samedi 31 mars 2018

Les gouvernements surestiment-ils le rendement économique des diplômes universitaires ?

L’automatisation et la mondialisation ont radicalement bouleversé le marché du travail des pays occidentaux. Les emplois moyennement qualifiés disparaissent rapidement. En Amérique, les salaires des cols bleus — surtout des hommes — ont largement stagné depuis les années 1970, tandis que ceux des diplômés universitaires ont fortement augmenté. Cette augmentation dépend, toutefois, fortement de la discipline, certaines disciplines offrant même un rendement négatif quand on considère l’endettement occasionné par les études et la perte de revenus pendant les années passées à l’université.

Les informaticiens de Californie préviennent souvent que les progrès de la technologie, en particulier dans l’intelligence artificielle, seront dévastateurs pour les travailleurs peu qualifiés. Une étude importante, menée par Carl Benedict Frey et Michael Osborne de l’Université d’Oxford, a estimé que 47 % des emplois en Amérique pourraient être automatisés au cours des deux prochaines décennies. L'OCDE prévoit plutôt une perte de 9 % des emplois due à la robotisation. Le spectre du chômage de masse, ainsi qu’une inégalité accrue des revenus, a conduit de nombreux décideurs à considérer qu’il était crucial de dépenser plus dans la formation universitaire afin d’assurer la future prospérité économique de leurs pays.

Dans leur livre La Course entre l’éducation et la technologie, Claudia Goldin et Lawrence Katz de l’Université de Harvard soulignent que la prime au diplôme universitaire a chuté à la fin de la première moitié du XXe siècle aux États-Unis alors que les universités ont accueilli nettement plus d’étudiants. (En 1945, il y avait 500 universités à travers le monde. Aujourd’hui, il y en a plus de 10 000.) Cette prime a, cependant, connu une forte hausse vers 1980. Bien que la prime a commencé à se stabiliser ces dernières années, le fait que les diplômés universitaires gagnent encore environ 70 % de plus que les non-diplômés suggère que la demande de travailleurs qualifiés dépasse encore de loin l’offre.

Il est, toutefois, possible que les gouvernements surestiment les avantages économiques liés l’enseignement supérieur. Car, bien que les universités soient des lieux d’apprentissage, elles sont aussi des mécanismes de tri social. Une partie de la raison pour laquelle les diplômés universitaires gagnent plus s’explique par le fait qu’avant même d’entrer à l’université ils sont plus brillants et plus industrieux que leurs camarades, ce sont des bosseurs pour parler familièrement. Certaines professions, comme les médecins ou les ingénieurs, exigent une formation technique poussée, mais ce n’est souvent pas le cas. Le fait que les diplômés en sciences humaines, dont les cours ont souvent peu à voir avec leur travail ultérieur, tendent à gagner plus s’ils proviennent d’établissements plus prestigieux suggère que l’une des raisons d’aller à l’université est de se démarquer de ses pairs sur le marché du travail. Bryan Caplan, économiste à l’Université George Mason, soutient que l’obtention d’un diplôme est comme « se lever lors d’un concert ». On voit mieux le spectacle, mais c’est aux dépens de ceux qui sont assis derrière vous. Et si tout le monde va à l’université, tout le monde se lève pour filer la comparaison, et on est revenu au point de départ, le tout à un coût important.

Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, 43 % des adultes âgés de 25 à 34 ans ont aujourd’hui un diplôme d’études supérieures, alors qu’ils n’étaient que 23 % en 1995.

Cependant, on ne sait pas exactement dans quelle mesure ces diplômes se sont traduits par des gains économiques. Une analyse des données sur le marché du travail américain effectuée par The Economist révèle que depuis 1970, la proportion de travailleurs diplômés a augmenté dans presque toutes les professions. Mais pour environ la moitié des professions où les travailleurs sont les mieux éduqués, les salaires moyens ont quand même diminué en termes réels.

L’omniprésence du diplôme signifie que, pour de nombreux travailleurs, aller à l’université est devenu une obligation plus qu’un choix. En outre, l’université ne convient pas à tous. Les études sur le rendement économique de l’enseignement supérieur tendent à supposer que tous les étudiants obtiendront leur diplôme. En pratique, environ 30 % des étudiants en Europe et 40 % des étudiants en Amérique abandonneront leurs études avant d’obtenir leur diplôme. Cela signifie que les rendements économiques attendus d’une éducation universitaire pour les étudiants moyens sont beaucoup plus faibles que ceux que l’on évoque habituellement en ne considérant que la prime des diplômés.

Pour Bryan Caplan, l’économiste déjà cité ci-dessus, « les employeurs qui cherchent un bon travailleur (parmi le premier tiers) ne devraient souvent exiger qu’un diplôme d’études secondaires. La qualité du travail ne s’en ressentirait pas, mais on épargnerait quatre années d’études coûteuses par personne. En d’autres termes, ce que les employeurs veulent, c’est le meilleur tiers, pas nécessairement une formation ou un diplôme. Si l’on peut repérer le “meilleur tiers” avec autant de précision par un autre moyen qu’un diplôme, l’éducation n’a pas d’importance. » Rappelons que, aux yeux de l’investisseur californien Peter Thiel, l’université pourrait souvent être remplacée par un test de QI et de bonnes références. Dans les mots de Caplan, « Pour être le plus franc possible, il serait préférable que l’éducation soit moins abordable. Si les subventions gouvernementales à l’éducation universitaires étaient considérablement réduites, beaucoup de candidats ne pourraient plus financer l’éducation qu’ils envisagent d’obtenir. Si j’ai raison, cependant, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. C’est précisément parce que l’éducation est tellement abordable que le marché du travail s’attend à ce que tant de jeunes soient passés par l’université. Sans les subventions, vous n’auriez plus besoin de l’éducation que vous ne pouvez plus vous permettre. » Nous reviendrons dans un prochain billet aux opinions quelque peu iconoclastes que Bryan Capan expose dans son livre The Case Against Education (Le Dossier contre l’Éducation).

Les gouvernements ont raison de s’inquiéter de la formation de leurs futurs travailleurs, mais ils devraient considérer la hausse du niveau à l'école secondaire pour y acquérir une solide culture générale et de nombreuses autres formations par la suite et pas uniquement l’université.

Voir aussi

Peter Thiel et la bulle universitaire : un test de QI extrêmement coûteux

États-Unis — Quels diplômes universitaires rapportent le plus ?

Québec — Encadrement des élèves en hausse de 22 % depuis 2000

Si la moitié des écoles publiques québécoises sont en mauvais état et ont pâti d’un manque de dépenses gouvernementales, l’encadrement des élèves dans les écoles publiques a, pour sa part, fortement augmenté au Québec ces dernières années. Le nombre d’élèves par adulte est, en effet, passé de 14,43 en 2000-2001 à 11,80 en 2017-2018, soit une hausse de 22 % en 17 ans. 


Ces dépenses supplémentaires ciblent les élèves en difficulté et ceux provenant de milieux défavorisés notamment ceux issus de l’immigration dans l’espoir de favoriser la réussite de tous par ce personnel supplémentaire.