lundi 12 février 2018

France — L'Éducation nationale se dit pro-innovation mais ne l'est pas dans les actes

Une proposition de loi actuellement étudiée au Sénat vise à restreindre la liberté de création d’écoles indépendantes. Il s’agit de la proposition de loi (PPL) 589, qui reprend pour l’essentiel, le projet de Najat Vallaud-Belkacem (socialiste féministe). La PPL a cette fois été déposée par une sénatrice centriste, et est également soutenue directement par le Ministère de l’Éducation nationale.

Le ministre de l’Éducation français Blanquer
Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école répondait aux questions de Valeurs actuelles sur ce sujet. Retrouvez son entretien sur le site de Valeurs actuelles.

Directrice générale de la Fondation pour l’école, Anne Coffinier appelle à la vigilance face à une proposition de loi présentée au Sénat par les centristes et soutenue par le ministère de l’Éducation nationale, qui menace la liberté d’enseignement des écoles hors contrat.

Valeurs actuelles. — Vous êtes aujourd’hui inquiète alors qu’un texte sera lu au Sénat le 21 février prochain. De quoi s’agit-il ?

Anne Coffinier. — Il s’agit d’une proposition de loi centriste qui cherche à rendre beaucoup plus compliquée l’ouverture de classes hors contrat et à les soumettre au bon vouloir de l’Éducation nationale. L’idée n’est pas nouvelle, elle avait déjà été présentée à l’Assemblée nationale par Najat Vallaud-Belkacem avant d’être heureusement censurée par le Conseil constitutionnel. 
Mais si le projet de loi qui revient aujourd’hui au Sénat est proposé dans le cadre de la niche centriste, beaucoup s’accordent à dire que c’est bien le gouvernement, et le ministère de Jean-Michel Blanquer (ci-dessus) en particulier, qui est à la manœuvre. Le ministre parle beaucoup de liberté, mais ce texte vise à briser l’essor des écoles hors contrat qui sont précisément des lieux de liberté et d’innovation au service de tous.

— Pourquoi ces écoles indépendantes vous semblent-elles nécessaires aujourd’hui ?

— Il faudrait sans doute le demander en premier lieu aux parents des 65 000 élèves qui y sont scolarisés ! S’ils ont fait ce choix, c’est que l’école sous-contrat ne convenait manifestement pas à leurs enfants. 
La demande explose et 122 écoles ont encore ouvert cette année, on ne peut pas faire semblant de ne pas le voir ! C’est une demande démocratique.

Il faut une respiration, il est urgent d’innover. La technique, on la connaît parfaitement et le gouvernement s’en fait d’ailleurs l’écho : il faut s’appuyer sur la société civile, les entreprises, les bonnes pratiques internationales. C’est ainsi qu’on pourra donner un second souffle à notre école française.

— Mais vous le dites vous-même, c’est le discours du gouvernement !

C’est justement ce qui est inquiétant. D’un côté, le gouvernement, le ministre de l’Éducation nationale et le Président lui-même portent un discours libre et libérateur, prônent l’expérimentation, l’innovation et la différentiation. Et cela plait à chacun d’entre nous ! Mais force est de constater que ce n’est qu’un discours. Je le découvre aujourd’hui avec déception. Ce que nous constatons dans les faits, c’est l’action de l’administration qui se poursuit selon la même logique : éradiquer tout ce qui est différent. Ils continuent à ne soutenir que les initiatives qui émanent de cabinets ministériels, dans une logique archaïquement du haut vers le bas. Mais tout cela est sclérosé ! Nous n’avons qu’une seule question pour le gouvernement : comment compte-t-il rénover tout de l’intérieur avant que ça s’effondre ? Nous sommes bien obligés de leur rappeler que nous sommes déjà presque en queue de classement à l’international. Il faut que ça bouge, et vite.

— Que pourraient-ils faire concrètement ?

— Faire confiance aux professeurs sur le terrain et accepter que les écoles vraiment libres de leur pédagogie servent d’aiguillon au reste du système scolaire. Ces écoles n’ont pas le choix : elles sont connectées à la réalité des besoins de l’enfant et il serait temps de les observer. 
Sans compter qu’elles offrent le choix aux parents d’élèves qui ont des besoins spécifiques et qui sont souvent laissés sur le bord de la route dans l’Éducation nationale. Je pense aux enfants dyslexiques, précoces, etc. Pour eux, il n’y a que le hors-contrat. On peut également évoquer la question du sport-étude : c’est un fait, le système public est trop lourd pour créer des champions.

— Qu’espérez-vous aujourd’hui ?

La proposition a été rejetée en commission, en l’état, dans sa version modifiée par le rapporteur. Pour des raisons différentes, les socialistes et les Républicains s’y sont opposés. Elle sera en lecture le 21 février prochain.
 Désormais la question est : le gouvernement va-t-il être raisonnable ou poursuivre la vieille politique de guerre larvée à tout ce qui peut renouveler l’enseignement en France ?

Cet évènement peut sembler anecdotique, mais ce n’est pas rien : il concerne l’un des secteurs les plus dynamiques de la société civile. Cela illustre malheureusement la déconnexion entre le discours très séduisant de Jean-Michel Blanquer et la réalité des faits : la poursuite des bonnes vieilles habitudes technocratiques de l’Éducation nationale française.

Voir aussi

France — Nouveau bac : fin de l'anonymat et du diplôme national, davantage de bachotage, pas plus d'excellence ?

France — La droite conservatrice se trompe-t-elle au sujet de Blanquer ?

France — le ministre de l'Éducation Blanquer bouscule la « gauche pédago »

Moins d'heures de français à l'école : le niveau de grammaire et d'orthographe baisse

Le niveau d’orthographe et de grammaire des Français a chuté depuis 2010. Un phénomène qui n’épargne pas les entreprises et qui peut leur coûter cher.

Les fautes d’orthographe gangrènent les entreprises françaises. Les salariés obtiennent une note moyenne de 10,73/20 en orthographe en 2015, selon le dernier baromètre du Projet Voltaire, un organisme de remise à niveau orthographique créé par la société Woonoz en 2008 et à l’origine du désormais réputé Certificat Voltaire. Ils font certes mieux que les collégiens (5,22/20), lycéens (6,9/20) ou étudiants (8,76/20) mais le résultat n’est pas glorieux : au bureau, les Français maîtrisent à peine plus de la moitié des règles grammaticales et lexicales (54 %). Globalement, le niveau d’orthographe des Français a chuté de 6 points entre 2010 et 2015. Ils maîtrisaient il y a cinq ans 51 % des règles, contre 45 % aujourd’hui.

« L’Éducation nationale a réduit de moitié la part du français dans les programmes à l’école primaire ces 30 dernières années, ce qui explique la baisse de niveau chez les salariés quadragénaires », explique Pascal Hostachy, cofondateur de Woonoz. « Quant à la génération Y, qui arrive sur le marché du travail, le langage des textos et des réseaux sociaux est presque leur langue maternelle. Ces jeunes n’ont jamais autant écrit, mais dans une autre langue que le français classique. » Au bureau, ces lacunes ne sont pas sans conséquence. « Avec les [courriels], les salariés écrivent beaucoup plus qu’avant et leurs faiblesses sont exposées. »

Un futur savant.
Peinture de 1880 Jean Geoffroy (1853-1924)

Marché de la chasse aux fautes d’orthographe

Au final, les fautes d’orthographe peuvent coûter cher à l’entreprise. « La concurrence est rude dans des secteurs comme la banque, l’assurance ou l’immobilier. Des contrats et courriers commerciaux bourrés de fautes peuvent saper la crédibilité d’un service et faire perdre des clients », selon Pascal Hostachy. Une étude britannique a récemment démontré qu’une seule faute d’orthographe peut diminuer de moitié les ventes d’un site de cybercommerce. « L’orthographe est désormais un problème collectif au sein d’une entreprise », résume le dirigeant. Dès le recrutement, la maîtrise écrite de la langue de Molière peut faire la différence. « Entre deux profils équivalents, l’orthographe sera un critère discriminant », confiait récemment Jacques Froissant, fondateur du cabinet de recrutement Altaïde.

La chasse aux fautes de français est devenue un vrai marché. Les offres de logiciels de remise à niveau ou de coaching pullulent. « Les correcteurs d’orthographe n’étant pas toujours pertinents, les salariés ont besoin d’un réel accompagnement », selon Anne-Marie Gaignard[*], formatrice en orthographe.

Le Projet Voltaire, qui a mis au point un cursus de formation individuelle pour les salariés et un logiciel de remise à niveau que les entreprises peuvent proposer à tous leurs employés, compte aujourd’hui 700 sociétés partenaires, plus de trois fois plus qu’en 2013, et 1000 établissements scolaires. Pour Pascal Hostachy, toutefois, il est urgent de « revoir les bases de l’enseignement à l’école ». Selon lui, les offres d’accompagnement et autres sont « efficaces », mais « un traitement curatif l’est toujours moins qu’un traitement préventif. Apprendre la grammaire à 40 ans est plus difficile qu’à 8 ans. »

* Anne-Marie Gaignard est l’auteur de La revanche des nuls en orthographe publié par Calmann-Lévy

Source