaissent également selon les tranches d’âge. C’est l’inverse du catholicisme, c’est-à-dire que les générations les plus âgées apparaissent moins sous l’influence de cette injonction à la prière (seulement 28 % des plus de 50 ans disent aller à la mosquée le vendredi), alors que 49 % des jeunes disent se conformer à ce commandement. Le respect du jeûne pendant.

le ramadan est aussi en progression depuis 1989, passant de 60 % à 66 %. La progression s’est surtout faite au début des années 2000, période où s’est produit un réveil identitaire et religieux dans tout le monde musulman.

Troisième manifestation de l’empreinte religieuse sur la vie quotidienne : nous constatons une chute de la proportion de personnes de religion ou culture musulmane déclarant boire de l’alcool, même occasionnellement, passant de 35 % en 1989 à seulement 21 % aujourd’hui. Il y a sans doute, là encore, un biais déclaratif (et nous n’allons pas vérifier dans leur vie quotidienne !), mais, de nouveau, ce biais déclaratif valait aussi en 1989. Manifestement, à l’époque, le conformisme ambiant dans cette population était moins strict en la matière.

Quatrième élément : la forte prégnance de l’halal, qui ne se limite plus à la viande. Parmi les sondés, 57 % disent consommer uniquement de la confiserie halal, mais 47 % achètent aussi des plats cuisinés halal et 48 % affirment systématiquement regarder la composition des produits alimentaires achetés pour s’assurer qu’ils ne contiennent pas de la gélatine animale ou du porc.

La masse grandissante facilite cette augmentation dans la pratique musulmane personnelle

Comme le poids de cette population musulmane a augmenté et que l’orthopraxie y est plus répandue, des acteurs économiques ont répondu à cette demande, et un marché s’est créé, facilitant et encourageant en retour le respect de l’halal par le consommateur. Il y a trente ans, lors de l’affaire de Creil, les débats tournaient autour du foulard. Aujourd’hui, dans la sphère scolaire, les tensions se cristallisent autour de la question de l’halal. Au regard de ces résultats, on constate que l’évolution générale ne va pas dans le sens d’une sécularisation, mais d’une réaffirmation identitaire et religieuse se manifestant notamment dans les comportements quotidiens.

[...]




Quand on regarde dans le détail, on voit que les demandes concrètes d’adaptation de la laïcité sont soutenues et parfois très massivement. Ainsi, 82 % des sondés pensent qu’on devrait pouvoir manger halal dans les cantines scolaires et 68 % estiment qu’une jeune fille devrait avoir la possibilité de porter le voile à l’école. L’islam étant une religion assez injonctive dans la vie quotidienne, ces injonctions se heurtent au cadre laïque.

Autre chiffre, 54 % déclarent également qu’on devrait avoir la possibilité d’armer son identité religieuse au travail. Après l’école et l’halal, la question des signes ostentatoires dans le monde du travail monte depuis plusieurs années. Si 26 % des cadres disent qu’on devrait pouvoir armer son identité religieuse au travail, ils sont 38 % parmi les professions intermédiaires et 55 % chez les employés et ouvriers. Cette revendication est plus forte dans les milieux populaires et rappelle les débats qu’il y a eu par exemple à la RATP ou parmi le personnel de Roissy. Les organisations syndicales, historiquement et culturellement de gauche, souvent très laïques, sauf la CFTC, sont confrontées à ces demandes. La CFTC revendique ses racines chrétiennes, mais ne fait pas grève pour exiger la présence d’un crucifix.

Dans le monde du travail, là notamment où il y a beaucoup d’employés ou d’ouvriers, comme dans les transports publics, les chantiers ou les plateformes logistiques, ces questions des signes religieux ostentatoires se posent depuis plusieurs années. L’affaire de Creil n’était que le début, pas un prurit momentané, comme certains ont pu le penser. Pour autant, nous n’assistons pas à un assaut généralisé contre le cadre laïque, mais plutôt à de multiples demandes pour qu’on desserre le cadre républicain et laïque. Parmi les personnes interrogées, 27 % sont d’accord avec l’idée que « la charia devrait s’imposer par rapport aux lois de la République », résultat qui est conforme avec l’étude de l’Institut Montaigne de 2016.

Les musulmans en France ne forment pas un bloc homogène. La grande majorité des musulmans demande des adaptations, mais une minorité se positionne sur un agenda beaucoup plus maximaliste et radical. À ce propos, un différentiel assez important se dessine selon l’ancienneté de la présence en France. Parmi ceux qui sont français de naissance, « seuls » 18 % estiment que la charia devrait s’imposer. Parmi ceux qui sont français par acquisition, ils sont 26 % et parmi les étrangers, c’est 46 %. Cette revendication d’une suprématie de la charia est donc d’abord portée par les nouveaux arrivants qui viennent de pays où l’empreinte de l’islam est très forte. En 1989, avec l’affaire de Creil, beaucoup pensaient qu’avec le temps le processus de sécularisation et de « sortie de la religion » allait aussi concerner la population immigrée. Sauf que, depuis, des centaines de milliers de personnes ont rejoint la France, et le bain culturel des pays d’origine a été entretenu et vivifié par la persistance des flux migratoires, là où le flux des Polonais, par exemple, s’était tari dans les années 1930.

— Qu’en est-il du port du voile ?

Aujourd’hui, un petit tiers de femmes d’origine ou de confession musulmane disent porter le voile, contre 24 % en 2003. Et 19 % d’entre elles le portent toujours. Le phénomène s’est renforcé, mais il demeure minoritaire. 68 % des sondées disent ne jamais porter le voile. La réalité, c’est donc que la grande majorité des femmes musulmanes ne sont pas voilées, et 10 % déclarent d’ailleurs l’avoir porté autrefois, mais ne le portent plus, ce qui montre que l’attitude face au voile évolue en fonction de l’âge et de la situation personnelle. Parmi les 15-17 ans, seules 15 % disent porter le voile, ce qui laisse penser que la loi de 2004 sur l’école joue un rôle important. On atteint ensuite un pic de 35 % pour les 18-35 ans. Cela retombe à 25 % auprès des 35 ans et plus. C’est à la sortie de l’adolescence et au début de la vie d’adulte que le voile est le plus porté. Encore une fois, on voit que les musulmans ne sont pas un bloc, mais un public bien hétérogène, notamment dans son rapport à la religion, même si le poids de la matrice musulmane s’est incontestablement renforcé depuis 1989.

— Y a-t-il des différences en fonction des origines des sondés ?

Sur une série de sujets, on observe une gradation dans les réponses entre les sondés qui ont des origines familiales en France, ceux qui ont un père issu du Maghreb et ceux qui ont un père originaire d’Afrique subsaharienne. De manière générale, le poids de la matrice religieuse est beaucoup plus prégnant parmi les musulmans originaires d’Afrique subsaharienne, arrivés plus récemment. En 1989, l’islam de France est un islam maghrébin. Trente ans plus tard, la situation s’est considérablement diversifiée, et le paysage socio-culturel est archipelisé. La population issue d’Afrique subsaharienne (Mali, Sénégal, Mauritanie…), provenant souvent de zones rurales, pèse plus démographiquement. Or celle-ci semble très éloignée du processus de sortie de la religion.

Ainsi, 55 % des femmes dont le père est né en Afrique subsaharienne portent le voile, contre 32 % des femmes dont le père est né en France et 31 % pour celles dont le père est né au Maghreb. Concernant la fréquentation de la mosquée, c’est 18 % si le père est né en France, 32 % si celui-ci vient du Maghreb, mais 63 % s’il est issu d’Afrique subsaharienne. Sur ces pratiques, on constate ainsi un écart beaucoup plus important entre des personnes originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne qu’entre celles issues du Maghreb et les familles d’origine immigrée, mais dont les parents sont nés en France.

Les études sociologiques montrent que les diplômés sont moins religieux que ceux qui n’ont pas fait d’études supérieures. Mais, dans cette enquête, c’est parfois le contraire. Parmi les femmes sondées qui ont un niveau bac+5, 41 % disent par exemple porter le voile, contre 16 % chez celles qui n’ont pas de diplôme.

Ces chiffres s’expliquent en partie par la variable de l’âge, très liée dans cette population au niveau de diplôme. Les générations les plus âgées sont principalement constituées de primoarrivants, qui ne disposaient que d’un faible bagage éducatif, à l’inverse des générations les plus jeunes (souvent les enfants et les petits-enfants des précédents) qui ont été à l’école de la République et y ont obtenu des diplômes. Le réveil identitaire et religieux a d’abord touché ces générations, alors que les générations plus âgées (et peu diplômées) ont été moins sensibles à ce réveil.
Mais cette variable de l’âge n’explique pas tout. À l’époque de l’affaire de Creil, beaucoup pensaient que l’attachement à la religion allait s’étioler avec l’accès progressif des enfants de l’immigration à des études longues et à l’université. Or on voit que le diplôme n’« immunise » pas, contrairement à ce que pensent les esprits athées, contre la religion. 20 % des personnes bac + 5 de confession ou d’origine musulmanes estiment par exemple qu’en France la charia devrait s’imposer aux lois de la République. Le niveau de diplôme n’induit donc pas de manière massive et systématique une prise de distance avec la religion. L’islamologue Olivier Roy voit dans ces manifestations de raidissement identitaire un baroud d’honneur de la religion dans un contexte d’inexorable victoire d’une sécularisation déjà très avancée. Les résultats de cette enquête indiquent que les injonctions de la religion musulmane sont aujourd’hui plus prégnantes que lors de l’affaire de Creil et que cette empreinte est puissante dans la jeunesse et sur certains points, y compris parmi les diplômés. Cela démontre la force et la vigueur de cette matrice religieuse. Pour paraphraser la formule utilisée à l’époque par SOS Racisme : trente ans après, le « tchador » n’a pas encore dit son dernier mot face au « blue jean ».
 


Contestations à l’école

Certificats médicaux pour allergie au chlore ou à la poussière an d’excuser une sortie à la piscine ou la visite d’une cathédrale, demande de réduction sur la facture en période de jeûne… Trente ans après Creil, le port du foulard n’est plus un sujet à l’école. Certes, une minorité d’élèves tentent encore de contourner l’interdiction des signes religieux avec des bandeaux sur les cheveux ou des jupes jugées trop longues par certains chefs d’établissement, mais tous les acteurs qui veillent à faire respecter la laïcité en milieu scolaire s’accordent à dire que la question a été plutôt bien réglée par la loi de 2004. Le ministère de l’Éducation nationale, qui a mis en place, en 2018, une plateforme en ligne permettant au personnel de signaler, anonymement, des cas d’atteinte à la laïcité, nous confirme que les incidents liés aux tenues vestimentaires sont « vite traités ». Le problème s’est déplacé à la cantine et lors des sorties scolaires, les contestations d’enseignement ne représentant que 10 à 20 % des signalements.

Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a d’ailleurs demandé au Conseil des sages (qui regroupe seize experts de la laïcité) de plancher sur la question de la cantine an d’établir une même doctrine sur tout le territoire. « Il peut arriver que des dames de cantine demandent aux enfants : “Qui fait le ramadan ?” précise le politologue Laurent Bouvet, membre du Conseil des sages. Elles le font sans arrière-pensée, mais on n’a pas le droit de demander à des enfants leurs convictions religieuses. Cela relève plus de la méconnaissance des règles de laïcité que du prosélytisme. »

À la cantine, si 20 % des contestations ont trait à des questions religieuses, la majorité concerne des revendications liées à des tendances alimentaires (régimes végétarien, sans gluten…). Quant aux sorties scolaires, les signalements sont à la hausse, et ces situations génèrent encore des incertitudes d’interprétation malgré la position du Conseil d’État.


Trudeau « mecsplique » à une femme qu'il ne faut plus dire mankind (« humanité ») mais peoplekind (« personnité »)

Mise à jour du vendredi 9 février 2018

Butts et Trudeau, étudiants à McGill
Un des principaux conseillers de Justin Trudeau, Gerald Butts, a fait entendre que ceux qui ont ri de « peoplekind » seraient des nazis. Cette remarque n’est pas restée sans réponse de la part de certains journalistes, comme Piers Morgan, qui s’étaient moqué de ce néologisme frappé au coin de la rectitude lexicale la plus ridicule.

Gerald Michael Butts est le principal conseiller politique du Premier ministre Justin Trudeau. Depuis novembre 2015, il est le secrétaire principal du Premier ministre. De 2008 à 2012, il a été président et chef de la direction du World Wildlife Fund Canada, un organisme mondial de conservation de la faune. En 2014, le magazine Maclean’s a déclaré que Butts était le quatorzième Canadien le plus puissant. Il est diplômé (maîtrise) en littérature anglaise de l’Université McGill à Montréal. C’est à McGill qu’il a été présenté à Justin Trudeau par un ami commun.

L’hilarité générale provoquée par le commentaire ridicule de son patron suscita rapidement ce gazouillis de sa part :
La leçon à tirer de cette blague déformée par Infowars et d’autres amis nazis d’extrême droite de The Rebel, c’est qu’ils nous écoutent. Allez l’ #ÉquipeTrudeau.


Le célèbre journaliste britannique Piers Morgan qui avait osé se moquer du néologisme de Justin Trudeau n’a pas goûté ce tweet. Agacé de l’amalgame fort peu subtil que Butts fait entre les nazis et les détracteurs de Trudeau, il répondit :
a) Je ne suis pas nazi.
b) Ce n’était pas une blague.
c) Si vous êtes l’un des principaux conseillers de @JustinTrudeau, pas étonnant qu’il fasse autant de gaffes.


Piers Morgan a poursuivi en faisant remarquer que

« Le monde entier a ri de votre patron et de son #peoplekind absurdement politiquement correct qui suinte l'exhibitionnisme vertueux [le pharisaïsme]. Si vous décidez de traiter tous ceux qui ont ri de nazis, alors je vous suggère poliment que vous êtes un demeuré absolu. »


Piers Morgan finit par se demander « s’il ne manquait pas une case à Butts. Incroyable qu’un conseiller aussi proche de votre Premier ministre puisse lancer de telles âneries aussi dangereusement incendiaires en son nom. »

Mise à jour de ce mercredi 7 février

Justin Trudeau a affirmé avoir fait une « blague stupide », la semaine dernière, quand il a proposé en anglais l’utilisation du terme « peoplekind » plutôt que « mankind », des propos critiqués autant au Canada qu’à l’international.

« J’ai fait une blague stupide il y a quelques jours », a déclaré le Premier ministre du Canada, mercredi matin à son arrivée au caucus libéral.

Le député conservateur Gérard Deltell a jugé mercredi matin que Justin Trudeau a fait la bonne chose en s’excusant pour sa « blague niaiseuse », mais il doute de la sincérité du Premier ministre.

« Ça va dans la logique de M. Trudeau de neutraliser à peu près tout », a-t-il observé, rappelant que les libéraux ont fait changer les paroles de l’hymne national pour le rendre plus inclusif, un changement dénoncé par l’opposition officielle.

Billet originel

Lors d’une assemblée publique à l’Université MacEwan à Edmonton, vendredi dernier, le Premier ministre Justin Trudeau a interrompu une femme qui avait utilisé le mot « mankind » (« humanité »).

Il a alors mecspliqué [1] que « nous préférons le terme de “peoplekind” » (quelque chose comme « personnité ») puisque le terme « mankind » en anglais fait référence à l’homme (“man”).   

Justin Trudeau a expliqué que cela serait plus « inclusif », un peu comme vouloir remplacer « patrimoine » par « héritage culturel » (une idée de Québec solidaire) en français. Certaines féministes, encore plus radicales, préconisent « matrimoine ».

Notons que nous ne savons pas trop qui est « nous » dans cette remarque de Justin Trudeau. Aucun site gouvernemental canadien ne semble utiliser « peoplekind »... Alors qu’on trouve près de 10 000 occurrences de mankind sur ces mêmes sites... En fait, nous soupçonnons M. Trudeau d’avoir oublié que « humankind » ou « humanity » sont parfois proposés comme alternative non « genrée » en anglais par la fonction publique canadienne.

Remarquons enfin que la dame interrompue pour des raisons de correctivisme genré avait aussi utilisé le terme « d’amour maternel », mais Justin Trudeau ne l’a pas reprise ici (« people’s love » ?)

La remarque du Premier ministre adulé a été aussitôt applaudie de façon nourrie par salle y compris par la jeune femme qui avait laissé glisser le rétrograde « mankind ». La jeune femme en question, Aimee, est membre de l’Église de Dieu société de la mission mondiale, une église féministe controversée fondée en Corée du Sud. Cette église croit en Dieu le père et Dieu la mère.

La remarque de Trudeau a été nettement moins bien accueillie ailleurs, plusieurs commentateurs dans l’anglosphère ont vertement critiqué cette « rectitude linguistique » qui semble primer sur le fond chez Justin Trudeau. L’animateur britannique Piers Morgan a qualifié M. Trudeau d’« imbécile de première, côté rectitude politique ».



L’émission « Fox and Friends », qui serait suivie tous les matins par le président Trump, a consacré à cette « affaire » tout un segment, mardi matin. Les trois animateurs ont interviewé le professeur de psychologie de l’Université de Toronto, Jordan Peterson, connu pour sa volonté de ne pas plier devant les dictats et les modes de la « rectitude politique post-moderne et marxiste ». Le professeur Jordan Peterson a qualifié cette interruption d’assez typique et de pavlovienne : « Je crains que la pensée de Premier ministre ne soit capable de suivre que quelques pistes idéologiques très étroites. Nous en avons vu les prémices quand M. Trudeau a constitué son cabinet. Il tenait à ce que 50 % des postes reviennent à des femmes malgré le fait que seuls près de 22 % des députés sont des femmes. Il était plus facile pour lui d’utiliser ce critère que de sélectionner ses ministres en ne considérant que les compétences nécessaires. On a déjà vu pas mal de ce genre de comportements. Mais là on a affaire à un exemple extrême. Trudeau écoutait une femme qui voulait sérieusement discuter d’une question importante et il est intervenu pour faire une déclaration idéologique au milieu de ce dialogue. Cela trahit clairement, à mon sens, sa façon de penser. Mais je ne crois pas qu’il pense, son esprit fonctionne à l’idéologie. Et il en accepte le résultat sans se poser de questions. Et nous allons vraiment en payer le prix au Canada d’une manière insoupçonnée pour l’instant. »

Les réseaux sociaux se sont copieusement moqués du « peopleskind »,
ici Manhattan est rebaptisé « Peoplehattan »

Pour l’universitaire et chroniqueur québécois Mathieu Bock-Côté, « Immédiatement, ivre de vertu inclusive, [Trudeau] a corrigé la demoiselle en lui disant qu’elle devrait plutôt parler de “peoplekind”. Fiou ! Un terme “genré” venait d’être banni de l’assemblée, et on s’en doute, l’égalité entre les sexes s’est mieux portée. On lutte contre les discriminations un mot à la fois ! [...] Mais nous ne sommes pas ici simplement devant les lubies amusantes d’un Premier ministre qui confond la modernité et l’ouverture d’esprit avec l’adhésion à toutes les modes idéologiques. Ce qui se dévoile, c’est la tentation de plus en plus forte de soumettre le langage à une perpétuelle reconstruction idéologique. Quels sont les prochains mots que nous bannirons ? »

Comment parler anglais comme Justin Trudeau :
le Manitoba devient le Personnetoba

La CBC a interrogé un lexicographe et, apparemment, M. Trudeau ne serait pas le premier à utiliser le mot « peopleskind ». Même si le mot est très rare, le lexicographe ajoute « J’en ai trouvé une attestation assez tôt en 1988 dans un livre sur l’écriture non sexiste. Et ce livre citait en fait quelqu’un d’autre, disant : “Eh bien, évidemment, ce mot ne prendra jamais.” »

M. Trudeau doit amorcer mercredi une visite officielle aux États-Unis pour parler commerce, notamment pour mousser les dispositions d’égalité hommes-femmes que son gouvernement tente d’intégrer à un nouvel Accord de libre-échange nord-américain. Visiblement une priorité économique ! (Voir ce que Jordan Peterson pense de l’imposition gouvernementale de l’égalité de résultats entre les hommes et les femmes.)

La gouverneure générale, Julie Payette, doit accorder bientôt la sanction royale à un nouvel « Ô Canada » de genre neutre, afin qu’en anglais, « un vrai amour de la patrie » n’anime plus « tous tes fils », mais qu’il « nous anime tous »...






[1] « Mecspliquer », néologisme qui désigne le fait qu’un homme explique quelque chose de façon paternaliste à une femme (et l’interrompe ici de façon inopportune). Radio-Canada avec nos impôts fait la promotion de « pénispliquer » (En F [sic] rançais SVP : remplacer mansplaining par « pénispliquer »).

Voir aussi